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EAN : 9782234093751
220 pages
Stock (12/04/2023)
4.24/5   39 notes
Résumé :
" Fin mai 2022, j'ai acheté, dans un magasin parisien spécialisé dans les randonnées en montagne, un lit de camp, un sac de couchage et une lampe torche. Le lendemain, j'ai installé mon équipement d'alpiniste sur le sol froid du musée de l'Acropole à Athènes pour y passer une nuit de lune décroissante, entièrement seule. Comment arriverez-vous à dormir avec tous ces yeux de marbre qui vous fixent ? m'avait-on prévenue.
Mais c'est une nuit dans un musée vide q... >Voir plus
Que lire après Déplacer la lune de son orbiteVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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"Je pense à tous les gardiens de nuit de tous les musées du monde qui, en ce moment précis, sont en train de veiller sur le repos des oeuvres d'art, épuisées après une journée entière de mains moites dangereusement proches, de commentaires creux et de selfies que personne ne regardera jamais"

La mythologie, l'étymologie, les langues anciennes, l'Antiquité... autant de nobles causes qu'on croirait perdues.
Parmi ceux qui s'affairent pour refuser leur assignation à l'inertie, il faut compter sur l'auteur Andrea Marcolongo.
Il est des livres dans lesquelles on peut y puiser indéfiniment des citations, et bien les siens sont de ceux-là
Chacun de ses livres est un pur bonheur et celui-ci ne déroge pas à la règle. Il vient rejoindre la collection "Ma nuit au musée".
Et quoi de plus normal pour celle que l'on qualifie "L'héroïne grecque" (dans le Monde), de pasionaria de la Grèce, de sauveuse des lettres classiques ou encore "l'Athéna moderne", de choisir le Musée de l'Acropole, après nous avoir fait re-découvrir le grec dans la langue géniale ;
Après nous avoir donner à réfléchir par ces temps cyniques, apeurés, presque déboussolés, qui sont les nôtres, qu'il n'y a rien de plus étymologiquement grec que de rejeter le mètre stérile de l'utilitarisme et de la banalité dominante pour redécouvrir l'enchantement d'être des hommes appelés à vivre chaque jour dignement et pleinement, comme seuls les Grecs savaient le faire et l'ont toujours fait dans son ouvrage "la Part du héros".
Après nous avoir mis ses pas dans ceux d'Isidore de Séville qui écrivait « Quand on a vu d'où vient le nom, on comprend plus rapidement son sens. En effet, l'examen de toute chose est plus facile, une fois connue son étymologie. » et nous avoir donné les clés de "l'étymologie pour survivre au chaos" ;
Après avoir écrit ces mots magnifiques dans "l'art de résister" : "Virgile, dans La Divine Comédie de Dante, est ainsi contraint à marcher dans l'obscurité, muni d'une lumière qui n'éclaire pas son propre chemin, mais ceux qui viendront après lui. Et dire qu'elle a admirablement saisi cette lumière serait un euphémisme

Cette fois c'est à un exercice peut commun auquel elle s'est livré : passer une nuit seule dans ce musée, et s'il y a bien une photo qui a elle seule résume l'expérience, c'est celle où on la voit assise sur ce lit de camp, seule, l'Acropole et la Parthenon en arrière plan.

Car en dehors de cette solitude volontaire, il y a la solitude imposée de ces murs où seraient censés troner en majesté les Marbres du Parthenon et à la pace comme elle le dit si bien : "Suivent un bras, deux jambes, un corps entier, et puis de nouveau absence, absence, absence comme si la frise de Phidias s'appliquait à reproduire, par ces pleins et ces espaces vides, le morse de la civilisation européenne."

L'auteur, ironie du sort ou plutôt comble de l'ironie est venue avec un seul livre la biographie de Lord Elgin, ambassadeur de son état, qui des mois durant s'est lancé dans un vol, un pillage colossal, un démembrement en règle des frises du Parthenon.
Et c'est ce que l'on découvre dans ce livre entre autre, c'est cet enchaînement de "circonstances" qui ont fait que ces oeuvres millénaires qui furent découpées, cassées, brisées, noyées (certaines finiront au fond de la Tamise) pour finir au British Museum et dont les retentissements font encore la une de l'actualité.

"Je me laisse transporter par la vision d'une Grèce ayant finalement obtenu reconnaissance et réparation. Et un dédommagement plus que légitime : si chaque lecteur d'Homère, depuis deux mille huit cents ans — lorsque la muse de l'Hélicon chanta à l'aveugle de Chios la geste d'Achille et d'Ulysse —, avait versé à la Grèce ne serait-ce qu'une part minime de la rémunération prévue par le droit d'auteur, ces îles arides jetées dans la mer Égée comme par un coup de dés seraient aujourd'hui les plus riches et les plus florissantes du monde.
Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka ! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle — ou qui se sont tout simplement sentis compris, moins méchants et plus humains —, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siégerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur."

