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Jean-Baptiste Ferrero (Autre)
EAN : 9782812201400
280 pages
Ramsay (18/08/2020)
4.8/5   10 notes
Résumé :
Déchiqueté par les balles des mitrailleuses allemandes, relégué dans un hôpital militaire où l’on peut cacher ce qui reste de son corps martyrisé, Pierre Tallandier acquiert le pouvoir incroyable de s’emparer du corps d’autrui. Ivre de revanche contre le monde qui lui a volé sa vie et sa jeunesse, Pierre retrouve sa liberté au prix de celle d’autrui.

Des tranchées de la Première Guerre Mondiale aux camps de concentration nazis, il va mener une longue ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Pierre Taillandier est juste un gars qui n'a pas de chance. Il en manque d'être un jeune homme vigoureux cet été de mille neuf cent quatorze. Son escouade, joliment décorée de ce fameux pantalon garance, ce beau rouge parfaitement ennemi du camouflage. Les mitrailleuses allemandes crépitent et crachent leur venin, ces « abeilles tueuses » comme les définit l'auteur, les balles de gros calibre et meurtrières. Caché par une souche, cette dernière se fait éroder par les tirs nourris et le pauvre Taillandier se fait littéralement déchiré. Il ne reste de lui qu'un vague tas de viande, sans membre, les organes ravagés, le menton et la langue arrachés. Il lui reste ses yeux sans paupières et sa vie se limite à scruter un infâme et fissuré plafond blanc. Les médecins ne savent pas s'il est conscient. Ils savent qu'il est vivant car alimenté artificiellement, son corps évacue les restes de ses repas par les voies naturelles et il réagit virilement au bon soin de l'infirmière qui lui est attitrée, la belle Agathe Piquet. L'autre arme fatale pour ce pauvre hère est l'acharnement thérapeutique des médecins qui le maintiennent en vie malgré tout. Presque trois ans prisonnier de ce corps mutilé, à scruter son plafond blanc, son seul ami maintenant. Et puis un beau jour, en croisant le regard de sa soignante dévouée, il se retrouve dans le corps de la belle Agathe et découvre la vision d'horreur qu'il est devenu. de là, il tente de nouveau l'expérience de se transférer dans la jeune femme qu'il appelle désormais son véhicule. Il inquiète aussi le docteur Auguste Carradec. C'est le début d'une vie nouvelle, faite de voyages inédits qui commence pour Pierre Taillandier…

J'ai commandé ce roman dès qu'il a été en prévente en numérique. J'avais réellement peur que l'édition ne soit reportée suite à ce maudit coronavirus. Ouf, il n'en est rien. Je suis un grand admirateur de la plume de Jean-Baptiste Ferrero. J'aime son sens de la mise en scène, de l'exagération et son style détonnant (ne confondez pas avec détonant qui est une faute de mauvais goût) quand il entre dans la peau de Thomas Fiera. J'aime surtout les idées humanistes et libertaires qu'il défend dans son oeuvre. Dans ce roman, l'auteur sort de sa ligne de confort. Il maîtrise et tente de dompter ses impulsions. L'auteur doit sans doute avoir l'habitude de se transporter dans la peau des autres, celle de ses personnages. Mais là, plus que d'accoutumée, on ressent qu'il se met en souffrance. Une sorte de transe. Par le biais d'un personnage endémique à ce roman, il dénonce toute l'horreur de la première guerre mondiale. Là, ça me touche déjà énormément. Mon grand-père maternel avait dix-huit ans en mille neuf cent seize. Il a eu une balle qui lui avait traversée la jambe, le tibia et le péroné. Encore convalescent, on l'a renvoyé au front. Il en a gardé des nuits blanches, d'affreux cauchemars. Quand on lui demandait : « c'est comment la guerre Pépère ? » Il pleurait. le pauvre, comme s'il n'en avait pas assez souffert, avait quarante-deux ans en quarante et il fut de nouveau mobilisé. Je dénonce souvent ce crime contre l'humanité. Tous les états sont coupables de crime de guerre, quelqu'ait été leur bord à l'époque. On a juste envoyé des pauvres et jeunes gars qui n'avaient même pas le droit de vote, qui étaient exploités, à la mort pour une guerre de sangs bleus, de cousins germains et pour le profit de riches industriels exploiteurs, notamment ceux qui exploitaient l'acier et le charbon. L'auteur ne s'arrête pas là. Il continue l'aventure « extracorporelle » du héros entre les deux guerres puis nous plonge dans l'horreur du nazisme. Un bonne piqûre de rappel, en ces temps de début de siècle où les hommes, par leur vote, par leurs actions, semblent avoir oublié l'histoire. le fond est empli de nobles convictions. Il crie à l'injustice, certes, celle du passé mais aussi celle que nous préparons de façon inconsciente ou consciente à l'heure actuelle. C'est aussi un questionnement profond sur l'identité. Sur qui est « Je » ? Sur ce moi, souvent le parfait inconnu qui nous habite. Par les voyages « extracorporelles », le héros est aussi à la recherche de lui-même. Il prouve aussi que l'apparence extérieure est trompeuse, qu'il n'y a pas de préjugé qui tienne. Domptée, la plume et le style restent puissants, tranchants. Les émotions sont brutes, fortes. Ce livre, en empruntant les chemins du fantastique, est une oeuvre d'écorché vif. Il est bouleversant. J'étais déjà complétement admiratif de l'oeuvre de Jean-Baptiste Ferrero mais maintenant, je lui voue une réelle admiration. Il m'a retourné, mis la tête à l'envers, ému. Je ne peux que vous conseiller à lire ce merveilleux roman déstabilisant. J'admire cette façon de se mettre en danger quand on écrit avec tant de conviction. de cette lecture, Vous n'en sortirez certainement pas intacte mais méditatif et grandi.

