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EAN : 9782757871843
192 pages
Points (11/10/2018)
3.87/5   314 notes
Résumé :
Tête de beur, nom juif et chanteur homonyme : François Feldman était mal barré dès le début. Et ça ne s'est pas amélioré. Sa banquière BCBG, Juliane, lui refuse un nouvel emprunt et Saki, qui règne sur la cité, cesse de l'aider. Mais grâce à un terrible accident, François tient enfin sa chance : Juliane tue le cousin de Saki et a besoin de son aide pour fuir les caïds et la police. S'ils s'en sortent, il sera en bonne position pour négocier.
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Critiques, Analyses et Avis (75) Voir plus Ajouter une critique
3,87

sur 314 notes
« Je lui ai dit que j'avais un nom de juif et une tête d'Arabe mais qu'en fait j'étais normal », « Je m'appelle François Feldman, comme l'aut'con. Mais je suis pas chanteur. »

Avec Jacky Schwartzman, pas question de faire dans la dentelle (« c'est pour les tapettes »). Et on n'est pas prêt de se laisser bercer par "Les Valses de Vienne", François il serait plutôt du genre IAM : le titre du livre étant aussi une chanson dudit groupe.

François Feldman, le personnage principal, vient du quartier des Buers, à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise. À 39 ans, il a ouvert une boutique de t-shirts détournants des citations, réelles ou imaginées, dans le but de créer une situation comique. Il veut se sortir des magouilles de la cité et devenir « enfin un Français. Un vrai. ».

« Bonjour, c'est bien ici Charlie Hebdo ? », signé Chérif Kouachi, est sa dernière création. Mais, apparemment son humour macabre ne passe pas dans le centre-ville. Ça ne marche pas. Son humour des banlieues n'arrive pas à passer le Rhône.

« Ce genre de vannes, aux Buers, ça faisait marrer tout le monde. Mais dans la presqu'île, pas du tout, et à la Banque populaire encore moins. »
Car évidemment, sa petite entreprise connaissant la crise, il a maille à partir avec les agences de prêts financiers, notamment sa conseillère, « la Bacardi », Juliane de son prénom. À travers son mépris, il se verra telle qu'elle le considère, avec la condescendance que lui impose son poste : un « teubé » vulgaire et ignare.

C'est pourtant avec elle, une fois qu'elle se sera mise toute seule dans « une merde apocalyptique » qu'il partira dans une fuite effrénée à travers les rues de la ville lumière, tentant d'échapper autant à la flicaille qu'aux petites frappes de la cité.

Même si son aide est au départ intéressée, c'est un véritable duo de choc qui va se former sous nos yeux de lecteur, pour leur survie, mais aussi pour notre propre bonheur.

Sur un rythmé enlevé, allié à un humour décapant, nous voilà embarqué dans une course poursuite délirante à laquelle il est difficile de résister. Mêmes les petites incohérences scénaristiques sont vite oubliées, dépassés que nous sommes par la verve et style inimitable du bonhomme.

Entre un humour mordant à la Desproges, et une ironie sociale qui fait penser à Iain Levison, si Jacky Schwartzmann ne fait pas dans la demi-mesure (« c'est pour les pédés »), c'est au contraire pour nous offrir une écriture fine et maline.
Le mépris des nantis, la décolonisation, les cités-ghettos ou la peur du déclassement, tout y passe.

Intelligent, vif, et drôle, je ne me souviens pas m'être autant marré en lisant un roman !
À condition d'apprécier le deuxième, voire le troisième degré, les fous rires sont garantis.

Un roman social noir, à l'humour... noir, forcément, qui ne pourra vous laisser indifférent.

« C'est quand même un joyeux bordel la vie » ;-)

Lu en novembre 2018.

Et spécial dédicace à Renod, grâce à qui, par sa chronique, j'ai découvert ce livre et cet auteur. Donc, merci à lui ! ;-)

Ma chronique sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Demain-..
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Ceux qui me connaissent bien savent que le politiquement correct ça m'emmerde...
Alors des petits romans avec cet humour piquant, décalé, parfois de mauvais goût mais surtout hors du politiquement correct sont faits pour moi.

