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EAN : 9785050023711
236 pages
Radouga a Moscou (30/11/-1)
3.62/5   4 notes
Résumé :
Traduit du russe par Eveline Amoursky

“Une prose juste et forte. Son “confinement” rural, voire ethnographique, a peut-être des raisons politiques, mais loin de lui nuire, il l’aide à redecouvrir les vérités morales.”
– G. Nivat (Le Journal de Genève)

(Présentation du site de l'éditeur)

136 pages.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai pris un franc et généreux plaisir à lire ce livre. J'avais prévu d'en faire la critique mercredi mais je n'ai pas pu. Hier non plus. J'étais trop triste, trop effondrée pour écrire quoi que ce soit qui ait encore un lien avec la littérature et le plaisir qu'elle suscite.

Mais aujourd'hui il faut, il faut lever haut nos crayons, même virtuels, pour nous exprimer librement, et pour célébrer ceux qui osent, malgré la dictature ordinaire, dire des choses, des choses profondes, des choses universelles.

Valentin Raspoutine est un auteur russe qui a écrit la plus grande partie de ses romans en plein communisme dans une URSS pieds et poings liés, ligotée dans sa liberté d'expression. Dans ce pays alors, le simple fait d'écrire un roman était jugé suspect. Chaque ligne y était soigneusement lue et relue par les organes du parti avant publication et/ou incarcération de l'écrivain en question, si sa ligne de pensée ne convenait pas.

Ce n'est donc pas, fatalement, un écrit politique, une dénonciation frontale du système, mais c'est très sociologique, c'est une immersion dans cette société avec les contraintes qui la liait à cette époque. le résultat en est admirable.

Raspoutine, effectivement, vu de chez nous, cela n'a rien de très engageant, mais sachez qu'en Russie centrale, tout comme à la SNCF, un Raspoutine peut en cacher un autre.

Ici, Valentin Raspoutine nous transporte dans un kolkhoze, c'est-à-dire une coopérative agricole, c'est-à-dire aussi une sorte de village où personne ne travaille pour son propre compte et où tout tourne autour de la gestion d'État.

On nous y montre un couple sans histoire, constitué de Maria et de Kouzma, qui doivent avoir dans les 45-50 ans, et qui sont les parents de quatre enfants. Ayant quelques pépins de santé, Maria ne pouvant plus trop, provisoirement, travailler au kolkhoze, se voit proposer de tenir le magasin d'État. Ce n'est pas une place très enviée car elle peut attirer des ennuis et Maria, qui n'a que peu ou pas d'instruction, sent bien tous les problèmes qu'un tel poste pourrait lui attirer.

Au départ, c'est pour dépanner pendant deux ou trois mois puis, étant particulièrement appréciée des villageois, Maria est confirmée dans sa fonction de tenancière du magasin. Un an et demi plus tard, elle jouit d'une grande popularité au village mais est toujours aussi inquiète quant aux impératifs de gestion.

À sa demande, il y a donc un contrôleur qui passe vérifier ses comptes et… ô surprise !… il manque 1000 roubles à l'inventaire. Replaçons-nous dans le contexte de la fin des années 1960 (le livre a paru en 1967), 1000 roubles devaient représenter pour eux quelque chose comme 100 000 de nos euros actuels.

Stupeur dans le foyer car Maria et Kouzma n'ont jamais piqué dans la caisse et vivent chichement. Maria est effondrée et n'est qu'un personnage, finalement, très secondaire du roman. Tout va tourner autour de Kouzma qui interroge le contrôleur et demande comment cela est possible. Il veut bien comprendre qu'une négligence par ci, une négligence par là produisent un trou de 30 ou 40 roubles (3000 à 4000 €) mais 1000 roubles !?

Conciliant, le contrôleur leur dit qu'il doit encore effectuer plusieurs inspections plus à l'est et qu'il sera de retour dans cinq jours. À cette date, si les 1000 roubles sont de retour, il effacera tout de son registre. Vous comprenez donc je pense un peu mieux le titre du roman.

Kouzma va alors se lancer auprès des villageois dans une odyssée étonnante, dans une quête désespérée du moindre rouble qu'ils n'ont pas ou qu'ils ne veulent pas donner et c'est là que la magie du roman opère. C'est une galerie de portraits exceptionnelle, qui joue juste, pas dans le pathos, pas dans la critique, pas dans le jugement, pas dans l'angélisme, pas dans l'idéalisme. Raspoutine nous parle de l'humain vrai, avec ses bons et ses mauvais côtés.

