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EAN : 9782490494019
Sable polaire (22/08/2018)
3.97/5   20 notes
Résumé :
Une cité idéale où les valeurs végans apportent équilibre, mieux-être et harmonie.
Green est végan depuis sa petite enfance, mais ses parents ne l'étaient pas. Rongé par cette faute originelle, il se comporte en éco-citoyen modèle.
Bazarov, quant à lui, est un ex-carnivore qui a gagné sa place grâce à ses performances en course à pied. Il paie sa dette écologique en travaillant dans un jardin collectif.
Leur conviction est perturbée par le nouve... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Ce livre publié au Sable Polaire raconte l'avènement de cet empire du Bien, “ce petit Néron de la dictature de l'Altruisme” comme disait Philippe Muray. Je veux d'abord m'arrêter sur la couverture, assez géniale. Certes, quand on la regarde, elle a l'air toute bête, mais encore fallait-il penser. Et je salue le travail et la trouvaille d'Olivier Allevi qui l'a conçue. On y voit un poing brandi, vous savez ce poing soviétique des affiches de propagande, mais au lieu d'être rouge, il est vert !
L'intrigue est la suivante. On est dans le futur, mais un futur proche, où l'idéologie vegan a triomphé. Désormais, ce sont les valeurs vegan qui règnent dans une cité idéale du nom d'Océania dont les éco-citoyens vivent “dans le cercle vertueux d'une euphorie permanente”. Dans Océania, il y a les “sangs verts”, les purs, ceux dont les parents étaient eux-mêmes vegans ; il y a les “sangs rouges”, ceux qui portent la marque du péché originel de leurs parents, des viandards, parmi lesquels on trouve l'un des deux héros, Green ; il y a les anciens “carnivores” qui ont réussi à intégrer Océania grâce à leurs performances à la course à pied, parmi lesquels Bazarov, l'autre héros, influenceur de Green, qui pour payer sa dette écologique, travaille dans un jardin collectif ; et puis, hors de la cité, nouveaux barbares, les incorrigibles viandards. Océania a atteint au “fonctionnement optimal du paradis terrestre”. Tout est contrôlé et formaté, et chacun vit sous la surveillance de la Grande Famille, grâce à l'hyper-connexion, la notation mutuelle en temps réel, les immenses murécrans, les sondages d'opinions permanents et les réseaux sociaux qui ont remplacé le suffrage universel pour instaurer “la démocratie réelle”. Et puis, il y a surtout les implacables policiers à barbe de hipsters de l'Homéostasi. Sans “e” à la fin. C'est une des multiples trouvailles de l'auteur. Un jeu de mots dont je ne me lasse pas, entre l'homéostasie, cette tendance de l'organisme à faire en sorte que les différentes constantes physiologiques ne s'écartent pas de la normale, et la Stasi, cette police d'État qui a fait les grandes heures de la R.D.A. Elle traque les déviants, avec le consentement de tous, car c'est le bonheur homéostatique de la communauté qu'il faut préserver. Dans son remarquable essai, Déviances et déviants dans une société intolérante, paru en 1992, Jacques Ellul dressait déjà ce constat : “Il en faut pas se cacher que pour beaucoup la société sans déviance apparaît comme une sorte d'idéal merveilleux à atteindre. Il suffit de songer à toutes les grandes utopies classiques. Tout le monde a sa place. Chacun fait exactement ce qu'il a à faire. Il n'y a ni hésitation, ni refus. Il n'y a jamais de désobéissance aux ordres, ni de perturbation de l'ordre, parce que règne une stricte égalité, une stricte justice, une organisation sans faille, une satisfaction complète de tous les besoins primordiaux. Tout baigne dans l'huile, la machine sociale est vraiment une machine. Chacun a le bonheur parce qu'il n'a rien à désirer ; il n'y a rien à changer puisque tout changement entraînerait un déséquilibre, une satisfaction moindre. Mais évidemment on connaît le prix à payer […] sous la forme d'une discipline inexorable et de la répétition”.
