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EAN : 9782849507155
224 pages
Éditions du Remue-Ménage (20/02/2019)
4.38/5   8 notes
Résumé :
À l’opposé de l’air du temps et de la pré­tendue « égalité-déjà-là », de l’illusion que des pratiques sexuelles pourraient être « naturelles » et de l’oubli des rapports de domination, Andrea Dworkin aborde le coït en l’intégrant dans les rapports de pouvoir. Elle parle de « la baise » dans un monde dominé par les hommes, une certaine forme de sexe outil et matière de la domination, l’anéantissement des femmes dans la sexualité ma... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Pour défendre sa dignité, il faut d'abord en avoir une

À l'opposé de l'air du temps et de la prétendue « égalité-déjà-là », de l'illusion sur la naturalité des pratiques sexuelles, de la séparation de l'intime et des rapports de domination, une immense écrivaine nous fait penser tout ce que le coït dit et fait dans les rapports de pouvoir. Elle utilise les mots du quotidien pour parler de « baise », du sexe comme outil et matière de la domination, de l'anéantissement des femmes dans la sexualité masculine, de voyages littéraires dans l'inégalité sexualisée. Des mots et des phrases nécessairement violents mais emplis d'une chaude humanité, d'une insatisfaite espérance à l'égalité.

Il n'est pas inutile, avant de lire ce livre, de méditer sur, ce qu'en 1988, le poète et chanteur Leonard Cohen écrivait : « La gamme complète des arguments exposés dans ce livre est assez radicale, complexe et magnifique. Intercourse est le premier livre que j'ai lu par un auteur, masculin ou féminin, qui affiche une défiance qui soit profondément subversive au sens sacré – extraterrestre. Elle dit que notre monde est entaché par des préjugés humains, que les hommes et les femmes ont des idées erronées – même si ces idées ont dix millions d'années et qu'elles viennent de la bouche de dieu, elles demeurent erronées ! La position qu'elle adopte dans ce livre est si provocante et passionnante qu'elle crée une autre réalité et pourrait arriver à l'actualiser. Dans la situation actuelle, c'est ce genre d'attitude qui crée de nouveaux mondes – j'ai une profonde admiration pour Andrea Dworkin ».

Lire cette immense écrivaine féministe, c'est rompre avec les ritournelles et l'air du temps, c'est regarder dans le miroir des productions littéraires – mais pas seulement – non les images de ce que l'on sait déjà, mais bien d'autres choses… Et rendre ainsi possible un futur d'émancipation…

Dans son avant-propos, Andrea Dworkin parle de la réception du livre, des conseils reçus de critiques érudits mais analphabètes. Elle indique : « Intercourse continue à être traîné dans la boue par des gens qui ne l'ont pas lu, réduit à quelques slogans par des journalistes se posant en critiques, en sages ou en grands penseurs, traité comme un écrit odieux et haineux par tous les crétins qui s'imaginent que l'apaisement de notre monde violent viendra d'encore plus de respect envers des hommes blancs et décédés. » L'autrice aborde, entre autres, le monde sexué de la domination et de la soumission, la censure envers les femmes, le savoir sur la baise, la nécessité de briser les habitudes de déférence « et c'est à nous de les briser », le refus de la soumission, la gamme d'émotions et d'idées proprement interdite aux femmes, « le refus de laisser les femmes ressentir une gamme complète d'émotions, exprimer un large éventail d'idées, aborder leur vécu avec une honnêteté qui déplaît aux hommes, ou poser des questions qui déconcertent et contrarient les hommes dans leur domination, a eu pour simple effet de créer une nouvelle génération d'exploiteurs et de victimes – les enfants, garçons et filles respectivement », les mots et l'écriture, « Pour moi, la recherche de la vérité et du changement par les mots constitue le sens même de l'écriture ; la prose, la réflexion, l'itinéraire sont sensuels et exigeants », l'expérience du ressentir, le « savoir et voir et dire ». L'écrivaine conclut : « Intercourse est quête et assertion, passion et furie ; et sa forme mérite, tout autant que son contenu, l'attention critique et le respect ».



