« De la part du diable » est un roman qui révèle une fois de plus que la littérature ado regorge de belles pépites, tant dans le style que dans l'histoire. Aina Basso, auteure norvégienne, est historienne de profession. Dans son roman, elle revient sur un pan de l'histoire européenne des XVIe et XVIIe siècles assez méconnu : la chasse aux sorcières et les procès en sorcellerie qui firent entre 20 000 et 40 000 victimes. Situé en Norvège, son récit repose sur l'histoire de deux jeunes filles que tout oppose : Dorothe et Elen.
Dorothe, seize ans, vit à Copenhague, au Danemark. Issue de bonne famille, elle est mariée à un homme beaucoup plus âgé qu'elle, Johann Beyer. Ce dernier, procureur du roi, est nommé au service du suzerain du comté du Finnmark, en Norvège du Nord, le dénommé Hans Köning. Ce dernier oeuvre à éradiquer le paganisme de son fief et emprisonne dans sa forteresse toute personne suspectée de commerce avec le Diable. C'est après un long voyage que Dorothe arrive en compagnie de son époux dans une petite ville, Vardohus, où les arrestations pour sorcellerie se multiplient. C'est également dans ce comté que vit Elen, seize ans elle aussi, unique fille de Marja la Sage. Cette dernière est une femme libre qui vit sans époux. Offrant chaleur et réconfort aux hommes qui viennent frapper à sa porte, Marja suscite de nombreux commentaires. Tous ses fils partis, il ne lui reste qu'Elen et Minus, le petit dernier. Guérisseuse, Marja pratique la magie blanche dont elle enseigne les préceptes à Elen, afin de soigner et soulager les maux des habitants du hameau dont la vie est très rude. Jusqu'au jour où des accusations pour sorcellerie la rattrapent.
Ce roman qui tourne autour du destin de chaque héroïne est avant tout un prétexte pour nous instruire sur les événements tragiques qui se déroulèrent en Norvège au XVIIe siècle. S'appuyant sur des personnages ayant vraiment existé – le fameux suzerain Hans Kôning de son vrai nom John Cunningham -, des lieux – Vardohus – et des faits historiques avérés – interrogatoires sous la torture, simulacre de procès, bûcher - , l'auteur nous fait revivre une époque très obscure où les condamnations en sorcellerie touchaient principalement les femmes et les simples d'esprit. Sous la torture, ces pauvres victimes n'avaient d'autres choix que d'avouer ce que leurs accusateurs souhaitaient entendre. L'épilogue qui clôt ce récit permet au lecteur d'en apprendre davantage sur ces procès qui condamnèrent, au bas mot, 860 sorciers et sorcières en Norvège.
L'écriture fluide et précise de l'auteur, souvent poétique, mêle agréablement Histoire et fiction. Les jeunes héroïnes, tout juste sorties de l'enfance, affrontent un monde brutal où l'innocence n'a plus sa place.
Un bon roman historique où chaque détail est soigné, des tenues des personnages aux faits tragiques en passant par une analyse de la société de l'époque et la description des paysages à la fois beaux et rudes du Finnmark, le tout servi par une belle écriture qui révèle tout le talent de conteuse d'Aina Basso.
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Un livre plutôt intéressant sur un thème qui m'intéresse tout particulièrement : la sorcellerie au 17e siècle, et l'inévitable chasse aux sorcières.
Ce livre offre ce que je recherchais : inspiré de faits réels, le contexte historique est restitué avec précision dans une Norvège passée, même si l'auteur garde une bonne part de liberté pour romancer les choses.
On nous raconte l'histoire à travers le point de vue de deux femmes différentes : une noble qui vient de se marier et tombe inévitablement enceinte, et qui suit l'histoire d'un peu loin, et la fille d'une guérisseuse dont le point de vue était bien plus intéressant.
Le récit met un temps fou à démarrer, et il faut bien s'accrocher pour ne pas lâcher en cours de route. Il faut bien compter une centaine de pages, soit presque la moitié du bouquin, pour qu'il commence à vraiment se passer quelque chose. Mais bien heureusement, une fois que c'est fait, cela devient bien plus intéressant. On rentre vraiment au coeur du problème : les procès, les tortures infligées pour soutirer des aveux, bien souvent faux, les dénonciations d'autres sorcières,. Et les bûchers. le récit est vraiment sombre, et si l'auteur nous épargne la surenchère de la violence, elle ne tait pas certains détails.
Mais pour une fiction aussi bien documentée et basé sur des faits réels, je suis un peu déçue que le partis pris soit à ce point mis sur le côté surnaturel.
Parce que ce qui fait l'un des intérêts de ces chasses aux sorcières, c'est justement le nombre de femmes innocentes qui ont été pendues ou brûlées. Là, on nous fait penser l'inverse, aussi barbare soit l'événement, les condamnées semblent être véritablement des sorcières : les sorcières flottent (ah oui ?) et ont vraiment la marque du diable, insensible. Et il ne leur suffit que de prononcer des formules magiques pour qu'il se passe quelque chose. On aurait pu se limiter aux potions et mélanges d'herbes des guérisseuses que cela aurait été bien plus crédible.
