Je sais que je radote souvent à ce sujet mais bien des auteurs étrangers - anglais ou irlandais notamment - sont bien trop méconnus chez nous.
Joseph Sheridan le Fanu fait partie de ces oubliés, lui qui fut pourtant un auteur prolifique au talent incroyable qui a notamment inspiré le plus célèbre
Bram Stoker pour son
Dracula. Vous comprendrez donc facilement que j'ai été ravie de pouvoir recevoir ce recueil qui regroupe six oeuvres de le Fanu, un roman et cinq nouvelles. Il faut que je vous avoue que je n'ai
pas lu les quelques neuf cent pages que contient ce livre mais à peu près six cent seulement, c'est-à-dire
l'Oncle Silas, La Chambre de l'auberge du Dragon Volant et
Carmilla. Ne voulant
pas faire une overdose j'ai préféré me contenter de ce qui me faisait le plus envie et de laisser le reste pour plus tard. Heureusement, ce que j'ai à en dire suffira largement à écrire cet article et peut-être à vous laisser tenter par cet irlandais à l'imagination fertile.
Commençons avec ce qui fut mon dernier coup de coeur en date,
l'Oncle Silas.
L'Oncle Silas nous conte l'histoire de Maud Ruthyn, une jeune héritière élevée seule par un père silencieux et mystérieux. A la mort de celui-ci, elle se retrouve sous la tutelle de son oncle Silas, un vieil homme mis au ban de la société il y a longtemps à cause d'une histoire de meurtre assez suspecte. Silas est pauvre, vit dans une énorme bâtisse proche de la ruine louée pour presque rien par son frère. Il a deux enfants, Dudley et Milly, deux ignorants vulgaires aux caractères totalement opposés qui seront, pour Maud, un cauchemar et un grand réconfort. L'un des exécuteurs testamentaires de Mr Ruthyn - le docteur Bryerly - ainsi que sa cousine - lady Knollys - seront assez effrayés par cette nouvelle fille qui s'offre à la jeune fille, craignant même pour sa vie..
Je n'en dirai
pas plus car tout est plus savoureux quand on est surpris.. Sachez juste que la plupart du roman se situe en huit clos dans une vieille maison sombre, qu'il y a des serviteurs étranges et effrayants ainsi qu'une gouvernante qui fait froid dans le dos. Des histoires de rencontres suspectes dans des cimetières, un vieux meurtre non résolu et surtout..
L'oncle Silas qui, à lui seul, vaut le coup de se lancer dans ce récit incroyable. J'ai tout aimé, du début jusqu'à la fin. Dès les premiers mots j'ai complètement été happée dans cette intrigue noire et presque glauque. Des évènements tous plus bizarres les uns que les autres se déroulent sous nos yeux, des indices sont jetés par-ci par-là sans qu'on en comprenne réellement le but ou la finalité. Puis, une fois arrivée au dénouement.. Je n'ai
pas été surprise. Je ne me suis
pas retrouvée sur les fesses, je n'ai
pas été choquée, rien de tout cela car ce n'est
pas là le but du roman et surtout
pas sa grande force! Tout est dans l'histoire en elle-même, une histoire
passionnante qui vous prend au ventre et ne vous lâche plus. J'étais tellement dedans que j'y pensais pendant la journée et que je n'avais qu'une envie: retourner retrouver cette délicieuse et naïve petite Maud, retrouver Pré de Bartram et y rester et ce malgré cette ambiance sordide à souhait. Tout est constamment tendu, on ne peut s'empêcher d'être sur les nerfs et de se méfier de tout le monde. Je ne dirais
pas que ce roman est gothique, c'est plutôt un thriller, un thriller au suspense énorme qui pousse à tourner les pages encore et encore, de plus en plus vite. On se met à chercher le moindre petit détail qui pourrait nous aider à apprendre la vérité et surtout.. on finit par retenir notre respiration car tant de suspense est intolérable.
Que dire de plus? Allez, je préfère vous parler des deux autres récits dont il est question aujourd'hui, je ferai le point plus loin sur l'écriture générale de le Fanu.
