Gidéon Rottier, solitaire, bègue, laid, se sent "comme un quidam effacé qui se tourne les pouces la vie durant dans la salle d'attente de la mort, tout en sachant qu'après le départ de son dernier train, il ne laissera pas la moindre trace d'un souvenir. Nous étions des millions dans ce lieu, la plupart y restent encore. Vivant sans passion, sans but". Pour "vaincre cette banalité crasse", Gidéon a choisi un métier extravagant. Il est un "nettoyeur de l'extrême", pour le compte d'une entreprise d'assainissement qui intervient sur les lieux de drames divers (incendies, négligences graves, suicides, attentats,...) pour les remettre en état. Loser patenté, invisible et insipide, Gidéon ne se fait aucune illusion sur lui-même. Un tournant s'amorce cependant dans sa vie d'ermite le jour où on lui adjoint un nouveau collègue, Youssef, demandeur d'asile en provenance d'un pays qui ressemble furieusement à la Syrie. Gidéon accepte aussi d'héberger Youssef chez lui, et une amitié improbable naît peu à peu entre les deux hommes. Puis c'est une dette de vie qui s'inscrit dans le grand livre de comptes de Gidéon, le jour où Youssef le sauve de la mort lors d'un accident de travail. A ce point-là, Gidéon ne peut refuser lorsque Youssef lui demande d'accueillir sa femme et ses deux enfants, tout juste débarqués de leur pays en guerre. S'installe alors une vie de famille elle aussi improbable, faite de bonté et de gratitude mais aussi de tensions qui font presque regretter à Gidéon sa tranquillité d'avant. Mais tout cela n'est rien encore. Parce qu'un jour, il y a un attentat terroriste à la gare d'Anvers, dont l'effroyable nettoyage revient à Gidéon, Youssef et leurs collègues. Puis il y a d'autres attentats et attaques en tous genres, une spirale de violence qui se déchaîne dans le pays. Youssef disparaît, en quête d'un endroit plus paisible sur terre pour lui et sa famille. C'est alors que le chaos investit également la maison de Gidéon. La femme et les enfants de Youssef, déjà traumatisés par la guerre, sont totalement déboussolés par son départ et ne tardent pas à partir en vrille. Gidéon, loyal jusqu'au bout envers son ami, tente de leur maintenir la tête hors de l'eau malgré son envie de les jeter à la rue tant ils lui font la vie impossible. Loyal mais maladroit, il ne parvient pas à éviter le drame.
Ce roman est comme son titre, flamboyant. On y retrouve toute la verve et le style baroque virtuose de Tom Lanoye, et la traduction toujours impeccable d'Alain van Crugten. Sur fond de crise migratoire, de menace terroriste et de coup de gueule à peine voilé contre l'extrême-droite (le titre néerlandais "Zuivering", qui signifie nettoyage, épuration, purification, me semble évocateur), il brosse le portrait de personnages aux relations complexes et ambiguës, dont le fragile équilibre est sans cesse menacé, entre amitié sincère, manipulation, jeux de dupes, générosité, égoïsme, reconnaissance et volonté d'intégration.
Ce livre, qui mêle tragédie, humour noir et autodérision, pousse à la réflexion et pose des questions parfois vertigineuses, loin de tout manichéisme naïf. Il pointe les paradoxes d'une société qui perd le nord : une société civile en plein repli sur elle-même mais qui veut accueillir les réfugiés tout en s'opposant à une classe politique qui freine des quatre fers. Les idéaux de générosité et de tolérance sont battus en brèche par la folie terroriste ou sécuritariste. Vaguement dystopique, ce roman mordant et intense est fait de décombres et de flammes, celles de l'enfer du rejet et de la peur. Mais où va donc le monde ?
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