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EAN : 9791030705157
224 pages
Au Diable Vauvert (25/08/2022)
3.45/5   89 notes
Résumé :
Diego Lambert n’a plus le choix. Il doit licencier quinze salariés de l’usine de son père s’il ne veut pas finir sur la paille. Mais rien ne va se dérouler comme prévu, jusqu’à l’irréparable.

Dans cette fiction d’une ironie féroce et d’une beauté nouvelle, Nicolas Rey invente le crime parfait !
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
3,45

sur 89 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 26 °°°

« Ma profession ? Interdit bancaire jusqu'à la gueule avec des kilos de dettes et d'impayés. Je suis mort. Je peux juste régler mon café. Je peux juste regarder les pauvres gens qui s'enfoncent en forniquant histoire de pondre une poussette supplémentaire. Je peux juste penser à tous ceux qui tiennent le coup grâce au jardinage, à leur fox-terrier, au golf, au self du midi, à l'acupuncture, à leur résidence secondaire, à leur rêve de vivre à Dubaï, à la prière, à leur diététique, à leur copine Jennifer, à Ibiza, à Roland-Garros et au Bistro Romain de ce soir. »

Dès la première page, on comprend que le narrateur fait partie de ces losers magnifiques à la fois agaçants et attachants qui manie l'autodérision. Diego lambert, totalement immature malgré ses 49 ans, alcoolique et cocaïnomane, n'a plus une thune et après avoir sucé jusqu'à l'os ses grands-parents et sa petite-soeur, il n'a plus le choix, il va falloir affronter son père, gros patron richissime à la tête d'une multinationale côté en Bourse.

Et ça démarre de façon plutôt réjouissante quand l'énergumène accepte la proposition de son père : 50.000 balles en échange d'un job, remplacer la DRH d'une de ses entreprises pour virer 15 salariés. Evidemment, Diego n'est absolument pas fait pour endosser le rôle de l'affreux capitaliste liquidateur.

Si rien n'est crédible dans l'enchaînements de faits, on se dit que Nicolas Rey a écrit une farce satirique qui dézingue le monde de l'entreprise sans foi ni loi ... alors pourquoi pas, d'autant qu'on se marre à voir Diego mener ses entretiens de licenciement et se mettre du côté des salariés rien que pour régler ses comptes oedipiens avec son père, salaud caricaturalement malfaisant et manipulateur.

Malheureusement, je n'ai pas accroché avec la suite de récit-pochade. Ni avec l'arc narratif autour de sa relation avec sa psychologue dont il est amoureux et qu'il cherche maladroitement à conquérir. Ni avec l'enquête policière lorsqu'un mort survient. J'ai fini par m'ennuyer en compagnie de ce personnage alors que les promesses de son nihilisme joyeux et de son panache foutraque m'avaient bien plu au départ.

Bref, un livre vite lu aussitôt oublié, empreinte littéraire trop fugace.
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L'exécuteur des basses oeuvres se rebiffe

Nicolas Rey se frotte à la grande entreprise et cela fait des étincelles! Son narrateur, chargé par son père de licencier un groupe d'employés, ne va pas endosser le costume du liquidateur. Un revirement qui nous vaut un petit bijou, humour compris.

