Bonne nuit

Il s'agit du premier roman publié en exil en Occident par Siniavski. C'est une autobiographie, mais peu classique, non linéaire, entrecoupée de textes de l'auteur (un dialogue fictif d'interrogatoire, un récit sur la baisse soudaine de sa vue, un traité sur la peur des souris, ...), émaillée d'éléments qui relèvent du fantastique et de réflexions littéraires. Elle est composée de cinq parties qui pourraient presque se lire séparément. La plume est belle, voire élégante et la lecture exigeante (j'aurais apprécié un tout petit peu plus de notes) tant il y a d'intertextualité, car avec Siniavski le complexe, sujet à de multiples interprétations, est toujours là où ses adversaires attendent un point de vue clair, net, tranché. Cela commence avec le titre qui évoque la bienveillance et la politesse et qui, dans la première partie, consacrée au procès qui lui valut une condamnation à 7 ans de Goulag, se révèle être les mots qui lui sont lancés à la fin d'un interrogatoire. C'est cette arrestation de Siniavski et de Daniel pour avoir publié leurs oeuvres en Occident qui marque la fin du Dégel. La deuxième partie parle de son séjour au Goulag, elle est centrée sur la maison de rendez-vous où chaque détenu peut rencontrer, une fois par an, sa famille. La troisième partie est la plus poignante, celle où il parle de son père, né noble, devenu révolutionnaire (mais pas bolchevique ), qui a traversé sans arrestation la période des grandes purges pour finir par être arrêté en 1951 puis envoyé en exil pour ses opinions de 1917 ! Quelle tristesse de voir ce père, devenu fou, refusant que son fils se confie à lui parce qu'il se croit télépathiquement branché sur les tables d'écoute du K.G.B. Les deux parties suivantes, où il raconte les obsèques de Staline, les délations, la seule étudiante étrangère, française, de sa fac, sont bien plus complexes, avec des réflexions philosophiques, entrecoupées de séances de spiritisme et de rêves ainsi que leurs interprétations. Je suis sortie de cette lecture un peu groggy, je ne m'attendais pas à un texte aussi riche et touffu !

Le premier roman d'exil d'Abraham Tertz.....