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René de Ceccatty (Traducteur)Ryôji Nakamura (Traducteur)
EAN : 9782070768127
192 pages
Gallimard (15/06/2003)
3.69/5   21 notes
Résumé :

Un homme se réveille un matin, les mollets recouverts d'une espèce de légume qui ressemble à de la luzerne. Il se précipite chez un dermatologue aussi stupéfait que lui devant ces étranges symptômes. Dès lors, la journée du malade se déroule comme un rêve d'une extraordinaire précision réaliste. Des événements plus incongrus les uns que les autres s'enchaînent... Kôb... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Décidément, Kôbô Abe était bien le fou génial de la littérature nippone ! Et dans son ultime roman, publié peu avant sa mort, il se livre à un véritable festival. Ce devait être un matin comme les autres, mais le narrateur, simple employé d'une société de fourniture de bureau, se découvre un étrange début de pousse végétale sur les mollets…Il vient de soumettre à son patron l'idée d'un « cahier kangourou »… « J'ai imaginé le plan de ce cahier informe à poches innombrables et je me suis mis à rêver. En général, un cahier est une chose qui entre dans la poche, vous savez. A ce cahier, on ajoute une poche et dans cette poche on met encore un cahier et ainsi de suite… », dit-il…

Et à partir de là, tout déraille ! A commencer par l'herbe comestible qui se répand de plus en plus sur ses jambes…de la luzerne ou alfalfa ! Dès lors, c'est le début d'une aventure où nous croiserons une charmante infirmière aux lunettes rondes, un chirurgien à tête de pomme d'arrosoir (à moins qu'il ne s'agisse du propre père du narrateur), le lit d'hôpital qui se meut tout seul et entraîne le patient sur des rails ou sur un canal souterrain (euh…les égouts de Tokyo)…Là, pourchassé par un bateau de pêche à la seiche, il échoue sur les berges de l'enfer, rencontre des démonets, dont deux soeurs de l'infirmière, il en est persuadé, qui donnent un spectacle de cirque à d'improbables touristes, se réfugie dans une boutique "Objets de désir", puis revoit l'infirmière, puis s'engueule avec sa mère dans un champ de choux, l'infirmière rapplique à nouveau...Il se réveille à plusieurs reprises dans un hôpital, replonge…se fait casser la mâchoire, mais le Jules de l'infirmière est kiné, ça tombe bien, la manipulation foire, retour à l'hôpital, il va rencontrer des malades dont un est mourant. Que faire ? Plaider pour lui l'euthanasie ?!

Dans cette folie, on ne s'ennuie jamais, même si l'on est perdu, souvent. On ne parvient jamais vraiment à savoir si le narrateur rêve ses aventures. Il est possible que devant le mystère de sa maladie, des psychotropes lui aient été administrés à l'hôpital. Chaque aventure le conduit à une autre, à un rythme effréné, à l'image précisément d'une poche qui s'ouvre sur une poche…Un univers gigogne...

Cette histoire apparemment délirante et décousue m'a beaucoup plu. Elle prend son sens dans le contexte de la vie de l'auteur, gravement malade, et qui devait mourir quelques mois plus tard. Dès lors, les drogues, les hallucinations, les souvenirs d'enfance personnels, culpabilité et fantasmes sexuels, l'enfer, l'euthanasie et la mort, tous ces thèmes qui traversent le roman hantaient certainement Kôbô Abe en permanence. Pourtant, loin d'être abattu, il donne encore le meilleur, et trouve le moyen de livrer un texte brillant et foisonnant. En effet, les dialogues sont d'une inventivité, d'une spontanéité assez époustouflante, la qualité est au rendez-vous, on se régale, on sourit voire même on rit. Dans la veine absurde, ce roman m'a fait penser à Gros-Câlin de Romain Gary, ce qui est un sacré compliment.