Mais bon, c'est un choix. L'auteur a voulu misé sur le côté fantastique plutôt qu'historique, et puis au fond, le résultat reste tout de même satisfaisant.
Une bonne lecture dans l'ensemble, même si ça manquait d'un petit quelque chose pour vraiment sortir du lot. Pourtant, tous les ingrédients y étaient : le sujet, la façon dont il est exploité. Mais je trouve que ça manque un peu d'âme, que ce soit au niveau du style et des personnages, ou on reste un peu trop dans le conventionnel.
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J'apprécie les récits qui s'ancrent de façon plausible dans le réel, et ce roman réussit très bien cela. On y suit tour à tour le destin de deux jeunes filles:
Dorothée est issue de la noblesse, et se voit mariée à un homme haut placé d'un autre pays, qui joue un rôle dans la condamnation des femmes accusées de sorcellerie. On vit avec elle sa colère de se voir marier trop jeune à un homme bien plus âgé qu'elle, qu'elle n'aime pas... Mais qu'elle dira "apprendre à aimer", au fil de l'histoire. Elle finit par s'habituer à sa nouvelle vie, et ses obligations...
De l'autre côté, nous suivons Elen, fille d'une sorcière qui use de magie blanche pour aider son prochain et gagner sa vie. Elle cumule les aventures d'un soir, et dit ne pas avoir besoin d'un homme. Des enfants, elle en a plein, et de pères différents. Mais elle n'a qu'une fille: son ainée, celle à qui elle voudra apprendre son savoir...
Le destin de ces deux jeunes femmes se retrouvera lié, et j'ai été très surprise de la fin, qui reste dans la continuité du récit: dure, mais réaliste.
Le roman se lit vite, je le conseillerai à tout fan de sorcières et d'histoire.
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Derrière un fond historique qui peut aussi faire écho avec une actualité dramatique, l’auteure a réussi un beau roman d’apprentissage, ou plutôt de deux apprentissages.
Lire la critique sur le site : Ricochet
Nous nous voyons si peu, et pourtant, moins je le vois, mieux je le vois. Je remarque de nouveaux traits sur son visage. Ses yeux, auxquels je ne trouvais auparavant pas de couleur, possèdent soudain toute une palette de teintes changeant avec la lumière. A l'intérieur, au crépuscule, dans le halo jaune des lampes, ils sont sombres, presque bruns. A la lumière du jour, ils prennent la couleur du paysage, bleu-vert devant le bris des vagues, comme bercés au creux d'un coquillage dans les profondeurs mouvantes de l'océan.
Quand il me regarde, c'est avec chaleur. Je cherche son regard et le trouve. Il y a dans sa prunelle un sourire, une lueur, elle ne danse que pour moi.
- Du soufre, dit-elle en pointant du doigt une lésion à vif sur sa poitrine. Des pinces chauffées à blanc, dit-elle en montrant ses bras. Et l'écartèlement.
Elle se frotta les poignets , fut parcourue de frissons.
- On ne peut qu'avouer, dit-elle d'une voix sourde. C'est le seul moyen de les arrêter. La vérité ne les intéresse pas, ils n'entendent que ce qu'ils veulent.
Mon plus jeune frère ne grandissait pas comme les autres, j'en venais presque à me demander s'il ne prenait pas le chemin inverse, se desséchant et se fanant. Et puis il était gris, et vilain comme le diable en personne.
Mère le mettait au sein, de ses doigts elle pressait la grande aréole brune, et l'enfant tétait, mais jamais il n'était repu. Il pleurait et pleurait, à en avoir la face rouge et bouffie, et ne se taisait que quand elle le posait sur un de ses mamelons, qu'il suçait bruyamment jusqu'à l'épuisement.
Il était ce que j'avais vu de plus laid. Il avait dû être échangé à la naissance, je ne voyais pas d'autre explication. Un de sous la terre devait s'être introduit dans la ferme pour voler notre bébé et nous laisser un des leurs. C'est le genre de choses qu'ils faisaient, c'était bien connu.
Ce sont les plus faibles qui se marient, Elen, ceux qui n'y arrivent pas tout seuls, incapables de tenir tête à la vie. Les plus forts restent libres et vivent mieux. Ils ne veulent être régentés par personne et ne veulent régenter personne. Penses-y, et ne l'oublie pas, quand un jour, ce sera à ton tour de faire ces choix. Car tu as le choix. C'est le plus important.
ÉPILOGUE
J'ai élaboré ce récit à partir de faits réels, et les formules ainsi que les aveux présentés dans le roman proviennent de livres noirs originaux et d'archives de tribunaux.