C'est toujours magnifiquement écrit, elle fait partie pour moi de ces auteurs qui en plus de nous donner à apprendre, à voir, à écouter, à comprendre, à réfléchir, elle le fait avec une écriture toute en subtilité, en légèreté (même quand il s'agit de sujets graves), toute en poésie, en témoigne ce sublime passage :

"Je me demande si l'art a lui aussi, comme les hommes, une respiration particulière lorsqu'il dort — quelles oeuvres ont le repos paisible des enfants, lesquelles ronflent, quels sont au contraire les tableaux insomniaques.
J'imagine le sommeil au souffle parfumé du Printemps de Botticelli au musée des Offices, les élucubrations nocturnes de l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci aux Galeries de l'Académie Venise, les hiéroglyphes avec lesquels la statue de Ramsès II réordonne le monde depuis le Musée égyptien de Turin, les rêves érotiques de la Vénus de Milo. Je ris en pensant au concert de trombones des bustes des empereurs romains ronflant à l'unisson aux musées du Vatican, au risque de réveiller le pape en personne. Les gémissements de Pompéi, l'égarement de l'autel de Pergame qui, chaque matin, se réveille non en Asie Mineure, mais Berlin.
Les marbres du Parthénon, arrachés à l'Acropole comme des cheveux à un crâne, parviennent-ils malgré tout trouver un peu de repos lorsque la pluie londonienne bat sur les vitres du British Museum ou sont-ils condamnés la brutale insomnie du manque et du vide ?"

Explication sur ce titre énigmatique « déplacer la lune de son orbite » : l'archéologue Edward Daniel Clarke décrit ainsi l'effarement des Grecs terrorisés par les agissements des Anglais, qui leurs enlevaient une partie de leur univers, mais ils étaient certains que l'âme de la terre hellène finirait un jour ou l'autre par se venger. Et telle la malédiction de Toutankhamon qui toucha Lord Carnarvon, et bien Lord Elgin sera rattrapé par la malédiction d'Athéna.

En résumé, comme elle l'a déjà démontré dans ses précédents livres Andrea Marcolongo est une savante alchimiste mêlant évocations historiques et confessions personnelles, et qu'elle se rassure elle n'a rien "pillé" à la Grèce elle a juste ce rôle magnifique de transmission, face à ceux qui eux pillent les idéaux, les concepts les notions de la Grèce Antique pour mieux les en détourner de leur quintessence, et se donner une légitimité que seuls ceux qui veulent se complaire dans une décadence intellectuelle croient.
Et le meilleur moyen de ne pas se laisser piéger est d'avoir les bons guides, Andrea Marcolongo est de ceux-là
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« Cassandre : (…) la vérité prophétique me travaille cruellement, me flagelle, par rafales, de ses accents sinistres. » (Eschyle Agamemnon-« Les tragiques grecs-théâtre complet » trad Victor Henri Debidour p. 210)

Ouvrage après ouvrage Andrea Marcolongo poursuit sa mission de lanceuse d'alerte. Elle n'est pas la seule, mais comme Cassandre pour faire référence à l'antiquité grecque qu'elle chérit viscéralement, personne ne l'écoute véritablement.
On se souvient que, contrairement à ce qu'un raccourci largement partagé énonce, le « tort » de Cassandre n'est pas d'être pessimiste, mais de percevoir l'avenir, tel qu'il se profile véritablement. Sa malédiction est que personne ne veut entendre ses interpellations suscitées par ses visions. On souhaite évidemment un destin moins tourmentée à notre helléniste préférée….

Au cas présent Andréa Marcolongo a été missionnée pour contribuer à la série « Ma nuit au musée » pour une immersion nocturne dans le musée de l'Acropole.
On ne connaît pas le modus operandi pour la désignation de l'auteur(e) sur un site. Globalement, à en juger par la liste des auteur(e)s contributeurs-trices, il ne semble pas qu'il y ait globalement de prérequis en matière d'histoire de l'art, de connaissances historiques, en tout cas pas sous forme de savoir académique estampillé spécialiste.
Mais cette impression est sans doute un trompe l'oeil, les « chargé(e)s de mission » semblent chez eux dans ces lieux et très intimes avec les artistes exposés.
Et pour cet opus de la série au titre inspiré, « Déplacer la Lune de son orbite », en toute hypothèse, le profil de l'auteure la présélectionnait naturellement pour cet exercice.

Pourtant, celle-ci, par coquetterie ou excès de sincérité se fait volontiers iconoclaste.
Elle confie qu'elle ne maîtrise pas la langue grecque (moderne) et qu'elle entretient un sentiment de culpabilité à l'égard de la culture grecque antique ; elle considère l'avoir pillée pour favoriser sa réussite personnelle, un vrai aveu d'usurpatrice  !!!