1er partie : le coït dans un monde d'hommes (Répugnance, À vif, Stigma, Communion, Possession)

2ème partie : la condition féminine (Virginité, Occupation et collaboration)

3ème partie : pouvoir, statut et haine (La loi, Saleté et mort)

Par leur simplicité, les titres des neuf chapitres tracent la piste des analyses dérangeantes et subversives que propose l'autrice.

Dans la première partie, nous croiserons, Alma Mahler, Léon Tolstoi et sa Sonate à Kreutzer, la répugnance, l'inégalité sexuelle, l'institution inégalitaire qu'est le mariage, le sexe et le meurtre, le plaisir des uns, l'argent, « L'argent répudiait la possibilité de toute similitude humaine entre lui et elle et cela l'apaisa », la configuration de la chair, la chose à posséder, la réduction du statut d'être humain à celui d'objet destiné au sexe, « La femme doit être réduite à devenir cet objet sexuel pour plaire aux hommes qui voudront alors, et seulement alors, la baiser », la violence implicite du coït « basé sur l'exploitation et l'objectification »…

Andrea Dworkin souligne que « le sexe n'est pas en soi banal ». Elle aborde, entre autres, la peau comme ligne de démarcation et fonction sociale, l'oeuvre de Kôbô Abé, les codes d'excitation, le sens masculin quantitatif du rapport sexuel, la nudité, la violence, « La violence dont rêvent les hommes et celle qu'ils exercent garantit leur solitude permanente »…

Une marque d'infamie, un marqueur d'identité, Tennessee Williams, la combinaison d'une nostalgie insatiable et d'une sensualité incarnée, le manque de moyens d'expression adéquats, le viol comme une simple baise en plus, l'intégrité humaine brisée, la domination et l'humanité, « Posséder une vie intérieure de désir, de besoin, donne à la baise un sens humain dans un contexte humain »…

Amérike, la gauche et la droite en matière de sexe, « la pression sociale à la conformité est féroce, omniprésente et vertueuse », l'imagination atrophiée, ce que signifie se sentir sans valeur, James Baldwin, « la capacité de toucher et d'être touché »… Je souligne l'intérêt de la lecture très attentive des romans de James Baldwin par l'autrice, « Dans les romans de James Baldwin, la baise est aussi un pont menant de l'ignorance à la vérité, aux vérités les plus éprouvantes au sujet de qui l'on est et pourquoi », la hiérarchie sociale et sexuelle de maitres et d'esclaves, ce qui rend l'amour possible, la baise comme débordement de la personnalité, « une expérience radicale de vision et de connaissance, où l'on trouve en soi des possibilités jusque-là cachées »…

Un acte de possession, pénétrer et posséder, la baise comme acte d'invasion et d'appropriation, la masculinité éprouvée par l'homme et la femme – celle-ci s'effaçant en tant que personne, le coït comme petite mort ou comme tristesse « mais il n'est pas possédé », les femmes comme cheptel pour les hommes « au titre d'épouses, de prostituées, de servantes sexuelles et reproductrices », la géographie de la domination, la non-spécificité de chaque femme aux yeux de la plupart des hommes, le rétrécissement et le laminage des capacités de ressentir des femmes, les mots de la possession, Isaac Bashevis Singer, la religion (ici juive) et les femmes « Son identité sociale, qui dépend de sa possession charnelle, est acquise au prix de son existence humaine, une contradiction ayant valeur de paradigme pour les femmes sous domination masculine », les règles de la communauté qui protège le pouvoir masculin, « l'impératif communautaire de baiser et la réglementation de la baise restent invisibles dans la baise elle-même »…

Je souligne particulièrement une phrase de l'autrice bien révélatrice du sens réel des choses et des mots : « Il est remarquable que l'homme ne soit pas vu comme l'être qui est possédé dans le coït, même si c'est lui (son pénis) qui est enfoui dans un autre être humain, et que son pénis est entouré de muscles puissants qui se contractent comme un poing serré et se détendent avec une force contre la tendre chose, toujours si vulnérable aussi rigide soit-elle ».