Je suis fan de l'humour Charlie Hebdo et je suis maintenant fan de l'humour schwartzmannien.
J'ai éclaté plus d'une fois de rire.
Si le scénario est déjanté et les personnages complètement cramés, ça se lit bien et vite.

J'ai quand même peur que la bienséance, la bienpensance... Enfin tous ces phénomènes à la mode qui me sortent par les trous de nez... Finissent par avoir la peau de ces auteurs qui prennent des risques.

Et pourtant Jacky Schwartzmann n'épargne personne et n'est absolument pas parti pris dans son discours.
Son humour est dispensé avec brio et de façon astucieuse.

En bref, j'adore lire ce type de roman : ça met le smile et ça détend.
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François Feldman, qui n'a rien à voir avec le chanteur, a quitté la cité des Buers pour s'installer dans le vrai Lyon, c'est à dire dans la presqu'île. C'est aussi là qu'il a ouvert sa boutique de prêt-à-porter. Son créneau : des t-shirts et des sweats avec des citations inventées pour le moins empreintes d'humour noir (voire très noir). Les affaires ne marchent pas vraiment mais il compte bien sur son dernier slogan en date pour relancer la machine. Pour cela, il aurait besoin d'un peu d'argent et c'est donc tout naturellement qu'il va voir sa conseillère financière de la Banque Populaire, la Bacardi, Juliane de son doux prénom, qu'il méprise au plus haut point... Et qu'il déteste encore plus lorsqu'il se voit refuser son prêt ! Mais avec sa dernière idée de génie, à savoir faire venir de la terre d'Algérie pour enterrer les Algériens en France dans de la terre algérienne, il est sûr qu'elle ne va pas le lui refuser cette fois ! Mais non, son idée ne lui plait pas, à la Bacardi. Il décide alors d'aller voir son pote, Saïd, dealer notoire, aux Buers. Rien à faire, son idée ne lui plait pas plus. Bien au contraire ! Alors qu'en bas de l'immeuble, lui et Ibrahim, le cousin de Saïd, s'étripent verbalement, ce dernier ne trouve rien de mieux que de se faire écraser contre le mur par une Audi... conduite par la Barcardi !

François Feldman, avec son nom juif et sa tête d'arabe, est un type normal, comme il le souligne. Quoique son humour frôle parfois les limites. Par un mauvais coup du sort, le voilà embarqué dans une improbable cavale avec sa conna... hum... sa banquière. À leurs trousses, des caïds des Buers mais aussi la police. Faut dire que Juliane Bacardi s'est foutue dans un sacré merdier. Et François, dont la bonté le perdra, ne pouvait décemment pas la laisser se dépatouiller toute seule. À charge de revanche, évidemment ! Jacky Schwartzmann fait, comme à son habitude, dans l'humour, la déconnade, le déjanté, le politiquement incorrect, n'oubliant pas d'écorcher au passage notre société. Et ce pour notre plus grand plaisir ! À un rythme effréné, il dégaine, sur même pas 200 pages, un scénario tout aussi diabolique que délirant, à l'humour mordant et parfois noir, porté par des personnages pas piqués des hannetons.
Un roman noir totalement jouissif !
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En principe, je suis censé rencontrer ma conseillère financière une fois par an.
Etrangement, tant que j'avais deux crédits en cours auprès de la Banque Postale ( pour ne pas la citer ), je suis resté plusieurs années sans avoir de ses nouvelles.
Depuis que je n'ai plus aucune dettes en revanche ... les propositions de rendez-vous se multiplient.
Pour me faire ouvrir une assurance-vie, un nouveau contrat d'épargne, ou n'importe quoi d'autre maintenant que je suis redevenu solvable ?
Parce que je ne suis pas un client intéressant si je n'ai ni emprunt, ni agios, ni frais d'avis à tiers détenteur ?
Je l'ignore, puisque je ne l'ai jamais revue.