Les Océaniens vivent dans des tours d'habitation collectives, avec un mobilier dépersonnalisé, conçu selon des principes vertueux d'ergonomie domotique. le “chez moi” n'existe plus. On a exterminé la solitude. Il n'y a plus de murs, rien que des baies vitrées. Tout a été pensé par les architectes du Comité central pour “ressusciter le lien social”. C'est le triomphe de la transparence impérieuse, contre Claudio Magris met en garde : “Je pense qu'il y a une intimité qui devrait être inviolable, et plus que jamais en ces temps de nudisme psychologique et d'enregistrement de masse universel. Aujourd'hui, via les réseaux sociaux, et pas seulement, on expose, on exhibe l'intime, qui du coup perd toute sa validité. L'aveu est devenu maître, j'entends l'aveu volontaire. En ce sens, je partage complètement ce que disait Édouard Glissant sur, je cite : ‘le droit à l'opacité, le droit de ne pas être passé aux rayons de quelque connaissance globale'. Et c'est ce droit qui aujourd'hui est gravement menacé ; il s'agit d'un danger extrême. Nous n'en avons pas suffisamment conscience”.
Veganland est un monde uniformisé, où les émotions ont été abolies pour prévenir tout risque de sédition ou même de prise de conscience, et pour contribuer à instaurer une “société de concurrence harmonieuse”. Il s'emploie à maintenir chaque individu dans un état de bonheur normal, au nom des quatre préceptes cardinaux que sont le respect, la gratitude, l'admiration et la collaboration réciproque. On a éradiqué l'égoïsme pour exalter le narcissisme. C'est le rêve éternel de l'Homme Nouveau : “L'Océanien a atteint son évolution ultime : il a externalisé ses capacités mentales. Plongé dans le cerveau connecté, extérieur et collectif, chacun se prend pour un inventeur de soi-même, persuadé d'avoir la maîtrise de son destin, chacun croit être le récepteur unique du code parfait, mais le message est identique pour tous. Il s'immisce dans les oreilles à la faveur d'une écoute disciplinée : ‘Soyez ouverts d'esprit !' répète le slogan. Tant qu'ils ont des produits sains, issus des végétaux, et une alimentation équilibrée, les fils de végans ont la certitude de vivre une existence heureuse jusqu'à l'âge du Grand départ. Ils ne se soucient plus de la terre. Elle ne les a pas choisis. Contrairement aux carnivores qui doivent payer. La domesticité animale abolie, les sangs rouges remplacent les animaux de la ferme qu'ils ont tant fait souffrir. Ils se nourrissent, eux-mêmes, avec leur propre production légumière. Ainsi, ils sont dispensés de culpabilité.”
L'avènement d'Océania, de l'idéal vegan, de la sainte trinité du pois chiche, des simili-carnés et du faumage, a pu se faire grâce au Grand Nettoyage, qui s'est accompagné d'une purge lexicale. Car à monde nouveau langue nouvelle. Jaime Semprun ne disait pas autre chose dans sa Défense et illustration de la novlangue française parue aux éditions de l'Encyclopédie des Nuisances : “La formidable puissance d'égalisation qui s'est développée avec la société moderne est parvenue à faire adopter partout un même mode de vie, ou du moins à le rendre enviable : là où l'on ne peut y accéder, on en contemple les images. L'étonnant n'est donc pas que nous parlions de plus en plus une langue nouvelle, il serait, au contraire, que dans un monde si transformé nous continuions à parler la même langue”.