Andréa Dworkin relit l'histoire de Jeanne d'Arc, une histoire politique et non magique, la virginité « délibérée et militante », une auto-définition rebelle et intransigeante, le rejet du statut d'infériorité des femmes, « la condition civile inférieure et le faite d'être baisée comme impossibles à distinguer l'une de l'autre ». Une relecture féministe d'un possible historique, le désir masculin comme déterminant des possibilités d'une femme dans la vie, la place de la jeunesse et de la beauté et les invisibles dans les représentations idéologiques, le désir masculin et la reconnaissance sexuelle du féminin comme féminin, la liberté d'une femme, la tentative d'un lien égalitaire, le rôle de son vêtement masculin, la liberté réservé aux hommes, l'Inquisition et celles qui se révoltaient contre l'église, la virginité de peu de poids car « l'enjeu n'avait jamais été – et ne l'est toujours pas – d'avoir ou non des rapports sexuels ; l'enjeu était la soumission au statut d'inférieur », la féminisation par le bucher et le viol…

Jeanne et d'autres femmes, Gustave Flaubert et Emma, les « nouveaux fantasmes incohérents de grandeur romantique et sexuelle », l'égalité réduite à la passion sexuelle, l'héroïsme de se faire baiser et de désirer l'être, le vide, « Les hommes ont ce qu'Emma n'a pas : chacun possède un ego et vit dans un monde vaste », la romance comme substitut suicidaire à l'action, le coït substitut suicidaire à la liberté…

Madame Bovary, D. H. Laurence, André Brink, Italo Calvino, Bram Stoker et Dracula, les nouveaux récits du coït, le sang et le sexe, le sang de chaque fois, l'aliénation, « Banales et décadentes, fières, stupides, menteuses, nous sommes libres »…

Le corps agressé, l'être violé, l'intégrité du corps comme illusion, le va et vient et l'invasion permanente, « le discours de la vérité masculine – littérature, science, philosophie, pornographie – appelle cette pénétrationviolation », la pénétration utilisation « normale » du corps de la femme, la haine des femmes comme source du plaisir, la transformation de l'identité de façon irrévocable et irrécupérable, « cette diminution de son intimité, de son intégrité et de son identité établissent sa moindre importance », la signification politique du coït, « les progressistes refusent catégoriquement d'explorer la possibilité même d'un lien entre le coït en soi et la condition inférieure des femmes », les sensations et les besoins des hommes et la question de la liberté des femmes, « La plupart des femmes n'éprouvent pas d'orgasme lors du coït lui-même », le plaisir sexuel et la sensualité, l'ensemble du corps et une tendresse polymorphe, les rapports de pouvoir, « le coït a lieu dans le contexte d'un rapport de pouvoir qui est omniprésent », la vision des femmes et l'inclusion des hommes comme êtres humains…

Avoir le droit d'être là, « la liberté devait être l'autodétermination au sens strict, physique, concret, débutant par le contrôle absolu des organes sexuels », le coût humain de l'objectification, le viol et la prostitution, les résistances…

« L'aliénation de la liberté humaine est profonde et destructrice ; elle détruit ce que notre humanité a de créateur, ce qui nous pousse à vouloir trouver du sens au vécu, aussi pénible soit-il ; elle détruit en nous ce qui réclame la liberté, aussi ardu qu'il soit de l'atteindre »

« le plaisir pris dans la soumission ne change pas et ne peut changer le fait, le coût, l'indignité de l'infériorité »