Personnages :




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ANIMUS de Jean-Baptiste FERRERO aux Éditions RAMSAY
ISBN 978-2-81220-140-0


L'histoire :

Celle de Pierre Taillandier. Un jeune homme qui a la vie devant lui, des projets de mariage avec la douce Julie, qui fait, avec des filles des boulevards ce qu'il ne pourra jamais faire avec sa promise si bien éduquée. Un homme avec une bonne situation réservée dans un ministère, même s'il se rêve écrivain. Un homme ni pire ni meilleur qu'un autre. Mais un archiduc assassiné bien loin de Paris va lui voler sa vie. A lui comme à des millions d'autres jeunes hommes.

Extraits partiels pages 17 à 19 :
« En quelques heures, du fait de l'incompétence d'une brochette de vieillards bornés et du cynisme de quelques princes d'opérettes accrochés à leurs empires d'un autre âge, ce sont des centaines de jeunes hommes, dont les rêves, les espoirs et l'enthousiasme furent transformés en charpie sanglante, simples morceaux de viandes déchiquetés, sursautant sous les impacts des balles…
La bataille de Morhange est terminée et la France vient d'essuyer la première défaite de cette guerre.
Pour Pierre la guerre est finie.
Mais tout commence… »

Pierre gît au fond d'un lit d'hôpital. Mais est-ce encore Pierre ?
Il ne reste de lui qu'un tronc sans membres, ils ont dû être amputés. Il n'a plus de mâchoire inférieure, plus de langue, plus de paupières et ses yeux restent désormais ouverts en permanence. le médecin qui veille sur lui, Auguste Carradec, espère que la conscience de son patient, comme ses organes internes, soit endommagée.
Car quelle vie est-ce là ? S'il n'était pas médecin il mettrait fin à tout ça.
Puis il y a Agathe Piquet, l'infirmière qui soigne et nettoie ce corps. Ce corps capable d'érection lorsqu'elle le change. Cela la met mal à l'aise. Mais bien moins que ces yeux fixes. Ces yeux qui un jour la harponnent et ne la lâchent plus.
Car oui, Pierre a toujours une conscience. Elle est si forte, elle veut tant quitter la coquille vide qu'est devenu son corps que… voilà qu'il arrive à utiliser le corps d'Agathe comme vaisseau. Pas longtemps au début, mais chaque incursion affirme son « don » et quelle sensation incroyable. Être femme. Savoir ce qu'elle ressent, caresser son intimité… Et comprendre la force qui habite le sexe soit-disant faible. Sans culpabilité, sans état d'âme, il va user de ce vaisseau. Ce n'est que temporaire. Il ne fait rien de mal. Et puis merde, la vie lui doit bien ça ! Il veut vivre.
Le pilotage du corps emprunté provoque des absences au vrai propriétaire. Absences que le Dr Carradec remarque, il faut dire qu'il n'est pas insensible à Agathe. Absences que l'infirmière remarque. Elle s'inquiète. Deviendrait-elle folle ?
Auguste se sent mal à l'aise en la présence de Pierre sans comprendre pourquoi. Ces yeux qui le fixent… Il sera lui aussi utilisé à son insu comme vaisseau.
Pierre s'entraîne.
Il a compris qu'il doit être les yeux dans les yeux avec un potentiel vaisseau pour que son don fonctionne. D'entraînement en entraînement il arrive à passer de plus en plus de temps dans « ses » vaisseaux. Mais à un moment l'esprit des lieux qu'il occupe le chasse immanquablement.
Jusqu'à ce jour où un nouveau malade arrive. Un corps parfait, mais dont l'esprit a disparu. Les états de choc profond sont fréquents. La guerre est une boucherie sans nom. Une aubaine pour Pierre : une maison vide disponible !
Le voilà devenu Jean de la Viguerie et feignant l'amnésie. Pour le meilleur ou pour le pire ? C'est que Jean est une canaille et un pleutre. Qu'il a de nombreux ennemis, à commencer par son père ; homme puissant et ami de Clemenceau. Il souhaite voir son fils mourir au front !
Et « Pierre-Jean » qui se croyait enfin sauf se retrouve en 1ères lignes.
Son « don » va lui permettre de revenir en héros de cette boucherie.
Pierre s'interroge toutefois : la mémoire résiduelle des corps qu'il occupe un temps risque-t-elle de l'affecter ? Est-il toujours « lui », ce « je » qui est propre à chacun ?