"Les découverts des français représentent environ sept milliards d'euros. Ils correspondent à des prêts à court terme qui se situent entre huit et seize pour cent, ce qui revient à une sodomie."
Depuis son roman Bad trip qui dénonçait déjà l'ironie du mot "Populaire" dans la banque éponyme, Jacky Schwartmann revient à la charge. Selon lui, les agences bancaires sont à l'origine d'un racket élaboré, légal, qui rapporte davantage que n'importe quelle activité liée au grand banditisme.
Pour autant, François Feldman a à nouveau besoin de sa banquière.
♫ Maintenant que deviennent / Que deviennent les valses de Vienne ? / Et les volets qui grincent / D'un château de Province ? ♫
Alors non, rien à voir avec le chanteur. Ce François là est juste un homonyme, un Français qui a grandi dans la banlieue de Villeurbanne et dont le physique rappelle davantage celui du juif ou de l'arabe.
"Pour résumer, depuis que je suis gosse, on m'appelle soit le Juif, soit le Rebeu blanc."

Il faut s'adapter à notre monde en perpétuelle mutation, et c'est pour ça par exemple que les métiers de services au troisième âge se développent de plus en plus. Mais les entrepreneurs rivalisent de plus en plus d'idées et d'ingéniosité en proposant l'entretien des sépultures de nos proches, la sculpture sur légumes ou encore l'entretien d'aquariums ...
François Feldman s'adapte lui aussi à la présence de ces nombreux Arabes qui déplorent de devoir enterrer leurs défunts en France plutôt qu'au pays. Et il se propose donc d'importer de la terre d'Algérie afin que les familles puissent faire leur deuil plus facilement.
"Ce que je me proposais d'apporter aux Algériens de France, ils en voudraient tous."
La réaction de Juliane Bacardi, la fameuse conseillère financière, ne se fait pas attendre. Elle trouve l'idée d'un tel mauvais goût ...
"C'est une française ultra française, de bonne famille, bien élevée, le genre de meuf qui ne dit jamais par contre mais en revanche."

Devant le refus de Connasse Bacardi ( son petit surnom ), François pense à une solution alternative et se rend chez Saïd Belchia, son ami d'enfance, devenu aujourd'hui le caïd de la cité des Buers, dans les quartiers chauds de Villeurbanne, dont il contrôle le trafic de drogue.
"Cité de merde remplie de blaireaux et de mecs tordus et violents."
Quand, dans le même temps, Juliane écrasera malencontreusement un des lieutenants de Saïd au volant de son Audi, l'histoire s'accélèrera et prendra la forme d'une improbable course-poursuite entre ces jeunes de la cité qui crie vengeance d'un côté, la police d'un autre, et bien sûr la banquière et François, au mauvais endroit au mauvais moment, qui se retrouve bien malgré lui embarqué dans cette galère, en compagnie de cette femme complètement coincée.

Cette situation totalement loufoque est bien entendu un prétexte.
Un prétexte à une folle épopée pleine de rebondissements bien tirés par les cheveux, et à des gags qui parfois font mouche.
Un prétexte également pour rendre complices deux personnes que tout oppose : le faux Rebeu des cités pas forcément fûté et la femme bon chic bon genre, de droite, née avec une cuiller en argent dans la bouche.
"Je pense que nous sommes les Bonnie and Clyde les plus ringards de toute la création."
Enfin et surtout, un prétexte aux nombreux dialogues qui parsèment l'échappée de ce couple dépareillé.
Leur vision du monde qui s'oppose, les inégalités sociales, les Algériens de France, les jeunes des cités ...