La loi et les balises du coït, ce que l'Etat proscrit et prescrit, les lois imposant la sujétion sexuelle, une sujétion qui n'est en rien privé mais bien politique, la « naturalité » peu analysée du coït, « Les lois créent la nature – une nature masculine et une nature féminine et coït naturel – en dictant aux êtres égarés, non naturels, ce qu'ils doivent faire et ne pas faire pour protéger et exprimer leur vraie nature ; le vrai homme, la vraie femme, la vraie hiérarchie qu'a créée la nature ou Dieu plaçant l'homme au-dessus », la loi et le pénis, l'écologie de la domination masculine, « La domination masculine a en fait bénéficié du cachet d'être à la fois naturelle et divine », les crimes contre « nature », Marcel Proust, les frontières prohibée du corps des hommes, le cheptel charnel et le mariage comme appropriation juridique des femmes, la préservation de la paix entre hommes, le devoir conjugal – contrainte et obligation – un viol conjugal, la baise légale et la baise illégale, « le coït est domination politique : le pouvoir comme pouvoir ou le pouvoir comme plaisir »…

La dévalorisation profonde de la personne, la transformation d'« un rêve fracassé par l'insulte en cauchemar perpétuel », les expériences et les perceptions personnelles des femmes non reconnues comme « fondées sur un noyau de réalité », les mots sales pour chaque partie du corps féminins, la saleté et la mort, le sexe et la race, la haine sexualisée et les rituels d'humiliation du racisme, les viols sur une base raciale, la pollution de « la race supérieure », les camps de concentrations, l'infériorité enseignée, « L'infériorité nous est enseignée par des hommes érudits ; par des violeurs ; par des sadiques ; par des tortionnaires ; par des assassins. le motif central de cette pédagogie est la baise » (j'ajoute l'appropriation du travail gratuit des femmes), la capitulation de nombre d'écrivain·es, Graham Greene, Marguerite Duras, August Strindberg, Friedrich Nietzsche, Mario Vargas Llosa, Emile Zola, les psychanalystes, Sigmund Freud, Carl Gustav Jung, « La souillure des femmes est une présomption centrale de notre culture », la bite arrogante des mecs et le refus d'une analyse politique des façons dont le pénis est utilisé, les magazines féminins et les pratiques issues de la pornographie, l'inceste, les mutilations qui détruisent les capacités de réaction sexuelle, les « actes sadiques contre les corps des femmes sont tenus pour normaux »…

Si Andrea Dworkin n'euphémise pas la réalité, cela ne signifie cependant pas qu'elle exagère. Les éléments quotidiens de la vie sociale – ici la sexualité réellement pratiquée et socialement valorisée -, ne peuvent être sous-estimés, écartés, niés. Il convient, comme le fait l'autrice dans son admirable travail d'entrainer les lectrices et les lecteurs dans les profondeurs de la vie sociale, « aussi étrange, amère ou salissante que soit la plongée ».