Décidément, Kôbô Abe qui avait été à la pointe de l'avant-garde littéraire dès les années 1950, avec ses textes flirtant avec la SF et le fantastique, avait encore de belles capacités à la fin de sa vie. On peut regretter qu'en France on réduise systématiquement son oeuvre à La Femme des sables. Je rejoins un de nos camarades utilisateur de babelio qui explique aussi son manque de notoriété dans notre pays par la dispersion de ses publications entre plusieurs éditeurs, publications du reste peu rééditées. Heureusement, il demeure bien présent dans mon réseau de médiathèques, ce dont j'entends profiter sans tarder !
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Un matin, un homme voit ses mollets envahis par l'alfalfa, cette graine qu'on fait germer, qui s'appelle aussi luzerne en français, et kaiwaredaikon en japonais. Cette petite plante pousse sur ses deux mollets, en un parfait petit tapis bien couvrant.
L'homme se rend dans une clinique dermatologique pour y être soigné. On l'envoie en cure de bains soufrés. Pour s'y rendre, il ira en lit roulant, par les égouts puis des tunnels…
Bienvenu dans le monde onirique et symbolique de Kôbô Abe, cet écrivain japonais atypique, dont l'univers décalé ressemble étrangement à celui de Boris Vian.
La maladie, les tracas du monde hospitalier, la solitude, la déchéance, l'euthanasie, c'est ce qui obsédait Abe. Il était malade lui-même, il écrivit ce livre peu de temps avant sa mort, alors qu'il se savait condamné.
Cet étrange récit en forme de voyage onirique n'en recèle pas moins beaucoup d'humour et de dérision malgré la dramaturgie du propos. La maladie, lourde et grave, voit sa réalité allégée par la nature de celle contractée par le « héros », cette violente poussée d'alfafa est plutôt comique, surtout le fait que l'homme doive parfois s'en nourrir et s'en occuper pour qu'il ne s'abime pas…
On le voit, Kôbô Abe est doué pour l'ironie et le double-sens.
J'ai adoré ces moments que j'ai passé avec cet auteur tourmenté, qui, je le répète, est le petit frère nippon de Boris Vian. Je vais sans faute me procurer ses autres livres, et je vous en reparlerai.
Et pensez aux graines germées, excellentes pour la santé ! ^^
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Je remercie grandement Osmanthe et Batlamb pour m'avoir donné envie de lire ce livre extraordinaire. Un O.V.N.I déjanté mais pourtant d'une justesse formidable qui se lit comme un roman d'aventures.

C'est un matin comme les autres. le narrateur est d'humeur guillerette. Il croque à belles dents sa tartine copieuse et équilibrée quand une démangeaison parcourt ses mollets. Il retrousse une jambe de son pijama, se gratte, plus de poils. Anxiété ? Trois mois auparavant, une boîte à idées a été installée dans son bureau. Tous les employés ont été obligés de proposer quelque chose. Pour blaguer, il a proposé un cahier Kangourou. le patron l'a convoqué, ils ont devisé des marsupiaux et puis à la sortie, il a eu des nausées. le narrateur constate que ses mollets sont à présent recouverts de grains noirs râpeux, il émet des hypothèses puis il imagine un cahier avec des poches dans les poches innombrables. le lendemain matin, quand il se réveille la démangeaison est insupportable. Sous chaque grain noir pousse une tige. On dirait de l'alfalfa, une sorte de luzerne, du radis blanc. Il se rend alors dans une clinique d'urologie-dermatologie. Une infirmière aux grosses lunettes rondes l'accueille, fait un prélèvement qu'elle envoie au marchand de légumes du coin. Il marine trois heures durant dans la salle d'attente. le médecin arrive en bombant le torse, confirme que c'est bien de l'alfalfa. Et décide de l'opérer illico. le visage du médecin rapetisse, devient un pommeau d'arrosage qui lui murmure en s'excusant que la seule chose à faire, dans l'état où il est, c'est une cure thermale dans une source sulfureuse, la plus puissante possible, comme en enfer...

C'est le meilleur livre que j'aie jamais lu sur la maladie. C'est le point de vue du malade qu'on pique, qu'on shoote, qu'on transbahute. Un malade très pudique et un grand écrivain qui a choisi de transformer son drame intime en récit d'aventures loufoque et déjanté. Les dialogues sont vivants, savoureux, tous les personnages sont hauts en couleurs. L'écriture est très méticuleuse, il y a mille et un petits détails sur lesquels on pourrait s'arrêter, plein de clins d'oeil littéraires mais surtout tout sonne juste. Tout est vrai.




