Voilà. Nous sommes des Pip [personnage de Grandes espérances de Charles Dickens], nés de cette absence d'Histoire, qui n'est, je le répète, pas absence d'événements mais absence de récit, déficit de narration qui s'accorde avec le tempo de nos années d'enfance, dont l'onde de choc mélancolique semble s'être poursuivie des décennies entières. Encore Pip avait-il, précisément, de grandes espérances. À nous, il faut dire, il ne semblait pas rester cela, mais plutôt la promesse de continuer à marcher avec de la crotte noire aux pieds, incapables étions-nous de quitter l'orbite de cette modernité pourtant épuisée, héroïque dans son épuisement même, mais trop imposante encore pour qu'on puisse tout réinventer - faute aussi, il faut bien le dire, d'un changement radical de paradigme, changement que peut-être on attend encore ou bien, pire encore, qu'on a renoncé à attendre. (p. 20-21)
"Au fond, ce qu'il nous faut, c'est marcher sur des œufs, car notre radicalité tiens justement en cela, ce mélange indistinct d'aube et de crépuscule, où personne ne saurait dire si nous sommes juste après ou juste avant quel grand soir qui n'aurait jamais lieu."
Mercredi 10 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022
Cycle Autour de Minuit, jusqu'à minuit
Lectures de et avec Laurent Mauvignier, Yves Ravey, Tanguy Viel & Régis Goudot