Mais pour qu'une dystopie fonctionne, il faut qu'il y ait un dysfonctionnement. Dans le livre d'Olivier Darrioumerle, celui-ci intervient quand un nouveau référendum est lancé sur les réseaux sociaux : “Pour ou contre l'éco-citoyenneté accordée aux ex-carnivores ?” Autrement dit un “sang rouge” peut-il valoir autant qu'un “sang rouge” ? Derrière cette démocratisation de l'intolérance et de l'élitisme, on sent poindre les idéaux nauséeux de l'eugénisme, du puritanisme, et de tous ces totalitarismes au service des substituts du sacré dont la perte a laissé les hommes inconsolables et déboussolés. Bienvenue à Veganland est servi par un style direct et incisif, férocement drôle, mais l'humour ne pouvant suffire à l'efficacité du propos et de la réflexion, plutôt que de la démonstration, il faut souligner la lucidité intelligente avec laquelle Olivier Darrioumerle sait interroger certaines évolutions de notre société : “Drapés d'innocence, les militants de la cause animale se sont hissés en porte-drapeaux d'une alimentation rigoureuse. C'était leur éducation religieuse qu'ils recyclaient en prosélytisme. Ironie de l'histoire, ces petits-bourgeois ascétiques furent l'avant-garde, souriante et en bonne santé, du système qu'ils croyaient combattre”. Entendons-nous, je ne remets pas en cause un choix alimentaire, s'il reste personnel ; je le conteste quand il se double d'une volonté de conversion forcée, avec le redoutable zèle paulien des néo-convertis. Et c'est cette dérive sectaire que fustige Olivier Darrioumerle, en en pointant les travers, car le veganisme repose, comme toute religion, sur des diktats et des oukases alimentaires. Contrôler les corps c'est contrôler les esprits. En cherchant à nous convaincre que c'est pour notre bien et pour celui de la planète. le veganisme participe de cette confusion délétère entre ce qui est bon et le Bien. Il est l'un des avatars les plus récents de cet empire du Bien que Philippe Muray, encore lui, décrivait ainsi : “Le Bien est allé vite. le Bien s'est démené. Il a bien travaillé. Au passage, dans sa ruée furieuse, il a même réussi à escamoter le mal. Il l'a emporté. Il l'a converti. Il l'a accaparé. Il l'a mis dans sa poche. […] le Bien a trimé. Il a bien bossé. D'avance, il stérilise toutes les velléités d'objections, toutes les subversions, toutes les contestations qui pourraient s'élever. Ou plutôt il les enrôle. Il les recrute. […] le Bien a couru, il a cavalé, il s'est précipité. Il a touché son but, atteint son désir. Et il est en passe de réaliser ce qu'aucune institution, aucun pouvoir, aucun terrorisme du passé, aucune police, aucune armée n'étaient jamais parvenus à obtenir : l'adhésion spontanée de presque tous à l'intérêt général, c'est-à-dire l'oubli enthousiaste par chacun de ses intérêts particuliers, et même le sacrifice de ceux-ci”.
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Dans la filiation des contre-utopies du XXe siècle pointant l'horreur du «meilleur des mondes», le jeune auteur de Bienvenue à Veganland, Olivier Darrioumerle, développe une dystopie bien charpentée, très sérieusement documentée et gardant le pied léger, avec une dose d'humour cryptocarnassier de la meilleure veine. Croquant !
La quête du bonheur généralisé vaut-elle qu'on s'entretue ? Les deux grandes utopies, raciste et collectiviste, qui ont dévasté le XXe siècle de guerres mondiales en révolutions, n'ont-elle rien appris à notre drôle d'espèce ? Et comment répondre aux nouveaux idéalistes basculant dans la violence au nom d'un monde meilleur où notre drôle d'espèce, dûment «nettoyée», se fondrait dans une harmonie pure de tout désir et de toute pensée inappropriée ?
Ces questions sont de celles qu'on peut se poser par les temps qui courent de façon générale, face aux nouvelles dérives idéologiques plus ou moins délirantes voire meurtrières, ou plus particulièrement en se pointant dans l'univers idéalement nettoyé d'Océania après avoir répondu à l'invite du jeune auteur Olivier Darrioumerlenous souhaitant Bienvenue à Veganland au fronton de son deuxième roman…
Océania, des années après le Grand nettoyage qui y a été opéré, est un havre d'apparente paix sociale et de silence où vous seriez mal avisé de faire crisser vos semelles sous l'effet d'on ne sait quelle humeur incontrôlée: aussitôt les barbus de l'homéostasi, police conviviale dont les opérateurs se partagent entre le jardinage et le maintien de l'ordre et de la propreté physique et mentale de la Grande famille, vous embarqueraient pour vous interroger et vous recadrer en vue d'une meilleure gestion de vos émotions illicites.
Celles-ci, (la peur, le dégoût, la sympathie, le mépris, la culpabilité, etc.) ont été bannies du vocabulaire depuis la purge lexicale liée au Grand nettoyage, remplacées par trois concepts émotionnels dûment homologués : le Respect, la Gratitude et L'Admiration. Au demeurant, on ne parle plus à Océania d'émotions mais de réflexes positifs ou négatifs, surveillés par connexion. La surveillance de l'harmonie est d'ailleurs omniprésente dans l'environnement d'Océania où chacune et chacun ont externalisé leur vie personnelle, désormais en réseau dans la transparence assurée par la technologie de pointe (puces sous-cutanées et lentilles spéculaires à l'appui) et par le contrôle en temps réel sur les murécrans où alternent nouvelles du jour et séances d'aveux public, etc.
