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EAN : 9782253106715
128 pages
Le Livre de Poche (12/10/2022)
3.75/5   14 notes
Résumé :
Une fillette passionnée de lecture se fait martyriser par une camarade dont le père est libraire, une autre raconte comment elle est devenue voleuse de roses, une mère devise avec son fils à l’heure du dîner… Clarice Lispector dresse dans ces treize textes des portraits de personnages féminins d’une incroyable justesse. Elle relate les états d’âme, les grandes joies, les peines et, surtout, le moment ténu du basculement, de la perte d’innocence.
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
« Si Kafka était femme. Si Rilke était une Brésilienne juive née en Ukraine. Si Rimbaud avait été mère, s'il avait atteint la cinquantaine… »

Hélène Cixous, L'Heure de Clarice Lispector

L'on pourrait égrener beaucoup d'autres noms encore, Virginia Woolf, James Joyce, Katherine Mansfield… sans jamais parvenir, me semble-t-il, à circonscrire la singularité de la plume de Clarice Lispector, dont le Brésil fut la patrie de langue, de coeur et d'adoption. Bien que n'ayant lu d'elle que Bonheur clandestin, mince recueil d'une douzaine de nouvelles sur les quatre-vingt-cinq qu'elle écrivit, j'ai été frappée d'emblée par la beauté de ses phrases, par leur intensité poétique, par leur troublante originalité, mais plus encore, par leur inéluctabilité. Comme pour tout grand écrivain, l'acte d'écrire s'apparente pour elle à un geste existentiel obéissant à une nécessité absolue et cela se ressent lorsqu'on la lit.

« J'écris comme si cela devait permettre de sauver la vie de quelqu'un. Probablement la mienne » disait celle qui, ayant fui dès son plus jeune âge avec sa famille les pogroms et les persécutions antisémites en Ukraine, fut en proie sa vie durant à une angoisse existentielle qu'elle sublima dans ses écrits et dont elle adoucit les effets grâce à une ironie discrète et mordante. « Écrire est un acte compulsif », expliquait Clarice Lispector lorsqu'on lui demandait de parler de son oeuvre, ajoutant : « L'acte créateur est une douleur. Il faut un courage fou, effarant.[...] Et l'acte créateur est dangereux : vous pouvez être amené là d'où il n'est pas certain que vous puissiez revenir ».

Proust, qui fit ses classes en pastichant les auteurs qu'il admirait, insiste quant à lui sur le caractère imprévisible de la beauté des phrases des grands écrivains. Ainsi, explique-t-il, « un auteur de Mémoires d'aujourd'hui voulant faire du Saint-Simon pourra à la rigueur écrire la première ligne du portrait de Villars : « C'était un assez grand homme brun... avec une physionomie vive, ouverte, sortante », mais quel déterminisme pourra lui faire trouver la seconde ligne qui commence par : « et véritablement un peu folle » » ? J'ai souvent pensé à ce propos de Proust en lisant Clarice Lispector.
Chacune de ses nouvelles, chacun des paragraphes qui les composent, commencent très simplement, presque banalement. N'importe quel bon imitateur pourrait écrire la première ligne du portrait de la bonne dans la nouvelle éponyme : « Ses yeux marron étaient intraduisibles, sans rapport avec l'ensemble du visage. » Mais « quel déterminisme » pour reprendre les mots de Proust pourra lui faire écrire la suite ? : « Indépendants comme s'ils étaient plantés dans la chair d'un bras et que de là ils nous aient regardé — ouverts, humides. »
Dans la nouvelle Une espérance, alors qu'un fragile insecte se pose sur le bras de la narratrice, celle-ci s'interroge en des termes fort simples :
« Bien embarrassée par sa délicatesse. Je n'ai pas bougé le bras et j'ai pensé : et celle-là maintenant? Qu'est-ce que je dois faire? »
Mais lorsque, une phrase plus loin, nous lisons « Je suis restée absolument tranquille comme si une fleur était née en moi », comment ne pas être subjugué par la beauté sereine, poétique et imprévisible de sa réponse ?

Écrivaine de l'intériorité, Clarice Lispector n'a pas son pareil pour dire en très peu de mots, sans la moindre ostentation, l'inquiétante étrangeté, en même temps que la fulgurante joie, d'être soi :
« Je sais déjà que c'est seulement d'ici quelques jours que je réussirai à recommencer enfin intégralement ma propre vie. Laquelle, qui sait, n'a peut-être jamais été mienne, sinon au moment de naître, et le reste s'est passé en incarnations. Mais non : je suis une personne. Et quand le fantôme de moi-même m'envahit — alors c'est une telle rencontre joyeuse, une telle fête que, je me permets de le dire, nous pleurons ensemble épaule contre épaule. Ensuite nous essuyons nos larmes heureuses, mon fantôme s'incorpore pleinement en moi, et nous sortons avec une certaine fierté dans le monde. »
Depuis Près du coeur sauvage, son premier roman paru en 1944, celle que l'on surnomma « la princesse des lettres portugaises », questionnant inlassablement à partir de l'observation de la vie quotidienne, le rapport de soi à soi ainsi que le rapport de soi à l'autre et au monde, n'a pas fini de nous fasciner. Sa conscience solitaire, inquiète, toujours aux aguets des moments révélateurs, de ces moments qui nous font basculer de l'illusion réconfortante d'être au centre du monde à la découverte, décourageante, et pourtant la seule vraie, que nous n'y sommes pas, mais que nous y avons une place qu'il nous appartient de trouver, n'a pas fini de nous aiguillonner.
Aussi m'apparait-il plus que nécessaire, vital, de faire miens les conseils que Clarice Lispector prodiguait à sa soeur Tania :