Si je ne me trompe pas, le jeune Jacky Schwartzmann a grandi à la fois dans les cités et dans les quartiers bourgeois, et donne l'impression de nous restituer les deux différents sons de cloche qui ont bercé son enfance à propos notamment de la place des Maghrébins en France : Celui des préjugés et celui des banlieues.
Avec un humour corrosif, un peu à la façon de l'humoriste Jeremy Ferrari, il dit tout haut ce que certains pensent ou votent tout bas.
"Vous êtes Franco-Algérien mais vous dénigrez la France. Répondez juste à une question : Qu'est-ce que l'Algérie a fait pour vous, au quotidien ? Je veux dire, en termes d'allocations, d'aides, etc."

Le sujet des banlieues me met souvent mal à l'aise. Les médias nous imposent un point de vue socialement correct, surtout en ces temps troublés où les amalgames sont faciles.
Mais comment rester serein dans un train quand dans la banquette à côté de la votre se trouve un jeune musulman barbu, avec une mallette ? L'idée qu'il s'apprête à faire un baroud d'honneur en emportant le plus de méchants Français avec lui vous traverse forcément l'esprit, non ? Même si vous savez parfaitement que c'est un mauvais raisonnement.

Ayant vécu et travaillé dans le centre ville de Saint-Denis pendant quinze ans, l'une des villes les plus cosmopolites de France, c'est difficile de garder toute objectivité et d'avoir du recul.
Deux fois par semaine environ, j'empruntais la rue du Corbillon, où s'était réfugié le coordinateur des attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Si bien que quand François Feldman, dont l'actuel métier est de vendre des t-shirts avec des citations d'homme célèbre, a l'idée d'un nouveau modèle qui se vendrait comme des petits pains dans les cités, ça m'a fait sourire très jaune. Parce qu'il n'est pas loin de la vérité.
"La citation c'est "Bonjour, c'est bien ici Charlie Hebdo ?". Et c'est signé Chérif Kouachi."

Pour faire le plus court possible, mes années dans le 93 ont été marquées par les petits trafics de drogue au su et au vu de tous à proximité de la gare. J'ai le souvenir de différents collègues agressés : L'une projetée violemment contre le sol tandis que le malfrat lui arrachait son collier du cou, l'autre à la main abîmée par une barre de fer parce qu'un gamin en vélo l'avait frappé pour pouvoir récupérer son téléphone portable. Parmi mes usagers, une pharmacienne avait été victime d'une attaque à main armée et avait perdu l'usage de ses jambes. J'ai reçu une fois un homme attaqué à la machette : On lui avait coupé une oreille et massacré le dos juste parce qu'il s'était interposé dans une bagarre de rue.
Donc cette colère existe bel et bien dans les cités, notamment chez les jeunes, et elle est accompagnée de violences parfois extrêmes, sans cible précise.
A contrario, il m'a été donné de rencontrer des personnes de tous les horizons géographiques particulièrement reconnaissantes et généreuses ( beaucoup plus qu'en province ), parfaitement intégrées malgré une culture un peu différente. Et ces français d'origine indienne, malienne, israëlienne ou marocaine, qui ont du le plus souvent batailler plus dur que les autres pour pouvoir apprendre notre langue et ouvrir leur entreprise, méritent le plus grand respect, la plus grande tolérance.

Jacky Schwartzmann égratigne quant à lui l'image de l'Arabe venu en France pour vivre des aides sociales, sans nier l'existence de ce phénomène qui a tendance a irriter parfois notre système de solidarité.
"Quand on décide d'évoluer en burka, on se doute bien que même le Lidl ne nous prendra pas comme caissière."
Mais il rappelle malicieusement que le véritable problème, c'est peut-être davantage le système de répartition des richesses, en faisant référence aux actionnaires et aux salaires démentiels de certains chefs d'entreprise.
Une aberration dont on détourne notre regard en pointant le doigt vers ces individus en marge de la société.
"On est parvenu à leur faire croire que s'ils ont dans la merde, ce n'est pas à cause de ceux qui ont tout le blé, non, c'est à cause de ceux qui n'en n'ont pas du tout."

