Cet essai compare les modèles de bibliothèques publiques françaises et d'Amérique du Nord, en partant de leur contexte d'origine, de leur histoire et de leurs évolutions qui ont abouti à des modèles très différents. Il s'agit notamment d'analyser comment le modèle américain a été importé en France de manière partielle, en raison d'un héritage culturel très lourd, ce qui a donné en France un modèle qui cherche encore ses marques, tiraillé entre sa tradition élitiste et sa volonté de modernité et de démocratisation culturelle.
Ainsi,
L Histoire des deux pays a créé un rapport au savoir et au livre très différent : en France,
les bibliothèques publiques sont apparues très tardivement et sont restées marginales et très peu ouvertes au public, et ce jusqu'aux années 1960-70. C'est le modèle des bibliothèques savantes qui primait jusque là, avec un large patrimoine de fonds anciens issu des saisies révolutionnaires, qui n'a jamais réellement été organisé et mis à la disposition du peuple, comme cela en était pourtant le projet.
Les bibliothèques étaient plutôt des cabinets de lecture où les livres n'étaient pas en libre accès et rien n'était fait pour que l'usager se sente le bienvenu.
Aux Etats-Unis, au contraire,
les bibliothèques ont été créées par le peuple et pour répondre aux besoins du peuple, et ce dès le 18e siècle. Leur rapport au savoir était lui aussi différent, conçu comme un moyen de devenir un citoyen éclairé et intégré à la société, tandis qu'en France il éveillait encore la méfiance, pour être trop lié au souvenir de l'oppression de classe.
La bibliothèque est donc conçue aux Etats-Unis, dès le départ, comme un vecteur d'émancipation politique et elle est construite à la demande de la population, la loi autorisant les collectivités locales à construire une bibliothèque et à lever un impôt - soumis à l'approbation de la population - destiné à la faire vivre.
En France, au contraire, si
les bibliothèques publiques sont désormais de plus en plus focalisées sur le service à l'usager, elles restent conçues par le haut et leur développement reste soumis au bon vouloir des élus qui décident la répartition des budgets alloués aux différentes branches des services municipaux - dans le cas des bibliothèques municipales. de plus l'usager est très rarement impliqué dans les processus de décision, tandis qu'outre-atlantique les "library boards" réunissent un comité se voulant représentatif de la population, qui influe sur les décisions et constitue une sorte de garde-fou entre la bibliothèque et les élus, parfois soupçonnés de ne pas servir au mieux l'intérêt public.
C'est là une autre grande différence entre les deux modèles : le modèle américain a été importé en France mais amputé au passage de son aspect politique : en France, l'usager n'est pas acteur de sa bibliothèque ; aussi, même s'il l'apprécie, il n'ira pas lutter pour son maintien ou son développement, car il n'est pas impliqué dès le départ.
Ce ne sont là que quelques éléments des sujets abordés dans ce livre, qui compare aussi les différences entre les associations professionnelles dans les deux pays, le rapport à l'usager, l'implication de ces derniers, et les avantages et inconvénients de chacun de ces deux modèles de bibliothèque.
C'est donc une étude très bien menée, qui donne un aperçu global de la situation de l'un et l'autre pays et rentre dans le détail des éléments de comparaison les plus significatifs à l'aide de nombreuses références à des ouvrages, des études et des anecdotes. Il permet ainsi de bien comprendre l'origine et les fondements politiques de chaque modèle, et la manière dont l'importation incomplète du modèle américain en France a débouché sur un modèle inédit de bibliothèque qui cherche encore ses marques, ses contours, son rôle et ses missions.
Ce livre m'a permis de comprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement des bibliothèques publiques françaises, à la lumière de ce qui se fait ailleurs. Je pense qu'il n'intéressera que les professionnels des bibliothèques ou ceux qui aspirent à le devenir ; mais en tous cas il se lit très bien, il est très accessible et pas du tout rébarbatif.