Un roman d'idées bien incarné
Si la premier mérite de la dystopie d'Olivier Darrioumerle tient à la clarté de son exposé spatial, social et fonctionnel, dans cet univers aseptisé rappelant la ville transparente du mythique Nous autres (1920) du Russe Evguéni Zamiatine, récemment réédité dans une nouvelle traduction, le climat social du Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, ou l'irradiante lumière californienne du Cercle de Dave Eggers, le roman du jeune auteur ajoute bientôt, à ce tableau de la nouvelle réalité à l'américaine (les districts et les toponyme d'Océania ont des noms à consonance anglophone, sauf le café du Pont…), le charme de personnages à la fois typés, au premier regard, et bientôt tiraillés par leurs contradictions internes, complexes mal refoulés et autres sentiments plus ou moins avouables, qui nous les rendent plus proches et attachants que des représentants attitrés de telle ou telle thèse.
Bazarov est le premier de ces animaux humains. Contrôleur diététique de par sa fonction, sportif de haut niveau, il aspire à payer la « dette écologique » que représente sa pendable ascendance de fils de carnassiers. Sa participation à la compétition sportive du BigTop pourrait lui valoir un émancipation en phase avec sa popularité d'influenceur sur les réseaux sociaux, mais il se sent en revanche peu attiré par la consécration dévolue aux champions du SexTop auxquels est désormais réservée la reproduction de l'espèce. Autant dire que c'est une machine possiblement défaillante, que menace un retour du refoulé humain-trop-humain.
Du moins a-t-il longtemps fasciné le jeune Green, dont la mère porteuse n'était pas de sang vert mais qui fréquente essentiellement les végans avec lesquels, dans sa beauty box, il se consacre à la créativité vestimentaire la plus « officiellement » débridée, tant il est vrai qu'Océania encourage la diversité superficielle pour mieux canaliser la conformité, poussant le libéralisme « pluraliste » jusqu'à autoriser l'usage de drogues de synthèse physiquement inoffensives mais très utiles à l'entretien des équilibres.
Sous le contrôle de Bazarov, son conseiller diététique, Green compense ainsi ses états d'âme parfois déstabilisés par une pilule de kelp, un complément de sélénium ou des algues de synthèse. L'ecstasy est en outre en vente libre, à cela près que plus rien ne s'achète désormais en Océania où « la propriété c'est le viol », la seul monnaie étant faite de bigcoins utiles à l'évaluation de chacune et chacun en toute transparence collective.
Et puis il y a Madras le transgenre à dégaine d'Indien efféminé trop ou trop peu sûr de lui, qui aspire à sortir de son disctrict pourri de Darwin pour accéder aux jolis quartiers des sangs verts; et bientôt d'autres personnages féminins plus déjantés apparaîtront, au café du Pont genre bohème déconnectée, où Bazarov, après un coupable contrôle positif en plein championnat, connaîtra déchéance et gloire humaine-trop-humaine de cour de miracles…
Dans la foulée de l'essayiste Philippe Muray et du romancier Michel Houellebecq, Olivier Darrioumerle propose en somme, avec Bienvenue à Veganland, un essai-roman qui va bien au-delà de la critique du «véganisme» plus ou moins militant voire intégriste, prolongeant la remarquable fresque de Muray sur la société hyperfestive et l'empire du bien, ainsi que les observations percutantes de l'auteur de la carte et le territoire. Dans la même mouvance des réflexions critiques sur un certain terrorisme suave de l'indifférenciation, ce roman recoupe également, par le développement du double thème de la soumission et de la délation, les constats du philosophe Jean-François Braunstein, dans La Philosophie devenue folle, notamment à propos du discours «animalitaire» dans ce qu'il a de plus dogmatique et sectaire.
