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Christine Le Boeuf (Traducteur)
EAN : 9782742775675
144 pages
Actes Sud (02/06/2008)
3.34/5   415 notes
Résumé :
L’homme qui, ce matin-là, se réveille, désorienté, dans une chambre inconnue est à l’évidence âgé. Il ne sait plus qui il est, il ignore pourquoi et comment il se retrouve assigné à résidence entre les quatre murs de cette pièce, percés d’une unique fenêtre n’ouvrant que sur un nouveau mur et d’une porte qui, pour lui demeurer invisible, doit bel et bien exister puisque des “visiteurs” vont la franchir… Sur un bureau, sont soigneusement disposés une série de photogr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
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sur 415 notes
Drôle de bonhomme, ce Mr. Blank. Il faut dire que son concepteur – Mr Auster – l'a placé dans une drôle de situation : tout seul dans une chambre, avec un lit, un bureau, un mer-vei-lleux fauteuil-sur-roulettes-qui-pivote, une porte qui donne sur une salle de bain, et ...mais où donc est le placard ? Fenêtre close par des volets métalliques, et porte fermée... à clef ?
Et puis, là-haut, une caméra-appareil-photo qui le mitraille toutes les secondes.

Ca, c'est l'univers austérien, évidemment ! Une bizarrerie totale qui a pourtant sa propre logique.
Car on comprend vite que Paul Auster s'est amusé à se singer. Sur le bureau, se trouvent 2 piles de photos de tous types de personnages : ce sont ceux qui ont peuplé quelques-uns de ses romans les plus célèbres avant 2005 (date de l'écriture du « Scriptorium »). On retrouve Anna Blume, ainsi que les héros de la « Trilogie New-Yorkaise », de « Moon Palace », de « Leviathan », de « Brooklyn Follies ».
Mais Mr Blank ne les reconnait pas, car son cerveau est bizarrement embrumé, comme s'il était drogué. Peut-être même le drogue-t-on, puisqu'il est obligé d'ingurgiter de curieux médicaments colorés à heure fixe, ces gélules qui font partie du « traitement ».
Et puis arrivent ces gens sur les photos, ces – ses- personnages qui aiment Mr Blank et qui lui rendent visite pour l'interroger, pour le soigner, pour lui donner à manger.
Je n'oublie pas non plus de mentionner le manuscrit sur le bureau, écrit par un certain Trause (Auster?).

Mais il vaut mieux que je laisse le charme s'opérer ...ou pas ? Car tous ces éléments décrits minutieusement se mettent en place comme les pions sur un échiquier. Que va en faire le joueur, en l'occurrence Mr Blank ?
Que va en faire le lecteur ?
Mr Blank est perdu, la tête pleine de fantômes gémissants, mais il essaie de comprendre.
Le lecteur est désarçonné, et se dit qu'il aurait dû relire les premiers romans d'Auster, pour comprendre toutes les allusions qui assurément auraient été bien jubilatoires.
Et là je parle pour moi. Car même si je suis une inconditionnelle de cet auteur (enfin, j'ai quand même détesté « le voyage d'Anna Blume »), j'ai erré dans ces pages, mi-amusée, mi-déconfite. Déconcertée. Désorientée.
J'aime beaucoup le jeu intellectuel, mais il me faut un minimum de balises.
Je n'aurais pas dénigré un avertissement du genre : « (Re)lisez les romans de Paul Auster écrits avant 2005 avant de vous asseoir dans le scriptorium ».
Car je suis comme Mr Blank : j'avais oublié les personnages, à part Anna Blume dont j'ai fait la connaissance il y a quelques semaines et que j'avais abandonnée à sa misère totale.