Le titre de cette note est emprunté à Christine Delphy (préface au recueil de l'auteure, Souvenez-vous, résistez, ne cédez pas, précédemment publié chez les mêmes éditeurs/éditrices).
Comme nous le rappelle Andrea Dworkin : « La liberté n'est pas une abstraction, et en avoir un peu ne suffit pas »
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Ceci est un manifeste féministe radical écrit en 1986 sous le titre "Intercourse", traduit "Coït" et paru en France début 2019.
La thèse est la suivante : tout rapport sexuel étant pénétration et appropriation du corps de l'autre, est un rapport de domination. C'est incontournable, tout coït est une intrusion donc un viol, au moins symbolique. Il y a un mot pour cela : "la baise". Andrea Dworkin en use et en abuse. Il faut dire qu'il est tout-à-fait approprié à ce qu'elle veut exprimer.
Il s'ensuit que la femme est moins humaine, moins autonome, moins entière, moins libre, moins "tout" que l'homme.
Mais je ne suis pas bien parvenue à comprendre ce qui était cause et ce qui était conséquence dans l'affaire : le féminin est-il inférieur originellement et de ce fait exposé à la violence masculine ou la violence masculine s'exerce-t-elle comme une guerre constante en vue de la prise du pouvoir ? Ou les deux à la fois ?
Andrea Dworkin prend des exemples de cette appropriation du corps de l'autre dans la littérature à travers Tolstoï (la sonate à Kreutzer), Baldwin (la chambre de Giovanni), Dracula, Tennessee Williams (la chatte sur un toit brûlant), entre autres. Ce n'est pas mal argumenté, je l'ai sentie assez en phase avec Baldwin et Tennessee Williams. Sur le plan historique, elle a laissé une place de choix à Jeanne d'Arc à qui elle a consacré des pages émouvantes.
Elle évoque aussi la féministe américaine Victoria Woodhull (1838-1927) que je ne connaissais pas et qui, en plus d'être communiste, préconisait que la femme prenne l'initiative des relations sexuelles, non pour renverser les rôles, mais pour neutraliser cet envahissement de son corps. De telles opinions devaient être difficiles à porter dans l'Amérique puritaine, mais je me console par le constat que les idées de cette pionnière n'ont pas nui à sa longévité.
Malgré la radicalité de l'auteure, je n'ai pas appris grand-chose (je ne suis quand même plus une jeunette...) mais ma conclusion est mitigée.
Pour être simple, j'ai toujours pensé que les plus costauds pouvaient être tentés d'user de violences envers les moins costauds. Donc les hommes d'user de violences à l'égard des femmes. Les lois humaines atténuent cette inégalité physique (Occident), ou la valident, voire l'amplifient (Afrique notamment). Mais, pour autant, je n'avais jamais assimilé un rapport sexuel à une intrusion. Pourtant adolescente, j'étais étonnée par l'emploi d'expressions telles que "posséder une femme", ou "enfin elle sera à moi", extrêmement fréquentes dans la littérature classique (sans parler du langage oral). Avec le temps, j'ai fini par m'y faire, mais toujours avec une pointe d'agacement. Le choix des termes n'étant jamais anodin, il semble donc qu'il y ait du vrai dans la thèse de Dworkin : les hommes chercheraient bien à s'approprier le corps des femmes et en tireraient une jouissance, au moins narcissique. De là à dire qu'ils n'en tirent QUE cela, ce serait bien aventureux, et de toute façon soumis à une infinité de paramètres individuels et culturels. Ceci étant posé, que décidons-nous ? Par ailleurs, nous abstiendrons-nous totalement de penser que les femmes peuvent se montrer possessives à l'égard du corps des hommes ? Hum.
Pour ma part je vais être modeste : l'épopée humaine est une longue histoire. Donnons-nous les moyens d'être le moins malheureux possible durant notre courte vie, utilisons toutes les occasions de bonheur à notre portée, et ne renonçons pas à l'amour. Il a bien des défauts, mais tel qu'il est, il nous est indispensable.
Pour finir, la radicalité peut être un moyen de réflexion : on discerne mieux ce qu'on grossit et l'analyse en est plus facile. Mais en pratique, où peut-elle mener sinon à la privation d'oxygène ?
Commenter  J’apprécie          2021
La baise dans le viseur ! Ceci est une philosophie absolument homicide de la pénétration conventionnelle et son rôle dans l'assujettissement des femmes.
Un orgasme intellectuel pour moi qui n'ai jamais croisé d'auteur.e.s qui mettent mes premières pensées et réticences sexuelles en mots si justes...
Il mérite une chronique tentaculaire par chapitre et infiniment plus de visibilité que les 10 onzièmes des écrits récents pseudo-féministes et gentiment inutiles.
Ceci est un monument féministe. de ces féminismes américains radicaux comme on n'en croise pas ici et qui brisent vraiment les chaînes. C'est sans concession, objectif et pourtant si intimement décisif dans une vie...

Féminisme de fond et féminisme de forme. Dans son approche déjà, Dworkin inverse le rôle de maîtres et esclaves (et je choisis les termes de Wittig à dessein). C'est une reprise du pouvoir usurpé par les hommes. Une relecture analytique sexuelle où sont disséqués des écrits de mecs comme des souris de labo. Et j'avoue que ça m'a plu de voir Emma Bovary examinée avec son misogyne de créateur...

Le propos est dense, ironique, fourni et absolument sans appel au sujet du coït. Il pourrait heurter votre perception de vous-mêmes ... vous paraître trop dur ... ou vous mettre assez de colère dans les flancs pour rejeter le colon ...