Sans souci de déplaire, Olivier Darrioumerle brosse, dans son chapitre consacré à l'organisation de jeunesse constituant le fer de lance des végans purs et durs, futurs «gardiens de la révolution» de l'homéostasi a barbes de djihadistes écolos, un portrait des nouveaux intolérants tout semblables à leurs grand-pères maoïstes ou à nos ancêtres inquisiteurs de diverses confessions, réclamant ici des camps de rééducation alimentaire…
Or un autre mérite du jeune romancier est d'échapper à la logique binaire qu'il pointe à maintes reprises, donnant plutôt dans l'humour acéré d'un Tchékhov que dans la «dénonciation» des bien ou des mal-pensants - deux faces de la même pièce de monnaie de singe.
On sourit ainsi un peu jaune, comme à un refrain ressassé par des générations de militants déçus, quand la vieille écolo Merete, en pointe dans le combat pour la Libération animale au moment du Grand nettoyage, fait le bilan du mouvement auquel elle a participé tout en refusant systématiquement les « mises à jour » et s'exclamant : « Grand nettoyage mon cul ! On prend les mêmes en plus verts et on recommence !»
Et Bazarov d'y aller de ses rodomontade de macho en surveillant Julia la sauvage, qui le surveille autant que Green son ancien disciple, lequel le dénoncera avant d'être dénoncé…
Bien entendu la dystopie exagère ! C'est son job, à plus value d'exorcisme en l'occurrence! Et plus encore : fonction d'incitation à la réflexion et à la discussion, d'autant plus qu'elle se coule, ici, dans les moules de l'humaine ambivalence. Cela donnant, miam-miam, un roman à dévorer à belles dents!
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Ce livre nous invite à visiter un quelque part futuriste — le futur de la prochaine génération ? — entre 1984 (Georges Orwell), le Maître du Haut Château (Philip K. Dick) et Paradis pour tous (1982), le film d'Alain Jessua avec Patrick Dewaere, Fanny Cottençon et Jacques Dutronc. C'est dire que ce monde ne fait guère envie. Pourtant il devrait… : il est plein de véganes !
Car dans ce monde-là, l'action se situant à Océania en Amérique du Sud, les véganes ont fait leur révolution. Ils ont pris le pouvoir. On y croise Green, jeune végane à qui manque un peu de pureté à la naissance, et Bazarov, un « carnivore » qui essaie tant bien que mal de s'intégrer à cette société en s'entraînant pour devenir un grand champion de marathon et pourquoi pas bientôt un grand King Fucker et un géniteur exemplaire… Que va-t-il arriver à ces personnages qui font tout pour éviter le sort non enviable des « sang-rouge » et appartenir au summum de l'espèce humaine et vivre sans travailler parmi les « sang-vert » ?
Ce qui va leur arriver, nous ne vous en dirons rien. Mais il nous paraissait justice que de mentionner ce roman qui, bien qu'il ne bénéficie pas d'une plume remarquable, n'en comporte pas moins quelques qualités imaginatives, et surtout l'originalité d'associer un certain caractère inhérent au véganisme contemporain, à une critique de tous les excès et absurdités vers lesquels glissent tout doucement la civilisation et ses (éco… ?)-citoyens. Un roman qui invente l'homéostasie, la chasse aux déviants et la punition à l'eau bouillante, pour nous rappeler qu'aucun régime politique — si toutefois ce monde est encore à proprement parler politisé… — n'est parfait, loin de là, et que tout ce qui devient obsessionnel est dangereux et liberticide. Mêlant toutes les tendances de la société actuelle (téléréalité, mode, auto-surveillance, pornographie adulescente, individualisme, véganisme, etc.), Olivier Darrioumerle donne vie à un monde coloré, farfelu et cauchemardesque où l'on se demande bien ce que sont devenus les animaux chéris ? C'est que, en extrapolant un peu, on arrive rapidement à formuler et désirer concrétiser ce qu'on souhaite de mieux pour tout le monde et, par la force des choses et de la « volonté », à tendre vers une vitrification du monde dont le néant n'a d'égal que l'absurde absolu. Bienvenue à Veganland est un monde programmatique et dépersonnalisé qui, ayant débarrassé sa population de ses sentiments, offre à ces écocitoyens l'avenir radieux d'une existence calibrée et sans soucis. Ça n'est pas sans soulever encore quelque opposition, comme avec ceux qui vivent à l'extérieur dans les décombres de l'ancien monde : Les végans veulent s'extraire de la chaîne alimentaire, car ils ont peur d'être dévorés. Ils veulent dominer la nature, car ils ont peur qu'elle les dévore[1].