Dans La Chambre de l'auberge du Dragon Volant, Richard
Beckett - un jeune anglais en voyage à Paris peu après la défaite de Napoléon - fait la connaissance d'une jeune femme lors d'un accident sur une route au milieu de nulle part. Celle-ci semble être mariée avec l'homme qui l'accompagne, un vieux monsieur au comportement assez lunatique. Leurs chemins se recroisent sans cesse et plus les jours
passent et plus il se meurt d'amour pour elle..
J'aimerais en dire plus, encore une fois, mais.. non. Je continuerais simplement à nouveau avec des ingrédients alléchants: un mari jaloux, un espion mystérieux, des disparitions inexpliquées.. Ca ne donne
pas envie ça? Encore une histoire avec laquelle j'ai
passé un excellent moment à suivre un pauvre personnage qui ne comprend absolument rien à ce qui se
passe autour de lui. Il traîne toujours cette aura de mystères et d'évènements inexpliqués qu'on ne comprend absolument
pas sur le moment, le tout dans une ambiance sombre, à un tel point qu'on finit par avoir peur de notre ombre.
Passons à la dernière nouvelle,
Carmilla, la plus connue sans doute de le Fanu, celle qui a inspiré
Bram Stoker pour son grand
Dracula. Comme vous pouvez donc vous en doutez, il est question de vampires..
Laura est une jeune femme élevée seule par son père dans un énorme château médiéval en Styrie. Après un accident bizarre dans leur propriété, ils accueillent chez eux
Carmilla, une jeune noble qui refuse de dévoiler sa véritable identité. Celle-ci a des habitudes et une attitude étrange, surtout envers Laura qu'elle inonde d'un amour malsain et étouffant. Dans les villages alentour les morts inexpliquées de plusieurs jeunes femmes commence à effrayer la population. Laura, elle, se sent de plus en plus faible. de plus, ses sentiments à propos de
Carmilla sont très contradictoires: elle aime sa présence et sa gentillesse et parfois.. elle la déteste. Mais qui est vraiment
Carmilla?
Pendant mon adolescence, lors d'une sombre période où j'étais fan de vampires, j'ai lu
Carmilla.. et je l'avais déjà apprécié. La redécouvrir sous un oeil plus adulte m'a permis de ne l'aimer que d'avantage. Cette nouvelle-ci pourrait rendre le lecteur nerveux car lui, au contraire de Laura, devine très rapidement qui est cette étrange créature et ce qu'elle fait ou prévoit de faire. J'ai eu mille fois envie de secouer notre héroïne bien trop naïve et trop gentille.
Carmilla est un personnage qu'on déteste dès le début par son apparente perfection qui sonne faux et ensuite, on ne peut qu'être saoulé par son amour saphique débordant dont on comprend la vraie nature très rapidement. Leur relation est pleine d'une sensualité trouble et de rapprochements équivoques mais également de fureur et de colère, souvent refoulées et cachées ce qui ne rend l'atmosphère que plus lourde et macabre.
Carmilla est, en bref, un petit chef d'oeuvre de la littérature fantastique qu'il faut vraiment lire si on est un minimum curieux.
Et maintenant parlons un peu de
Joseph Sheridan le Fanu ou plutôt de son écriture. Après six cent pages, je dois dire que je suis complètement sous le charme. Malgré une grande précision dans les descriptions - détail indispensable pour immerger le lecteur dans ces endroits effrayants - je n'ai
pas trouvé le récit lourd un seul instant. J'ai trouvé que, malgré ses phrases à rallonge, tout est d'une fluidité assez étonnante. Ca se lit vite, ça se lit bien et c'est juste.. Parfait.
Le Fanu a véritable un don pour manier les mots de manière à les rendre poétiques sans en faire trop. Il arrive, en quelques lignes, à vous mettre dans un état de stress intense ou à vous donner des frissons devant un personnage au comportement équivoque.
Et je n'ai qu'un seul conseil: plongez-vous aussi dans ses oeuvres, vraiment! Je sais que c'est un genre qui peut faire peur, on a souvent l'impression qu'on va se retrouver avec un pavé qui semble ne jamais finir mais parfois on a de bonnes surprises.. Et je pense que
Le Fanu pourrait en être une pour bien d'autres lecteurs que moi.
Lien :
http://mamantitou.blogspot.b..