Correspondance, tome 2

Le maire de Fontenay est mort il y a quelques mois. Très croyant, comme toute sa famille, qui est nombreuse. Comme je demandais à une voisine comment la veuve et ses enfants supportaient cette perte : « Mais très bien, très bien. Ils savent qu'il est « là-haut » qui les attend. » La mère de la veuve, fort âgée, très malade, est morte le lendemain, sans qu'on lui ait dit la mort de son gendre. La veuve dit à la même voisine: "C'est maman qui a dû être surprise en arrivant au Ciel d'y trouver mon mari." C'est une bouffonnerie sans bornes. Et pourtant, d'une part, comment ne pas se rendre compte de la solidité, de la tranquillité que cela donne aux gens. Moi j'ai horreur de la mort. J'en ai l'appréhension. Comment? avoir vécu, avoir joui de tant de choses, et un jour, plus rien, pour jamais! Cela me révolte. Je trouve la plaisanterie mauvaise. Ces gens , pas du tout: ils sont sûrs que cela va recommencer ailleurs. Il faut bien le reconnaître: l'illusion est peut-être plus une condition du bonheur que la vérité. Illusion qu'on a du talent, illusion qu'on est arrivé, etc.,etc., illusion sur toute la ligne. Cela ne vaut-il pas mieux que d'être né, comme moi, et d'avoir vécu, avec un désenchantement de tout et d'avoir toujours trouvé dans tout une "paille" qui me démolissait?
Voilà des questions bien sérieuses — ou bien frivoles — selon le point de vue qu'on a.

Il y a aussi ceci, de Remy de Gourmont, dans quoi on peut trouver une expression de la désillusion humaine, et qui est peut être le plus beau de tout:
Les jets d'eau que je regarde retombent toujours.