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EAN : 9782070197095
272 pages
Gallimard (18/08/2016)
3.13/5   73 notes
Résumé :
Marqué par un deuil déjà ancien, un homme décide de revenir dans la ville où il est né et où il a autrefois vécu. Tout a changé. Pourtant, petit à petit, les mêmes fantômes fidèles s’en retournent vers lui sous les apparences étranges et familières qu’ils ont désormais revêtues. Dans le quartier où il s’est installé, de grands travaux sont en cours. Les immeubles en passe d’être démolis voisinent avec les constructions nouvelles. Autour de l’homme qui raconte son hi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
3,13

sur 73 notes
Ça aurait pu donner une nouvelle d'une cinquantaine de pages intéressante. Cette immersion d'un narrateur, qui, après le deuil de sa fille, survit plus qu'il ne vit, dans un quartier fantomatique, l'atmosphère qui se dégage du lieu, la transformation du quartier qui se scinde en deux, ville-haute et ville-basse, la rencontre avec deux personnages mystérieux aussi bien que tourmentés, la thématique de la disparition, la thèse de l'épidémie... Tout ça, c'était de la bonne matière.

Bon, pas de chance, une bonne partie de ces thèmes ont déjà été traités par d'autres auteurs, et, en particulier, de façon assez magistrale en bande dessinée dans le cycle des Cités obscures de Benoît Peeters et François Shuiten (la ville qui semble un artifice, la propagation d'un syndrome lié à la cité, , la perte d'identité, la ville scindée en deux, etc.) Il ne restait qu'à Philippe Forest de faire aussi bien, tout en proposant autre chose. Hum.

Et il en a fait autre chose, c'est certain. D'ailleurs, lui-même prétend jouer ici avec les codes du fantastique. Alors, je veux bien qu'il flirte de loin avec le genre, mais enfin, n'est pas Lovecraft qui veut et tout le monde n'est pas capable de le renouveler, ce genre. Malheureusement, ici, le fantastique se limite à une simple ambiance de fond, à un vague prétexte, qui s'efface vite au profit d'une métaphore grandeur nature un peu trop tape-à-l'oeil. L'apogée est atteinte lorsque la montée des eaux coïncide avec les larmes, jusque-là refoulées, du narrateur. Ce n'est pas que je sois sans coeur et insensible à la douleur des autres, mais je serais bien hypocrite de taire l'ennui qui m'a tenue pendant presque toute la lecture du roman, première partie exceptée.

Crue, c'est aussi un constat, prenant l'urbanisation pour support, sur les changements de la société. Mais de ce côté, ça regorge un tout petit peu de platitudes et de passages moralisateurs, le narrateur se défendant constamment, et à grand bruit, de porter un jugement moral sur la société. Or ce jugement, il le porte pourtant bel et bien. Pas forcément à tort (le sort des clochards, des travailleurs immigrés), mais ça ne va pas bien loin, vu qu'il a visiblement peur de s'engager sur cette voie-là. Et les saillies faciles sur l'art contemporain en milieu urbain ou autres sujets, là non plus pas forcément à côté de la plaque, mais qui sentent tout de même leur petit côté beauf et réac, je pense qu'on aurait pu s'en passer. Ça n'apporte strictement rien au sujet principal. Pire, ça l'appauvrit.

Un mot sur le style. Un rien pompeux, agaçant. Philippe Forest nous prend par la main pour nous faire comprendre que le langage est sournois et traître, et qu'il est difficile de mettre en mots la pensée. Que rien n'est dit qui ne puisse se dire différemment. D'où le recours incessant à un procédé fastidieux ; il écrit une phrase, qu'il fait suivre d'un "ou :", d'un "ou encore : ", d'un "ou bien :", d'un "je veux dire :", locution qui est elle-même suivie d'une autre phrase qui reformule la première. Par exemple (oh, mon Dieu, voilà que j'écris comme Philippe Forest !) : "Car telle était encore plus ou moins la physionomie de la ville quand je m'y suis installé. Ou plus exactement : elles étaient en train de changer." Bon, on a vite compris l'intention, donc l'émaillage constant du texte par cet artifice devient rapidement éprouvant.

Donc, nous voilà avec sur les bras un livre qui distille une ambiance brumeuse, ce qui est plutôt réussi, un livre sur le deuil, la perte, avec un propos que l'auteur tente de rendre universel - c'est dit avec beaucoup d'insistance - mais qui se compromet peut-être trop du côté de l'autofiction pour me toucher. Et un récit qui s'étire, qui s'étire, qui s'étire encore et encore, à tel point qu'il finit par se déliter complètement. Alors certes, cette utilisation de la désagrégation dans l'écriture est voulue, l'histoire tendant vers une conclusion qu'on voyait venir depuis le début : tout, tout le monde, disparaît. Philippe Forest prétend avoir capté une vérité. Oui, il ose.

