Demain les ombres

Le décor d'ouverture est original : nous sommes sur le territoire d'une peuplade primitive, qui vit en totale communion avec la nature, avec le respect des interdits transmis par les générations qui ont précédé, dont les tentatives de franchissement des Confins, qui mènerait vers un au delà de tous les dangers.

Changement radical d'ambiance : le lecteur se trouve dans un laboratoire de génétique qui consacre ses recherches au clonage, deux spécimens ont déjà vu le jour. Un transfert de quelques décennies dans le temps et les dérives de ces exploits scientifiques nous sont révélées…


L'alternance des chapitres et la construction font que l'on devine rapidement le fin mot de l'histoire. Mais l'autrice déplace alors le curseur du mystère vers l'émotionnel et l'éthique. Pour un débat passionnant qui renvoie aux questions sur l'évolution de l'espèce humaine et le fil rouge de la civilisation que sont le racisme et le traitement de la différence.

A la fois documenté et émouvant le sujet peut se transposer vers d'autres combats.

La nature humaine qui réclame du pain et de jeux n'en ressort pas grandie; malgré la foi et la ténacité de héros qui risquent leur vie pour défendre leurs convictions.


Une lecture addictive, et originale.

320 pages Bruit du monde 5 janvier 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..

Demain les ombres et après on verra, peut-être la lumière juste avant les ténèbres...
Imaginez un territoire vaste comme le monde, un endroit intime et précieux comme la vie, où vivrait une communauté de femmes et d'hommes en harmonie avec la nature, avec eux-mêmes, avec le reste de l'univers.
C'est un endroit où les altérités s'effacent, où le corps n'est pas un objet aux limites bien étanches, séparé du monde...
Cet endroit existe, je l'ai aperçu en découvrant les premières pages de ce roman surprenant, me faisant entrer dans une zone d'inconfort pas du tout inconfortable puisqu'il est question aussi d'amour.
Le territoire n'est pas infini, il est délimité par ces infranchissables et redoutables frontières qu'on appelle les Confins, où rôde la Bête.
De l'autre côté, il y a ceux qu'on appelle les drôles d'humains.
Est-ce qu'une part de nous sait d'où nous venons ? Et l'autre part, sait-elle vers quelle destinée, quelles constellations nous dérivons déjà ?
Ils portent des noms qui pourraient prêter à sourire, mais qui nous rappellent aussi le souffle des Amérindiens et leur relation à la terre nourricière : Lune Rousse, Chat-Huant, Neige, Pluie d'Étoiles, Eau Bondissante... Ce sont « les Néans ».
J'ai eu une première moue un peu dubitative en effleurant ces premières pages, comme si j'étais tombé dans une sorte de filgoude d'anticipation... Mince !
Mais c'était sans compter sur l'étonnement, puis l'émerveillement.
Est-ce une peuplade primitive ?
Le temps de ce récit est fragmenté, nous plonge dans ce qui pourrait être à la fois un temps révolu et un temps à venir, peut-être pas si lointain de nous, à quelques encablures de nos désillusions.
Ils chassent, ils cueillent, parlent à cette mère nourricière qu'est la forêt comme si elle était leur propre mère. Ils semblent vouloir perpétuer les légendes de leurs déesses, héritées de leurs anciens. Ils ne savent pas qu'un autre monde existe et les observe, celui justement des drôles d'humains.
Et là le roman bascule dans un récit addictif qui m'a tenu en haleine jusqu'aux Confins de ma lecture, me promenant dans divers itinéraires qui viennent irriguer l'histoire : un laboratoire de génétique qui consacre ses recherches au clonage humain, des drones déguisés en oiseaux d'un autre âge, une société obsédée par le voyeurisme et la télé-réalité, un décor qui finit par m'évoquer The truman show...
Et si brusquement il était possible de franchir les Confins... ? C'est parfois en traversant les frontières que surgit l'amour insoupçonné... entre deux êtres si différents et si proches à la fois...
Et si cet autre monde c'était le nôtre ou presque ?
Parfois les frontières sont poreuses, plus poreuses qu'on ne le pense, entre un passé qui ne l'est pas vraiment et un futur improbable déjà bien avancé. J'espère que je ne vous ai pas déjà perdu...
Noëlle Michel l'autrice nous déroute, joue beaucoup avec la multiplicité des genres qui sont convoqués dans ce roman inclassable. Cela pourrait nous égarer. Pourtant, un fil conducteur finit par couturer l'ensemble dans une symphonie littéraire harmonieuse et éprise d'une joie incandescente. Car ici c'est tout un questionnement sur notre humanité qui est invité dans des pages servies par une écriture puissante et poétique.
Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quelle est la place que nous pouvons occuper dans le bruit du monde ? Qu'en est-il de notre altérité ? Quel est le sens que nous mettons pour tenter de survivre et est-ce que cette absence de sens ou cette difficulté d'y parvenir n'est pas l'aveu de notre faillite, l'explication du désastre qui fait tanguer le navire ?
Invitant de belles questions éthiques, c'est un roman inspirant qui titille nos émotions pour venir visiter de manière poignante notre chemin dans cette aventure humaine qui nous étreint.
Bon, je vous laisse, j'ai rendez-vous avec Lune Rousse aux confins de ma nuit...