Il a un projet.
Pour cela il va devoir dévoiler son don au Dr Carradec. Celui-ci ne sera pas si surpris. Il comprendra enfin d'où lui venait son malaise et ses interrogations. Ils mettront Agathe dans la confidence. Car qui mieux qu'elle pour prendre soin du corps de Pierre ? Ce vaisseau vide auquel il est persuadé d'être toujours rattaché.
Et « Pierre-Jean » va voyager. Être tant de personnes : hommes, femmes, assassins, justiciers. Comment ne pas se perdre ? Est-il toujours « je » ? Une lassitude, une langueur s'installe et persiste. Il pourrait vivre éternellement. Mais ce don en est-il vraiment un ?

Extrait page 301 :
« J'ai reçu mon pouvoir comme s'il s'agissait d'un don, d'un simple cadeau allant de soi.
Mais il n'est pas de don en ce monde. Parfois des prêts et généralement des achats.
Sans doute est-il temps de commencer à payer l'addition. »

L'Histoire continue sa course. Inéluctablement. L'Allemagne prépare sa revanche. En 1933 à Berlin l'autodafé et le discours de Goebbels laisse présager le pire. le mal incarné est en marche. La seconde guerre mondiale est là, et avec elle l'horreur des camps…


Jean-Baptiste nous offre un récit fort qui dénonce implacablement les guerres, avec une approche SF qui rend plus profondes les réflexions sur l'identité de ce « je » qui nous définit.
Des extraits de journaux intimes, lettres, articles de presse viennent rythmer ce roman et lui apporter une force, une âme, supplémentaire.
Un livre exceptionnel et difficile à oublier.
A lire d'urgence.

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Pierre Tallendier est un très grand mutilé de la Première Guerre mondiale .
Il ne lui reste que les yeux pour regarder un morne plafond.
Emprisonné dans son corps, il va trouver une échappatoire.
Il va se projeter dans le corps de ceux qu'il rencontre.

Certaines oeuvres résonnent par les rencontres que j'ai pu faire avec d'autres par le passé (passé parfois lointain).
Elles enrichissent, diversifient et approfondissent les thématiques.

J'ai retrouvé dans “Animus” :

un peu de Johnny s'en va-t'en guerre Je l'avais vu il y a des années (en film donc). Ce fut un film marquant.
le roman comme le film sont profondément antimilitaristes. “Animus” l'est aussi, mais il profite de sa narration pour envisager la guerre de multiples points de vues.

un peu de Carbone modifié.
Mais … pas du tout la même ambiance ! Il y a aussi dans “Carbone modifié” des personnes qui se retrouvent dans d'autres corps.
Mais plusieurs points étaient vraiment sous ou pas exploités.
Rétrospectivement “Carbone modifié” est très masculin. Son personnage principal est si “efficace”. Il doute somme toute si peu.
Et l'échange de corps, l'identité passe complètement à côté d'un thème important :
Est-on un homme dans le corps d'une femme et réciproquement ?
Qui est-on vraiment ? Profondément ? Quand on change de corps, quand on habite un voleur, un profiteur, un résistant, un tortionnaire …

mais aussi un peu de "Les Miracles du bazar Namiya"
Les sujets sont très différents. Mais il est amusant de constater que deux de mes auteurs de polars favoris (des polars très très différents, il faut le dire) fassent une incursion dans le fantastique.