Il y a un passage que j'ai beaucoup aimé également, par lequel je me suis senti directement concerné :
"Les gens disent Maghrébins parce que Arabe on croit que c'est une insulte. C'est comme quand on dit Black au lieu de Noir. C'est pas parce que c'est plus branché, c'est parce que c'est moins gros mot. C'est un mot light en fait, comme le coca."
Et en effet, je suis le premier à me reprendre parfois, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, quand je dis Noir. Black me paraît plus passe-partout, plus cool, et en ces temps troubles où le moindre mot de travers peut entraîner des accusations infondées de discrimination, je ne suis même plus sûr du vocabulaire que je suis en droit d'utiliser ou pas ... et apparemment je ne suis pas le seul.

Le livre fourmille de petites piques, de préjugés ( s'il a grandi dans les cités, François doit bien être capable de faire démarrer une voiture avec les fils, non ? ) plus ou moins fondés, de clichés vrais ou faux.
Parfois on s'en amuse, parfois ça crée un léger malaise, mais au moins il n'y a aucune hypocrisie bien pensante ni surtout aucune volonté de rester politiquement correct. Et quand l'auteur dépasse un peu les bornes de l'acceptable, le second personnage est là pour exposer son point de vue opposé.
Deux personnes, deux cultures, deux regards pour avoir une vue d'ensemble parce que chacun demeure uniquement concentré sur son nombril sans faire l'effort de se mettre à la place de l'autre ou des personnes incriminées.
Et heureusement, les propos tenus ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre.
"Le second degré venait d'entrer dans sa vie et, visiblement, elle n'était pas contre."

Si l'humour mordant permet de faire réfléchir, d'élargir notre point de vue sur des sujets particulièrement sensibles tout en passant un bon moment, les scènes d'action sont quant à elles un peu téléphonées, prêtent parfois à sourire, mais tout va beaucoup trop vite.
J'ai globalement pris plaisir à la lecture de ce petit roman acide, je déplore cependant qu'il n'ait pas été plus consistant.
Son intrigue ne tient - certes volontairement - qu'avec quelques grosses ficelles et son ironie provocatrice ne fait que soulever légèrement le voile des préjugés et du racisme en France ( et ce des deux côtés de la barrière ), un pays où finalement on n'est pourtant pas si mal.
Je l'ai donc refermé avec un sentiment d'inachevé, tant dans le périple tumultueux ( et totalement absurde ) de nos deux protagonistes que dans les réflexions intéressantes qui auraient toutefois parfois nécessité d'être approfondies plutôt que de n'être que survolées avec ce ton corrosif.
Mais je vous le conseille cependant si vous pouvez rire de tout.

J'allais également signaler la curieuse absence d'un chapitre 13 ... Mais je constate que c'est également le cas dans le précédent roman de l'auteur. Mauvais coûts et Demain c'est loin passent tous les deux sans transition des chapitres 12 à 14.
Faut-il y voir une quelconque superstition de la part de l'auteur ?

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Demain c'est loin est un polar ancré dans le quotidien, à l'instar de son auteur, Jacky Schwartzmann, pour qui l'observation de ses contemporains est sa matière première d'écrivain. Elevé alternativement dans une cité ouvrière et dans un centre-ville bourgeois, il en a observé les modes de vie et de pensée. Cela lui permet d'en tirer avec humour des analyses décomplexées, confrontant sans hésitation les clichés extrêmes les plus éculés, sans rien concéder au politiquement correct. Pour le langage, il choisit un camp, celui des jeunes des quartiers difficiles.

Ce langage est celui du personnage principal et narrateur du roman. On le prend généralement pour un Arabe, parce qu'il a une tête de Rebeu et parce qu'il a grandi entouré d'Arabes dans une cité difficile de Villeurbanne, en banlieue de Lyon. Pourtant, son nom, c'est François Feldman – comme le chanteur, mais faut pas le lui dire, parce qu'on lui en a déjà fait dix mille fois la remarque et ça l'énerve –. Dans la cité, il est le Juif. On l'appelle ainsi en raison de la consonance de son nom – Curieux d'imaginer cela quand on s'appelle Schwartzmann ! – En fait, François n'est ni arabe ni juif. C'est un mec normal, quoi ! aurait dit Coluche.

