en augmentation régulière (dernier ajout ces jours-ci en mars 2010) creusant, restant, s'enfonçant dans ce monde parallèle ou futur, extrêmement proche, du notre, monde de propriétaires, de village morts devenus prisons, de villes, de sécurité, de communication, surveillance
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C’est le rêve, il y a deux jours, qui lance, comme une douleur, ce mouvement terrible, et la peur depuis ne me quitte pas. Le rêve disait la maladie, alors je suis malade. Le rêve disait, c’est fini – je viens ici pour l’apprendre, dans la bouche de la réalité, même si le rêve me l’a déjà dit. Le rêve ne peut pas se tromper, d’ailleurs, et depuis, cette pensée ne me quitte plus, cette pensée qui fore et dit je suis malade, je suis déjà mort d’être malade de cette maladie-là, incurable, invisible.
Quand je croise les types dans la rue, je ne vois pas des hommes, mais des survivants. Et moi, je me dis : j’ai été incapable d’être survivant, j’ai été incapable de survivre à leur vie, à ma propre vie.
Dans la salle d’attente, on appelle invariablement ceux qui sont là pour le sang, et ceux qui sont là pour le chiffre du sang. Ce n’est pas la même chose. Je lève les yeux surtout pour ceux dont on va annoncer le chiffre. Je cherche dans leur regard les dernières secondes de la vie, et l’espoir insensé qu’il reste encore à brûler. Tout à l’heure ils entendront qu’ils vont mourir, cette maladie ne laisse aucun jour de répit à ceux qui savent ; un jour, ou deux, le temps de dormir une fois. On pourrait très bien ne pas savoir, et continuer de vivre, mais ce sera dans l’attente, et le temps mort ; alors, on préfère tous savoir, quand on fait ce rêve. Le rêve nous dit déjà ce qu’il en est. Il y a des rêves moins précis, et certains y vont seulement pour entendre la confirmation de la vie, mais le rêve aussi, dans l’imprécision, aura tout dit. Le frôlement de la mort aura rendu plus vivant, c’est une loi générale, banalité de la banalité.
chacun se retrouvait dans son envie de se réfugier à l’abri du temps, dans sa peur aussi : là-bas, on ne risquait rien, on n’éprouvait rien, on ne vieillirait pas. Là-bas, on n’avait rien à oublier. On n’aurait rien à regretter, aucun compte rendre. Quand on se réveillait, c’était alors que le rêve insupportable commençait, il n’avait pas d’importance, rien de ce qui s’y passait n’était essentiel, tout était trop plongé dans les choses et le déroulement insensé de la vie et de la douleur. Là-bas, dans le sommeil, on n’avait pas ce mal de crâne, cette nausée, ce vertige incessant, ce corps qui nous encombrait, cette vie à faire comme une tâche qui recommençait mais ne renouvelait rien.
On s’enfonçait dans des territoires dont on soupçonnait à peine l’existence : des corridors de plusieurs centaines de mètres, humides et étroits, peut-être immenses au-dessus de nous, qui débouchaient sur de grandes salles rondes distribuant à leur tour d’autres corridors vers d’autres salles rondes. C’étaient des journées de plusieurs dizaines d’heures à avancer dans ce noir. Derrière soi et devant soi, il y avait cette colonne de corps qu’on sentait, qu’on devinait, mais personne ne parlait. L’un derrière l’autre, comme grattant le noir mètre après mètre, comme traversant un rideau à mille épaisseurs, les mains tendues, les yeux plus fermés encore pour mieux sentir avec les oreilles et chaque pore de la peau ce qui se trouvait devant soi. Dans les égouts, ce n’était pas l’odeur qui prenait et manquait de nous évanouir à chaque seconde. C’étaient les bruits, au cœur de cette épaisseur de silence qui se creusait dans le tunnel, le moindre bruit déchirait nos corps — un pas posé plus sourdement, une glissade du pied dans le filet d’eau, une toux, un cri lointain, derrière, lâché par quelqu’un de plus faible qui s’effondrait.
Le soleil continue sa course vers la mer, dans une lenteur encore redoublée par sa pâleur qui s’accentue. Il semble même s’arrêter, pierre dans le ciel fixée là comme pour toujours — mais ce n’est qu’une illusion. La couleur du ciel est d’un rose efflé, éparpillé en lambeaux oranges et quasi violets des aurores boréales. Puis, peu à peu, la couleur vire au gris-bleu amer fondu avec la nacre des vagues. Tout s’accélère. Quelques cris sortent de la foule. Je me penche à la fenêtre. Et avant qu’il ne touche la mer, le soleil s’éteint
Coupable d’être fautif, coupable d’être coupable : coupable d’être avant tout, un pas dehors, sorti de chez-soi, et mêlé au grand ensemble mouvant du réel. Coupable d’y avoir participé, d’avoir troublé, comme on plonge un orteil dans l’eau d’un lac de montagne, et ébranlé pour toujours l’immobilité de l’air : une respiration tranchée dans l’innocence
Arnaud Maïsetti vous présente son ouvrage "Brûlé vif" aux Éditions de l'Arbre Vengeur. Rentrée littéraire janvier 2023.
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Note de musique : © mollat
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