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Un récit onirique empli d'une sensualité dérangeante et hyper-réaliste, à rapprocher du sommeil hypnagogique. Avec son lit de malade promené sur des rails, Kôbô Abe nous entraîne dans un train fantôme d'un nouveau genre. Là rôde une femme-vampire aux yeux tombants, de différents âges et tailles. Là, chaque petite poche de songe en abrite une autre en germe. L'inconscient croît comme des pousses de luzerne, et fait dérailler le sens commun, pour imposer sa logique propre. le kangourou se rêve matriochka.
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La nonchalance du déraillement de la réalité dans le récit de ce roman tient du génie. Je m'explique mal cet effet d'hallucination les yeux ouverts. A vrai dire, le livre m'avait un peu ennuyé à sa lecture, puis avec le temps, l'enchaînement incompréhensible des événements du récit semblent une expérience littéraire à part entière. Tout nous tient par une sorte de somnabulisme littéraire.
Soit. Un homme se réveille les jambes couvertes d'alfala (luzerne), il cherche l'avis d'un médecin, l'infirmière lui fait des misères, on le drogue, il se réveille et erre dans l'hôpital avec des perfusions. Puis des souterrains, les berges de l'enfer (japonais, donc plus étrange, effrayant, ver de gris que flamboyant et chrétien), un ferry dans les ténèbres, une discussion avec un réalisateur américain sur les « morts accidentelles », retour dans l'hôpital, rapport avec la folie des pensionnaires, échappée belle.
Autant d'événements balayés, dérapés, glissés, éclipsés, mais cela au sein d'une description d'un supraréalisme qui balaye tout rapprochement à « La Métamorphose » Kafka, aux forfanteries d'un Breton, ou d'un fantastique moderne (genre le fantastique de Murakami H.). A rapprocher de son autre livre, très semblable (encore un méandre d'hôpital et d'enlèvement) « Rendez-vous secret », à distinguer de son célèbre « La femme des sables ».
Le "Cahier Kangourou" est la restitution des malaises et des mouvements des rêves (bizarres) vite tengents aux cauchemars comme peu ont su le faire (combien rasoirs m'ont toujours parus les récits de rêves de Leiris, Bonnefoy, et autres écrivains et poètes).
Inclassable. Voilà. Donc à lire.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Un faisceau lumineux !
Même à travers les paupières closes, la rétine réagit sensiblement. Je ne pouvais pas m'empêcher de les entrouvrir. Quelqu'un testait les réflexes de mes pupilles avec une lampe de poche. Je tentai de détacher ma langue de mon palais auquel elle était collée tant elle était sèche. Puis, sans pouvoir reconnaître qui se trouvait près de moi, je suppliai de tout mon coeur :
- Je vous en prie, donnez-moi de l'eau. Regardez la poche de la perfusion est quasiment vide...
La lampe de poche s'éteignit. Je distinguais le plafond. Le pommeau d'arrosage à visage humain. Le tube fluorescent, d'une conception astucieuse, qui, tout en étant à nu, produisait un éclairage indirect au moyen de plaques miroitantes. Rien de spécial à tout cela. J'étais toujours sur le lit de la salle d'opération. Un rêve trop réaliste n'est pas bon pour la santé. Ça vous épuise.
- Nous le changeons au moment voulu.
En effet, le récipient avait déjà été changé. C'était un sac à poissons rouges, un sac couleur crépusculaire comme on n'en trouve plus que sur les stands de foire.
- Excusez-moi. J'ai l'impression d'avoir un mal de route épouvantable.
- Ce n'est pas une auto-intoxication ? A cause de l'alfalfa ?
Je voyais mon oreille se refléter sur les verres des grosses lunettes rondes de l'infirmière. C'étaient des verres plats, semble-t-il.
- Ne pourriez-vous pas me prescrire un médicament contre le mal de mer ?
- Je ne peux rien faire qui ne soit sur votre carnet.
- Mais ça tremble terriblement.
- Retroussez votre manche. Je vais vous faire une prise de sang.
- Si c'était un tremblement de terre, on aurait aisément dépassé l'échelle 5.
- Laissez-moi mesurer la longueur de l'alfalfa. Je vous prie de m'excuser.
Elle souleva la couverture en tissu éponge. Ses doigts, qui paraissaient dépourvus d'articulations, se mirent à fouiner dans la touffe de l'alfalfa.
- Vous me chatouillez.
- C'est vraiment un taillis. C'est sûrement bien nourri.
J'avais l'impression de me mettre à bander. Il ne manquait plus que ça : une érection dans l'état où j'étais, c'était vraiment trop ! Pour commencer, c'était piteux et puis avec la sonde, cela risquait d'endommager gravement mon urètre ou mes reins. Cherchons à nous distraire l'esprit en pensant à autre chose.
Pulsations régulières des jointures des rails.

