Parfois, on a beau essayer, y mettre toute la bonne volonté du monde, s'efforcer de fermer les yeux sur ce qui cloche, il n'y a rien à faire : les défauts d'un texte le rendent trop bancal pour que l'histoire tienne debout.
Et pourtant, j'avais envie d'aimer ce
Black Wood, cette virée en voiture de deux jeunes paumés à la recherche moins du bigfoot que de réponses concernant la mystérieuse disparition de l'arrière grand-père de Kaleigh. Tous les ingrédients étaient censés être là : l'aspect surnaturel, qui plus est via un thème que l'on ne croise pas tous les jours ; un voyage enchanteur à travers les États-Unis dans la nature sauvage ; un mystère à élucider et une pointe de romance.
Bon, dans le fond, on a tout ça. le problème, c'est plutôt la forme...
Dès les premières lignes, ça commence mal : d'abord, on nous parle d'un « petit chalet de bois et de pierres, suffisamment grand et confortable pour nous six », la page suivante, c'est « Nous rentrons dans la cabane bien étroite pour nous six ». Faudrait savoir, y'a la place, y'a pas la place ? Bon, vous me direz, ça va, c'est un point de détail, et puis ça arrive à tout le monde, on ne peut pas toujours penser à tout. C'est ce que j'ai songé aussi (quoique, à une page d'intervalle, faut pas pousser, personne n'a buggué dessus ? L'auteure, les correcteurs ?). L'ennui, c'est que TOUT le bouquin est plombé par des incohérences autrement plus énormes que celle-ci. le genre qui sautent à la figure, font grimacer, pour finir par donner envie de balancer le livre par la fenêtre tant rien de tout ça n'a de sens.
Au début, on se dit que ce n'est rien. Que si la dispute entre Kaleigh et ses amis nous apparaît aussi peu naturelle, c'est à cause de la narration, souvent un peu maladroite et fleurant bon l'oeuvre de jeunesse. Bref, rien de bien grave, en somme. Mais à partir du moment où deux personnes qui n'ont absolument rien à se reprocher (à moins que la chasse au bigfoot ne soit illégale en Oklahoma ?) quittent précipitamment leur hôtel pour éviter de croiser la police, on commence à se rendre compte qu'ici, tout est prétexte à faire une montagne de pas grand-chose. Paul part se balader sans prévenir ? Kaleigh tire la gueule pendant une semaine. Les petites cachotteries qu'ils se font sans raison empoisonnent le climat de façon exagérée, sans pour autant les empêcher de flirter, vous noterez. L'ensemble de leurs actions semble dénué de toute logique, mais ça, ce n'est rien comparé à la suite. Quand ils arrivent finalement au Mont Saint Helens (un site qui a juste été retourné pierre par pierre par les plus acharnés chasseurs de bigfoot pendant presque une centaine d'années donc), Kaleigh n'a qu'à se baisser pour trouver des reliques (et en suffisamment bon état pour être identifiées illico, hein). Non, juste non, là, ce n'est même plus « pas crédible » mais ridicule. Et ne parlons pas du fin mot de l'histoire (
trimballer des *ours atteints de gale* (pouvant donc blesser d'autres gens et contaminer d'autres ours, l'idée du siècle n'est-il pas ?) sur *plusieurs centaines de kilomètres* pour... protéger un secret de famille vieux de cent ans et déballé sans difficulté en trente secondes chrono ? Sans déconner ?). A ce stade, j'hésitais entre rire et pleurer ; j'y ai cru jusqu'au bout mais non, ce bouquin est juste mauvais. Au moins, il y a une constance indéniable dans le capillotracté, mais ce n'est malheureusement pas une qualité dans ce récit-là.
Bref, difficile de ne pas se demander comment un truc pareil a pu être écrit, lu, relu et corrigé sans que *personne* ne se soit posé la moindre question quant à la cohérence de l'ensemble.
Et ce n'est même pas le décor qui sauvera les meubles : on nous parle sans cesse de la beauté majestueuse des lieux traversés... pour les décrire en trois lignes. Des sapins ici, des brins d'herbe jaunis là, une chaîne de montagnes couverte de neiges éternelles au loin ; les descriptions vont rarement au delà. Dommage, vraiment dommage.
Parce que tout n'est pas à jeter, heureusement. Si la forme est, vous l'aurez compris, non pas « perfectible » mais catastrophique, il reste le fond.
Black Wood n'est pas l'histoire de deux jeunes chassant le bigfoot, ni même la vérité : c'est celle du potentiel destructeur des non-dits et autres secrets ainsi que du temps précieux qu'ils peuvent faire perdre, des liens qu'ils peuvent rompre. Même si la façon de le mettre en lumière est maladroite donc, l'idée est là et le message transmis. de ce côté-là, rien à redire.
Le fait qu'il s'agisse d'un voyage musical est également une bonne idée. Des paroles de morceaux en fin de chaque chapitre rythment le récit, collant aux évènements comme si tout le livre avait été écrit autour. Ambiance.
Bref, honnêtement,
Black Wood est une énorme déception. On sent pourtant que la plume d'
Emerance Taylor a un bon potentiel ; l'auteure a de très bonnes idées, malheureusement ici perdues au milieu d'un tas d'autres nettement moins bonnes. On appréciera l'originalité du thème du bigfoot et la façon dont il est mis au service d'un second thème, bien plus terre à terre... mais pour le reste, difficile de recommander ce roman, hélas.