« Respecte-toi plus que les autres, respecte tes exigences, respecte même ce qui est mauvais en toi – respecte surtout ce que tu imagines être mauvais en toi [...] Prends pour toi ce qui t'appartient, et ce qui t'appartient est tout ce que ta vie exige. On dirait une morale amorale. Mais ce qui est véritablement immoral est d'avoir renoncé à soi-même. »

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Je découvre Clarice Lispector (1920-1977) avec ce recueil de treize petites nouvelles édité au Brésil en 1971. Treize pépites ! Elles ont été écrites tout au long de sa vie et sont parues préalablement dans des revues brésiliennes (Jornal do Brasil en particulier). le point de départ est le plus souvent un événement banal, un souvenir d'enfance ou d'adolescence ou une anecdote familiale, mais ses répercussions psychologiques sont telles qu'ils déclenchent chez la narratrice une révélation personnelle sur un grand thème de l'existence. Chaque brin de vie affective devient alors une expérience fabuleuse, racontée avec une précision d'orfèvre, sans chichi mais avec beaucoup de poésie. Souvent le jeune personnage vit en marge de son entourage avec ses peurs (la maman très malade), ses frustrations (pas de livre, pas le droit de se déguiser pour le carnaval) , ses inquiétudes (existence de Dieu, jalousie) et sa solitude. le bonheur, clandestin, surgit de manière inattendue, comme une illumination. Clarice Lispector utilise peu de descriptions mais beaucoup de métaphores et de comparaisons pour exprimer le non dit. J'ai découvert un auteur formidable.

Merci beaucoup Schryve !
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Je viens de faire une connaissance attendue et espérée depuis longtemps, celle de Clarice Lispector et je suis d'entrée de jeu conquise, admirative et charmée.
Les nouvelles qui composent le recueil Bonheur Clandestin, m'ont permis de rentrer dans l'univers si particulier de l'autrice, un univers à hauteur d'enfants dans la plupart d'entre elles ; des enfants qui se livrent à des expériences, testent leurs capacités, découvrent le monde, les relations avec les autres, avec les adultes. L'une vole des roses dans les jardins, l'autre découvre la perversité d'une camarade de classe qui la tyrannise en lui promettant inlassablement un livre jamais donné, une autre interrompt son dialogue avec Dieu en rencontrant un rat mort dans la rue, et une dernière se pare de papier crépon pour participer au carnaval.
Clarice Lispector se fait fort de décrire les perceptions déformées des enfants et parvient à pénétrer le psychisme des tout petits, comme dans la nouvelle le petit garçon dessiné à la plume, où elle accompagne les pensées balbutiantes et les sensations d'un bébé dans son lit. L'effet est bluffant.
Comme il l'est également dans la nouvelle La bonne, où elle dresse un portrait surréaliste d'un personnage qui se replie dans les profondeurs d'une forêt intérieure.
Je retiendrais également Une espérance où une mère et son fils se perdent dans la contemplation d'un insecte dénommé espérance, et devisent sur la double acception du mot.
Les animaux pointent le bout de leur nez, instillant la peur ou victimes de la cruauté des hommes.
Comme nombre de ses consoeurs, parmi lesquelles je citerais Virginia Woolf, Katherine Mansfield, Ingeborg Bachmann ou la japonaise Yoko Ogawa, Clarice Lispector prend appui sur son acuité sensorielle, sur des impressions et des visions du quotidien pour élargir son propos et basculer dans la réflexion métaphysique.
La réalité est diffractée, les frontières entre le réel et l'imaginaire sont ténues, l'extérieur et l'intérieur communiquent et se répondent. Nous sommes parfois à la limite de l'hallucination, de la clairvoyance, du réalisme magique.
Une femme pénètre dans la mer, dans Les eaux du monde, fusionne avec l'eau, se bat avec elle, la boit goulument, et en ressort avec les cheveux d'une naufragée.
Après cette introduction à son oeuvre, je poursuivrai sans limite son exploration.
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Jusqu'à hier soir, je n'avais encore jamais lu Clarice Lispector. Elle m'intriguait, mais elle m'intimidait. J'avais peur de me retrouver face à une prose abstraite et peu accessible. J'ai sauté le pas avec Bonheur clandestin, une nouveauté chez le Livre de Poche, mais, à l'exception d'une nouvelle inédite, le recueil reprend une douzaine de textes de la découverte du monde, une anthologie de chroniques parues dans le Jornal do Brasil entre 1967 et 1973.

