Pacôme Thiellement nous parle d'un cinéma pour nous, « les Gitans, les Gnostiques, les Hermétistes, les Sabéens et les hommes de la prisca theologia », nous qui « avons toujours été sans Histoire, perdus, abandonnés, mal aimés, solitaires ». Si l'identification avec les gitans et tout le tralala me semble assez approximative, je n'ai point de mal à trouver une ressemblance avec le groupe des paumés. Je signe le contrat.
PT dresse une première opposition entre le cinéma classique et le cinéma populaire et, comme tout bon gilet jaune qui se respecte, il dénonce la domination symbolique de la culture officielle classique qui serait celle désignée en tant que telle par le pouvoir sur des critères non pas esthétiques, moraux ou philosophiques, mais pour perpétrer une certaine forme de domination de classe. On apprend plus tard que PT situe la véritable opposition entre cinéma du libéralisme et cinéma d'auteur, ce qui n'a rien à voir avec la première opposition, et ce qui tend enfin à nous rassurer. Ma tendance à préférer le classique au populaire, se rapportant à une évidence de la suprématie de l'éternel sur le temporel, a rarement été démentie ; et bien que dans la théorie je préfère le cinéma bizarre au cinéma hollywoodien, la réalité est souvent venue me contredire - mais pour des raisons idéologiques dignes d'une gnostique gitane, je préfère passer sous silence ces moments de contradiction gênants.
Mais je vais être honnête cinq minutes. Je ne prête pas au cinéma les vertus d'aphrodisiaque de l'âme que leur trouve PT – ni d'aphrodisiaque du corps d'ailleurs. Je ne pense pas qu'on puisse opposer les films pop/bizarres aux films du libéralisme/pouvoir. Je pense qu'au cinéma, on ne peut opposer que la vraie vie. Mais c'est vrai, la vraie vie n'existe pas/plus/pas encore. Alors regardons les films avec PT. Il me faut mon pack de bières. Un film m'est insupportable sans un minimum de boisson. La vie aussi, d'ailleurs. Les deux partagent peut-être, finalement, quelques similitudes, vous avez raison. (Les films dépassant les deux heures sont exaspérants en cela qu'ils requièrent plusieurs packs de bière, et donc un minimum d'organisation et d'anticipation – combien de films n'ai-je pas terminé par manque de liquide ?)
PT n'aime pas les films produits par le libéralisme. A l'instar de ce monde que dépeint Orson Welles dans Mr. Arkadin, leur message « se caractérise par une inversion de la transmission » : « dans ce monde, les hommes de pouvoir dévorent leurs enfants et perdent alors la dernière trace d'innocence dont ils pouvaient encore se prévaloir ». PT n'a pas évoqué le cas, complémentaire, du film qui présente des enfants faisant la leçon de morale aux plus âgés sans que ceux-ci n'aient la foi et le courage suffisants pour témoigner de leur expérience. Pourtant les deux vont de pair. Les films du libéralisme sont des pièges idéologiques à vie foirée : « Si nous finissons par avoir une vie chiante et misérable parce que nous avons calqué nos choix sur ceux des héros de Quand Harry rencontre Sally, Pretty Woman, Coup de foudre à Notting Hill ou Friends, alors nous l'aurons mérité ». Je n'ai regardé aucun de ces films mais j'ai quand même une vie de merde – j'ai peut-être lu trop de choses inutiles, on ne parle jamais assez du danger de la lecture sur les esprits fragiles.
Pour nous déformater, PT nous propose le formatage du déformatage. Ça ne vous rendra pas heureux non plus, nous dit-il (ah, me voilà rassurée) mais ça vous permettra peut-être de trouver votre forme de jouissance personnelle dans la folie, la tristesse, l'amour obsessionnel et la flagellation psychologique. Allez, ça me va comme programme. Au cinéma aujourd'hui : Nosferatu, Freaks, le locataire (un humain qui aime
Polanski ne peut pas être foncièrement mauvais), Possession, Suspiria, Céline et Julie vont en bateau, Mr. Arkadin, Chinatown, Nymphomaniacs, Shining.
Vous n'êtes pas obligés de connaître ces films pour apprécier la prose romantique de PT (je n'en connais que trois). Peut-être aurez-vous envie de voir les autres films ensuite ? (pour ma part, oui, mais depuis que j'ai lu l'ouvrage il y a deux ans, je ne les ai toujours pas regardés, l'envie ne devait pas être si pressante que ça). Ce qui est bien avec PT, c'est qu'il voit toujours le bon et le mauvais dans chaque chose. Il doit être agréable à vivre. Ainsi parle-t-il de Lars von Trier (my darling) dont le cinéma aurait pour objectif « de rendre votre vie plus difficile, vos blessures plus douloureuses, vos opinions moins évidentes, vos sentiments moins purs qu'ils n'en ont l'air. Mais aussi votre coeur plus profond, votre état mental plus friable, votre empathie plus développée, votre esprit plus obsédé par la découverte de vérités ». On se console comme on peut. Merci aux consolateurs, qui ont encore foi en leur métier.
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