NOUS SOMMES SI PETITS...
Quatre petits bonshommes aux traits minimalistes, dessinés au rotring, sur des scènes aux tonalités bichromatiques à dominante rouge et noire puis bleue et noire - dans lesquelles s'intercales quelques moments mystérieux à la dominante jaune-noire - se déplacent dans un univers terraformé qui, peu à peu les dépasse. C'est ainsi que Paul et Sofia, deux scientifiques humains accompagnés de Karl et Ottö, deux androïdes ultra-polyvalents partent à la recherche d'un groupe de quatre précédents scientifiques qui semblent avoir subitement disparus de leur station orbitale "Grand Central" sans raison justifiable. Voici, pour plus de détails, les propres mots du dessinateur et illustrateur de
Crépuscule, cet étrange OVNI graphique paru aux éditions 2024 fin 2017,
Jeremy Perrodeau :
« Ici commence le récit d'aventure, après un prologue. Car
Crépuscule est avant tout une histoire d'exploration, et non de science-fiction. Quatre personnages — les principaux — atterrissent sur une planète qui pose question : une équipe scientifique y a disparu. Elle venait observer des phénomènes étranges, des protubérances géométriques sur des plantes et des roches, comme une altération de la nature… le groupe est constitué de deux humains et deux androïdes — dont la condition est seulement dévoilée ici, dans la cinquième case. Suite à un accident, ils se retrouvent bloqués. Leur seule option est d'atteindre un abri mentionné par un enregistrement de la station orbitale. Au début de cette page, ils font un bilan, cherchent comment atteindre leur but. Cela résume bien ma façon d'envisager le récit : aller d'un point A à un point B, comme dans un jeu vidéo.
Pour cet album, j'ai principalement utilisé un point de vue éloigné, avec des gros plans ici ou là pour créer du rythme, et mettre le doigt sur des séquences particulièrement intéressantes. Une voix off intervient dans la troisième case, mais j'y ai très peu recours dans le livre. J'ai voulu me tenir très près des personnages, et faire du lecteur leur cinquième compagnon. Il les suit, et ne peut pas voir ce qu'ils ne voient pas. »
Onirique, inquiétant, sans fin clairement définie puisque c'est bien plus la recherche, l'exploration, l'inquiétude métaphysique, la réflexion sans réponse définitive sur l'espace et le temps, sur la transformation de l'homme en démiurge dépassé par sa création, rattrapée par la puissance incontrôlable de mère nature - à moins que ces énigmatiques personnages sur fond jaune, potentiels représentants d'une société dite "première", n'aient été les patients et humbles gardiens d'un savoir ancestral permettant de conserver l'équilibre entre l'humain et la nature, jusqu'à ce que les hommes-science et les hommes-machine ne le détruise ? - qui feront peu à peu l'essence de cet ouvrage, plutôt qu'une hypothétique résolution dans une impossible conclusion. La Vie trouve-t-elle seulement jamais de définitive conclusion, n'est-elle pas une pérégrination sans fin, sinon sans but ? Plus on s'enfonce dans le coeur du lire et plus l'on songe que les amateurs de "
Walden ou La vie dans les bois" de
Henry David Thoreau seront très certainement parmi les moins surpris par les thématiques tout autant que les procédés narratifs de ce volume si original et particulier.
Difficilement classable - SF ? Aventure ? Expérience graphique ? Proposition écologique et humaniste d'un genre inconnu ? - ce
Crépuscule ne cesse d'intriguer, d'interroger, sans jamais permettre au lecteur d'être certain qu'il a tout compris à cet ensemble étrange, pour autant que tout soit à saisir... On peut rester parfaitement de marbre devant un tel "roman graphique", ne serait-ce qu'en raison de son dessin aux caractéristiques presque enfantines, stylisé à l'extrême et très géométrique, mais impossible de se résoudre à affirmer qu'il est dénué d'intérêt tant s'en dégage un bizarre envoûtement. le genre d'ouvrage qui, lecture après lecture, s'acharne, à travers ses grandes plages de silence, à garder sa part de mystère : n'est-ce pas une définition possible de la poésie...?