Court roman jeunesse amusant qui en plus ne présente aucune difficulté de lecture pour les lecteurs moins habiles. C'est l'histoire d'un adolescent qui, lorsqu'il enfile un morceau de vêtement ayant appartenu à quelqu'un d'autre, hérite des souvenirs - sous forme de flashback- de cette personne. Cela lui permet de connaître la vie des autres et cela devient vite une obsession qui ne sera pas sans conséquences.
Je pense que la formule est gagnante pour intéresser les jeunes, surtout les garçons.
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Le choc
Ce don se manifesta dans une friperie pour familles en difficulté. Mon père avait perdu son boulot, et l’atmosphère était très tendue à la maison. Le travail de serveuse de ma mère ne suffisait plus à boucler les fins de mois. Pour réduire les dépenses, nous allions devoir nous habiller avec des vêtements déjà portés par des inconnus. L’idée me révoltait. Il n’en était pas question. Je valais mieux que ça! Je préférais garder mes vieilleries, même trouées ou rapiécées, plutôt que de mettre celles des autres. Mais au bout de quelques mois, je n’avais plus le choix. L’usure et la croissance m’obligèrent à acheter des habits de plus grande taille. Contrarié, je dus me résigner à fouiller dans les rayons de la friperie. Le hasard voulut que je tombe sur un blouson. Dès que je le revêtis, je ressentis l’euphorie et la caresse du vent dans mes cheveux.
Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait ni ce que je ressentais. Ça n’avait aucun sens. Je revivais une histoire qui ne m’appartenait pas. Comment ce blouson s’était-il retrouvé là? Je l’ignorais. On aurait dit qu’il m’attendait pour me livrer son terrible secret. J’étais ébranlé, déboussolé. J’avais revécu la scène à travers les yeux de ce garçon et éprouvé ses émotions. Sa douleur m’avait transpercé. Je n’étais pas préparé à ça. Cette étrange expérience me plongea dans un profond mutisme pendant quelques jours. Par chance, mes parents ne me posèrent pas de questions. Ils crurent probablement que mon silence était causé par la déception de devoir m’habiller dans cette friperie. C’était crédible et ça faisait bien mon affaire. Ça m’évitait surtout de devoir justifier mon comportement. Ce moment d’isolement me permit d’accuser le choc et, lentement, d’accepter mon nouveau «pouvoir». J’étais tiraillé entre deux sentiments: l’appréhension et la fascination. Ce don m’effrayait et m’impressionnait en même temps. Je me sentais soudain différent des autres. Spécial. Tel un super héros possédant un pouvoir exceptionnel. Un être unique.
La récidive
Pour cette nouvelle tentative, je choisis la solution la plus simple: revêtir en cachette des vêtements de mes proches. Des affaires qu’ils avaient beaucoup portées et imprégnées de leur vécu. Si je n’avais pas porté la vieille robe de chambre de mon père, je n’aurais jamais appris quand et comment j’avais été conçu… Finalement, j’aurais préféré ne jamais connaître ces détails. Comme pour ma sœur, lorsque j’ai essayé une de ses blouses. Je trouvai plutôt dérangeant de revivre en direct ses premiers moments d’intimité avec son petit ami. Mal à l’aise à cause de ce que j’avais vu et ressenti, je compris vite qu’il valait mieux m’abstenir de faire de nouvelles incursions dans la vie de mes proches. Il est préférable de garder une certaine distance avec les membres de sa famille pour conserver un peu d’harmonie. Le problème ne se pose pas avec de parfaits inconnus. Rien ne nous reliant à eux, il n’est pas dérangeant de les regarder vivre. On ne ressent aucune gêne, aucun malaise. ...
Il y a trois mois que ça dure et je ne comprends toujours pas ce qui m’arrive. C’est effrayant, mais ça me fascine. Et je ne peux en parler à personne. On ne me croirait pas. Comment cela est-il possible? Je n’en ai pas la moindre idée. Ça m’est tombé dessus le jour où j’ai enfilé un vêtement usagé. Tel un don de voyance ou un pouvoir occulte similaire à ceux qui prétendent entrer en communication avec l’au-delà. C’est étrange, car je n’ai jamais cru à toutes ces idioties. Pourtant, je ne peux nier le phénomène. Comment expliquer que les vêtements me parlent? Qu’ils me racontent leur histoire, à moi, Jonathan Morin? Suis-je en train de perdre la raison?
Puis, l’inévitable se produisit. Une irrésistible envie de recommencer. Je brûlais de savoir si ce que j’avais expérimenté n’était qu’un accident, un cas isolé. Ou si, en revêtant d’autres vêtements usagés, je ressentirais de nouveau ce que leurs propriétaires avaient vécu. Il fallait que j’essaie encore, quelles qu’en soient les conséquences. Ma curiosité était bien plus puissante que la prudence ou la peur.
Bande annonce du roman Désert rouge, paru en septembre 2021.