Un bel éclairage sur l'engagement social et les jeux de pouvoir en coulisse.
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Rappel historique. En septembre 2000, au seuil du nouveau millénaire, Kofi Annan, alors secrétaire général, avait convoqué à New York les chefs d'État et de gouvernement des 193 États membres de l'ONU. 165 d'entre eux avaient fait le voyage. Il s'était agi de dresser la liste des huit tragédies principales qui ravageaient l'humanité et de tracer les stratégies susceptibles de les éliminer. Ce document était intitulé Millenium Development Goals (Les Objectifs du millénaire pour le développement). Un délai de quinze ans avait été fixé, sinon pour éradiquer ces tragédies, du moins pour les atténuer de manière significative. Un exemple : le but numéro 1 exigeait que fût réduit de moitié, jusqu'à la fin de l'année 2015, le nombre des victimes de la faim et de la sous-alimentation dans le monde.
Au terme des quinze ans, le constat est amer : très rares sont les États frappés par une ou plusieurs des tragédies figurant sur la liste - avant tout dans l'hémisphère Sud - qui ont pu en venir à bout. La cible numéro 1, notamment, l'éradication de la faim et de la sous-alimentation, a été complètement manquée.
L'«Agenda 2030», préparé sous la direction de Ban Ki-moon, invite les États membres à continuer le combat, sur des bases et en mobilisant des méthodes nouvelles. Cette fois, ce sont 37 tragédies qui ont été identifiées. Pour en finir avec chacune d'elles, une stratégie spécifique a été définie.
Quelque peu choqué, je demandai à mon voisin : «Pourquoi Ban Ki-moon a-t-il confié la mission prestigieuse de cette présentation à la cheikha du Qatar ?» Siad Doualeh, qui avait pris part pendant deux ans à l'élaboration de l'«Agenda 2030» à New York, me répondit sobrement : «Les Qataris paient.»
La visite de la cheikha
Palais des Nations à Genève : telle une Fata Morgana sur la mer, elle glissait à travers la «Salle des droits de l'homme et de l'alliance des civilisations», deux pendentifs sertis de diamants bleus aux lobes de ses oreilles, un triple collier d'or blanc autour du cou, les doigts parés de l'éclat de ses bagues. Une époustouflante tunique pourpre drapait de près sa haute silhouette, tandis que sa chevelure brune disparaissait en partie sous un turban assorti... La cheikha Mozah bint Nasser al-Missned, deuxième épouse de l'ancien émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani, et mère de l'actuel émir, étincelait de mille feux.
Elle prit place au centre de la tribune.
Dans l'immense salle - don du gouvernement espagnol au quartier général des Nations unies à Genève - se pressaient les ambassadrices et ambassadeurs, les directrices et directeurs des organisations spécialisées, divers invités. J'étais installé au troisième rang, légèrement décalé par rapport à la tribune.
À côté de moi était assis un homme trapu, au crâne luisant, au regard pétillant, mon ami Mohamed Siad Doualeh, grand poète de langue somalienne et ambassadeur de Djibouti.
Fasciné, il observait les traits étrangement figés de la femme. Se penchant vers moi, il m'interrogea : «Combien d'opérations chirurgicales ?» Elles étaient nombreuses selon la rumeur et, en effet, dans le beau visage de la cheikha, seuls les yeux verts paraissaient vivants.
C'était une fraîche matinée de l'automne 2015. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait chargé la cheikha d'une mission importante : elle devait présenter aux dignitaires du siège européen l'«Agenda 2030» de l'ONU.
Entretien chez Thinkerview :
Jean Ziegler : Pourquoi faut-il détruire le capitalisme ?