Ce que vous verrez au coeur de ce catalogue. Des arbres et des bois sacrés : les "paysages narratifs" chargés de symbole des Nabis (Denis, Verkade, Lacombe ou Sérusier). Des visions (Gauguin). de la lumière (Monet). L'aube et le crépuscule. Des illuminations (Munch,
Van Gogh). Des nocturnes (
Jansson, Whistler). Des montagnes scandinaves dépeuplées (Willumsen, Sohlberg, Hodler ) et d'autres plus lointaines (Hartley,
Varley, Harris), des ciels étoilés (
Van Gogh et Augusto Giacometti). Des « villes mourantes » (Khnopff, Whistler,
Le Sidaner). le Néant (Paul Nash). Silence et solitude propre à la méditation. Soit, l'art du paysage montré comme accès possible à la transcendance, au divin, à l'abstraction. C'est en regardant des oeuvres de Monet, Gauguin et
Van Gogh au Metropolitan Museum of Art (N. Y.) qu'est apparue à
Katharine Lochnan la dimension mystique d'une certaine peinture de paysage de la fin du XIXe jusque dans les années trente qui lui suggérait le sujet de cette belle exposition, fruit d'un partenariat entre l'Art Gallery of Ontario à Toronto dont elle est conservatrice et le musée d'Orsay.
Très beau rendez-vous pictural où cohabitent des paysages « d'A.D.N. mystique », selon ses termes, de l'Europe à l'Amérique du Nord, que le catalogue met en valeur autant que leurs créateurs d'obédiences si diverses : protestants, anglicans, presbytériens, agnostiques, athées, catholiques, orthodoxes, également curieux des religions primitives ou totémiques (
Emily Carr), orientales, du bouddhisme ou de la théosophie. Les raisons de l'approche interdisciplinaire impulsée par le projet sont évoquées dans l'avant-propos. Il n'est pas inutile d'en prendre connaissance avant d'engager la lecture. Les études de la spécialiste britannique du
mysticismeEvelyn Underhill, au début du XXe siècle, qui avait mis en évidence des similitudes entre expérience mystique et expérience artistique, étayent souvent le propos de
Katharine Lochnan qui signe ici deux essais passionnants.
L'un est l'introduction du catalogue qui définit les contours de la notion de paysage mystique dans le contexte historique et esthétique mais aussi religieux et spirituel des années retenues – du symbolisme à
Kandinsky. Introduction qui s'attarde sur la vie et les intentions des artistes concernés par le sujet, européens et nord-américains (Etats-Unis, Canada), en même temps que sur l'iconographie mystique propre à ce type de représentations : paysages symbolistes, paysages nocturnes, paysages de montagne, paysages visionnaires, sauvages, ou ultimes visions cosmiques du parcours. Dans l'autre, elle porte plus spécifiquement le regard sur l'acte de contemplation, commun aux artistes et aux mystiques, en peinture (de Turner à Monet), analysant en particulier les séries du maître de Giverny – qui se disait athée et s'intéressait au bouddhisme – réalisées à partir de 1890 (Meules, Peupliers, Cathédrales et Nymphéas), documentant la « communion » du peintre avec la nature et la fusion de son art dans l'abstraction des Nympheas les dernières années de sa vie (dont son ami Clémenceau était devenu l'observateur attentif), le rapprochant d'un état mystique et faisant de lui le « maître du paysage contemplatif ».
Plonger aux sources et manifestations très variées du
mysticisme et de ses rapports avec l'art tels que développés dans l'essai de Michael Stoeber, philosophe des religions et professeur de spiritualité, n'est pas inutile à ce stade de la lecture. Bien que l'exercice ne soit pas facile et puisse sembler rébarbatif il s'avère fructueux car très informatif sur les liens unissant l'art à certaines formes de recherches spirituelles ou philosophiques individuelles. La création de la société théosophique en 1875 influencera par exemple des artistes des deux côtés de l'atlantique. En Amérique le transcendantalisme d'Emerson, Thoreau et
Whitman aura un impact puissant sur l'art du paysage. Et l'influence des artistes scandinaves s'exercera notoirement sur les peintres d'Amérique du Nord qui resteront cependant assez méfiants à l'égard des théories de
Kandinsky qu'
Alfred Stieglitz leur avait fait connaître. Deux autres essais, de Roald Nasgaard, l'un consacré aux peintres d'Europe du nord et l'autre aux paysages sauvages d'Amérique du nord – belle découverte au passage du Groupe des Sept au Canada créé en 1920 –, complètent donc parfaitement le panorama étudié.