Je m'ennuie, de vivre, et mes tendres années,
Gémissant sous le faix de bien peu de journées,
Me trouvent au milieu de ma course cassé :
Si n'est-ce pas du tout par défaut de courage,
Mais je prends, comme un port à la fin de l'orage,
Dédain de l'avenir pour l'horreur du passé.
J'ai vu comme le Monde embrasse ses délices,
Et je n'embrasse rien au Monde que supplices,
Ses gais printemps me sont de funestes hivers,
Le gracieux Zéphir de son repos me semble
Un Aquilon de peine, il s'assure et je tremble,
Ô que nous avons donc de desseins bien divers !
Ce Monde, qui croupit ainsi dedans soi-même,
N'éloigne point jamais son cœur de ce qu'il aime,
Et ne peut rien aimer que sa difformité :
Mon esprit au contraire hors du Monde m'emporte,
Et me fait approcher des Cieux en telle sorte
Que j'en fais désormais l'amour à leur beauté.
Que faites-vous dedans mes os,
Petites vapeurs enflammées,
Dont les pétillantes fumées
M'étouffent sans fin le repos ?
Vous me portez de veine en veine
Les cuisants tisons de vos feux,
Et parmi vos détours confus
Je perds le cours de mon haleine.
Mes yeux, crevés de vos ennuis,
Sont bandés de tant de nuages
Qu'en ne voyant que des ombrages
Ils voyent des profondes nuits.
Mon cerveau, siège de mon âme,
Heureux pourpris de ma raison,
N'est plus que l'horrible prison
De votre plus horrible flamme.
J'ai cent peintres dans ce cerveau,
Tous songes de vos frénaisies,
Qui grotesquent mes fantaisies
De feu, de terre, d'air et d'eau.
C'est un chaos que ma pensée
Qui m'élance ore sur les monts,
Ore m'abîme dans un fond,
Me poussant comme elle est poussée.
Ma voix qui n'a plus qu'un filet
A peine, à peine encore tire
Quelque soupir qu'elle soupire
De l'enfer des maux où elle est.
Las ! mon angoisse est bien extrême,
Je trouve tout à dire en moi,
Je suis bien souvent en émoi,
Si c'est moi-même que moi-même.
A ce mal dont je suis frappé
Je comparais jadis ces rages
Dont Amour frappe nos courages,
Mais, Amour, je suis bien trompé,
Il faut librement que je die :
Au prix d'un mal si furieux,
J'aimerais cent mille fois mieux
Faire l'amour toute ma vie.
Voulez-vous voir ce trait qui si roide s’élance
Dedans l’air qu’il poursuit au partir de la main ?
Il monte, il monte, il perd : mais hélas ! tout soudain
Il retombe, il retombe, et perd sa violence.
C’est le train de nos jours, c’est cette outrecuidance
Que ces Monstres de Terre allaitent de leur sein,
Qui baise ores des monts le sommet plus hautain,
Ores sur les rochers de ces vallons s’offense.
Voire, ce sont nos jours : quand tu seras monté
À ce point de hauteur, à ce point arrêté
Qui ne se peut forcer, il te faudra descendre.
Le trait est empenné, l’air qu’il va poursuivant
C’est le champ de l’orage : hé ! commence d’apprendre
Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent.
Sonnet sur la mort - 8ème
Tout s'enfle contre moy, tout m'assaut, tout me tente,
Et le Monde et la Chair, et l'Ange revolté,
Dont l'onde, dont l'effort, dont le charme inventé
Et m'abisme, Seigneur, et m'esbranle, et m'enchante.
Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
Sans peril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras tu? Ton Temple où vit ta Sainteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante ?
Et quoy ? mon Dieu, je sens combattre maintes fois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cest Ange revolté, ceste Chair, et ce Monde.
Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l'appuy, l'oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cest effort, où se rompra ceste onde.
Si j’avois comme vous mignardes colombelles
Des plumages si beaux sur mon corps attacgez,
On auroit beau tenir mes esprits empeschez
De l’indomptable fer de cent chaines nouvelles :
Sur les aisles du vent je guiderois mes aisles
J’irois jusqu’au sejour où mes biens sont cachez,
Ainsi voyant de moy ces ennuis arrachez
Je ne sentirois plus ces absences cruelles.
Colombelles hélas ! que j’ay bien souhaité
Que mon corps vous semblast autant d’agilité
Que mon ame d’amour à vostre ame ressemble :
Mais quoy, je le souhaite, et me trompe d’autant,
Ferois-je bien voller un amour si constant
D’un monde tout rempli de vos aisles ensemble ?
Jean de SPONDE – Qui est cet inconnu ? (France Culture, 1964)
Un extrait de l’émission « Art et Littérature », par Madeleine Bariatinsky, diffusée le 12 juin 1964. Lecteur : Jean Martin.