Voilà, je sens que je vais me faire des amis chez Gallimard, moi...



Masse Critique privilégiée
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« Est enim magnum chaos ».

Le monde de Philippe Forest est un monde dévasté par le deuil, hanté par la perte et la disparition : le premier tiers du livre nous engloutit d'abord dans une immense dépression, celle du narrateur qui vit comme un zombie depuis la mort de son enfant , morte à quatre ans - comme l'auteur lui-même qui, de livre en livre, ne cesse , avec opiniâtreté et une grande cohérence, de creuser le sillon de ce deuil de toutes les façons possibles et dont l'oeuvre se définit et s'origine dans cette catastrophe. La même perte a laissé le narrateur de CRUE sans foi dans l'existence.

J'ai tout de suite été comme magnétisée par cette écriture blanche sans pathos, sans ironie et pourtant si profonde, si viscéralement juste, que j'avais l'impression à chaque ligne d'apprendre des choses fondamentales sur moi …et sur tout le genre humain.

Mais c'était presque trop : j'ai laissé mijoter ce premier tiers, et coupé court à mon vertige en lisant d'autres livres. Mais j'y suis revenue aujourd'hui, et j'ai tout lu d'une traite, fascinée, touchée, emportée.

Submergée serait le terme plus juste, puisqu'il s'agit d'une crue, la crue centennale d'une ville spectrale, de toute évidence Paris, dans un quartier en pleine rénovation où j'ai cru reconnaître le XIIIème du côté du quai de la gare, où quelques immeubles anciens se dressent encore comme une vigie du temps passé sur le relief futuriste des tours et le vaste océan des zones bétonnées et des chantiers chaotiques…

Une crue annoncée, incantée, prophétisée, mais à laquelle l'homo urbanicus ne veut croire, jusqu'à ce qu'elle arrive, telle un déluge punitif envoyé par la Nature outragée.

Sauf que, pas plus que le roman n'est une confidence sur le deuil, la perte irréparable d'un enfant, CRUE n'est pas non plus un roman écologiste. Pas du tout, même.

Il est question de croire, (crue est aussi le participe passé de ce verbe, qui revient comme un leit-motiv dans cette fable mi-intimiste, mi-philosophique) - et c'est d'ailleurs sous cette forme sémantique que le mot « crue » , malicieusement, clôt le livre.

Quand on ne croit plus à rien, quand on croit que le rien , le néant grignote notre vie , il est tout à fait étrange que soudain des choses nous arrivent qui semblent porteuses de sens, qui semblent même nous faire signe.

Surtout dans un univers happé par le vide, dans un monde où les enfants meurent, les mères disparaissent, où les chats s'évaporent, où les foyers de réfugiés brûlent provoquant la disparition de leurs hôtes, happés par le vide des rues sans abri, dans un quartier désert et sans âme où seules brillent deux lumières et où résonne le clavier d'un unique piano.

Et il est encore plus étrange que ces deux lumières correspondent à deux présences, à deux rencontres, à deux histoires, surtout quand ces histoires, ces rencontres adviennent à notre narrateur désenchanté…

Dès lors cette femme, cet homme rencontrés et fréquentés, successivement, chaque nuit, pendant dix jours semblent porteurs d'un message.

Surtout quand leur conjointe disparition précède de peu la grande catastrophe..

Non, Crue n'est pas non plus une sorte de roman gothique à l'anglaise- encore que la référence à un roman gothique anglais ne soit pas si inappropriée.. mais je vous laisse découvrir en quoi- c'est un roman poétiquement fantastique, d'un fantastique intérieur, une sorte de fantastique « mental ».

En le lisant j'ai souvent pensé à Solaris , un très beau film russe, de Tarkovsky, je crois, assez impénétrable mais très pénétrant, où une planète-océan charriait, comme une sorte de cerveau liquide, , toute la nostalgie et les souvenirs des hommes dans ses replis et ses énormes tourbillons…

La ville imaginée par Philippe Forest est comme déréalisée par le désespoir de celui qui l'habite, et son improbable rencontre avec un désir -la femme- et avec une prophétie - l'homme- redonne soudain à sa vie la foi qui lui manquait : quelque chose lui arrive, enfin, pendant dix jours, et c'est beaucoup.

