APRES LE PIRE...
Dans ce livre rare, «Climat de peur» (l'intitulé donné sur Babelio est trompeur et faux : il n'est question d'Afrique qu'en tant que collection chez Actes-Sud), le premier prix Nobel africain (mieux vaut tard que jamais) Wole Soyinka décrit, par le biais de cinq conférences donnée en Grande-Bretagne, ce qui est apparu à la suite de cette date fatale du 11 Septembre 2001.
Très loin des clichés et d'une manière de penser trop facilement admise, l'auteur de Une saison d'anomie essaie de découvrir les prémices modernes de ce drame abject. Il les situe plus particulièrement dans le fameux (mais presque oublié aujourd'hui) drame de l'avion d'UTAH qui vit disparaître tous les passagers de ce vol au dessus du territoire de son propre pays, le Nigeria.
Sans jamais chercher de trop faciles coupables ni boucs-émissaires absolument évidents, sans pardonner par faiblesse un occident éloigné de tout soupçon, sans concession aucune pour quelques religion que ce soit - séculaire ou sacrée - c'est en intellectuel ayant vécu l'enfermement, la dictature, la violence sans but autre que le maintien au pouvoir d'un dictateur Sani Abacha (dont il n'est pas inutile de rappeler que l'auteur de ce livre fut un fervent opposant, au point de provoquer l'embargo de son pays suite à ses révélations de la pendaison d'un de ses amis, l'écrivain Ken Saro Wiwa) qui s'exprime ici sans fard, sans compromission, sans vacuité.
Il y a des paroles vivantes qui mériteraient qu'on les porte au pinacle de l'humanité toute entière...
Bien sur, les années ont un peu passé. Depuis, nous avons eu "Charlie", les USA ont eu Obama, Guantánamo a (presque failli être) fermé... Mais jamais les crispations n'ont été aussi fortes autour de questions investies par les fanatismes religieux : voile et "blasphème" pour un certain islam, "famille pour tous" (et surtout pour quelques uns) côté catholicisme intégriste. La parole forte, dense, définitivement humaniste et belle de Wole Soyinka semble plus que jamais actuelle. Essentielle. Peut-être tragique. Jamais désespérée, pour qui croit encore que l'homme est perfectible.
Humanisme, écrivions-nous ?
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Belle découverte du Nobel nigérian 1986 (premier auteur africain nobélisé) avec cet essai, reprenant cinq conférences qu'il a données à Londres en 2004.
Érudition renversante, intelligence fascinante, écriture captivante, cet essai a tout pour plaire.
Hormis son désespérant sujet : la peur.
La peur comme construction idéologique, comme instrument de pouvoir, comme outil de propagande, comme refus du dialogue.
"Après chaque attaque contre notre sentiment de sécurité locale ou mondiale, réussie ou déjouée au dernier moment, la question qui demeure est à l'évidence la suivante : et après ? Où ? Comment ? Existe-t-il encore des limites reconnues, une retenue à garder dans l'horreur ?"
Soyinka explore les mécanismes de la peur depuis ses souvenirs d'enfance, enfance au cours de laquelle il a dû affronter le harcèlement scolaire, jusqu'aux actes terroristes du début du 21ème siècle, en passant par la terreur nucléaire de la Guerre froide.
Chaque conférence est ponctuée d'un témoignage personnel auquel il parvient à insuffler un brin d'humour ; il doit être, en plus, un orateur hors pair.
Traduction parfaite d'Étienne Galle.
Challenge Nobel
Challenge gourmand (Madeleine : Des souvenirs d'enfance évoqués dans ce livre)
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Le dogmatisme mort-né du "j'ai raison, tu as tort" est revenu à son point de départ du combat des idéologies, et il a de nouveau atteint son apothéose : "j'ai raison, tu es mort". Le monologue de l'unilatéralisme aspire sans cesse au manteau prophétique des Elus et, bien sûr, aggrave la position manichéenne du monde, nous invitant sous peine d'en payer les conséquences à choisir entre "eux" et "nous". Il nous faut, en d'autres termes, rejeter la position que George Bush a énoncée si clairement dans son ultimatum : «ou bien vous êtes avec nous et contre les terroristes, ou bien vous êtes du côté des terroristes» et dans sa déclaration : «nous n'avons pas besoin de l'approbation du monde puisque nous sommes guidés par Dieu», tout aussi fortement que nous répudions la proclamation d'Oussama Ben Laden : «La terre est maintenant divisée en deux, le monde des fidèles de l'islam et celui des infidèles et des mécréants». Qu'est-ce que cela signifie pour les milliards d'incroyants convaincus qui peuplent la planète ? Qu'est-ce que cela veut dire pour les hindous, les bouddhistes, les zoroastriens, les fidèles d'Orisha et de cent autres religions marginalisées par cette division du monde entre les deux mastodontes ensanglantés de la foi que sont l'islam et le judéo-christianisme ?
Le spectacle d'un peuple plongé dans un état de régression sociale, pour quelque raison que ce soit, constitue une mise en garde navrante et authentiquement tragique, un rappel du rocher de Sisyphe que des forces imprévues placent souvent sur les épaules des mouvements qui se veulent progressistes. Il nous rappelle chaque jour qu'il ne faut jamais tenir une situation politique pour acquise, ni sous-estimer la détermination du quasi-Etat, dont le recours instinctif à la règle de la peur comme arme de combat pousse les plus belles intelligences d'un pays à l'exil, liquide les autres et paralyse les forces créatrices d'un peuple dynamique.
La nation française a récemment été plongée dans une controverse portant sur la décision d'interdire les signes religieux ostentatoires dans les écoles secondaires (...) Mon esprit se mettait en état de dialogue, envisageant même que ce dialogue puisse prendre des allures de manifestations dans les rues de Paris et sur les quais de Marseille (...) Pour certains, hélas, ce dialogue était superflu. Un groupe jusque là inconnu (...) avertit le gouvernement français qu'il devait se préparer à des représailles dans le style de Madrid et à un temps "de douleur et de repentir" pour cette attaque contre la foi islamique.
Wole Soyinka – Un siècle d'écrivains (France 3, 1996)
L'émission « Un siècle d'écrivains », numéro 60, diffusée sur France 3, le 21 février 1996, et réalisée par Abdelkrim Djaad et Ahmed Rachedi.