[ Lu dans le cadre de la sélection du prix Cezam 2024 ]

De l'or entre les mains. Demain les ombres développe une idée magnifique, sublimée par le talent fou de Noëlle Michel.

Ne vous attendez pas à ce que je vous dévoile les détails de cette histoire, tant elle se révèle surprenante. Je peux simplement vous dire qu'il est question de notre futur proche, qu'on pourrait presque toucher du doigt même s'il n'est pas daté. Tout en parlant de nos cousins néandertaliens disparus depuis des milliers d'années (ou pas). Jusqu'à l'impossible confrontation…

Cette fameuse idée pouvait être traitée de différentes manières. Elle aurait pu faire l'objet d'un blockbuster, et juste nous en mettre plein la vue. L'autrice a, au contraire, choisi de suivre une voie plus divergente, travaillant la profondeur sans jamais oublier l'aspect divertissement. Un récit plus intimiste, en somme, qui fait la part belle aux émotions.

Cette fameuse idée ouvrait un immense champ des possibles que l'écrivaine va sillonner au plus près de ses personnages. du genre qu'on n'oublie pas.

Le futur, donc, bien pensé, décrit par petites touches, sans trop en faire. Cet environnement n'est pas une fin en soi mais sert de vecteur pour faire passer les émotions. A l'image de la belle imagination de l'autrice, toujours au service de l'histoire et de ses protagonistes.

Le roman navigue entre les lignes des genres littéraires, avec bonheur, suivant une voie de l'intime tout autant que ménageant le suspense. Tout sonne juste et plausible, alors que le chemin emprunté pourrait paraître farfelu.

Noëlle Michel a travaillé son sujet avant de se lancer dans cette folle aventure humaine. Jusqu'à faire relire le roman à une experte renommée de la préhistoire, Marylène Patou-Mathis, pour que ce qui relève du monde « passé » soit crédible. Quant à ce futur, on y reconnaît sans peine ses racines dans ce que nous vivons actuellement.

En 310 pages à peine ; pleine ; le récit est d'une grande profondeur, d'une belle originalité. Et formidablement ludique. Magnifié par une écriture puissante et pleine de poésie. Un quatuor qui, quand il est rassemblé, forme la magie qui font les livres rares, ceux qui restent en mémoire pour longtemps.

Cette histoire incroyable est l'occasion de questionner notre vraie place dans l'univers, tout comme de réfléchir à la notion d'altérité. Car le livre est une affaire de rencontres. Avec des personnages qui flirtent avec les (leurs) ombres. Et qui vont apprendre à accepter de ne pas tout contrôler.

Il est aussi question d'éthique, comme de la place de la femme (passée ou future), et tant d'autres sujets de réflexions amenés par la fiction. Au plus près de la nature, omniprésente.

Demain les ombres est un roman inclassable, si bien pensé qu'il fait palpiter toutes les fibres émotionnelles. Qui en met plein les mirettes, mais tout en subtilité. A la fois sombre et vibrant d'humanité.

Avec ce qui est seulement son deuxième roman, Noëlle Michel chamboule et surprend avec ce pas en avant, et en arrière. Avec une maîtrise et un talent précieux. du grand art pour une captivante et poignante aventure humaine. Ce sera l'un des livres de l'année 2023 pour moi, sans l'ombre d'un doute.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..