À ce stade de notre succincte présentation, vous nous direz que l'auteur bayonnais de ce roman n'est sans doute pas végane, que ce sont les autres qui dévorent les bêtes pour ne pas être dévorés par elles, qu'il se moque, que c'est encore un défenseur de l'élevage traditionnel proche de Jocelyne Porcher, que critiquer des positions extrêmes c'est défendre l'immobilisme de l'idée d'un « juste milieu » et qu'à ce rythme on n'avance pas, etc., etc., etc. Oui, vous aurez un peu raison.
Mais justement c'est pour cela que nous avons bien aimé Bienvenue à Veganland. C'est un miroir tendu vers ce que nous autres, les véganes prêts à sauver tous les animaux, la planète et nos frères et soeurs humains — que tout ce petit monde-là y consente ou non — dégageons à l'entour. À force de parler de notre santé, de l'alimentation la plus saine possible, du cru, des superaliments, de performances sportives, de lifestyle « healthy », de tous les avantages du mode de vie vegan que l'on balance à la figure d'autrui en lui faisant souvent sentir combien c'est nul de ne pas en être (on voit bien notamment le comportement des donneurs de leçons sur les réseaux sociaux…), à force de se vanter d'avoir une éthique irréprochable au point d'oublier que nous aussi il n'y a pas si longtemps nous étions conditionnés comme tout le monde, quelles qu'en soient les (mauvaises ou bonnes) raisons, nous passons à côté de notre sujet : la libération animale (et pas nécessairement sa disparition…), et au lieu de ça qu'est-ce qu'on a ? On parle des véganes, de l'effet de mode du véganisme, de bouffe, de vitrines cassées, de bouffe, de vitrines cassées, de bouffe, de vitrines cassées, de bouffe, de vitrines cassées, de bouffe, de vitrines cassées, de bouffe… où l'idéalisme et sa candeur tendent à se donner des airs idéologues et autoritaires, quand pourtant à la base c'est un pacifisme interspécifique qui s'exprime… et l'on confond l'idéal végane avec l'eugénisme, le transhumanisme, avec toute altération possible de l'humain en oubliant de l'être envers les animaux : humain. C'est aussi de notre faute.
Afin d'éviter que les méchants carnistes ne s'emparent avant nous de ce roman et des questions qu'il soulève, allez donc lire ce bouquin et faites le tourner. Ça fait du bien, parfois, d'être un peu bousculé, passé à la loupe.
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Le journaliste à Sud-Ouest Olivier Darrioumerle a publié son second roman après La rue des silences. Ce petit ovni qu'est Bienvenue à Veganland déroute, fascine, inquiète. Il nous interroge surtout sur la société dans laquelle nous souhaitons vivre et léguer à nos enfants. Une société purifiée à l'excès, aseptisée par tous ses pores, pasteurisée jusqu'à atteindre le stade ultime de l'insipidité, est-elle vraiment souhaitable ?

De quoi ça parle ?

Couverture blanche et vert criard, poing brandi à la mode révolutionnaire, titre concis et efficace. Sur les rayonnages des librairies, ce livre détonne parmi la profusion d'ouvrages disponibles en cette rentrée littéraire. C'est cette plastique parfaitement pensée et marketée qui a attiré mon attention. La mention « dystopie », en haut à droite, a fini de me convaincre de repartir avec ce drôle d'objet sous le bras. Allais-je retrouver l'esprit et la patte des maîtres du genre, de George Orwell à Aldous Huxley en passant par Ray Bradbury, chez cet Olivier Darrioumerle ? En préambule, petit rappel de ce qu'est une dystopie. Ce terme désigne un récit de fiction dans lequel un futur a priori idéal, utopique, purifié de toute imperfection, vire au cauchemar et au despotisme.

