Dédié à l'actrice Helena Bonham Carter – à qui
Tamia Baudouin a d'ailleurs emprunté les traits pour représenter Comtesse, l'héroïne – "
Dans la Forêt des Lilas" semble en effet coller tout à fait à la personnalité de la muse burtonienne. Aussi, une fois la dédicace lue en début d'ouvrage, il devient difficile de ne pas superposer sur la silhouette de Comtesse les images d'Helena Bonham Carter dans les films en costumes de James Ivory, qui semblent avoir suggéré une certaine atmosphère à cette BD, le gothique en plus. Exploration du parallèle entre rêve et réalité par le truchement de l'univers des contes de fées, "
Dans la Forêt des Lilas" s'inscrit en cela dans la lignée d'"
Alice au pays des merveilles" de
Lewis Carroll, jusque dans ses éléments les plus saugrenus et inquiétants à la fois. Il faut dire que N.
Ferlut et T.Baudouin créent à elles deux une histoire pesante dans laquelle les songes, pareillement aux nôtres, semblent vouloir sublimer sous l'apparence de fables et de chimères le vécu quotidien.
Ainsi, alors que les rêves de l'enfance n'étaient que fées et merveilles (quoi que frôlant toujours la limite de l'inquiétant grâce à quelques éléments suscitant ne seraient-ce qu'une légère angoisse, à l'image de ces poissons dorés aux paroles énigmatiques), le retour
dans la Forêt des Lilas de Comtesse, tandis que sa vie semble s'effondrer, lui donne à voir un univers gangréné. Reflet métaphorique des événements qu'elle traverse? A en juger par l'alternance entre réel et imaginaire qui emprunte bientôt un rythme effréné au point que les deux se confondent, on parierait que oui. D'ailleurs, il nous semble que l'omniprésence de la forêt, la mise en abyme conte/rêve/réalité, et la lecture symbolique de l'oeuvre indiquent encore une fois l'influence d'
Angela Carter, ou du moins de "
La compagnie des loups" adapté par N.Jordan.
Cela dit, il reste que les thèmes explorés dans cette BD sont différents de ceux chers à
Angela Carter, et que les références ne sont pas les mêmes. Si "
Dans la Forêt des Lilas" s'amuse également des contes et du songe pour symboliser de façon quelque peu angoissante le réel de l'héroïne à travers un processus psychique délicieusement gothique, l'auteure cherche ici davantage à interroger la question du deuil parental comme rite de passage vers l'âge adulte, et à travers ce mécanisme complexe, la fin de l'enfance ( et donc la mort de l'enfant?... A moins qu'il en subsiste toujours quelques bribes...). En cela, "
Dans la Forêt des Lilas" est habité d'une mélancolie absente de l'oeuvre de son aînée, et le personnage de Comtesse suscite l'empathie du lecteur.
Autre référence propre à
Nathalie Ferlut pour cette BD : la
Comtesse de Ségur. En effet, il semble que les critiques et chroniqueurs qui se sont penchés sur "
Dans la Forêt des Lilas" aient tous oubliés leurs classiques et, parmi ceux-ci, l'oeuvre qui a donné ses bases à cette bande-dessinée. La Forêt des Lilas ainsi que les personnages de Belle-Biche et de Beau-Minon sont issus d'un conte de la célèbre
Comtesse de Ségur (auteur des "Malheurs de Sophie") pour ses "
Nouveaux contes de fées" (sa première oeuvre publiée, d'après les histoires qu'elle inventait pour ses petits-enfants) : "Histoire de Blondine, Belle-Biche et Beau-Minon", que l'on peut aussi trouver sous le titre "La forêt des Lilas". Ce clin d'oeil on ne peut plus inattendu donne au récit de N.
Ferlut toute sa singularité et une couleur unique.
Et en parlant de couleurs, parlons des illustrations de
Tamia Baudoin. Son trait faussement hésitant donne vie à des images d'une délicatesse presque enfantine et d'une finesse arachnéenne, même si le style est parfois inégal. le traitement des couleurs est particulièrement intéressant, les teintes criardes accompagnant une Comtesse lunaire et les coloris lumineux, une Verity solaire. Deux univers s'opposent entre la cadette et l'aînée, deux façons de penser et d'appréhender le monde, l'ensemble étant d'une élégance romanesque propre à l'époque illustrée. L'univers féérique de la Forêt des Lilas, avec ses chats bottés, ses biches fées, et des carpes argentées, évoque autant l'esthétique de
Jacques Demy que l'onirisme de Miyazaki. Visuellement, c'est étrange et adorablement déroutant...
En bref : Gothique et mélancolique, évoquant autant
Jacques Demy que Miyazaki et
Tim Burton que la
Comtesse de Ségur, "
Dans la Forêt des Lilas" est un conte sombre et onirique dont l'ambiguïté déstabilise le lecteur avec délice.
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