Quel bonheur de lecture! Et quelle virtuosité. Arriver à faire d'un malheureux sans le sou amoureux de son analyste et chargé par son père de licencier une quinzaine de personnes un roman drôle, l'histoire d'un amour éperdu et une fable optimiste sur fond de misère économique, ce n'était pas gagné d'avance! Pourtant Nicolas Rey a relevé le défi haut la main.
Quand s'ouvre le roman, c'est le ciel qui tombe sur la tête de Diego Lambert. le bilan qu'il dresse de sa situation est loin de faire envie. À la manière de François Hollande face à Sarkozy, il use de l'anaphore pour appuyer là où ça fait mal: "Moi, Diego Lambert, quarante-neuf ans, vieil adolescent attardé avec deux prothèses de hanche en céramique, sponsorisé autant que massacré par son père. Moi, Diego Lambert, alcoolique et ancien cocaïnomane sans chéquier et sans permis de conduire. Moi, Diego Lambert, interdit bancaire et incapable d'offrir un week-end au bord de la mer à l'éventuelle femme de sa vie les soirs où elle aurait trop peur de mourir." L'ultime solution, qu'il se refusait à envisager jusque-là parce qu'il avait été trop maltraité par son géniteur, consiste à quémander 50000 € à son père, PDG d'une grosse entreprise qui fait commerce de céréales.
Ce dernier lui propose alors un marché. Il remplacera provisoirement sa DRH et devra procéder rapidement à une série de licenciements. Un dégraissage qui satisfera les actionnaires et fera grimper le cours en bourse.
Diego est bien contraint d'accepter et va faire défiler les victimes désignées dans son bureau. Mais Diego est libre dans sa tête et se range du côté des victimes d'une société qui se porte fort bien. Il va imaginer une solution qui plaira aux actionnaires sans pour autant procéder à des licenciements.
Pour son père, cette solution est acceptable, mais ne correspond pas au contrat passé. Aussi refuse-t-il à son fils de lui remettre la somme convenue. de quoi attiser la colère de Diego.
Car il entendait couvrir de cadeaux Anne Bellay, sa psy dont il est éperdument amoureux et à laquelle il a remis les 64 lettres écrites après chacune de leurs séances en guise d'adieu. Car il s'est bien rendu compte qu'il n'avait aucune chance qu'elle partage sa passion.
Sauf qu'après la lecture de ces missives, elle accepte finalement de le revoir. Tout espoir n'est donc pas perdu.
Avec maestria, Nicolas Rey va nous offrir un feu d'artifice final qu'il serait dommage de dévoiler ici. Soulignons plutôt combien cette excursion amorale dans l'univers de la grande entreprise est tout sauf politiquement correcte. En courts chapitres qu'une écriture nerveuse fait passer presque trop vite, on navigue entre le roman noir, la bluette romantique et, comme dit l'éditeur, la «farce oedipienne». Sans oublier la critique acerbe de ce patronat qui garde les yeux rivés sur le cours de bourse au détriment de ses employés. Sans avoir l'air d'y toucher – avec désinvolture et un humour froid – Nicolas Rey nous appelle à la vigilance et nous rappelle qu'à coeur vaillant rien n'est impossible, quitte à tricher un peu!


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Il y a des auteurs qui écrivent des livres ; et ceux qui écrivent une oeuvre.

Une oeuvre, pas forcément un chef d'oeuvre. Une oeuvre qu'on aime ou qu'on n'aime pas, là n'est pas la question. Mais un ensemble itératif qui finit par faire sens, où chaque livre ne peut se lire que resitué dans la perspective de ceux qui le précèdent. Et - espérons - de ceux qui le suivront.

Nicolas Rey est de ceux-là, avec ses addicts (dont ma pomme) qui prennent chacune de ses nouveautés comme une nouvelle saison de la série qu'il décline depuis près de 20 ans ; et avec ses détracteurs, jugeant – à raison – la production de l'impétrant inégale, ou se faisant – à tort – une idée définitive sur le bonhomme à l'issue d'un seul livre.

Cela étant dit, il est comment le nouveau Nicolas Rey ?

Différent, reposant, un peu fouillis aussi. Délaissant un moment Gabriel Salin, son double littéraire et l'autofiction à peine déguisée, Rey met en scène dans Crédit illimité, Diego Lambert, fils d'un richissime P-DG de coopérative agricole.

Sans emploi, endetté et obligé d'aller taper son père, il est mis au défi par celui-ci d'endosser le rôle vacant de DRH et de mettre en oeuvre le plan social de la coopérative en allant virer plus miséreux que lui. Voilà pour le pitch, pour la suite, lisez le livre !