François connaît bien les Rebeus. Il les observe avec bienveillance sans oublier d'être lucide. Il sait leurs qualités, connaît les obstacles auxquels ils doivent faire face dans leur vie de tous les jours et a conscience des galères pouvant conduire certains à des activités illicites. Il reconnaît aussi leurs insuffisances, leur orgueil souvent mal placé, leurs tendances à s'énerver pour un rien, et les bonnes excuses qu'ils se donnent pour leurs échecs ou leurs choix malavisés.

A force d'être pris pour un Arabe et de vivre avec eux jour et nuit, François finit par parler comme eux et par avoir les mêmes réflexes, lorsque des Français, des bons Français, font mine de se méfier de lui ou de ne pas le prendre au sérieux.

C'est en l'occurrence une Française qui se trouve en travers de son chemin. Juliane Bacardi est une jeune responsable d'agence bancaire bien comme il faut, bonne famille, bonne éducation, bons diplômes. Quoi d'étonnant à ce qu'elle lève les yeux au ciel en écoutant les arguments de ce type avec sa tronche d'Arabe : tous les mêmes, pas structurés, pas francs, pas fiables ! Quoi d'étonnant à ce que François se retienne difficilement d'injurier cette bourge coincée qui lui balance avec morgue des conseils de surveillante de maternelle !

C'est là que le polar reprend ses droits. L'intrigue échafaudée par l'auteur conduira François et Juliane au centre d'une aventure rocambolesque à rebondissements multiples. Ils devront en affronter ensemble les périls, étant recherchés activement par toutes les forces de police de la région, tout en ayant à leurs trousses une bande de mafieux rebeus prêts à leur faire la peau.

Le livre est noir, violent, très violent même par instant, mais le ton de la narration reste toujours imprégnée d'une touche d'humour décalé, comme pour rappeler qu'il ne s'agit que de littérature.

Un mot sur l'humour de l'auteur. Il entend ne faire aucune concession à la bien-pensance, ne se fixer aucune limite de bon goût. Il flirte avec la ligne jaune, notamment dans les premières pages qui, pour moi, ont failli être les dernières : une trop forte concentration d'humour bête et méchant, ni vraiment nouveau ni vraiment drôle, aurait pu me faire abandonner le livre… J'ai bien fait de persévérer, car finalement, les mots d'esprit du narrateur contribuent à rendre la lecture plaisante.