Mr Blank : une page blanche sur laquelle on peut écrire. Auster nous y invite. Allez-vous le suivre ?
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Le récit s'ouvre un vieil homme dans une pièce close à la fenêtre condamnée. M. Blank, ainsi que le nomme le narrateur, n'a plus de souvenirs. Il ne sait pas pourquoi il est dans cette chambre, qui il est, qui sont les personnes sur les photographies empilées sur le bureau. « Ce qu'il sait, c'est que son coeur est empli d'un implacable sentiment de culpabilité. En même temps, il ne peut se défendre de l'impression qu'il est victime d'une injustice terrible. » (p. 12) À mesure que la journée se déroule, Mr. Blank rencontre différentes personnes et apprend ou réapprend l'existence d'individus qu'il aurait envoyés en mission. Pour faire quoi ? Il ne s'en souvient pas, mais ces personnes nourrissent à son égard un profond ressentiment. Sur le bureau, il y a le manuscrit d'un certain Sigmund Graf : ce narrateur raconte une histoire dans un univers fantasy et inconnu. Mais l'histoire n'est qu'une ébauche et c'est à M. Blank de combler les blancs.

Scriptorium, quel beau mot, riche et plein d'une tradition perdue, celle des moines copistes. Et comme les lettrines des manuscrits qui offraient de petites histoires illustrées au sein du récit, Paul Auster ne déroge pas à son amour de la mise en abîme en proposant des histoires imbriquées qui finissent toujours par se recouper. « Nous sommes embarqués dans une histoire compliquée, et tout n'est pas nécessairement ce qu'on pourrait croire. » (p. 101) La narration extérieure nous décrit tout comme une expérience, comme si M. Blank était un rat de laboratoire soumis à une expérience sadique sans cesse renouvelée. Nous ne sommes pas très loin de Kafka tant les situations sont absurdes et les personnages incompréhensibles. À demi-mot, on comprend toutefois que M. Blank est un auteur dont les personnages se vengent en l'enfermant lui-même dans un récit.

Pour saisir toute la valeur et la profondeur de cette histoire, il me semble indispensable d'avoir lu d'autres textes de Paul Auster. Commencer par Dans le scriptorium serait comme partir à l'aventure sans boussole. Ce texte répond à d'autres romans de l'auteur. Lisez donc La nuit de l'oracle, le livre des illusions ou La trilogie new-yorkaise. Et surtout, lisez Pourquoi écrire ?, réflexion courte mais passionnante sur le métier d'écrivain.
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Attention, lecture à plusieurs niveaux possibles et manipulation du lecteur par le romancier de rigueur. Commencer à lire Auster par « dans le scriptorium », c'est sans doute passer à côté de l'essentiel de ce roman.
L'auteur convoque quelques-uns de ses précédents personnages à travers ce roman, un peu nombriliste il est vrai : un vieil homme, Mr Blank, se réveille seul dans une pièce sombre, et voit défiler des gens venus lui demander des comptes sur des évènements du passé. On comprend vite qu'on a affaire à un romancier face à ses démons, huis-clos magistral entre un artiste et son oeuvre.
Le lecteur y rentre sur la pointe des pieds, il a peur de perturber cette auto-psychanalyse schizophrénique. Et puis, et puis… J'ai été ravi de rencontrer à nouveau Anna accompagnée d'autres personnages (Benjamin Sachs, Mr Quin,…). Je me suis retrouvé face à une pelote de laine de souvenirs « austériens »: un petit fil dépasse, on se remémore les anciens livres, on plonge dans sa bibliothèque et… On se retape tous les Paul Auster ! Merci Monsieur Auster.
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Contenu
Un vieil homme, Mr. Blank, se réveille dans une chambre. Des caméras et des micros sont partout. Tout ce qu'il fait ou dit est enregistré.
Mr. Blank ne sait plus qui il est, il ne connait pas son propre nom ni son passé. Cependant, il a des émotions, en particulier une grande peur, ainsi que des sentiments de culpabilité qu'il ne peut pas expliquer.
Mr. Blank soupçonne qu'il est enfermé dans sa chambre mais n'en est pas sûr. Il ne peut pas s'occuper de lui-même. Comme dans une maison de repos, une infirmière entre régulièrement pour le laver, l'habiller, l'aider à manger et, surtout, lui donner des médicaments. D'autres personnages apparaissent également dans sa chambre.