Parfois Nicolas écrit sa vie ; ici Nicolas écrit le monde et en l'occurrence, sa vision volontairement naïve et un brin désordonnée du combat du Bien contre le capitalisme, qui se la raconte un peu trop facilement. Avec au passage, une ode au père en mode Je t'aime, moi non plus. Bon, il écrit un peu sa vie aussi…

Car Diego conserve de Rey cet irrémédiable amour de l'amour, cette passion pour le sentiment amoureux sans cesse renouvelée et déclinée dans toutes les positions, des plus idéalistes aux plus charnelles (même si cette fois, il ne lâche pas les chevaux).

Reste donc un livre un peu confus mais apaisé par rapport aux précédents, où Rey confirme – s'il en était besoin – sa maîtrise du dialogue qui fait mouche et son art de dégainer au détour d'un paragraphe anodin, la phrase qui scotche et vous emporte le coeur. Comme toujours dans ses livres.

Une oeuvre je vous dis…
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Ce roman noir compte 224 pages et pourtant, vous ne les verrez pas passer. Il s'agit d'une critique du monde entrepreneurial capitaliste qui pique tant elle est semble factuelle et vorace.

Diego Lambert est un anti-héros comme je les aime : 49 ans, et pourtant bien loin d'être mature, aimant l'alcool et la drogue mais surtout désargenté. Son père lui offre un deal simple : il recevra les 50.000 euros qu'il a besoin s'il endosse le costume de DRH pour licencier quinze salariés de l'une des boîtes familiales (en l'occurrence une coopérative agricole) située dans le Nord de la France. Bien entendu, tout ne va pas se passer si facilement….

La façon dont l'auteur a de critiquer le monde du travail est parfois déjantée mais en même temps, criant de vérité. le lecteur ne peut s'empêcher d'avoir le sourire aux lèvres par la présence d'un florilège de personnages, certains attachants, d'autres par contre, de parfaites têtes à claques.

Si vous n'adhérez pas à l'humour noir ou au cynisme, passez votre chemin alors car la plume de Nicolas Rey en regorge et son anti-héros pratique l'auto-dérision avec brio. Parfois, le récit est un peu confus mais le côté totalement décalé m'a tenue sous le charme. J'en redemande!
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Diego Lambert est totalement ruiné. Il va voir son père qui possède une entreprise multinationale car il a besoin de cinquante mille euros. Celui-ci va accepter de lui donner mais à une condition : remplacer Béatrice la DRH dans son entreprise de désherbant parce qu'elle est en arrêt pendant un mois. Il faut qu'il licencie 15 personnes. L'objectif lui semble être dans ses cordes. Il devait y avoir quelque chose d'autre…

Quand on veut faire quelque chose de décalé, il faut y aller à fond ou ne rien faire. Pour moi il n'a pas été assez loin dans son idée pour que ce roman soit un coup de coeur. C'est un livre qui se lit très bien, qui est entre un polar et un roman qui dénonce les excès de la société, du monde du travail.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Je me suis retrouvé seul sur ma chaise, Et là tout s'est effondré. Qui j'étais? Moi, Diego Lambert, quarante-neuf ans, vieil adolescent attardé avec deux prothèses de hanche en céramique, sponsorisé autant que massacré par son père. Moi, Diego Lambert, alcoolique et ancien cocaïnomane sans chéquier et sans permis de conduire. Moi, Diego Lambert, interdit bancaire et incapable d'offrir un week-end au bord de la mer à l’éventuelle femme de sa vie les soirs où elle aurait trop peur de mourir. Qui suis-je? Moi, Diego Lambert, face à une femme sublime, mariée, sûrement heureuse en ménage, mère de famille au métier épanouissant ?
On a beau dire que l'amour est un enfant de bohème qui ne connaît jamais de loi, mes chances de réussir une vie de bohème avec Anne Bellay étaient tout de même assez faibles, pour être franc juste quelques secondes. p. 68
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(Les premières pages du livre)
1
À l’heure où je vous parle, je me trouve sur une terrasse en face de la gare de Lyon. Ma profession ? Interdit bancaire jusqu’à la gueule avec des kilos de dettes et d’impôts impayés. Je suis mort. Je peux juste régler mon café. Je peux juste regarder les pauvres gens qui s’enfoncent en forniquant histoire de pondre une poussette supplémentaire. Je peux juste penser à tous ceux qui tiennent le coup grâce au jardinage, à leur fox-terrier, au golf, au self du midi, à l’acuponcture, à leur résidence secondaire, à leur rêve d’aller vivre à Dubaï, à la prière, à la diététique, à leur copine Jennifer, à Ibiza, à Roland-Garros et au Bistro Romain de ce soir.