Ce Bienvenue à Veganlandest une dystopie faisant écho à l'actualité récente, parfaitement ancrée dans son époque. Son cadre est la cité fictive et futuriste d'Océania, une cité où tout le monde est vegan, sportif, sain d'esprit et de corps. Les récalcitrants, c'est-à-dire ceux consommant encore de la viande, sont excommuniés, relégués dans des réserves en périphérie d'Océania. Ils sont les pestiférés de l'époque, les sanguinaires assassins de ces nouveaux êtres sacrés que sont devenus les animaux. Océania est composée d'éco-citoyens menant une vie saine, ascétique, sans aspérités ; ils participent à des marathons, sont notés continuellement par leurs concitoyens grâce à un réseau social omniscient classant et déclassant en un claquement de doigts ; ils sont épiés, dénoncés à la moindre incartade ou pensée jugée impure et potentiellement séditieuse. L'homéostasie, sorte de milice, traque les déviants et combat l'Armée darwinienne, une contre-milice terroriste composée de carnivores.

Voilà pour le décor. Dans ce monde post-apocalyptique, les vegans ont vaincu l'ancien monde et imposé leur système tyrannique. Un système au sein duquel évoluent les deux principaux protagonistes : Green, vegan depuis l'enfance mais descendant d'une lignée d'ancêtres carnivores, pour qui l'existence se résume à tenter d'expier ce péché originel ; Bazarov, un ex-carnivore payant sa dette écologique en remportant marathon sur marathon et qui espère accéder à l'éco-citoyenneté malgré son « sang rouge » …

Mon analyse et mon avis

Voici l'univers dépeint par Olivier Darrioumerle au long d'un peu plus de 250 pages. Avec son écriture sèche, saccadée, aux phrases courtes, l'auteur nous entraîne par son style. le rythme est intense, saisissant. On tourne les pages décontenancés par l'abstraction de cet univers incongru et surnaturel. L'absurde est partout présent, le trait grossi à dessein. En nous dépeignant une société à ce point caricaturale, Olivier Darrioumerle nous avertit : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Les idéologies les plus utopistes et progressistes (on pense ici au communisme) n'ont-elles pas toujours débouché sur un pouvoir totalitaire ? Idéologie récemment démocratisée, le veganisme porte en lui des valeurs sur lesquelles tout le monde peut s'accorder. Ainsi, les massacres parfois sadiques des bêtes, dénoncés par l'association L214, ou la surconsommation de protéines animales sont des débats méritant d'être posés sur la table. En revanche, le totalitarisme idéologique charriant pillages de boucheries et l'utilisation d'une rhétorique inadaptée (« génocide animal », « nouvel holocauste », etc.) est contre-productif et dessert une cause originellement vertueuse. C'est ce que l'auteur dénonce en premier lieu. Mais l'analyse ne s'arrête pas à cette unique problématique de la consommation carnée.

Hygiénisme paroxystique, tyrannie du bonheur, culte de la performance physique, surveillance généralisée rendue possible par la technologie, voyeurisme, narcissisme, bourrage de crâne… Les griefs sont nombreux, que l'auteur prend un malin plaisir à caricaturer pour mieux les brocarder. Océania, c'est le monde de la pureté, du blanc immaculé, sans excès ou même écarts. Sans liberté. Sans bonheur. Un esclavagisme moderne, ultra-connecté, les réseaux sociaux régnant en maître. Un manichéisme excluant, les purs face aux impurs, les gagnants contre les perdants.

Je n'ai pu m'empêcher d'établir un parallèle, que j'ignore s'il a été pensé ou non par l'auteur, avec la configuration géographique et sociologique de la France, dont un récent déferlement jaune a montré les failles béantes : d'un côté, les grandes métropoles (Océania), riches, prospères, à l'aise avec les codes du « nouveau monde » ; de l'autre, la périphérie (les réserves) déshéritée, méprisée, moquée, humiliée. Dans Bienvenue à Veganland, les sauvages sont craints, relégués le plus loin possible par des habitants d'Océania soucieux de se prémunir contre une éventuelle révolte. On les méprise autant qu'on en a peur. Peur de leur capacité d'organisation, d'action et de Révolution. Les sauvages du roman luttent pour ne pas mourir, préserver leur mode de vie, défendre leur droit à engloutir de la chair animale. Ils sont les récalcitrants, les « gaulois réfractaires » d'un futur désenchanteur. Un futur digne d'un épisode de Black Mirror, allusion que comprendront les adeptes de la série britannique diffusée par Netflix.