Mr. Blank ne se souvient de rien et a besoin de soins, mais il peut encore se déplacer un peu. Dans sa chambre, il y a un bureau avec des tas de papiers. Il les lit, mais il ne comprend pas les fragments qui lui sont disponibles. Il se demande qui sont toutes ces personnes dont il lit les histoires et quelle signification ont tous les morceaux d'aventures. Il doit également inventer une suite et une fin à leurs aventures.


La connaissance de l'oeuvre d'Auster joue un grand rôle
Les personnages secondaires qui apparaissent dans le livre proviennent des romans précédents d'Auster. Un lecteur débutant d'Auster qui ne connait pas ces personnages ne comprend pas qui sont les personnages qui apparaissent constamment dans la chambre de Mr. Blank ni quelle est leur signification. de plus, il y a aussi des situations qui renvoient aux livres précédents, comme la chambre où Mr. Blank est enfermé. Peu à peu, un lecteur débutant d'Auster se rend compte qu'il ne comprendra jamais ce que tout cela signifie.


Les lecteurs avancés d'Auster peuvent comprendre l'apport des personnages secondaires et de certaines situations. Cependant, il est nécessaire d'avoir lu au moins la trilogie New York d'Auster (dans laquelle Auster a introduit un personnage qui se sent condamné à passer toute sa vie à lire dans une chambre, et aussi, dans le troisième volet, la chambre fermée). Mais le mieux est de lire tous les livres précédents d'Auster, car de nombreux personnages de divers livres font leur apparition, et il y a aussi des situations qui évoquent des souvenirs.


Littérature postmoderne
L'oeuvre d'Auster est connue comme de la littérature postmoderne. L'auteur postmoderne essaie de représenter la relation complexe entre la fiction et la réalité. C'est également le cas ici.
Quelques exemples :

Mélange de fiction et de réalité : Mr. Blank est en réalité Paul Auster lui-même.

L'intertextualité est très présente grâce aux nombreux personnages secondaires issus d'oeuvres antérieures d'Auster, qui jouent un rôle. Les personnages des histoires que Auster a déjà écrites déterminent maintenant la vie de son personnage principal, Mr. Blank.

En littérature postmoderne, diverses astuces sont utilisées pour miner le rôle de contrôle général du narrateur. Ici, l'écrivain Paul Auster, le personnage principal Mr. Blank, les personnages secondaires et même un narrateur général qui peut tout voir sur les images de caméra (et se désigne lui-même comme "nous", il ne s'agit donc pas d'une seule personne) se mélangent tellement qu'il n'y a plus de narrateur clair.

Pas de chronologie : les textes que lit Mr. Blank sont (sans qu'il le sache) un témoignage, des fragments qu'il a écrits sur lui-même au fil des jours, des semaines et même des années.

La littérature postmoderne évite souvent de manière ludique la possibilité d'un sens. Il n'y a pas vraiment de quête de sens ici non plus. le vieil homme souffre d'amnésie, est enfermé, est surveillé par des caméras (le sentiment de "Big Brother" est très fort en Amérique). Les personnages entrent et sortent de sa chambre, mais il n'y a pas vraiment de motifs. le lecteur ne découvre jamais non plus si les médicaments administrés à Mr. Blank sont censés lui causer de l'amnésie ou au contraire limiter les dégâts de la maladie. L'accent est surtout mis sur le récit, les actions lentes de Mr. Blank.


Style
Le vieil homme, Mr. Blank, vit lentement, avec réflexion, et chacune de ses actions est décrite en détail. Cette combinaison crée une ambiance onirique et paisible, le style qui a rendu Auster populaire en Amérique.
Cependant, Mr. Blank vit avec des peurs et des sentiments de culpabilité qui sont oppressants et perturbent la tranquillité.