Le petit vieux complaisant mais sans le sou, l'instituteur qui se la ramène un peu et qui aide mais que pourtant tout le monde critique, l'ami de longue date mais qui ne pourra pas grand chose et puis finalement si ou bien finalement non, la mégère du coin pleine aux as autant qu'elle est avare, les techniciens bien payés mais qui envoient leur femme dire que ce ne sera pas possible, etc., etc.

Ceux qui donnent ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Ceux qui donnent ou qui ne donnent pas ne le font pas forcément pour les raisons qu'on croit. Avec cette trame, l'auteur a réussi à capter tout un système, toute une ambiance, toute une alchimie sociale, tout l'esprit de l'humain.

C'est du très grand art et j'en redemande. Mais souvenez-vous que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire très peu de chose, cependant, si le coeur vous en dit, donnez un peu d'argent pour Maria.
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L'un des meilleurs représentants de la littérature rurale des années 1970.....
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
— Peste ! Et moi, comme par un fait exprès, j'ai pas d'argent. Autrement, tu aurais pas connu le malheur.
— Allez, ça va, Grand-Père, dit Kouzma. D'où tu aurais de l'argent ? À quoi bon en parler !
— Ben voilà, j'en ai pas. Autrement, on serait pas là toi et moi à réfléchir, mais on serait allé chez moi prendre l'argent.
— Je m'en sortirai bien tout seul d'une façon ou d'une autre, dit Kouzma, laissant entendre au vieux qu'il se passerait de lui. Qu'est-ce que je vais encore te mêler à cette histoire !
Vexé, le vieux se tut. Il cogna sa pipe contre son genou, en fit tomber la cendre, souffla dessus et se mit à bourrer sa pipe, enfonçant de son pouce le tabac avec application. Il n'avait pas l'intention de s'en aller, et, après avoir allumé sa pipe, il oublia aussitôt qu'il était vexé.
— Alors, comme ça, tu dis que tu étais chez Evguéni Nikolaïevitch ?
— J'y étais, oui.
— Il a de l'argent, il te l'a regretté. Peut-être que je pourrais lui en demander de mon côté ?
— C'est pas la peine, Grand-Père. Je trouverai tout seul. C'est mon problème, pas le tien. Tu ferais mieux d'aller te reposer.
Cette fois, le vieux se fâcha tout à fait, pas pour rire.
— Kouzma, tu es comme un petit enfant. C'est pour moi ou quoi que je me donne de la peine ? J'ai vécu toute ma vie sans argent, et maintenant, pour ce qui me reste à vivre, je m'en passerai bien, j'en ai pas besoin. J'ai mon tabac, mon morceau de pain aussi, je peux allumer ma pipe avec du charbon. Moi, vieux comme je suis, que j'aie de l'argent ou pas, tu sais, je m'en…
— Ça va, Grand-Père, ça va, dit Kouzma conciliant.
— Quant à mes nippes, j'aurai pas fini de les user d'ici ma mort. Et pour ce qui est de boire un coup, je vais bricoler un appareil et je vais y verser une telle mixture que ça va brûler comme du feu, pas plus mal que de l'alcool. De toute ma vie, l'argent que j'ai tenu dans mes mains, on peut le compter sur les doigts. Moi, depuis l'enfance, j'étais habitué à tout faire tout seul, à vivre de mon travail. Quand il faut, je peux faire une table et fabriquer des bottes de feutre. Quand y avait la famine en trente-trois, je ramassais le sel pour la bouillie dans les carrières de sel. Maintenant, c'est que magasin par ci et magasin par là, mais avant, on allait deux fois l'an à la boutique. Tout le monde avait ce qui lui fallait. Et on vivait, on en mourrait pas. Mais maintenant, on y est empêtré. On sait plus bricoler — tu parles, au magasin y a de tout si on a de l'argent. Et encore, il a de la chance celui qui en a pas : au moins, ses gosses y perdront pas l'habitude de faire quelque chose de leurs mains, y pourront compter sur eux-mêmes et pas sur l'argent. Mais autrement, à quoi ça ressemble ? Tout le monde est devenu impotent. Les grands comme les petits.
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— Comment déjà tu m'as dit, Mémé ? Que j'ai torturé ma tête ?
— Et c'est la vérité. Tu bois sans arrêt. Et tu ne regrettes pas ton argent.
— L'argent, c'est une bagatelle : il suffit de le gagner.
— L'argent aussi, on doit le respecter. On peut pas le gagner comme ça. Pour en avoir, tu travailles, tu donnes ta force, ta santé.
— Moi, j'ai beaucoup d'argent. Il m'aime, Mémé. Les sous, c'est comme les bonnes femmes : moins tu y fais attention, et plus ils t'aiment. Mais celui qui tremble pour chaque kopeck, celui-là, il aura pas de ronds.