Il faut tenir, les doigts crispés sur son surf, sur ses actions, sur la danse brésilienne, sur l’hypnose ou sur la petite dynamique de groupe. Moi, je ne tiens plus. Je vais me lever et je vais prendre un taxi que je ne peux pas payer. Arrivé devant chez moi, je tends ma carte Black au chauffeur. Je fais le code. Je connais déjà la suite :

« Paiement refusé, il me dit.
— Je suis au courant, je rétorque.
— Vous avez un distributeur en face, si vous voulez.
— Ça ne changera rien. Je suis fauché, monsieur.
— Pourquoi vous ne me l’avez pas dit avant ?
— Parce que vous ne m’auriez jamais pris, avant.
— Et le métro, vous connaissez ?
— Je ne suis pas encore assez au point pour prendre le métro.
— Alors, on fait quoi, maintenant, connard ?
— Je veux bien laver votre berline si vous voulez.
— …
— Je monte chez moi. Je prends un seau, du liquide vaisselle, une éponge et j’y vais. Je suis dur à la tâche vous savez.
— Y a pas un proche qui pourrait vous dépanner ?
— Je n’ai plus de proches.
— C’est-à-dire ?
— C’est-à-dire que je n’ai plus que des lointains.
— Tirez-vous. »

De retour dans mon loft, je n’ai pas ouvert mon courrier. J’ai juste compté les enveloppes des impôts d’un côté et celles de la banque de l’autre côté. Je ne savais pas trop ce que cela signifiait mais la Société Générale l’emportait largement.

2
Reprenons. Je m’appelle Diego Lambert et je suis totalement ruiné. La banque va mettre en vente mon appartement, je suis poursuivi par les impôts, fiché à la Banque de France, je suis incapable de vous dire par quel miracle mon téléphone portable continue encore de fonctionner et, pire que tout, mon abonnement à la chaîne OCS a été résilié.

On ne devient pas pauvre en une seule prise. On savoure avant. On commence par compter ses sous. Et c’est déjà trop tard. On descend les marches les unes après les autres. Ensuite, on dégringole.

D’abord, il y a l’ultime crédit que l’on vous refuse. Arrivent les temps difficiles de l’aveu à ses proches. Et puis, on se retourne vers sa garde rapprochée, à savoir ses grands-parents.

C’est peu dire que je les ai sucés jusqu’à l’os, ces deux-là. Mon grand-père a vendu sa Golf neuve et m’a filé la recette en billets de cinq cents. Ma grand-mère a cédé tous ses bijoux Cartier : « De toute façon, je n’ai jamais aimé tes cousins, ils ont réussi trop facilement », m’a-t-elle confié un soir avec un triste sourire. J’ai tenu six mois avec ce petit pactole fortement convenable.

Ensuite, j’ai taxé ma petite sœur chérie, laquelle, n’ayant pas un sou, a emprunté la carte bleue de son mari en tâchant de ne pas dépasser le plafond autorisé. Elle s’est fait pincer au bout de quinze jours.

Son mari lui a dit que l’existence était une chose assez simple, en fait, qu’elle devait juste choisir entre lui ou moi. Enchaînant les inséminations artificielles dans l’espoir d’un enfant, elle a opté pour son mari. Difficile de lui en vouloir de manière acharnée sur ce coup-là. Ma mère, avec sa retraite d’enseignante à deux mille euros brut par mois, ne m’intéressait pas.