Une foi hésitante, rien à voir avec la religion, une foi en soi-même peut-être, en son pouvoir d'user des mots..

Il ne sait comment la nommer, mais la catastrophe annoncée a bien lieu.

La crue, littéralement, le fait croire à une fable, à une fiction, comme à une vérité « toute crue ».

Cette crue, il en réchappe : il est mûr pour d'autres rencontres, pas si anodines qu'elles en ont l'air, pour d'autres échanges, plus apaisés.

Et pour un livre peut-être…

CRUE est un livre –gigogne, plein de sens, d'apologues, de richesse. Pas toujours facile à lire- la dépression du début demande un coeur bien accroché. Mais un livre puissamment original, follement bien écrit, qui fait rêver , qui fait penser.

Un des meilleurs livres de cette rentrée 2016, pourtant assez riche en bonnes surprises, en ce qui me concerne.
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Magnifique, un vrai coup de coeur pour moi ! Quelle belle langue, quel univers, quelle atmosphère, quelle musicalité !
Je suis à contre courant, il me semble, d'après les avis que j'ai entraperçus de ce roman...
J'ai aimé l'écriture fluide, les descriptions vives, pointues et brillantes qui m'ont fait plonger dans ce décor désolé, le fait que l'auteur prenne le lecteur à partie, le suspense que l'auteur entretient parfaitement, les réflexions qui sont nées de cette lecture sur le comportement humain, sur les jugements arbitraires des hommes entre eux, naturels en somme, je crois, par souci d'autoprotection peut-être, sur les impacts des actions des hommes sur la nature et l'environnement.
J'ai aimé le regard que l'auteur pose sur la mort, sur la perte d'un enfant, d'une mère, les sentiments, la douleur, les réactions qui en découlent...j'ai bu ces courts passages, ravivant des souvenirs chez moi et rendant cette lecture douloureuse parfois, mais à la fois si belle. Certains aspects, certaines attitudes que l'auteur décrit ont sonné tellement justes pour moi.
«Une minuscule contrariété suffit parfois. Tout l'échafaudage mental que l'on a construit au cours de sa vie et qui confère son apparente solidité à la structure de son cerveau semble vaciller. Une petite pièce manque quelque part à l'ensemble qui se met à branler et menace de basculer de tout son long. C'est ainsi que l'on devient fou, le crois. Littéralement : pour rien.»
Enfin, j'ai adoré l'atmosphère irréelle et étrange dans laquelle l'auteur nous plonge, «Il donnait à qui le contemplait l'impression de se tenir devant un paysage qui fût en même temps d'avant la création et d'après la fin du monde.», «Tout paraît faux. Et c'est parce que tout est vrai.», la justesse de l'analyse des comportements humains, quand par exemple, l'auteur évoque l'incrédulité ressentie face à une catastrophe. quand les hommes deviennent spectateurs heureux, jouissant devant un "spectacle" tragique, des hommes qui sont justement comme au spectacle alors que se joue un véritable drame devant eux.
Le narrateur évoque les faits avec distance dans un premier temps, donnant une idée générale de ce qui est entrain de se dérouler, pour mieux ensuite s'inclure dans ces événements, s'y immerger, nous faire partager son ressenti, son analyse de ce qu'il nous a donné dans un premier temps à observer...et, par ce procédé, donne au lecteur l'impression de les vivre aussi.
On pourrait avoir le sentiment de redite, ce ne fut pas mon cas ;-)

Un grand moment de lecture, magique, un pur bonheur, des sensations, des frissons, des souvenirs ... une plongée dans le "fantastique" cycle ... de la vie.
Un grand MERCI M. Forest !
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Un homme, récemment installé dans la banlieue de son enfance pour d'évasives raisons, se trouve confronté à d'étranges phénomènes de disparition : les proches s'en vont ; les populations changent ; les quartiers d'autrefois s'évanouissent ; la réalité qu'il a connue semble désespérément fuir. Serait-ce l'oeuvre du grand remplacement, ce thème cher à l'extrême droite, avec le soutien de quelque promoteurs immobiliers avides de nouvelles constructions ? A moins que ce ne soient les signes d'un processus plus implacable encore qui nous concerne tous en tout temps ?