On peut s'en défendre et se consoler en se disant que, à bien y regarder, dans le sexe consenti, c'est Vagin qui décide de tout : si Pénis entre ou pas. À moitié ou en entier. Que c'est Vagin qui l'aspire, le serre, l'enveloppe, l'étrangle, le vide, l'étouffe s'il essaie de sortir sans son accord et le rejette sans délai s'il n'en veut plus...
On peut aussi dire que c'est grâce ou à cause de Vagin que Pénis retombe flasque, faible, petit, triste, vide, mort et insignifiant. Que Pénis capitule mais que Vagin, lui, n'a perdu ni ses muscles ni ses pouvoirs d'absorption, de contraction, voire de possession...
Si le coït doit être vu ainsi, comme une guerre (bien que je déteste opposer les sexes), alors on peut demander : Qui a tué qui là ? Qui domine qui là ? Et déduire l'inverse du patriarcat, mais seulement en théorie ...
Car dans les faits, si les femmes vivaient le coït ainsi, si le sexe était toujours consenti, le monde serait incomparable, tout autre...
Et alors cet essai ne serait pas si important...

Côté perso, je coche cette perle comme doudou. La plupart des gens s'identifient à des personnages, moi je me suis identifié.e à cette philosophie, reconnu.e là-dedans et construit.e dessus depuis toujours sans l'avoir jamais verbalisée. Cette position prend tout son sens dans le chapitre 6 au sujet de Jeanne d'Arc. le plus remuant pour moi. J'ai épuisé mon stabilo dessus à force de surligner ... jusqu'à ne plus voir les lignes, comme si je frottais la croûte de mes sequelles de résistance. Comme si elle parlait de moi.
Cet essai ne m'a donc choqué.e (avis dominant). Il m'a conforté.e dans mes positions. J'évite toujours ce qui me répète ce que je sais ou pratique déjà, mais là, ça m'a fait du bien. C'était bon de reconnaître à mes tripes qu'elles ont eu raison avant ma tête. Que leur désir et répugnance hurlaient déjà ce que mon esprit cherchait dans la raison. Un essai-réconfort, oui. Un doudou rétrospectif. Dworkin m'a dit les mots de mon intériorité de l'époque où je n'avais pas les termes ou pas le ton pour les nommer. Et nommer est vital pour moi. C'est toujours ma première étape vers toute solution.
Sans surprise : Dworkin rejoint mes Mères de lettres du genre. Une parenté intellectuelle reconnue tardivement néanmoins, comme une partie de soi perdue avant la mémoire consciente et retrouvée adulte.