J'ai trouvé dans “Animus” les qualités que j'attends d'un grand roman.

* une histoire personnelle qui se mêle à la grande
* du temps qui laisse aux personnages une durée pour se construire ou se déliter
* des personnages complexes à la fois admirables et détestables
* le doute
* Pas de grand pouvoir. le pouvoir de Pierre Tallendier vous semble impressionnant, un pouvoir à sauver le monde ?
Ce n'est pas la facilité dans laquelle Jean-Baptiste Ferrero tombe.
Les personnages sont profondément enlisés dans une époque malsaine.
Ce “grand pouvoir” me rappelle aussi un autre film/roman marquant : “Dead zone”.
* un ancrage profond et authentique dans le réel. Je retrouve bien la plume de Jean-Baptiste Ferrero

En conclusion

J'apprécie Jean-Baptiste Ferrero pour ses truculents polars cathartiques.
Il y avait un grand risque à aborder un sujet plus grave.
Et bien dans un cadre si différent, le roman est une réussite !
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Pendant quelques jours j'ai marché aux côtés de Pierre Tallandier, enfin pas exactement Pierre Tallandier. J'ai vécu les aventures extraordinaires de Pierre, mais aussi d'Agathe, Lucien, Tom, Joseph, Astrid, Pablo, Luigi, Iaroslav, Milena, Henri, Jules, Basil, Sarah et tant d'autres.
J'ai suivi cet homme, cette femme, « cet être » serait un terme sûrement plus juste. Avec ce pouvoir de changer de corps, de trimballer son âme, Jean-Baptiste Ferrero instille une goutte de Fantastique dans un récit historique. Et cette goutte va se diluer dans la grande Histoire, elle va se faufiler comme l'esprit de Pierre Tallandier, muer, muter, coloniser d'autres corps avec un but permanent, vivre ! Ce pouvoir unique sera le fil rouge sang d'un roman qui m'a marqué par sa profondeur.

Il faut se mettre un instant à la place de Pierre Tallandier. La vie lui sourit de toutes ses années à vivre, il est un homme heureux. Et puis en quelques secondes la guerre lui prend tout ce qu'il possède de cher. Malgré tout il survit. Mais survivre ne l'intéresse pas alors qu'il entrevoit la possibilité de vivre vraiment, d'être libre, de se mouvoir, de quitter ce corps-charnier plus immobile qu'un rocher. Au fur et à mesure, nous suivons l'évolution de Pierre Tallandier. S'il passe de corps en corps cela ne se fait pas en un claquement de doigt, c'est d'abord un acte hésitant, perclus de doutes et de peur, c'est pénible, douloureux, angoissant, c'est comme explorer des lieux inconnus à chaque fois et sans savoir si on en reviendra.
La psychologie du héros est superbement travaillée. Je peine à imaginer l'énergie que l'auteur a dû dépenser pour parvenir à ce résultat spectaculaire, j'ai peine à imaginer l'implication qu'il lui a fallu, les sacrifices, l'interminable colonne des heures de doute, de déception, de retour en arrière, de joie, de création. En fait non, je ne peine pas, j'imagine assez facilement la dose de volonté dont il a usé, l'acharnement à écrire qu'il a nourri lorsque le doute le harcelait comme les abeilles tueuses allemandes. Je sais un peu la pugnacité dont il a fait preuve pour nous offrir ce roman, dans cette forme très aboutie, si profonde, si cultivée et à l'écriture lumineuse. Parce que si l'âme de Pierre Tallandier utilise nombre de véhicules pour continuer la grande aventure de la vie, sa propre histoire est portée par une écriture soignée, lettrée, attentive à chaque instant, chaque personnage, chaque mouvement.
Animus recèle un bon paquet de moments de bravoure, stylistiquement parlant. Jean-Baptiste Ferrero a bossé dur, il a écrit, réécrit, effacer, recommencé, et de nouveau persévéré. Mais le jeu en valait la chandelle. La construction du roman a dû être complexe pour l'auteur mais s'avère limpide pour le lecteur. Les changements de narrateurs, les différents journaux intimes, les lettres, les Unes de la presse, loin de perturber le lecteur et de le désorienter apporte à chaque fois quelque chose de fort, sur les personnages et sur l'époque, la société de ce temps-là. Parce que Jean-Baptiste Ferrero a trop l'habitude d'observer ses contemporains pour négliger ses personnages, même ceux qui ne font que passer. Une telle implication, un tel acharnement à soigner l'ouvrage force le respect.
Si le titre est une référence à Carl Jung, il ne fait qu'annoncer la couleur et l'on est très loin d'imaginer ce qui nous attend. La férocité de la guerre, son absurdité, sa colossale injustice et son inutilité sont exposées au grand jour. Mais ce qui se déroule dans le secret obscur des corps, des âmes, est aussi dévoilé avec une grande sensibilité, parfois sans aménité, avec rudesse même. Mais c'est pour notre bien. le politiquement correct se fait botter son gros cul flasque à de nombreuses reprises et c'est jouissif.

