Deathbed

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 6 de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Joshua Williamson, dessinés, et encrés par Riley Rossmo qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Ivan Plascencia. le tome se termine avec 4 pages d'études graphiques réalisées par Rossmo.

Quelque part sur une île isolée, un papa tient son fils nouveau-né à bout de bras à l'extérieur de leur cabane. Il l'a prénommé Antonio et lui promet qu'il sera le plus grand homme à avoir vécu, ou qu'il mourra en essayant, et que le monde connaîtra son histoire. Effectivement de 1942 au temps présent, Anotnio Luna a vécu d'incroyables aventures, en tant que marin, soldat, pilote de course, espion. Au temps présent, Valentine Richards est aux toilettes, avec le moral dans les chaussettes. C'est une autrice, mais elle a écrit son meilleur texte quand elle avait 10 ans. Depuis elle essaye de faire aussi bien, mais pour manger elle est devenue une autrice de biographies, généralement présentées comme des autobiographies, donc sans que son nom n'apparaisse sur la couverture. Pour des raisons économiques, elle est bien obligée d'accepter la proposition de son éditeur d'écrire la biographie d'Antonio Luna. En se rendant chez lui en taxi, elle consulte Wikipedia et a la surprise qu'il n'y a aucune page qui lui soit consacrée. Elle se fait déposer sous la pluie devant sa vaste demeure de 2 étages.

Valentine Richards sonne à la porte. Un majordome et une serviteure lui ouvrent et la conduisent à la chambre d'Antonio Lapone, en passant par un couloir orné de portraits peints, en pied, gigantesques le représentant se battant contre un monstre marin, en père de famille barbu sur une île exotique, en soldat sur une zone d'atterrissage au coeur de la jungle du Viêt Nam, en explorateur dans la jungle, la machette à la main. Elle découvre Antonio Luna couché dans son lit, avec un docteur et un infirmier à son chevet. Luna congédie tout le monde, et demande à Valentine Richards pour quelle raison elle a voulu devenir une écrivaine. Elle lui répond en lui demandant pourquoi il veut écrire ses mémoires. Il indique qu'il a toujours vécu sa vie comme il l'entendait, en faisant ce qu'il voulait et en vivant des aventures extraordinaires. Alors qu'ils sont en train de discuter sur leurs mérites et leurs compétences respectives, des monstres (croisement de momies et de zombies) ont investi la chambre en profitant de la pénombre et attaquent Antonio Luna. Celui-ci se dresse instantanément sur son lit, nu comme un ver, sauf pour une ceinture avec des couteaux et des pochettes, une arme à feu à la main, et plusieurs autres à disposition qui étaient cachées sous les draps. Il s'en suit un carnage au cours duquel Valentine Richards reçoit du sang de monstre sur le visage.

Dans la deuxième moitié des années 2010, le label Vertigo (la branche adulte de DC Comics) vivote en donnant l'impression de s'éteindre lentement. Il y a quelques miniséries qui paraissent sporadiquement, mais toutes les tentatives d'installer une nouvelle série mensuelle ont échoué. le lecteur ne sait pas trop quoi penser en voyant paraître ce tome : un récit d'aventurier, avec une biographe en remorque, par un scénariste prolifique mais dont la série n'arrive pas à se hisser dans la catégorie des indispensables. Toutefois, il a déjà réalisé un thriller teinté d'horreur sympathique Nailbiter illustrée par Mike Henderson, et une excellent série d'Heroic Fantasy Birthright illustrée par Andrei Bressan. le lecteur se lance donc dans cette histoire par curiosité. Antonio Luna a endossé un costume évoquant celui d'un superhéros à la fin du premier épisode, mais il a vite fait de le perdre dès les premières pages du deuxième épisode. Il se lance dans des aventures hautes en couleurs, à commencer par les momies-zombies, puis avec une secte aux pratiques dangereuses. Il va ensuite faire trempette dans un bain souterrain protégé par des femmes guerrières. Il finit par un voyage sur la Lune, avec des loups garous à la clef. le scénariste s'amuse avec les stéréotypes des romans d'aventures de la fin du dix-neuvième siècle, début du vingtième. Il insère une bonne couche d'humour et de dérision générée par le fait qu'Antonio Luna a déjà tout vu tout combattu.