Mon non-rapport au phallus fait évidemment résonner différemment cet essai pour moi. Son écho est dans ces coïts esquivés, dans toutes ces petites morts que j'ai bravé à corps défendant. Ce n'est que ma grille de lecture à moi, minoritaire à bien des égards.
Lisez la vôtre, surtout si vous êtes comme ces majorités de femmes du rapport Hite : le coït n'est jamais là où est votre plaisir. Je ne parle même pas de s'il est là où est votre malheur... Dworkin le fait mieux que moi.
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Une oeuvre dense, puissante, difficile à chroniquer.
Dworkin étudie de grands auteurs de différentes périodes et nationalités (Tolstoï, Kobo Abe, Tennesse Williams, Flaubert, Baldwin...), et montre à travers leurs oeuvres que le coït est un rapport de domination des hommes sur les femmes. Les hommes sont socialisés pour exploiter, s'approprier les autres. L'autrice dissèque l'écriture et la vie de grands auteurs en s'effaçant derrière les textes, et en faisant ressortir son analyse seulement par moment.
Le coït est étudié très sérieusement dans cet essai glaçant. Son exégèse est fouillée, elle révèle la réalité crue du sexe, vecteur d'exploitation. Pour elle le viol, la pornographie et la prostitution visent le même but : la domination. On retrouve ici le militantisme abolitionniste de Dworkin.
Elle attaque nos représentations, dans lesquelles la possession est présentée comme érotique, et aménagée dans l'intimité, la romance, le mariage... Les femmes, pour ressentir l'estime d'elles-mêmes, cherchent l'approbation de ceux qui ont le pouvoir (les hommes). Leur approbation, leur intérêt, s'expriment par le désir sexuel. Cette analyse implacable n'offre pas vraiment d'issue.
Elle écrit un beau chapitre sur Jeanne D'Arc, pucelle rejetant le statut de femme dominée, choisissant d'être un soldat comme les hommes car la liberté était dans leur camp. "Après son évasion héroïque du statut féminin, elle fut féminisée à 2 reprises : par le viol et par le bûcher." (P. 123)
J'ai adoré son analyse très fine de la fausse prise de liberté d'Emma Bovary, qui échoue à s'émanciper.
Pour Dworkin le coït est une base de l'inégalité sociale et sexuelle des femmes.
La séparation privé/public couvre souvent les violences conjugales.
Les relations homosexuelles ne sont pas vraiment abordées, c'est surtout de coït hétéro dont il est question. le chapitre sur Baldwin est par contre le seul qui laisse entrevoir le sexe comme rapport possible d'empathie, de reconnaissance, mais trop souvent dévoyé.
Le féminisme radical de Dworkin, sa prose directe comme un coup de poing, et sa finesse d'analyse des oeuvres littéraires, font de cet essai quelque chose d'unique.
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Un peu la manière de Kate Millett avec son chef d'oeuvre et best seller La Politique de mâle, Coïts propose une analyse des rapports entre les sexes dans l'acte sexuel lui-même, via la littérature ; des auteurs hommes qui ont écrit sur leur rapports avec les femmes : Tolstoï, Kobo Abe, James Baldwin, Isaac Bashevis Singer, Flaubert, le talmudiste Moïse Maïmonide, pour n'en citer que quelques-uns. Merci aux québécoises de nous proposer cette traduction par Martin Dufresne.
Lien : http://hypathie.blogspot.com..
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Les femmes demeurent moins importantes, ont moins d’intimité, moins d’intégrité, moins d’autodétermination. Cela veut dire que les femmes ont moins de liberté. La liberté n’est pas une abstraction, et en avoir un peu ne suffit pas. En avoir un peu plus ne suffit pas non plus. Appauvries en liberté et en droits, les femmes, en ayant moins, en étant moins, ont donc inévitablement moins d’amour-propre : moins qu’en ont les hommes et moins que ce dont a besoin n’importe quel être humain pour vivre avec bravoure et franchise. Le coït comme domination s’arrime à cette terrible absence d’amour-propre. Il grandit pour remplir ce quasi-vide. Les utilisations faites aujourd’hui des femmes dans le coït – pas les agressions, si tant est qu’on puisse les en départager – sont absolument imprégnées de la réalité du pouvoir masculin sur les femmes. Nous sommes plus pauvres que les hommes en argent, alors nous devons troquer du sexe ou leur vendre explicitement (ce qui est leur raison de nous maintenir plus pauvres en argent). Nous sommes plus pauvres que les hommes en bien-être psychologique, parce que pour nous l’estime de soi dépend de l’approbation – fréquemment exprimée par le désir sexuel – de ceux qui ont et exercent le pouvoir sur nous. Le pouvoir masculin peut être arrogant ou élégant ; il peut être grossier ou raffiné ; mais nous existons en tant que personnes dans la mesure où les hommes qui ont le pouvoir nous reconnaissent. Lorsqu’ils ont besoin de quelque service ou veulent éprouver quelque sensation, ils nous accordent