« Cette nuit, face au Parthénon, je ne suis que l'énième descendante d'Elgin qui a cru pouvoir bâtir sur sa vie sur les cendres du monde antique dans le seul but de vendre : que ce soient des marbres ou des livres, j'ai l'impression que cela n'a aucune importance .
Maudite je suis, maudite je reste. » (p. 193)

Elgin est naturellement cet ambassadeur britannique (1766-1841) qui procéda au pillage du Parthénon, (tout particulièrement ces sculptures de Phidias, les « métopes » qui ornaient la partie supérieure de l'Acropole et une des célébrissimes caryatides), se prévalant d'une « autorisation » de l'autorité exercée par l'Empire Ottoman, qui asservissait alors la Grèce, qui ne retrouvera son indépendance qu'en 1830.

Le travail de Marcolongo a certes connu une heureuse fortune, adossé au patrimoine cultuel hellénique, mais ce constat n'a rien d'illégitime et en toute hypothèse ne s'est pas fait aux dépens de ce patrimoine, toute le contraire !
Contrairement à ce qu'énonce notre helléniste préférée, tous les amoureux de la Grèce antique ne sont pas des vautours ou des opportunistes, prompts à se construire des succès et carrières faciles. Ainsi, le lecteur n'adhérera pas nécessairement à la sentence « Que celui qui n'a jamais pris à la Grèce, pas même une idée, jette la première pierre à lord Elgin. » p. 58)
Cette affaire de l'elginraptor occupe une place importante dans l'ouvrage mais ne constitue que l'écume du propos.

Poursuivant le fil d'Ariane déroulé depuis son essai fondateur « La langue géniale-9 bonnes raisons d'aimer le grec » Andréa constate l'appauvrissement accéléré de la pensée aux dépens des veaux d'or de la société contemporaine.
On pourrait ainsi mentionner :

« notre langue est faible parce que nous sommes affaiblis (…) lorsque nous renonçons à un mot (…) nous offensons notre propre faculté de raisonnement, parce que s'il y a moins de mots la pensée n'existe plus » (« Etymologies - pour survivre au chaos » p. 15).

Dans cet esprit, cet opus « Déplacer ... » dénonce cette capitulation :

« Chaque fois que nous jugeons recevable à la question « A quoi sert l'Antiquité ? », refusant de voir que « servir » est le propre des serfs tandis que la culture nous libère, notre vue se brouille davantage. Nous sommes aveuglés par la même cataracte analphabète que ceux qui, il y a deux siècles à peine, ne voyaient en l'Acropole rien d'autre que du vieux marbre tout juste bon à mettre en pièces.
Tel des enfants immatures, ou des mendiants rendus cupides par un système fondé sur le profit, nous abandonnons volontiers un trésor inestimable en échange d'un bonbon vite avalé.
Alors que l'Antiquité est bel et bien ce que nous possédons de plus important. Elle est l'étoffe même de notre âme. En la bradant nous errons à travers la vie, privée de notre capacité à articuler une pensée, comme les statues sans tête du Parthénon. » (p. 98 et 99)

L'auteure s'est installée dans la salle des métopes, salle dimensionnée pour le format réelle, configurée sans doute en prévision d'une (très) hypothétique restitution du receleur, pardon, du British Museum. Outre les copies des éléments de frise expatriés, il y a des panneaux vides qui correspondent aux oeuvres perdues à tout jamais, car contrairement au credo des ravisseurs d'hier et receleurs d'aujourd'hui, il ne peut être que constater que les prélèvements effectués ne l'ont pas été dans un souci de protéger l'art. Faute de mesures de protection à la hauteur des trésors, nombre d'entre eux ont disparu sans laisser de traces.
Andrea est saisie par les ondes du plein et du vide.

« La succession de marbres et de moulages à côté de moi m'évoque un Chemin de croix en pierre. Je me demande où se tiendra le sacrifice final si ce sera le mien. (...)
Il me faudrait du plâtre pour m'en enduire l'âme, me dis-je en observant le visage impassible d'une jeune fille, ajouré par le vent et désormais collé à un corps postiche. Et pour parcourir dignement les avenues de la vie comme un jour de fête dans l'Athènes antique.
Pourtant, la part féroce en moi est incapable de résister à la balafre. Elle connaît parfois un répit, mais jamais la paix.
Je ne crois pas qu'elle s'apaisera un jour. Je n'en peux plus de composer avec les vides laissés par les blessures, je n'ai plus le temps et les laisser se transformer en cicatrices, telles sont mes réflexions alors que je ressens une furieuse envie d'exiger des comptes, comme si la vie était une question de débits et de crédits à recouvrer. » (p. 104 et 105)