Non, à présent, c’était une fois de plus l’heure du grand combat, de l’affrontement terrible, du carnage évident : mon père et moi. Dans quel état allais-je finir cette fois-ci ? À genoux, allongé dans la poussière, bavant des caillots de sang à ses pieds ? Mon père : un maître en manipulation, en chantage affectif, en violence, en hurlement, en racisme, en népotisme, en perversité. Mon père règne sans partage sur notre territoire familial en règle générale et sur le Mal en particulier. Il a même réussi à faire en sorte que ses proches le plaignent alors qu’il a semé le malheur et la profonde tristesse dans le cœur des siens et qu’il possède toujours deux tours d’avance sur la vie de chacun d’entre nous.

3
Un matin, je me suis enfilé un Xanax et vingt minutes plus tard, je me suis rasé sans me couper. Puis, pour la première fois de mon existence, j’ai réussi à prendre le métro. Je suis arrivé au siège de l’entreprise multinationale. Je me suis annoncé à François, le secrétaire particulier de mon géniteur. Cet homme m’avait vu grandir. Il avait dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite mais restait fidèle à mon père. Il avait tout sacrifié pour ce dernier. C’était le seul à connaître les moindres secrets de son patron. J’ai frappé à la porte d’entrée du royaume. Je me suis installé face à lui. Son bureau était comme dans mes souvenirs : totalement vide, pas la moindre trace d’un ordinateur, pas un dossier. Juste deux fauteuils en cuir où il recevait les visiteurs. La décoration aussi était réduite au minimum : des rideaux pourpres pour protéger du soleil et au mur une grande photo en noir et blanc de la vallée de la Durance. Vêtu de l’une de ses éternelles vestes à petits carreaux, mon père buvait son thé en lisant le Wall Street Journal.

Il a commencé sans quitter son journal des yeux :

« Que puis-je pour toi, mon cher fils ?
— J’ai des problèmes de liquidité, Papa.
— De quel ordre ?
— J’ai besoin de cinquante mille euros. »

Il a posé lentement sa tasse de thé et son journal. Il a levé ses yeux bleu délavé vers moi en faisant tourner sa chevalière en or :

« Et le métier d’écrivain, ça ne rapporte pas ?
— Non.
— Et celui de scénariste ?
— Non plus.
— Et celui de réalisateur ?
— Encore moins.
— Acteur ?
— Rien du tout.
— Journaliste ?
— C’est sans espoir, Papa.
— Et pourquoi c’est sans espoir ?
— Parce que je suis un mâle blanc hétérosexuel de presque cinquante ans. L’époque est sans merci. »

Mon père s’est levé. Il a ouvert la porte de son bureau et a articulé : « Passe me voir, demain, à sept heures, en costume cravate, s’il te plaît. »
Il a tendu la joue pour que je l’embrasse.
Lui n’embrassait jamais personne.

4
Le lendemain matin, mon père jubilait dans son fauteuil en cuir comme un gosse qui vient de réaliser une belle bêtise. Il tapotait de sa main droite un sac posé sur son bureau. Avant de prendre la parole, il a conservé le silence un long moment. Il a remonté une jambe de son pantalon jusqu’en dessous de son genou et s’est gratté le mollet. Je le connaissais par cœur. C’était le signe chez lui qu’il allait faire feu. Il m’a annoncé fièrement :

« Diego, il y a cinquante mille euros là dedans !

— Merci Papa.
— À une condition !
— Laquelle ?
— Que tu travailles pour la première fois de ta vie.
— Sans problème. Dis-moi ce que je dois faire.
— Remplacer Béatrice Forlaine.
— Qui est Béatrice Forlaine ?
— La DRH d’une de mes entreprises. Une entreprise de désherbant. Ça a même été ma première boîte en fait. Béatrice est en arrêt maladie pour un mois.
— C’est grave ?
— Dépression à mon avis.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle a choisi de se mettre en dépression pendant le mois que va durer la restructuration de l’entreprise.
— Et alors ?