Merci aux éditions « le bruit du monde » et à Babelio de m'avoir permis la découverte de ce livre.
Le thème principal de ce roman de science-fiction ressemble beaucoup à celui de « Jurassic Park » de Michaêl Crichton : à partir d'ADN récupéré dans des restes d'êtres vivants, on recrée une espèce disparue de la surface de la Terre depuis des dizaines de milliers d'années. Sauf que là, les êtres en question ne sont pas de animaux, mais des hominidés : des Néanderthaliens. Et tout comme dans le roman de Crichton, ces êtres sont recréés non pas dans un cadre scientifique, mais pour le divertissement des Sapiens. Les dinosaures de Jurassic Park vivaient dans un « park » d'attractions, les « Néans » sont le sujet d »une émission de téléréalité. C'est la version 2.0 des zoos humains qu'on trouvait dans les expositions universelles du XIXème siècle.
Je n'en dis pas plus sur l'intrigue, le lecteur découvrira la suite dans un récit bien mené, avec des allers-retours dans le temps sur une période de près de 70 ans. le style est clair, agréable à lire, mais j'ai tout de même une remarque : il me semble que certains passages sont un peu trop « littéraires », ou semblent plus appartenir à une profession de foi écologiste qu'à un roman. J'ai trouvé aussi pour la même raison, que certains dialogues manquent de naturel. C'est pourquoi j'ai rogné une demi-étoile sur mon appréciation globale.
Parlons de la construction de l'intrigue : comme dans beaucoup de romans de science-fiction, on raconte la création d'une « merveille », c'est-à-dire de quelque chose qui n'existait pas auparavant, par un moyen inédit. Les auteurs peuvent procéder de deux manières différentes : soit en essayant d'expliquer par quel processus scientifique la « merveille » a été réalisée (ce que fait Crichton dans plusieurs ouvrages, « Jurassic Park », « Prisonniers du temps », « La proie »), soit en admettant tout simplement qu'elle existe (comme le voyage dans le temps de « 22/11/63 » de Stephen King).
Ici, il y a un peu des deux méthodes, ce qui crée certaines zones d'ombre. Des questions se posent si on veut suivre le déroulement de manière logique. Comment peut-on créer un vaste espace naturel interdit aux « non-Néans » dans un monde du futur ravagé par la pollution ? Comment et à quel moment de leur vie les premiers Néans, des bébés éprouvettes élevés dans un laboratoire, ont-ils été « lâchés dans la nature »en perdant tout contact avec le monde des Sapiens ? Peut-on concevoir une émission de télé-réalité qui dure plusieurs dizaines d'années ?
Mais ces zones d'ombre, qu'on aurait pu reprocher à l'auteure, sont une opportunité pour le lecteur de réfléchir, et de trouver ses propres réponses. Ainsi, je me suis demandé, si je recréais des humains ayant disparu de la planète il y a 30 000 ans, quel « bagage de départ » je devrais leur donner : leur apprendre comment se nourrir, bien sûr, mais aussi tout ce que les parents qu'ils n'auront pas auraient dû leur apporter : une explication et une conception du monde, une vie spirituelle, des règles de vie en société … La liste est longue et les interrogations nombreuses.
Je me suis rendu compte aussi que j'avais sur les Néanderthaliens des idées reçues, qui ne sont peut-être pas fondées : on les imagine un peu comme des brutes épaisses animées essentiellement par des instincts animaux, mais ils étaient peut-être aussi intelligents que nous, et certainement beaucoup plus à l'aise pour survivre dans la nature. Et si un d'entre eux se retrouvait à la terrasse d'un café, vêtu d'un jean et d'un T-shirt, est-ce que nous le remarquerions ?
Les hominidés fabriqués pour « Nean Story » sont beaucoup plus sympathiques que les « hommes singes » qui peuplent « le monde perdu » de Conan Doyle, mais sont-ils d'authentiques néanderthaliens ? Quelle est la part apportée par leur créateur Sapiens ? Et à la fin de l'histoire, quel sera leur avenir ? L'auteure nous laisse l'imaginer.
Plus qu'un roman de divertissement, « Demain les ombres » nous invite à la réflexion. A lire et à relire.

Si vous avez lu/vu et aimé « La planète des singes » (Pierre Boulle), « La guerre du feu » (J-H. Rosny Aîné), « le prix du danger » (Robert Sheckley), l'oeuvre de René Barjavel ou « le Truman Show » (Peter Weir), ce roman vous plaira.
Dans un temps futur, les humains doués d'intelligence que nous sommes (les Homo sapiens) parviennent à cloner des bébés néanderthaliens à partir de génomes anciens et à les faire survivre. Pour ne pas les exposer aux maladies et à la pollution, ils décident de les placer dans un parc, sous la surveillance des drones et des caméras. le programme de recherche scientifique se transforme en émission de téléréalité, pour le plus grand malheur des natifs et naïfs.
Dans ce livre, l'affrontement de l'inné et de l'acquis, du passé et du futur, autorisent des questionnements intéressants sur le sens de l'évolution (vers quoi ?), du progrès (pour nous rendre heureux ?), sur le poids de l'ignorance et des superstitions (la peur de l'inexplicable). La tentation d'un retour à la nature, à une forme d'innocence, est constante et le thème de la manipulation des masses, omniprésent.
À souligner cette magnifique réflexion (p159) de la matriarche de la tribu, Lune Rousse : « (..) J'ai été frappée par cette évidence : ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde. Il fallait que Dieu soit une femme (…) ».
Servi par un grand sens du suspense et des personnages attachants (à la limite du caricatural, comme dans le choix des prénoms), le conte moderne de Noëlle Michel réunit deux qualités rares de nos jours : la capacité - concomitante - à divertir et à faire réfléchir.
Bilan : 🌹 🌹