Polar bien construit et captivant, Demain c'est loin livre aussi un constat sur les rapports sociaux, ou plutôt sur l'absence de rapports quotidiens entre les classes sociales. Chacun ses modèles, chacun ses contre-modèles. Jacky Schwartzmann ne juge pas, ne prend pas position... sauf quand il fait déclarer par son François Feldman que la France est le plus beau pays au monde.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Citations et extraits (67) Voir plus Ajouter une citation
Nous avons trouvé assez facilement la maison de Beynost, qui était au fond d'un lotissement de maisons toutes identiques. Dans les HLM il y a les mêmes apparts et là, visiblement, c'était pareil. En plus grand, avec un jardin et avec un garage, dans lequel on a vite rangé la voiture de police. Dans ce genre d'endroit les gens se connaissent et le moindre pet de travers ameute tout le voisinage, le front contre les carreaux de la cuisine. Les yeux torves, les yeux de gestapistes qui ne veulent de mal à personne, non, qui n'espionnent que pour protéger le territoire. J'étais un peu en mode parano, et stressé avec ça, j ai tout de suite senti dans l'air l'odeur de la droite. Des gens avec des revenus confortables, sans plus, sans ISF, pas totalement réactionnaires mais pas vraiment modernes non plus. Les bons Français, voilà, c'est là qu'ils sont, là qu'ils se retrouvent, là qu'ils se reproduisent. J'ai eu le sentiment d'être dans un parc animalier, dans le zoo de Saint-Martin-la-Plaine avec une seule espèce vivante domiciliée : la classe moyenne. Des gens avec une vie tiède, un bon vieux 12 sur 20 et « peut mieux faire », des gens qui ont peur des pauvres et qui sont impressionnés par les riches. Ils ne feraient pas de mal à une mouche mais ils ne balancent pas la pièce au manouche du feu rouge. Ils trouvent que les Balkany ne sont pas si mauvais que ça et que les socialistes sont trop honnêtes pour être honnêtes. Ils aimeraient bien qu'on offre une direction à la France sans se questionner sur le non-sens de leur propre vie. Plutôt inoffensifs, par ailleurs. On est parvenu à leur faire croire que s'ils sont dans la merde, ce n'est pas à cause de ceux qui ont tout le blé, non, c'est à cause de ceux
qui n'en ont pas du tout. Dingue ! Ils ont gobé ça tout cru. Ils gobent tout, de toute façon. Y en a jamais aucun qui s'est dit : Tiens, je vais aller péter la gueule à ce député, là, qui me prend pour un jambon depuis cinq mandats. Ou : Tiens, ce chef au bureau, qui me sourit en me demandant comment a été mon week-end, gagne cinq fois mon salaire. Leur ennemi a été désigné, il est sale, il vit dans les banlieues, et il est pauvre. Il se goinfre tellement d'allocs que ça gèle les salaires. C'est à cause de lui... Quoi ? . . . Les actionnaires ? Ah non, ça c'est pas pareil, ferme ta bouche et bouge de là. T'es pas content ? T'avais qu'à mieux bosser à l'école. Pis c'est pas de notre faute si tu t'es pas retrouvé dans la bonne couille.

Pages 135-136, Points, 2018.
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Comme ce matin-là, un samedi, dix heures. Juliane Bacardi, ma conseillère financière, voulait me voir. Le mot conseillère était en trop, dans l'intitulé de son poste. En tout cas pour moi. Le seul conseil qu'elle m'avait jamais donné c'était de fermer ma boutique et de trouver un vrai travail. Salope. Je pouvais pas la blairer. C'était une Française ultra Française, de bonne famille, bien élevée, le genre de meuf qui ne dit jamais par contre mais en revanche. Le genre de meuf qui, dans un bar, vous repère tout de suite et vous évite pour se blottir contre des Clément ou des Benoît, inoffensifs et pas drôles. Pas drôle non plus, la Juliane. Quand je l'ai rencontrée au tout début, pour lancer ma boutique, je l'ai joué mec enthousiaste et enjoué. Je lui ai dit que j'avais un nom de juif et une tête d'Arabe mais qu'en fait j'étais normal. Ce genre de vannes, aux Buers, ça faisait marrer tout le monde. Mais dans la presqu'île, pas du tout, et à la Banque Populaire encore moins.

Page 13, Points, 2018.
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Je m'appelle François Feldman, comme l'aut' con. Mais je suis pas chanteur. Et je suis pas juif. Depuis toujours quand je dis mon nom on me demande : « Comme le chanteur?» Quand je suis énervé je réponds : « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, c'est mon oncle. Là, les gens ne savent plus quoi dire et ils sourient bêtement. Ils sont écrasés par le poids de la célébrité et ils me regardent autrement. Sinon, on me demande souvent si je suis juif. « Feldman, Feldman... c'est juif, non ? » Quand je suis énervé je réponds : « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, je suis feuj. Gros silence. Les gens n'ont rien contre les juifs mais ils n'aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu'il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons et c'est ça qu'ils n'aiment pas : être comme des cons.