Et alors, le métier de DRH, dans ces cas-là, c’est le pire de tous. Le plus ingrat. Tout le monde va te détester. Si tu arrives à résister à ça, tu auras mérité cet argent.
— Merci Papa.
— File, le chauffeur t’attend. Ton premier rendez-vous est à huit heures trente. Tu vas commencer par rencontrer un magasinier père de quatre enfants. Sur la fiche, Béatrice a inscrit que sa femme est atteinte d’une maladie génétique dont je n’arrive pas à déchiffrer le nom.
— Formidable.
— Bon Dieu comme je t’envie !
— Je ne vois pas trop ce que Dieu a à voir là-dedans, Papa.
— Oh, tu sais, Dieu, le Diable, c’est combines et compagnie tout ça. Il n’y a qu’une cloison qui les sépare. Tu ne vas pas me faire croire qu’ils ne se croisent pas de temps en temps, ces deux-là ! »
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Anne se balade avec Céline au musée du Louvre. Céline est une amie psychiatre plus âgée qu’elle. Une amie de longue date. Une femme à qui elle se confie lorsqu’elle se confie lorsqu’elle traverse des passes délicates de son existence professionnelle ou privée. Cette fois-ci, Anne évoque le dossier Diego Lambert. Un dossier plus complexe qu’il n’y paraît. Céline tente de la rassurer en lui disant que le plus dur est fait, qu’il n’est plus son patient et que par conséquent, elle n’a plus à le revoir. C’est bien le problème, murmure Anne. Tout va bien avec ton mari ? demande Céline. Tout va bien comme après quinze ans de vie commune, lorsqu’on a choisi un homme par raison et non sur un coup de foudre. Céline lui rappelle le bonheur d’une vie familiale et d’un équilibre avec deux enfants. Elle souligne aussi le fait que ce Lambert lui apparaît comme un véritable cas social et un nid d’emmerdements. « Je sais, rétorque Anne en haussant la voix, je sais très bien tout ça, il me fait chier ce Diego Lambert. Vraiment chier. Mais c’est chimique, que veux-tu. C’est son odeur. C’est totalement primitif comme attirance, d’ordre animal. J’ai beau passer par la case réflexion, ça me réveille la nuit. Et pourtant, ça fait vingt ans que je m’ingénie à écouter les gens. Les écouter pour ne surtout pas m’écouter moi-même. Pourquoi ? Parce que ça ferait trop de bruit. Tu n’imagines pas le bruit d’enfer que ça ferait. Oui, vraiment, ça ferait trop de bruit. Toute mon existence repose sur ce silence contenu, poli. Ne pas montrer ce que je suis vraiment, surtout, j’en ai fait ma devise. C’est une sorte de pacte tacite entre moi et moi. Il m’en a fallu des chagrins pour comprendre qu’il fallait que je cesse de brûler pour l’autre au risque d’en crever. Alors, j’ai fait le triste choix de rester vivante. De ne plus essuyer les plâtres des passions qui me faisaient palpiter.
« Excessive, mes parents ont toujours dit que je l’étais. "Il faut raison garder Anne", telle était leur seule devise. Cela veut sans doute dire qu’il leur faut aimer tiède. La seule garantie de ne pas souffrir. Ils doivent avoir raison. Peu de grandes personnes semblent palpiter. Et les rares qui palpitent encore prennent très cher dans la vie. Tu en sais quelque chose Céline. Comme moi d’ailleurs. Nos bureaux sont remplis de cœurs en vrac qui ne s’en remettront jamais d’avoir tenté le diable. Imagine un peu le foutoir si je commençais à m’écouter... »
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Dites-vous que la vie est une farce, une mascarade absurde sans foi, ni loi, parfois, aussi, une petite chipie qui vous aime beaucoup et que lorsque vous allez mourir, rien de tout cela ne vous sera véritablement arrivé.
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C’est dans ces moments là que je réalise que mes 50 ans se pointent à toute vitesse. C’est aussi dans ces moments que je prends conscience que les 50 années qui vont suivre vont être largement moins marrantes que les 50 années précédentes. La mort est un truc franchement détestable. Elle existe depuis la nuit des temps. La partie se termine toujours de la même façon et on ne voit personne se révolter contre ça.
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