Mais la grande performance de l'auteur, c'est d'avoir réussi à être, comme le disait Big Jim Harrison, le fermier, mais aussi le fils du fermier, et encore plus dur, la fille du fermier. Lorsque l'auteur tente de comprendre le corps de la femme, quand il revêt sa peau et son âme, c'est émouvant et tendre. Animus, c'est aussi un voyage dans le monde féminin, par le corps, par l'esprit, par les sensations éprouvées. Et l'auteur n'a pas ménagé ses efforts, et ça paye, ça sent la vérité, et si ce n'est pas la vérité (après tout, je ne suis qu'un homme), ça pue la sincérité. Et pour moi, la sincérité est une forme de vérité.
J'ai été impressionné par la manière dont Jean-Baptiste Ferrero a conduit son histoire, comment il fait évoluer son héros, qui n'est pas tout blanc, loin s'en faut, mais qui bénéficie d'excuses. Au fil des « véhicules » que son âme emprunte, il s'interroge, doute du bien-fondé de son action, il mute, s'ouvre à des considérations importantes, il fait son chemin d'humain vivant qui apprend d'une expérience saisissante. Mais quelque soit le côté extraordinaire de l'expérience, quelque soit le monumental pouvoir dont il jouit, ce n'est jamais un blanc-seing, ce n'est jamais gratuit, il y a toujours un prix à payer, une leçon à retenir.
Si nous rencontrons beaucoup de gens qui perdent quelque chose dans ce roman, où ce qui est acquis ne l'est toujours que de manière temporaire, il est une chose qui gagne à la fin, et cette chose magnifique c'est l'Humanisme. D'une certaine façon, l'auteur boucle la boucle avec panache et sensibilité.
Les reproductions des Unes de différents journaux remettent en perspective l'atmosphère de l'époque, dépoussièrent les idéologies qui trainaient dans les rues sombres, racontent la bien-pensance du moment.
Je n'ai en fait qu'un seul reproche à nourrir à l'encontre ce très beau roman, c'est le choix de la police d'écriture concernant le journal que tient un des personnages, Auguste Carradec. La typographie, qui, dans un souci de réalisme, avait certainement pour but de reproduire l'écriture manuscrite m'a été pénible à déchiffrer, à tel point que j'espérais qu'il n'y aurait pas trop de passages relatifs à ce fameux journal. Mais ces quelques dizaines de pages éparpillées sur toute la longueur du roman ne doit pas vous effrayer, parce que ce serait passer à côté d'un très beau et très profond roman, qui va chercher en nous des sentiments parfois enfouis, des souvenirs, des pensées. Et puis, peut-être que cette écriture ne vous gênera pas.
C'est un roman qui remue les tripes, et choses fondamentales, qui donne une voix à ceux qui n'en ont jamais eu.
C'est un roman qui tente de répondre à cette question fondamentale : qui est ce « Je » qui veut à tout prix vivre ?

Lien : https://sebastienvidal.cente..
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La Kronik d'Eppy Fanny
ENORME COUP DE COEUR
L'histoire : Celle de Pierre Taillandier. Un jeune homme qui a la vie devant lui, des projets de mariage avec la douce Julie, qui fait, avec des filles des boulevards ce qu'il ne pourra jamais faire avec sa promise si bien éduquée. Un homme avec une bonne situation réservée dans un ministère, même s'il se rêve écrivain. Un homme ni pire ni meilleur qu'un autre. Mais un archiduc assassiné bien loin de Paris va lui voler sa vie. A lui comme à des millions d'autres jeunes hommes.