Le lecteur observe également l'étrange composition de l'image de la couverture et il reconnaît peut-être le nom de l'artiste qui a illustré des récits aussi bizarres que Green Wake avec Kurtis J. Wiebe, Rasputin avec Alex Grecian, Bedlam avec Nick Spencer, ou Drumhellar avec Alex Link. Ses dessins associent un petit côté psychédélique plus ou moins marqué, avec une forme de dérision gentille. Effectivement, Ivan Plascencia utilise une gamme de couleurs assez riches, avec des teintes inattendues comme le violet ou le rose. Elles ne sont pas mises en avant, et ne s'immiscent pas dans toutes les scènes. Il en fait un usage modéré mais qui participe à installer une impression de récit jouant parfois sur les sensations, ou la perception de la réalité, avec un effet maximum lors du bain mémoriel au milieu des méduses, au cours de l'épisode 4. de son côté, Rossmo n'hésite pas à user de licence artistique pour tirer ses représentations vers l'horreur, ou le loufoque en fonction de la séquence. La première fois qu'Antonio Luna se défend contre les momies-zombies, il est nu et se lance dans une suite de mouvements dévastateurs formant un ballet. Puis, Luna retrouve son costume de pseudo-superhéros au milieu de sous-vêtements comprenant la cagoule de Bedlam et un soutien-gorge mal rangé. Lorsqu'il se déplace en sidecar avec Valentine Richards, le véhicule semble planer à plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du sol. À d'autres reprises pendant des affrontements physiques, il ajoute une petite exagération discrète dans l'effet des coups, à des fins comiques.

Le lecteur retrouve cette même propension à la touche malicieuse dans les personnages. Antonio Luna dispose d'un corps de jeune apollon malgré son âge, avec des muscles parfaitement sculptés. Valentine Richards donne l'impression d'être un peu boulotte et callipyge, avec une forme de séduction sortant des canons habituels de la beauté, mais irrésistible. Rossmo s'amuse également bien avec les membres de la secte et avec les guerrières, parfois avec leur morphologie, parfois avec les caractéristiques de leur visage, parfois avec leur tenue vestimentaire. le lecteur peut constater que cet artiste s'autorise une certaine liberté de ton qui lui permet d'insérer quelques petits dessins d'enfants dans le cinquième épisode, ou d'exagérer les expressions de visage pour un effet comique. Cependant il sait conserver une grande cohérence entre ces éléments de nature différente, évitant le collage hétéroclite. Il prend également grand soin de représenter les décors sur toutes les planches et la majorité des cases, en leur attribuant des détails qui leur insufflent une personnalité propre et unique. La narration visuelle de Riley Rossmo est à la fois personnelle, à la fois exubérante et rigoureuse, emmenant le lecteur dans un monde très particulier, pleinement concrétisé, avec une impression d'amusement très agréable.

Dès la présentation de Valentine Richards, le lecteur se rend compte que Joshua Williamson ne se contente pas d'une aventure linéaire avec des personnages hauts en couleurs et des situations à la fois convenues et surprenantes. En effet, il indique que la biographe regrette que sa meilleure production écrite soit survenue alors qu'elle n'avait que 10 ans et qu'elle n'ait pas réussi à faire mieux depuis. Lors de sa première rencontre avec Antonio Luna, celui-ci déclare tout de go qu'il pense que les écrivains mènent des vies plates et sans intérêt, et que c'est la raison pour laquelle ils s'intéressent à celle des autres. Au cours des aventures, Valentine Richards est amenée à s'interroger sur son manque d'implication dans l'action, son choix de rester en retrait comme elle le fait dans sa vie civile. Elle se demande si son activité d'écriture ne constitue pas un choix délibéré d'éviter d'avoir à participer et prendre des risques. le lecteur perçoit que le scénariste s'interroge sur la nature de son métier, au travers des réflexions de Valentine Richards. Il ne s'agit pas d'un flux de pensées intellectualisées, mais de remarques judicieuses au moment opportun, générées de manière organique par la situation.

Bien sûr, Valentine Richards porte également un regard critique sur l'individu qui constitue le sujet de la biographie qu'elle doit écrire. Elle le regarde avec admiration entreprendre des actions qu'elle s'interdit, mais aussi faire preuve d'une forme d'irresponsabilité, ou plutôt d'une autre forme de manque d'engagement, Luna abandonnant une situation ou des individus quand l'ennui commence à poindre son nez. le comportement de fanfaron de Luna et ses hauts faits qu'il accomplit ne font pas de lui un modèle. Williamson évoque les motivations de ses deux personnages principaux, et revient à la scène d'ouverture, à l'ambition du père pour son fils. Il effectue des observations par touche, évoquant le regard qu'un individu peut porter sur des choix qu'il a fait, en bénéficiant du recul de plusieurs années, de dizaines d'années même en ce qui concerne Antonio Luna. Ce qui semblait n'être qu'une pochade en surface révèle une sensibilité insoupçonnée, un questionnement sur ce qui conduit un individu à adopter un système de comportements, plutôt qu'un autre.

En se lançant dans cet ouvrage, le lecteur s'attend à une aventure un peu loufoque, avec un bel homme triomphant de tous les périls, et une jeune femme un peu timorée à ses côtés, servant de contraste au héros. Il apprécie la personnalité entraînante des dessins et leur humour discret, ainsi que l'inventivité visuelle. Il découvre petit à petit que les 2 personnages principaux sont capables de prendre du recul sur leur vie, sur leur façon d'être, ce qui se double d'une réflexion sur la nature du métier d'écrivain, sans intellectualisation pénible, avec une sensibilité permettant qu'il s'agit de parler de la vie.