Hanakonda aragonda anagenda
Enduisons-le d'huile de piment de cayenne
Enveloppons-le d'une peau de banane

Ces vers dans le style d'une ritournelle me venaient tout naturellement à l'esprit. Ils n'avaient pas de sens, mais ils prenaient exactement le rythme des rails. Rire suggestif de l'infirmière.

Hanakonda aragonda anagenda
Enduisons-le d'huile de piment de cayenne
Enveloppons-le d'une peau de banane

Le ton montait peu à peu, prenant même une intonation de comptine. Malgré l'autodérision, c'était rafraîchissant et ça devenait de plus en plus enfiévré. Etait-ce l'effet de la chaleur ? Le sourire de l'infirmière s'éteignit lentement. Le contour de ses grosses lunettes rondes s'estompa peu à peu et finit par être aspiré par le pommeau d'arrosage à visage humain du plafond. Comme ce dernier se mit en marche, les lunettes rondes devinrent démodées, en ébonite, noires. Alors ce visage commença à ressembler à celui de mon père à s'y méprendre. Je savais parfaitement que c'était un simple pommeau d'arrosage, mais je n'y pouvais rien puisque c'était en même temps mon père.
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Soudain une cigale mua. Ou peut-être la mue d'un serpent ? Non, plutôt une sensation de dépouillement plus profond encore. Ça ressemblait plus à la mue d'un crapaud ou d'un crabe. La peau de l'anesthésie tomba d'un coup et je me sentis plus léger. Visiblement, l'anesthésie n'avait pas été locale, mais générale. Enveloppée dans une douce peau de nostalgie humide, seule ma vision devenait étrangement aiguë, débordante d'images qui ne parvenaient pas à la parole. Sensation d'euphorie ? Puis, lentement, un désagrément se produisit, pourchassé par un engourdissement. Des oeufs de poisson pondus sur toute la surface de ma peau.
J'essuie ma morve avec le revers de ma main et c'était en effet du sang.
Quelle heure était-il ? Je ne savais même pas si c'était le matin ou l'après-midi.
De part et d'autre, des rideaux blancs de plastique. C'étaient des compartimentations destinées à protéger, pour la forme, l'intimité. Soudain, à mes pieds, le coin s'ouvrit et des chaussures à semelle d'éponge pénétrèrent sans mon autorisation. C'était normal. Dans un hôpital, une infirmière n'est pas tenue de s'annoncer. Un malade, ce n'est rien d'autre qu'un article défectueux qui a été façonné dans le moule du lit et qui garde péniblement la forme humaine.
- Avez-vous mal ?
- Non...
Je me contentai de gémir faiblement en secouant la tête de droite à gauche. Entre un patient qui se maîtrise et un autre qui se fait materner, auquel donner sa sympathie ? Cela dépend de la personnalité de l'infirmière. En tout cas, au premier round, il faut observer comment l'adversaire s'y prend.
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Je saisis le rideau qui isolait le lit du pithécanthrope et l'ouvris d'un seul geste. Je n'avais pas d'intention particulière. Je me sentais seul et j'aurais aimé qu'il me permît de m'asseoir sur un coin de son lit. Mais la réaction du pithécanthrope s'avéra plus violente que prévu. Il me repoussa avec un hurlement :
- Imbécile ! Demandez la permission, avant d'ouvrir.
Il était assis en tailleur, les pans de son yukata soulevés, exposant le bas de son corps. Les poils vigoureux ondulaient entre les mollets et l'entrejambe, enveloppant son sexe, continuant jusqu'à sa poitrine en passant par le dessous de son nombril. Ce qui attira mon attention, c'était les photos porno dispersées autour de ses genoux. Cela dit, le pénis du pithécanthrope était enseveli sous sa toison aussi brillante que de la paille de fer, et il n'y avait le moindre signe d'érection. Les photos avaient dû déjà servir et le spectacle avait déjà eu lieu.
- Excusez-moi.
- Espèce de merdeux. Vous m'avez humilié...
Puis il baissa soudain la voix avant d'ajouter :
- Vous savez, je suis impuissant...
Cette confession inattendue me mit dans l'embarras et je dus me creuser la cervelle pour trouver une réponse :