L'objectif d'Olivier Darrioumerle est atteint ! Cette dystopie crée une véritable réflexion sur les dangers de la pensée unique et l'idéologisme autoritaire. Un puissant écho aux soubresauts que connaît notre pays et une invitation à la tolérance, au dialogue, au respect. Un livre idéal pour réconcilier vegans et carnivores !
Lien : https://bfbook.wordpress.com..
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Bienvenue à Veganland pourrait être taxé d'utopie. En effet, dans ce futur qui semble tout proche, tout est fait pour apaiser les "éco-citoyens" et mettre la planète au centre des attentions.
C'est pourtant bien le mot "dystopie" qui s'affiche visiblement sur la couverture.
En effet, la manière d'apaiser les citoyens est de leur proposer des "logiciels de personnalité pré-programmés" pour éviter d'avoir à gérer ses émotions - elles ont d'ailleurs été éradiquées.
La cellule familiale a totalement explosé, des marathons du sexe et mères porteuses se chargeant de perpétuer l'espèce.
Quant au véganisme, il est presque devenu une religion, officiellement pour sauver la planète et purifier les êtres. Les animaux sont les égaux des hommes et on parle d' "humanimalité".
Les garants de cette paix sont "les barbus de l'homéostasi" et ne font pas dans les sentiments - ils ont eux aussi disparu...

Mais comme dans tout régime autoritaire on trouve des inadaptés, voire des résistants. Sauront ils s'opposer à cette "happycratie" ?

Le thème de ce livre m'a vraiment interpellée, et c'est volontairement que je cite le titre du livre d'Edgar Cabanas et Eva Illouz "Happycratie" qui dénonce l'injonction de nos sociétés actuelles à être heureux coûte que coûte. Les moyens prônés (contrôle de soi, de son corps, de son alimentation, de son image, développement personnel...) semblent bien proches du mode de vie décrit dans Bienvenue à veganland, et cela m'a souvent fait froid dans le dos.

Un roman coup de poing donc, qui multiplie les phrases choc.
Pourtant je n'ai pu m'empêcher de trouver cette histoire froide et ses personnages désincarnés, mais c'est sûrement l'effet recherché.
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critiques presse (1)
LeFigaro
05 octobre 2018
On rit vert en lisant cette fable d'Olivier Darrioumerle qui devine peut-être le monde si parfait que la coalition de la gentillesse, de l'hygiène, du narcis­sisme et de la bonne conscience nous prépare.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
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"Avec le dispositif technologique dont chacun dispose, il devient extrêmement rare de se retrouver face à une situation compliquée. Tout ce qui implique un jugement et une prise de décision n'existe pratiquement plus. L'environnement est parfaitement réglé. On est à peu près sûr de ne jamais être exposé au moindre conflit. Alors on se relâche. La vie est d'un simplicité totale tant qu'on se laisse guider par le programme préenregistré. Les algorithmes récupèrent les facultés mentales abandonnées. Ils calculent l'adéquation entre ses choix et la personnalité intégrale sélectionnée. Chaque identité se perfectionne avec la garantie de ne jamais se retrouver face au précipice de sa médiocrité".
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Avant le Grand nettoyage, merveilleux enfants, les animaux n’étaient pas libres comme aujourd’hui. Les carnivores les mettaient de force dans de minuscules cages. Soit ils tuaient les bébés, soit ils les engraissaient pour les manger. Et ils les découpaient en morceaux avant de les faire cuire. Pourquoi faisaient-ils tout cela ? interroge-t-elle, le doigt en l’air, laissant planer un mauvais présage. Pour les mâcher avec leurs dents, les avaler avec leur ventre et les transformer en caca !
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Le seul pouvoir de ces demi-dieux est bien d’avoir réussi à rendre moyen tout ce qu’ils admirent. Domestiquer tout ce qu’ils mettent à leur portée. Les loups en chiens, les tigres en chats, les hommes primitifs en petits-bourgeois et les carnivores en végétariens.
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Pour Ortega et ses frères barbus, végans fanatiques, rien ne justifie qu'un être humain se détourne de l'amour de la terre. La rééducation des carnassiers conditionne le succès d'un modèle politique vertueux. La consécration de l'être suprême est à ce prix.
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Personne n'abuse de leurs cadeaux. Car le gaspillage est le symbole ultime du pillage écologique. Et le gâchis est l'expression du mépris envers toutes leurs tentatives de sauver la planète.
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