— Comment, il n'en aura pas, s'il ne les jette pas pour rien par la fenêtre, s'il ne les boit pas, comme toi.
— Comme ça ! L'argent comprendra qu'il est un pingre, et — salut !
— Ça, je n'en sais rien.
— C'est comme je te le dis. Ne crois pas, Mémé, l'argent aussi il comprend. Le grippe-sous n'amasse que des miettes. À moi, homme simple, l'argent vient tout bonnement. On se comprend, lui et moi. Je le regrette pas, et il se regrette pas. Il vient, il s'en va, il s'en va, il vient. Mais si je commence à l'amasser, il comprendra tout de suite que je suis pas son homme, et aussitôt, il m'arrivera quelque chose : ou je tomberai malade, ou on m'enlèvera du tracteur. J'ai étudié tout ça.
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Une fois, un tuberculeux m'a fait un aveu fort intéressant. Si j'avais voulu, m'a-t-il dit, il y a longtemps que je serais guéri, mais je n'ai aucun intérêt à être un homme en bonne santé. Vous ne comprenez pas ? Moi non plus, au début, je n'ai pas compris. Mais il m'a expliqué : quatre, cinq mois par an, il est à l'hôpital, aux frais de l'État, ou bien en sana où il pêche, se promène dans les bois, et l'État lui paye cent pour cent de son salaire. On le soigne gratuitement, la nourriture est évidemment la meilleure qui puisse être, il a un logement de première qualité, il a tous les biens matériels, tous les privilèges en tant que malade. Puis, il rentre du sana et, bien conscient de ce qu'il fait, il se met à boire, à fumer, surtout lorsqu'il remarque une amélioration, bref, tout pour ne pas être privé de ces privilèges. Il y est déjà habitué, il ne peut plus s'en passer.
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— Mais avec cette mort… comment faire ?
— Encore, mère, tu parles de ça ! Le visage de Vassili se contracta.
— C'est que je lui ai donné mon accord !, dit tante Natalia d'un air coupable, et il était clair qu'elle parlait de la mort.
Kouzma frissonna, regarda craintivement tante Natalia.
Toujours, à chaque minute, la mort se tient devant chaque homme, mais devant tante Natalia, elle s'était un peu écartée, comme devant une sainte, la laissant passer sur le seuil qui sépare ce monde de l'autre monde. Tante Natalia ne peut pas reculer, mais elle peut encore ne pas avancer. Elle se tient là et regarde de l'un et de l'autre côté. Peut-être que c'était arrivé parce que, courant ici et là toute sa vie, tante Natalia avait épuisé sa mort et que celle-ci ne pouvait plus maintenant reprendre haleine.
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" Qu'est-ce qu'il y a ? " pensa Kouzma avec un mauvais pressentiment, et il pressa le pas. On l'attendait. Maria était assise à la table, les yeux rougis de larmes. L'inspecteur, installé sur un tabouret près de la porte, dit bonjour à Kouzma d'un air décontenancé et coupable. […] N'y tenant plus, Maria se mit à pleurer et s'enfuit dans la chambre. Sans broncher, Kouzma l'accompagna. […] Les mains sur le visage, elle était couchée sur le lit et sanglotait. Il l'obligea à tourner son visage vers lui et demanda :
- Combien ?
- M-mille.
- Quoi, nouveaux ?
Maria ne répondit pas. Tournée vers le mur, elle se couvrit à nouveau le visage de ses mains et se remit à sangloter. Regardant son corps secoué par les sanglots, Kouzma perdit un instant le contact avec la réalité tant tout cela était soudain et effrayant. Puis il revint à lui ; comme dans un rêve, il sortit voir l'inspecteur et lui fit signe de s'asseoir à la table. […] Il dit à l'inspecteur :
- Je vais te parler à cœur ouvert. Nous n'avons jamais pris le moindre grain là-bas. Je dis cela exprès devant les enfants parce que je mentirais pas devant eux. Tu peux voir toi-même qu'on vit pas dans l'aisance, mais on a pas besoin des choses d'autrui.
L'inspecteur se taisait.
- Mais dis-moi, comment ça se fait qu'il y en ait tant ? Mille, c'est ça ?
- Mille, confirma l'inspecteur.
- Nouveaux ?
- À présent, on ne compte plus en anciens roubles.
- Mais c'est une somme folle !, dit Kouzma d'un air rêveur. J'en ai jamais eu autant entre les mains. On a fait un emprunt de sept cents roubles au kolkhoze pour la maison quand on l'a construite, et déjà c'était une somme énorme, jusqu'à aujourd'hui on a pas encore fini de rembourser. Et là, mille ! Je comprends qu'on puisse se tromper, trente, quarante roubles s'accumulent, disons cent même, mais mille ! D'où cela peut-il venir ?
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