Blocage de l'écrivain
Lorsque ce livre est sorti, de nombreux critiques et lecteurs ont réagi négativement ou ont été déçus.
Erwin Tommissen, par exemple, écrit dans une critique pour "Cutting Edge" en novembre 2006 que l'atmosphère oppressante qui procure un plaisir sensoriel est beaucoup plus présente dans d'autres livres d'Auster que dans celui-ci. Selon lui, c'est également le cas des retournements de situation surprenants, qui font défaut dans ce livre. Pareil pour l'intertextualité, l'apparition de personnages secondaires, Tommissen la considère comme un artifice astucieux mais pas plus que cela, car Auster ne parvient pas à donner vie à ces personnages. Il aurait pu apporter une véritable valeur ajoutée en réunissant d'anciens personnages fidèles bien colorés, vivants, mais cela ne se produit pas vraiment.


Lors d'une interview que Paul Auster a accordée le 1er juin 2009 à John Freeman, alors rédacteur en chef du magazine littéraire "Granta Magazine", Auster explique pourquoi cela s'est produit. Pendant près d'une heure, il revient sur sa carrière d'écrivain, et lorsqu'il aborde le sujet du blocage de l'écrivain ou syndrome de la page blanche, il explique pourquoi "Dans le scriptorium" ne se situe pas au même niveau que ses précédents livres :

"Pendant toute ma carrière d'écrivain, j'avais généralement des idées pour mes prochains livres. Après Brooklyn Follies, il y a environ cinq ans, je n'avais plus d'idées. J'étais vide, et les trois derniers livres que j'ai écrits sont nés d'un processus de création prolongé entre les différents livres. Je pensais que c'était fini pour moi, je ne savais pas ce que je devais faire, j'étais perdu, je suis devenu dépressif. Quand je ne travaille pas, je suis... chaque jour névrosé, tu comprends. Mais ces livres existent maintenant, je travaille sur un nouveau, donc ils sont là. Et pourtant, je ne sais pas, mais je le ressens comme si chacun de nous pourrait peut-être, à un moment donné, se vider. Nous essayons de fleurir et de jouer à Dieu, ou quelque chose du genre."


Conclusion
Pour les débutants : Lire Auster peut être très agréable, il a probablement de nombreux fans pour une bonne raison. Vous le comprendrez après avoir lu ce livre. Cependant, si vous n'avez jamais lu Auster, il vaut mieux commencer par d'autres titres pour vous convaincre (du moins, j'ai lu ailleurs que c'est le cas, je n'ai moi-même jamais lu d'autres oeuvres d'Auster), car celui-ci ne semble pas être le meilleur. Et vous pourriez peut-être passer à côté d'un auteur brillant sur la base d'une de ses oeuvres moins bonnes.

Pour les initiés : Si vous n'avez pas peur de la déception, de la confrontation avec le fait qu'Auster s'est "asséché", vous pouvez lire ce livre de lui, car ce n'est certainement pas mauvais. Mais le livre date de 2006, les vrais fans l'auront déjà lu depuis longtemps.