Raconté à la première personne du singulier par un narrateur introverti à la personnalité volontairement neutre, le roman se compose essentiellement d'impressions philosophiques et d'une succession d'expériences amenant le héros à comprendre la logique sous-jacente aux phénomènes qu'il rencontre. L'apparition de deux personnages dans la seconde moitié du roman donne un cachet plutôt plaisant à l'intrigue qui n'est pas sans évoquer l'atmosphère étrange d'un film comme Vertigo - sa bande originale siérait plutôt bien à ce roman -, avec cette impression de vertige dont témoigne le narrateur, d'être juste à côté d'une vérité à l'allure d'abîme. Il est en effet beaucoup question de vérité et de vide dans ce roman : «  On veut que la vérité soit toujours à venir, qu'elle reste à découvrir. Non, depuis les origines, elle a été révélée aux hommes » indique le héros (p. 261 ), le rôle de ce roman est ainsi moins de dévoiler des vérités inédites et cachées que de donner au narrateur et au lecteur des expériences aptes à lui permettre de faire sienne une vérité toujours en train de se manifester, à porter un regard lucide, entre angoisse et allégresse, sur le monde et son banal et pourtant si implacable déroulement. Crue s'inscrit dans une longue tradition littéraire et artistique qui fait de la fiction un outil pour apprendre à voir les phénomènes autrement. Voir autrement, c'est sentir en quoi un événement singulier est témoignage d'un processus plus universel : c'est à cette condition que la boue et les gravats d'un chantier ou d'une catastrophe deviennent l'image d'une chair meurtrie et écorchée (p.46), mais qui dépouillée de sa peau de béton révèle la substance même de la réalité et de ses multiples possibilités. Le titre de l'ouvrage prend ainsi sens : la vérité est intimement liée à être à même de voir la réalité dans sa crudité, à deviner la tension permanente entre réalisation et effacement qui gouverne le monde, il en va aussi bien de la construction et la destruction des villes que des corps et des existences qu'ils soutiennent.
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« Est enim magnum chaos » : le chaos, ou plutôt le vide, voilà ce que sont nos vies.
C'est une catastrophe, un scandale insurmontable.
Et depuis la mort de sa petite fille Philippe Forest écrit inlassablement sur cette absurdité. En variant les approches et les points de vue. Sans abandonner.
Les disparitions, minuscules ou majeures, sont, dit-il, la seule réalité tangible.
Et même on peut en douter et « il n'y a rien à ajouter au fond. »
Dans « le Chat de Schrödinger », la disparition d'un chat était au centre d'une méditation sur l'absence-présence.
Dans « Crue », l'expérience de la perte est poussée à son paroxysme, puisque c'est l'eau qui va envahir une ville que l'on croit identifier comme Paris. Mais en est-on certain ?

La Seine peut-être, un quartier « près de l'immense bibliothèque », en mutation, en travaux, une « cité fantôme », « spectrale », à proximité d'un « grand cimetière gris », voilà où revient habiter le narrateur qui signe ce récit présenté comme « un rapport à la première personne. »

Quel narrateur d'ailleurs ? Serait-ce « un écrivain un peu en vue », prêt lui-même à disparaître « si les choses tournent mal », un homme qui a perdu sa petite enfant et qui vient de voir sa mère mourir ? L'auteur lui-même ? Peu importe.
Et un rapport sur quoi ? Sur tous les signes qui annoncent que le monde va disparaître.
Un chat d'abord. Une mère. de vieux immeubles ravagés par un incendie. La voisine du rez-de-chaussée, pianiste et amante du narrateur. le voisin, philosophe un peu fou, féru de théories apocalyptiques et de whisky… le narrateur lui-même « étranger au monde. » Tous sont engloutis, happés par « un puits sans fond » avant que la ville elle-même ne soit submergée par les eaux.
Comme un jeu de dominos, une perte en entraînant une autre…
Perte du récit aussi, des repères narratifs, des codes, de la chronologie. « le passé semble se modifier au gré du présent, tirant de lui sa substance changeante. »
« J'en dis trop, je n'en dis pas assez » scande l'auteur.
Histoire, rapport, parabole (déluge et épidémie), roman policier (car enquête il y a), fable, science-fiction, métaphore géante et parfois convenue ? Un peu tout cela sans aucun doute et bien plus encore.
Et ce n'est pas un hasard si le dernier mot de la dernière page est « crue », du verbe « croire » cette fois…

