Eh bien, que puis-je dire à propos de celui-ci ? En bref : je ne comprends pas pourquoi
Marilynne Robinson n'a pas encore reçu le prix Nobel de littérature. Si c'est possible pour un écrivain hermétique comme
Jon Fosse, pourquoi pas pour elle ? Car cela doit être clair : Robinson n'est pas pour tout le monde. Il y a d'abord l'intensité de ses romans, et certainement de celui-ci : quand on démarre, c'est comme si on était obligé de sauter dans un train déjà assez rapide ; elle suppose que vous êtes juste au courant de l'histoire, et si vous ne l'êtes pas (et presque par définition vous ne l'êtes pas), alors vous devez la reconstituer au fur et à mesure. Ce fut le cas du premier roman du cycle
Gilead (juste
Gilead), et aussi de ce deuxième: le narrative commence lorsque
Jack Boughton, le mouton noir de la famille, revient après 20 ans dans sa maison parentale à
Gilead, où seul son père, le vieux révérend Robert Boughton, malade, habite et où sa plus jeune soeur Glory est récemment revenue. Cette intensité est également due aux thèmes de Robinson : ils sont lourds, existentiels, profondément psychologiques. Dans ce cas, il s'agit de culpabilité et de pénitence, de pardon et de grâce, et surtout de damnation prédestinée. Parce que
Jack en particulier a beaucoup de choses à expliquer. Et forcément avec Robinson on se retrouve dans l'univers calviniste, autre chose qui ne facilite pas vraiment la lecture. En particulier, les discussions entre Boughton et son voisin John Ames, cet autre ancien ministre que nous connaissons de
Gilead 1, nécessitent un certain bagage théologique et philosophique.
Pourquoi alors mon score relativement élevé de 4 étoiles ? Eh bien, pour commencer parce que c'est la meilleure histoire de fils prodigue que j'ai jamais lue : pas la version simple du retour festif, tout pardonné et fini, non, ce retour s'accompagne d'un sédiment de sentiments très variés qui ne cessent de s'approfondir, testé et devenant de plus en plus complexe à mesure que l'histoire progresse. Deuxièmement, parce que le dessin psychologique de Robinson à travers les dialogues, l'introspection et l'observation minimaliste témoigne d'une énorme connaissance de la nature humaine et d'un sentiment empathique pour l'infinie complexité de l'existence humaine. L'interaction entre
Jack et Glory en particulier est d'une sensibilité presque insupportable. Et troisièmement, parce que ce livre parle aussi du « chez-soi », la maison parentale, et de ce que cela signifie pour les personnes blessées par la vie, tant dans un sens positif que négatif. Ce thème inclut également la position ambiguë du vieux Boughton, dont la joie sincère du retour de son ou ses enfants suscite certes de la sympathie, mais qui est également repoussant par sa nature patriarcale, l'imposante figure paternelle qui contrôle volontairement et/ou involontairement la vie de ses enfants d'une manière malsaine. Ayant moi-même élevé 4 enfants, je dois concéder que ce fût une lecture assez émouvante aussi dans ce sens.
Assez d'arguments ? Bien sûr! Et je n'ai même pas mentionné le style précis et la composition équilibrée de ce livre. Non, s'il vous plaît Stockholm, elle a 80 ans maintenant, n'attendez plus.