Page 11, Points, 2018.
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Ensuite on a exploré le king size, comme des steaks dans une poêle on était; et d'un côté, et de l'autre, et je te retourne et tu cuis. Je me suis pris au jeu, j'étais excité à fond, je me disais même que j'aimerais bien revenir voir Brigitte de temps en temps quand, d'un coup, le tue-l'amour s'est produit. Brigitte s'est mise à quatre pattes pour que je la prenne en levrette et j'ai découvert qu'elle avait le visage de Johnny Hallyday tatoué dans le dos. En énorme. Un putain de poster, c'était. Mais bon, je n'étais pas là pour faire la fine bouche, je me suis exécuté et j'ai pris Brigitte par les hanches comme on prend un chariot à Carrefour. Je l'ai secouée, car c'était ce qu'elle voulait, mais ce bon vieux Johnny s'est mis à vivre, à bouger, sa bouche remuait sur la peau de Brigitte. Plus je la besognais, plus Johnny avait des trucs à me dire. Il disait: "Qu'est-ce que tu fous là, grand?"
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Duffle-coat appartenait à une catégorie particulière de Français : les professeurs. Celui là était un spécimen typique, un marqueur, un poster. Il était parfaitement identique aux derniers de son espèce qu’il m’a été donné de côtoyer, l’année de mon bac. Pour commencer, il a précisé à plusieurs reprises qu’il était enseignant. On ne sait pas pourquoi ils font ça, personne, pas même eux, mais tous les professeurs le font. C’est hyper important. Imaginez un peu, si on les prenait pour le commun des mortels ! Vous vous rendez pas compte, vous. Ils sont au dessus. Ils sont supérieurs. Ils passent leur vie à donner des leçons à tout le monde, y compris en dehors des heures de boulot, du coup ils ont en permanence le sentiment de dominer leur entourage. Cela dit ce sont de bons citoyens, ils sont de gauche et ils pensent que la croissance n’est pas la solution. Ils ne regardent pas Le grand journal ils regardent C’est à vous. Ils n’écoutent pas la radio, ils écoutent France Inter. Ils ne supportent pas le foot mais nom de dieu qu’est ce qu’il est bien ce Griezmann ! Ils ont un autre signe de reconnaissance : ils adorent les Maghrébins et leur culture. Bon, par culture, il faut comprendre cornes de gazelle et couscous. Car au fond d’eux ils ne conçoivent pas que les Arabes puissent faire autre chose de bien que de la pâtisserie. En revanche, donc, ils les adorent. Et ils adorent les reprendre, les corriger, les éduquer. Ce sont des pieds noirs finalement : des pieds noirs jamais descendus du bateau.
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Vidéo de Jacky Schwartzmann
Existe-t-il des règles pour écrire, ou faut-il improviser au fur et à mesure ? Les règles de la dramturgie formatent-ils les histoires, ou, au contraire leur permettent elles de se renouveller ?
4 auteurs francophones explique comment ils utilisent certains principes pour construire leurs histoires : Jacky Schwartzmann (auteur de romans noirs), Susie Morgenstern (autrice jeunesse), DOA (auteur de polar), Franck Thilliez (auteur de thrillers).
00:09 Jacky Schwartzmann 00:44 Susie Morgenstern 01:40 DOA 03:20 Franck Thilliez 04:53 Susie Morgenstern 06:23 DOA
Réalisé en avril 2023 à Quais du Polar et à La Fête du Livre Jeunesse de Villeurbanne
Interview & Caméra : Lionel Tran & Amoreena Winkler - Montage : Ryu Randoin.
QUI SOMMES-NOUS ? Les Artisans de la Fiction sont des ateliers d'écriture situés à Lyon. Nous prônons un apprentissage artisanal des techniques d'écriture et avons pour objectif de rendre nos élèves autonomes dans l'aboutissement de leurs histoires. Pour cela nous nous concentrons sur l'apprentissage et la transmission des techniques de base de la narration en nous inspirant du creative writing anglophone. Nos élèves apprennent en priorité à maîtriser : la structure de l'intrigue, les principes de la fiction, la construction de ses personnages… Nous proposons également des journées d'initiation pour vous essayer au creative writing et découvrir si cet apprentissage de l'écriture de fiction est fait pour vous. Retrouvez tous nos stages d'écriture sur notre site : http://www.artisansdelafiction.com/
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