C'est poignant, dramatique et poétique à la fois. Notre vie quoi. Multiple et si précaire.
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critiques presse (3)
LaLibreBelgique
15 décembre 2016
Philippe Forest lie ses manques intimes et le vide qui aspire toute vie.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
22 septembre 2016
Philippe Forest sonde avec sa ­finesse psychologique les avatars du sentiment amoureux, nos peurs, nos lâchetés, nos rêves, nos doubles et nos fantômes, nos vies parallèles, notre expérience brouillée du temps.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Telerama
17 août 2016
En abordant la littérature fantastique, Philippe Forest approfondit encore le thème de l'absence et du deuil, dans un décor désolé. Bouleversant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
J'en avais eu souvent l'impression dans le passé : lorsque la réalité se manifeste, le plus souvent elle prend l'apparence de la fiction. Étrangement. C'est pourquoi, si absurde que cela paraisse, on mesure la vérité à l'aune de sa ressemblance avec le mensonge.
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Même la nuit, la rumeur des machines ne se taisait jamais tout à fait. Elle faisait un ronronnement continu. Carte blanche, semble-t-il, avait été laissée aux architectes afin de donner toute la mesure de leur imagination un peu délirante. On aurait dit des enfants entassant sans rime ni raison des cubes colorés, cherchant à les assembler afin de voir jusqu'où les piles pourraient monter et quelles formes absurdes et bancales leur imposer que toléraient les lois de leur art - sans parler de celles de l'équilibre. C'est ainsi que grimpèrent vers le ciel des tours qui dominèrent bientôt tout à l'entour et qui étendaient sur l'horizon un panorama plutôt anarchique d’immeubles flambant neufs aux silhouettes dégingandées de géants difformes et grotesques juchés les uns sur les autres.
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Je la retrouvais chaque soir. Je ne veux pas prétendre que cela donnait un sens nouveau à ma vie. D'abord, il eût fallu que cela ait un sens. Si cela en avait un, j'ignorais lequel. Et puis, rien n'est jamais aussi simple. On dit : sa vie. Comme si l'on n'en avait qu'une. Alors que plusieurs coexistent qui communiquent à peine les unes avec les autres. De sorte que l'émerveillement soudain d'aimer lorsqu'on l'éprouve dans l'une de ces vies n'enlève rien à l'accablant chagrin que l'on ressent dans une autre. Des centaines d'histoires se déroulent en même temps, elles s'unissent sans rien perdre pourtant de ce qui les rend uniques et singulières, et nul ne saurait décider, parmi la multitude qu'elles forment, laquelle, mieux que toutes les autres, dit vrai. Chacun reste ainsi captif du récit qu'à son insu il écrit et qui contient en lui toutes sortes d'intrigues dont aucune ne vaut davantage qu'une autre.
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Quoi qu'on perde, on a le sentiment étrange d'avoir tout perdu avec l'être ou l'objet qui disparaît. Sans doute parce que quelqu'un, quelque chose nous manque depuis toujours dont chaque nouvelle défection nous rappelle l'absence. Je sais parfaitement ce qu'il y aurait à dire d'un tel phénomène et comment on explique d'ordinaire l'incurable nostalgie, la sensation d'exil que partagent tous les hommes et qui donne une signification si poignante, si pathétique à la plupart de nos existences. Il est difficile, peut-être impossible, de se défaire de l'idée que chacun d'entre nous a été privé, pour une raison qu'il ignore, d'un bien qui fut autrefois en sa possession, qui le comblait parfaitement, dont il ne se rappelle plus que vaguement la nature et le plaisir qu'il en tirait mais qui continuellement lui fait défaut désormais. C'est pourquoi la disparition la plus dérisoire peut s'avérer si dévastatrice. Elle réveille le grand sentiment d'abandon qui ne désempare jamais, contre lequel on se protège comme on peut mais duquel personne ne triomphe longtemps. En perdant quelque chose à quoi l'on tient, c'est soi-même que l'on perd du même coup. On se perd. Je veux dire aussi que l'on se retrouve tout à fait égaré dans un monde soudainement privé de tous les repères qui permettaient de s'y orienter et qui lui conféraient son sens.
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Il suffisait d'avoir confiance. D'y croire assez. C'est le mécanisme même de ce que l'on nomme: "la pensée magique" . Elle vous convainc qu'il n'y a rien qui ne puisse se plier à votre désir. Il faut avoir la foi. Mais cela est si difficile quand on ne croit plus en rien.
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Videos de Philippe Forest (23) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philippe Forest
Tout a-t-il déjà été dit en littérature ? L'écrivain est-il condamné à se répéter ? Et comment réinventer la littérature après Balzac, Baudelaire ou encore Proust ? Pour répondre à ces questions, Guillaume Erner reçoit l'essayiste et romancier Philippe Forest.
#litterature #culture #livres ___________ Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
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