Extraits partiels pages 17 à 19 :
« En quelques heures, du fait de l'incompétence d'une brochette de vieillards bornés et du cynisme de quelques princes d'opérettes accrochés à leurs empires d'un autre âge, ce sont des centaines de jeunes hommes, dont les rêves, les espoirs et l'enthousiasme furent transformés en charpie sanglante, simples morceaux de viandes déchiquetés, sursautant sous les impacts des balles…
La bataille de Morhange est terminée et la France vient d'essuyer la première défaite de cette guerre.
Pour Pierre la guerre est finie.
Mais tout commence… »

Pierre gît au fond d'un lit d'hôpital. Mais est-ce encore Pierre ?
Il ne reste de lui qu'un tronc sans membres, ils ont dû être amputés. Il n'a plus de mâchoire inférieure, plus de langue, plus de paupières et ses yeux restent désormais ouverts en permanence. le médecin qui veille sur lui, Auguste Carradec, espère que la conscience de son patient, comme ses organes internes, soit endommagée.
Car quelle vie est-ce là ? S'il n'était pas médecin il mettrait fin à tout ça.
Puis il y a Agathe Piquet, l'infirmière qui soigne et nettoie ce corps. Ce corps capable d'érection lorsqu'elle le change. Cela la met mal à l'aise. Mais bien moins que ces yeux fixes. Ces yeux qui un jour la harponnent et ne la lâchent plus.
Car oui, Pierre a toujours une conscience. Elle est si forte, elle veut tant quitter la coquille vide qu'est devenu son corps que… voilà qu'il arrive à utiliser le corps d'Agathe comme vaisseau. Pas longtemps au début, mais chaque incursion affirme son « don » et quelle sensation incroyable. Être femme. Savoir ce qu'elle ressent, caresser son intimité… Et comprendre la force qui habite le sexe soit-disant faible. Sans culpabilité, sans état d'âme, il va user de ce vaisseau. Ce n'est que temporaire. Il ne fait rien de mal. Et puis merde, la vie lui doit bien ça ! Il veut vivre.
Le pilotage du corps emprunté provoque des absences au vrai propriétaire. Absences que le Dr Carradec remarque, il faut dire qu'il n'est pas insensible à Agathe. Absences que l'infirmière remarque. Elle s'inquiète. Deviendrait-elle folle ?
Auguste se sent mal à l'aise en la présence de Pierre sans comprendre pourquoi. Ces yeux qui le fixent… Il sera lui aussi utilisé à son insu comme vaisseau.
Pierre s'entraîne.
Il a compris qu'il doit être les yeux dans les yeux avec un potentiel vaisseau pour que son don fonctionne. D'entraînement en entraînement il arrive à passer de plus en plus de temps dans « ses » vaisseaux. Mais à un moment l'esprit des lieux qu'il occupe le chasse immanquablement.
Jusqu'à ce jour où un nouveau malade arrive. Un corps parfait, mais dont l'esprit a disparu. Les états de choc profond sont fréquents. La guerre est une boucherie sans nom. Une aubaine pour Pierre : une maison vide disponible !
Le voilà devenu Jean de la Viguerie et feignant l'amnésie. Pour le meilleur ou pour le pire ? C'est que Jean est une canaille et un pleutre. Qu'il a de nombreux ennemis, à commencer par son père ; homme puissant et ami de Clemenceau. Il souhaite voir son fils mourir au front !
Et « Pierre-Jean » qui se croyait enfin sauf se retrouve en 1ères lignes.
Son « don » va lui permettre de revenir en héros de cette boucherie.
Pierre s'interroge toutefois : la mémoire résiduelle des corps qu'il occupe un temps risque-t-elle de l'affecter ? Est-il toujours « lui », ce « je » qui est propre à chacun ?
Il a un projet.
Pour cela il va devoir dévoiler son don au Dr Carradec. Celui-ci ne sera pas si surpris. Il comprendra enfin d'où lui venait son malaise et ses interrogations. Ils mettront Agathe dans la confidence. Car qui mieux qu'elle pour prendre soin du corps de Pierre ? Ce vaisseau vide auquel il est persuadé d'être toujours rattaché.
Et « Pierre-Jean » va voyager. Être tant de personnes : hommes, femmes, assassins, justiciers. Comment ne pas se perdre ? Est-il toujours « je » ? Une lassitude, une langueur s'installe et persiste. Il pourrait vivre éternellement. Mais ce don en est-il vraiment un ?