- C'est peut-être parce que vous avez utilisé votre fille comme modèle, non ? Il paraît qu'un instinct retient les hommes devant l'inceste...
- Je suis impuissant, espèce de merdeux...
Le pithécanthrope laissa échapper un gémissement entre ses dents serrées. Il rentra les pans de son yukata entre ses jambes et ramassa les photos porno.
- Vous me méprisez, non ?
- Vous méprisez ? Mais non. Vous ne présentez même pas d'anomalie apparente.
- Cessez de plaisanter. Mettez-vous un peu à ma place. C'est vraiment pitoyable. Je n'éprouve rien devant une femme nue. Comme je ne ressens rien, je n'ai pas envie d'en voir. Mais les couvertures des magazines sont pleines de femmes nues, n'est-ce pas ? Ça me donne l'impression d'être enrhumé.
- Ça vous simplifie la vie, non ? Je vous envie. Moi, je me demande toujours si je ne suis pas un obsédé sexuel, et j'en souffre...des socquettes de nylon, des flancs écrasés...Je réagis aussitôt.
- Ce sont des histoires de privilégié, tout ça ! Franchement, je veux me faire opérer.
- Est-ce aussi grave ?
- Je suis déprimé.
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L'étudiant qui avait une tumeur à la mâchoire vint timidement me voir.
- Excusez-moi de vous déranger pendant votre repas, mais je n'en peux plus. Contactez, s'il vous plaît, le Club de l'Euthanasie. Je vous en supplie ! Ce n'est pas seulement qu'il me gêne. Mais je ne peux même plus supporter de le voir. Ça n'a rien d'un meurtre. Il ne s'agira que de tuer une deuxième fois un homme déjà mort. Vous ne croyez pas ?
- Ça sent le roussi ! lâcha le pithécanthrope. Ça sent le roussi, je vous dis...
Il avait mordu dans la queue de sa daurade, et, par le trou qu'il avait fait, il aspirait la crème de haricots. Le bas de son corps se mit à frétiller comme une otarie. L'étudiant repassa à l'attaque.
- Laissons de côté la théorie. D'un strict point de vue réaliste, est-ce que ce ne serait pas plus humain ? Il paraît qu'aux Etats-Unis, récemment, la Cour suprême a admis l'euthanasie des singes de laboratoire...
- L'homme n'est pas un singe.
- Mais moi, quand je saurai que la tumeur de ma mâchoire est maligne, je n'hésiterai pas à choisir l'euthanasie. Un état aussi lamentable, on n'appelle pas ça la vie.
A qui donner raison ? Si on diagnostiquait que l'alfalfa de mes mollets était une maladie incurable, choisirais-je l'euthanasie ? A supposer qu'on ne pût pas éradiquer l'alfalfa, on pouvait toujours tricher avec des chaussettes. Mais si, mon corps tout entier devenant un potager, l'alfalfa proliférait sur mes yeux, mon nez, mes oreilles, ma bouche, s'il s'étendait jusque dans mon corps en passant par l'urètre et l'anus et si, finalement, je me transformais en une masse végétale comme une boule d'algues lacustres...alors là, naturellement, il ne me resterait plus que l'euthanasie. Il faudrait considérer le suicide comme un droit de l'Homme.
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L'alfalfa puisait dans mes mollets de l'eau et du liquide lymphatique. Il produisait de l'hydrate de carbone par photosynthèse. Ensuite, j'en mangeais pour créer de l'énergie. Si cette énergie était en quantité suffisante, une sorte d'écosystème se mettait en place. A bien y réfléchir, la terre est un écosystème. Il me suffirait de considérer que j'étais moi-même une petite terre et alors je n'avais aucune raison d'être découragé.
Pourtant si l'alfalfa continuait son avancée et si, après avoir franchi la ligne des genoux, il se dirigeait vers mon buste, il n'y aurait pas d'écosystème qui tienne. Quand je serais complètement couvert de verdure, je n'aurais pas d'autre solution que de me laisser embaucher par un forain pour son stand de monstres. Mais là aussi, mes espoirs étaient minces : il y a peu de chances qu'en enfer les monstres attirent la foule.
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Vidéo de Kôbô Abe
Rendez-vous secret Marque-page 23-06-2011
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