une certaine reconnaissance, une mince rognure de conscience ; et quand c’est terminé, nous retournons à l’ignominie, au statut d’anonyme, générique de femme. (…) Distinguer l’acte du coït de la réalité sociale du pouvoir masculin n’est pas évident, surtout parce que c’est le pouvoir masculin qui construit aussi bien le sens que la pratique du coït comme tel. De toute évidence, les réformes ne rendent pas l’infériorité civile des femmes moins permanente. Est-ce à dire que le coït est lui-même une base ou une clé de l’inégalité sociale et sexuelle persistante des femmes ? Il se peut que le coït ne cause pas l’orgasme des femmes ou qu’il ait même peu de corrélation avec lui – en fait, le coït et l’orgasme se trouvent rarement au même endroit en même temps – mais comme des jumeaux siamois, le coït et l‘inégalité des femmes sont toujours au même endroit au même moment à pisser dans le même pot. (p. 145-146)
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La vérité est plus difficile à supporter que l'ignorance, et donc l'ignorance est plus valorisée, entre autres parce que le statu quo en dépend.
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Dans un univers social injuste et frustrant où existent des possibilités morales d’estime de soi et d’empathie, si menacées soient-elles, la baise est l’événement universel, le point de connexion, où l’amour est possible si la connaissance de soi est réelle ; c’est aussi là où le prix payé, tant pour l’ignorance que pour la vérité, est dévastateur, et où aucun mensonge ne réduit ou ne maquille la dévastation. Dans les romans de Baldwin, la baise est aussi un pont menant de l’ignorance à la vérité, aux vérités les plus éprouvantes au sujet de qui l’on est et pourquoi. Et le projet d’accéder à l’identité personnelle en franchissant ce point élevé, vermoulu et vacillant, avec ce qu’il faut comme degré ou qualité de crainte ou de courage, est l’épreuve qui rend possible l’empathie ; pas une causse sympathie de complaisance abstraite, une condescendance progressiste ; mais une façon de voir les autres sans fard, en constatant ce que leur vie leur a coûté. Baiser met en jeu nos tripes ; et l’intimité fragile et exceptionnelle où l’on donne son maximum rend la communion possible, à portée humaine – non de façon transcendante et extraterrestre, mais sous forme de vécu incarné dans l’amour. (p. 69)
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Pour moi, la recherche de la vérité et du changement par les mots constitue le sens même de l’écriture ; la prose, la réflexion, l’itinéraire sont sensuels et exigeants. J’ai toujours aimé l’écriture qui nous entraîne en profondeur, aussi étrange, amère ou salissante que soit la plongée. En tant qu’écrivaine, j’aime l’expérience de ressentir, de me souvenir, d’apprendre, d’interroger, de vouloir savoir et voir et dire. Intercourse est quête et assertion, passion et furie ; et sa forme mérite, tout autant que son contenu, l’attention critique et le respect. (introduction, p. 15)
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Il est difficile de demeurer ignorer à son sujet durant toute une vie d’expériences inévitables ; cela exige que l’on refuse de savoir quoi que ce soit à propos du monde autour de soi, particulièrement qui y meurt et pourquoi et quand et comment. Les Blancs surtout ne veulent pas le savoir et n’ont pas à le savoir pour survivre ; mais s’ils veulent savoir, ils doivent le découvrir ; et pour lr découvrir, ils doivent être prêts à payer le prix du savoir, soit la douleur et la responsabilité de la connaissance de soi. Les Noirs ne peuvent pas refuser de savoir, car leur survie exige de capter tout indice des intentions des Blancs et du pourvoir des Blancs. Mais savoir sans le pouvoir de mettre son savoir à profit dans le monde avec un tant soit peu de dignité et d’honneur est une malédiction plutôt qu’un cadeau – le fardeau d’une conscience dénuée de moyens d’action pour nous aider à la supporter. (p. 67-68)
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Vidéo de Andrea Dworkin
Dans le webinaire trimestriel de notre revue Prostitution et Société, Harmony Devillard nous parle du premier livre de la féministe radicale états-unienne Andrea Dworkin : Woman Hating, de la misogynie. Harmony a co-traduit avec Camille Chaplain cet ouvrage magistral écrit en 1974. Où l'on apprend qu'en ce qui concerne les femmes, contes de fées et pornographie racontent la même histoire : une femme bonne, c'est une femme morte...
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Pas de sciences sans savoir (quiz complètement loufoque)

Présent - 1ère personne du pluriel :

Nous savons.
Nous savonnons (surtout à Marseille).

10 questions
411 lecteurs ont répondu
Thèmes : science , savoir , conjugaison , humourCréer un quiz sur ce livre

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