Positif : le style est magnifique quand il s'agit de la vie lente de Mr. Blank. Même si les débutants n'y comprennent rien.
Négatif : les histoires avec les personnages secondaires sont ratées. En plus, les débutants n'y comprennent rien.
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j'ai été intriguée et émue par ce Monsieur Blank, vivant une expérience extrême, et ne s'en sortant pas.
Il est confronté à la vieillesse, à l'amnésie, à la maladie, à l'enfermement, et il s'accroche comme un beau diable à la quête de sens pour sa vie.
Il se hisse à sa triste réalité, réduite au strict minimum, et prend conscience qu'il n'a peut-être même plus la force de l'explorer dans son entier.
Y-a-t-il une porte, un placard ? Il se rend compte qu'il ne l'a peut-être pas encore remarqué...
Une seule chose semble maintenir son désir d'exister : le bureau, sur lequel est posé un manuscrit qui lui fait peur mais auquel il arrive à se confronter courageusement, et des photos, sur lesquelles il tente de reconstituer l'histoire qu'a du être sa vie.
Dans le scriptorium, il voit des mots écrits sur des bandelettes et qui disent ce que sont les choses qui l'entourent. Sans ces "pense-bêtes", serait-il encore capable de les appréhender ces objets qui sont sa réalité ?
Où est-il, Que fait-il ? Qui a-t-il pu bien être ?
Nous le suivons dans cette quête désespérée qui le maintien en vie mais nous comprenons bien qu'il ne peut pas arriver au bout. Il est soumis à un étrange protocole de soins qui le laisse hagard à cause des médicaments administrés.
D'ailleurs, est-ce un soin ou une punition ? et si c'est une torture, de quoi l'accuse-t-on ? et que veulent ils savoir ?
Nous comprenons bien que les personnages qui viennent soit le réconforter, soit le questionner sont des héros de romans. Ils ont pris chair alors que celui qui leur a donné vie est en train de disparaître.
Son existence se réduit à être l'objet d'un texte écrit consignant le plus méticuleusement possible ses moindres gestes, bruits, paroles et réactions. Ce "rapport" est rédigé à partir d'une monstrueuse installation qui le filme et l'enregistre en permanence dans sa cellule blanche...
Cette construction en abîme m'a intriguée.
J'ai été touchée par ce questionnement qui nous donne à tous le vertige : qui nous encre dans la réalité ? le mot ou la chose ? le signifiant ou le signifié ? l'évènement ou le récit ?
L'écrivain est-il celui qui crée le vide entre les deux au risque de s'y perdre ?
Mais je m'égare sans doute un peu là... Il y a beaucoup de choses dans ce roman qui m'ont complètement échappées, et donc je vous renvoie aux excellents billets des uns et des autres, que je cite en bas de page.
http://sylvie-lectures.blogspot.com/2008/04/dans-le-scriptorium-paul-auster.html
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Un homme entre dans un bar à cinq heures du soir et commande trois scotchs. Pas l’un après l’autre, mais tous les trois en même temps. Le barman est un peu intrigué par cette demande inhabituelle, mais il ne fait pas de commentaires et sert à l’homme ce qu’il veut – trois scotchs alignés sur le bar. L’homme les boit l’un après l’autre, paie et s’en va. Le lendemain, il revient à cinq heures et commande la même chose. Trois scotchs en même temps. Et le lendemain et tous les lendemains après celui-là, deux semaines durant. Finalement, le barman cède à la curiosité. Je ne voudrais pas être indiscret, dit-il, mais voilà deux semaines que vous venez tous les jours commander vos trois scotchs, et j’aimerais savoir pourquoi. La plupart des gens les prennent l’un après l’autre. Ah, fait l’homme, la réponse est très simple. J’ai deux frères. Ils habitent très loin, et nous sommes très unis. Afin de célébrer notre affection, nous allons tous les trois dans un bar à cinq heures du soir et nous commandons trois scotches, que nous buvons en silence à la santé les uns des autres, en imaginant que nous sommes ensemble au même endroit. Le barman hoche la tête, comprenant enfin la raison de ce rituel étrange, et il n’y pense plus. Cela continue pendant quatre mois encore. Et puis il se passe quelque chose. L’homme arrive un jour à son heure habituelle et, cette fois, il ne commande que deux scotchs. Le barman est inquiet, et au bout d’un moment, il prend son courage à deux mains et dit : Je ne voudrais pas être indiscret, mais voilà quatre mois et demi que vous venez tous les jours commander trois scotchs. Aujourd’hui vous en commandez deux. Je sais que ça ne me regarde pas, mais j’espère seulement qu’il n’y a pas eu de malheur dans cotre famille. Pas le moindre malheur, dit l’homme, aussi vif et joyeux que jamais. Qu’y a-t-il donc ? demande le barman. La réponse est très simple, fait l’homme. J’ai arrêté de boire.