Extrait page 301 :
« J'ai reçu mon pouvoir comme s'il s'agissait d'un don, d'un simple cadeau allant de soi.
Mais il n'est pas de don en ce monde. Parfois des prêts et généralement des achats.
Sans doute est-il temps de commencer à payer l'addition. »

L'Histoire continue sa course. Inéluctablement. L'Allemagne prépare sa revanche. En 1933 à Berlin l'autodafé et le discours de Goebbels laisse présager le pire. le mal incarné est en marche. La seconde guerre mondiale est là, et avec elle l'horreur des camps…
Jean-Baptiste nous offre un récit fort qui dénonce implacablement les guerres, avec une approche SF qui rend plus profondes les réflexions sur l'identité de ce « je » qui nous définit.
Des extraits de journaux intimes, lettres, articles de presse viennent rythmer ce roman et lui apporter une force, une âme, supplémentaire.
Un livre exceptionnel et difficile à oublier.
A lire d'urgence.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Tout en déchiquetant son corps, les abeilles tueuses lui avaient appris un terrible secret : sa vie ne valait rien aux yeux des grands de ce monde. Chair à canon en temps de guerre, il devenait par temps de paix un producteur à exploiter, un consommateur à escroquer, un chiffre dans une statistique, une simple variable d’ajustement, un pion, un rien du tout, une miette qu’on évacue d’une chiquenaude. Le corps social tout entier n’était qu’un énorme bestiau anesthésié dont la chair, le sang et les os servaient à nourrir des parasites en tous genres, qui avaient su détourner, à leur profit exclusif, les nécessaires principes sans lesquels la société humaine ne pouvait subsister. La Loi, la République, le Bien commun, les Droits de l’Homme et toutes ces choses merveilleuses que Diderot, Voltaire, Montesquieu et Rousseau avaient léguées à l’Humanité avaient été confisquées, trahies et finalement galvaudées pour servir les intérêts d’une caste de privilégiés qui avait tout simplement remplacé l’ancienne. Comme un vulgaire gogo, le brillant normalien Pierre Taillandier avait gobé toutes les fadaises qu’on lui avait racontées sur l’égalité républicaine, la méritocratie et le savoir émancipateur. Il y avait cru, corps et âme. Mais à l’heure des abeilles tueuses, quand son corps avait été sacrifié pour défendre les intérêts de Schneider contre ceux de Krupp, son âme s’était libérée de ces illusions.
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Quel terrible gâchis que ces vies « pour rien « ! Le peu de foi que je conservais par nostalgie de mon enfance et par respect de mon milieu a littéralement fondu. Je préfère ne plus croire en rien, plutôt que d ’admettre l ’existence d ’un créateur malmenant à ce point ses créatures. S’il existait, le Grand Horloger serait surtout un Grand Malade ! C’est une idée atroce que de s’imaginer aux mains d ’un Dieu fou et pervers : on se prend pour un être libre, quand on n’est en réalité qu’un simple pantin, une poupée de maléfice tout hérissée d ’épingles que les doigts divins y plantent délicatement.
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Le fascisme n’est que le prolongement logique de la guerre. Après avoir chosifié les combattants, on chosifie la société tout entière. Le fascisme n’est que le moyen trouvé par le capitalisme pour réaliser son rêve ultime : la fourmilière. À la fourmilière brune fait face la fourmilière rouge. Entre ces deux masses amorphes et inconscientes, quelle place restera-t-il aux humanistes ? Quelle place restera-t-il aux gens ?
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Des gamins, c’est ce que nous étions quand on nous a précipités dans l ’enfer de la guerre et si tous n’y ont pas perdu un bras, une jambe ou un corps, chacun y a laissé son innocence, ses illusions et sans doute une grosse part de sa santé mentale.
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Il n’y a pas de Juifs, de Français, d’Allemands, de Mongols ou d’Apaches. Il n’y a que des sacs à viscères bourrés de doutes, qui parcourent leurs vies sur des jambes torses, fabriquent des objets inutiles, rêvent d’amour, s’entretuent sans raison et contemplent les étoiles avec nostalgie. Il n’y a rien d’autre. Rien d’autre.
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