Mon appréhension s'est dissipée dès les premières pages. L'écriture de Lispector est magnifique et très évocatrice. Les sensations sont palpables. Par exemple, à la lecture de la nouvelle Les eaux du monde, on ressent littéralement la force des vagues sur notre corps, comme sur celui de la protagoniste. J'ai également beaucoup aimé les histoires inspirées de l'enfance de l'autrice, comme celle de la petite fille amoureuse d'une poule ou celle de la chapardeuse de roses. Ma propre nostalgie de l'enfance a spontanément refait surface (j'ai eu des poules moi aussi !). Ce court recueil s'avère une excellente entrée en matière et il m'a donné très envie de poursuivre mon exploration de l'oeuvre de Lispector.
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Je viens de dévorer ce recueil de nouvelles de Clarice Lispector et je comprends enfin les éloges que j'ai toujours lu sur son talent. Vous avez 13 petites merveilles pour savourer sa capacité d'empathie avec tous les être vivants (les enfants en premier lieu, un nourrisson notamment qu'on peut enfin mieux comprendre, les poules, des insectes et meme une missionnaire) et non vivants (la mer..). C'est vertigineux et passionnant. Ça donne envie de se jeter dans tous ses livres.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Quand, deux ou trois heures plus tard, le calme revint à la maison, ma soeur me coiffa et me maquilla. Mais quelque chose était mort en moi. Et, comme dans les histoires que j'avais lues à propos de fées qui enchantaient et désenchantaient des gens, moi j'avais été désenchantée ; je n'étais plus une rose, j'étais de nouveau une simple petite fille. Je descendis dans la rue et là debout je n'étais pas une fleur, j'étais un clown pensif aux lèvres rouge vif. Dans ma faim de sentir une extase, parfois je retrouvais ma gaieté, mais prise de remords je me rappelais que ma mère était dans un état grave et de nouveau je mourais.
Et c'est seulement des heures plus tard que vint le salut. Auquel sur-le-champ je me raccrochai tant j'avais besoin de me sauver. Un petit garçon de douze ans, à mes yeux déjà un jeune homme, ce petit garçon très beau se planta devant moi et dans un mélange de tendresse, de grossièreté, de jeu et de sensualité, couvrit mes cheveux, redevenus lisses, de confettis : un instant nous nous dévisageâmes, en souriant, sans parler. Et alors moi, petite bonne femme de huit ans, je passai le reste de la soirée à me dire qu'enfin quelqu'un m'avait reconnue : j'étais, j'étais pour de bon, une rose.
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Arrivée chez mes parents, je ne l'ouvris pas tout de suite. Je faisais semblant de ne pas l'avoir, rien que pour avoir ensuite la surprise de l'avoir. Des heures plus tard, je l'ouvris, je lus quelques lignes, je le refermai, je me promenai dans l'appartement, pour retarder encore, je mangeai une tartine de beurre, je faisais semblant de ne pas savoir où j'avais rangé le livre, je finissais par le trouver et je l'ouvrais quelques instants. Je créais les difficultés les plus fallacieuses pour arriver à cette chose clandestine qui était le bonheur. Comme j'ai pu prendre mon temps ! Je vivais dans un rêve...Il y avait de l'orgueil et de la pudeur en moi. J'étais une reine délicate.
Parfois je m'asseyais dans le hamac, me balançant avec le livre ouvert sur les genoux, sans le toucher, dans une extase très pure. ce n'était plus une petite fille avec un livre : c'était une femme avec son amant.
(Bonheur clandestin).
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Où était sa beauté ? Il y avait de la beauté dans ce corps qui n'était ni laid, ni beau, dans ce visage où une douceur avide de plus grandes douceurs était le signe de la vie.
De la beauté, je ne sais pas. Sans doute pas, encore que les traits indécis attirent, tout comme l'eau attire. Il y avait, en tout cas, une substance vivante, des ongles, des chairs, des dents, un mélange de résistances et de faiblesses, constituant une vague présence qui toutefois se concrétisait immédiatement dans une tête interrogative et d'avance obligeante, dès qu'on prononçait un prénom : Eremita.
Ses yeux marron étaient intraduisibles, sans rapport avec l'ensemble du visage. Comme s'ils étaient plantés dans la chair d'un bras et que de là ils nous aient regardés - ouverts, humides. Elle était toute d'une douceur proche des larmes.
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Il y a des gens qui doutent et, franchement, ça fait du bien. Savez-vous quelle héroïne de roman incarne à la perfection la femme qui doute ?
« Près du coeur sauvage », de Clarice Lispector, c'est à lire aux Editions des Femmes.
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