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Il y a dans la chambre un certain nombre d’objets et, sur chacun d’eux, on a fixé une bandelette de papier blanc où figure un mot écrit en capitales. Sur la table de chevet, par exemple, le mot est table. Sur la lampe, le mot est lampe. Jusque sur le mur, qui n’est pas un objet au sens strict, il y a un bout de papier qui dit mur. Le vieil homme relève un instant les yeux, il voit le mur, il voit le bout de papier fixé au mur et il prononce à voix basse le mot mur. Ce que l’on ne peut savoir à ce stade, c’est s’il lit le mot écrit sur le bout de papier ou s’il nomme simplement le mur. Il se pourrait qu’il ne sache plus lire mais qu’il reconnaisse encore les choses pour ce qu’elles sont et soit encore capable de les appeler par leur nom ou, à l’inverse, qu’il ait perdu la capacité de reconnaître les choses pour ce qu’elles sont mais qu’il sache encore lire."
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Je vous ai fait quelque chose de terrible. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'était terrible... inexprimable... impossible à pardonner. Et vous êtes là, à prendre soin de moi comme une sainte.
Ce n'était pas votre faute. Vous avez fait ce que vous aviez à faire, et je ne vous en veux pas.
Mais vous avez souffert. Je vous ai fait souffrir, n'est-ce pas ?
Oui, beaucoup. J'ai failli ne pas en réchapper.
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Vous m'avez envoyée dans un endroit dangereux, un endroit de destruction et de mort.
Qu'est-ce que c'était ? Une sorte de mission ?
Je pense qu'on pourrait dire ça.
Vous étiez jeune alors, n'est-ce pas ? La jeune fille de la photo ?
Oui.
Vous étiez très jolie, Anna. Vous êtes plus âgée maintenant, mais je vous trouve encore jolie. A peu près parfaite, si vous voyez ce que je veux dire.
Il ne faut pas exagérer, M. Blank.
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Assis à la table, j'écoute le grattement de la plume à la surface du papier. Je m'arrête. Je trempe la plume dans l'encrier, et puis je regarde les signes noirs qui prennent forme au fur et à mesure que ma main se déplace lentement de gauche à droite. J'arrive au bord, et puis je retourne à l'autre côté et, quand les signes s'amincissent, je m'arrête à nouveau pour tremper la plume dans l'encrier. Ainsi en va-t-il tandis que je progresse vers le bas de la page, et chaque groupe de signes est un mot, et chaque mot est un son dans ma tête, et chaque fois que j'écris un mot de plus, j'entends le son de ma propre voix, bien que mes lèvres soient silencieuses.
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Mr. Blank s’installe avec lenteur dans le siège placé devant le bureau. C’est un siège d’un confort extrême, constate-t-il, garni d’un souple cuir brun et doté de larges accoudoirs où peuvent reposer ses coudes et ses avant-bras, sans parler du mécanisme à ressort invisible qui lui permet de se balancer à sa guise d’avant en arrière, ce qu’il commence d’ailleurs à faire dès l’instant où il est assis. Un tel balancement a sur lui un effet apaisant et, tandis qu’il continue à se laisser aller à ces agréables oscillations, Mr. Blank se souvient du cheval à bascule qui se trouvait dans sa chambre de petit garçon, et il se met alors à revivre certains des voyages imaginaires qu’il entreprenait sur ce cheval, qui s’appelait Whitey et qui, dans l’esprit du jeune Mr. Blank, n’était pas un objet en bois orné de peinture blanche mais un être vivant, un vrai cheval.
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Notre mot sur, écrit par Paul Auster, traduit par Anne-Laure Tissut et publié aux éditions Actes Sud : https://www.librairie-ledivan.com/livre/9782330188757
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