C'est une véritable communion avec l'esprit de pierres vivantes :

« Accroupie sur le sol devant ce qui reste de la frise orientale du Parthénon, je ne peux m'empêcher de penser à ce que dirait Phidias en voyant ses marbres réduits en pièces détachées, un pied à Athènes, une tête à Paris, un buste à Londres. Qui sait ce qu'en penserait Périclès, le commanditaire des gigantesques travaux qui menèrent à l'érection du Parthénon, et tous les autres de Platon à Aristote et jusqu'à Alexandre le Grand, en voyant ce massacre.
Et surtout qui sait ce qu'ils diraient en me voyant seule, pieds nus, face aux quelques vestiges délabrés de leur monde, en train de feuilleter la biographie de son bourreau. »
(...)
Je me demande si l'art a lui aussi, comme les hommes, une respiration particulière lorsqu'il dort-quelles oeuvres ont le repos paisible des enfants, lesquelles ronflent, quels sont au contraire les tableaux insomniaques. »
(p. 129, 130 et 136)

Ce fut une nuit de réconciliation, d'émotion salvatrice pour l'auteure :

« Si j'ai eu besoin cette nuit de remplir de mots le vide laissé à Athènes par lord Elgin, c'est surtout pour soigner ma propre incomplétude. Pour exorciser cette malédiction dont nous avons tous été atteints sitôt arrachée la première pierre, matérielle ou intellectuelle, à la Grèce
J'ignore s'ils m'ont pardonnée, mais cette nuit, du moins les marbres de Phidias m'ont écoutée.
Je peux à présent m'allonger sur mon lit de camp et tacher de dissiper dans le sommeil les quelques heures qui me séparent de l'aube. »
« Pour imparfaite que je sois, j'ai l'impression d'avoir fait ma part. Comme nous tachons tous de le faire.
A mon réveil m'attendra, éternel, le spectacle de la Grèce ressurgissant chaque nuit de l'obscurité. Fidèle à son devoir de révéler l'émotion que le monde recèle, aidant les hommes à ne pas perdre la certitude confiante d'en détenir un peu à son tour. » (p. 218 et 219)

Un livre à lire, plein de vie, en dépit de la gravité du propos...et du vide de ces frises violentées.
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« L'être humain est décidément une étrange machine. On lui donne du pain, de l'eau, parfois du vin, et il transforme ce combustible en larmes, en rires, en rêves.
Et souvent en mensonges aussi.
Dans ce paradis perdu et parfaitement imaginaire qu'est la Grèce classique, pour nous autres Européens d'Occident, rien n'est plus antique que l'Acropole d'Athènes. Et pourtant je suis plus âgée que ce musée où je m'apprête à passer la nuit sur un lit de camp. »

Déplacer la lune de son orbite, Andrea Marcolongo @manuitaumusee @editionsstock @andrea.marcolong

Si vous ne connaissez pas encore la collection Ma nuit au musée des éditions Stock, dirigée par @alinagurdiel, il n'est pas trop tard pour y remédier 😉 le principe est simple: une autrice ou un auteur passe une nuit dans un musée emblématique et met des mots sur cette expérience unique qui en a fait voyager certains bien loin, parfois au plus profond de leurs souvenirs…

Dans cet ouvrage, l'autrice, fervente helléniste, nous parle de la nuit qu'elle a passée au musée de l'Acropole en vue d' « essayer de combler, au moins par les mots, le vide laissé par les scies et les pioches des Européens qui ont fait sans remords de la Grèce antique une « boutique de pierres», comme l'écrivait lord Byron. »

Elle s'attache à retracer l'histoire de l'Acropole à travers les siècles de son existence et plus particulièrement à mettre en mots le désastre que fut le pillage de ses merveilles par les Anglais, lors de l'occupation turque de la Grèce…

« Si les marbres du Parthénon ne secrétèrent pas de sang comme les madones italiennes et se contentèrent de gémir discrètement la nuit, les dégâts commis par Lusieri et les ouvriers d'Elgin furent incontestablement violents et cruels, parfois infligés avec une barbarie confinant à la torture.
Ce qui est mort est mort, c'est indéniable. Mais reste toujours le tombeau.
À l'aube du xix° siècle, la Grèce antique d'Homère et de Platon avait certes disparu depuis plus de deux millénaires, mais mutiler son sépulcre fut un outrage plus proche de la profanation que de l'archéologie. Semblable au sacrilège nocturne des profanateurs de cimetières qui brisent les stèles en morceaux. »

Au-delà des racines grecques du monde occidental et de tout ce que nous devons à la Grèce antique…

« Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle - ou qui se sont tout simplement sentis compris, moins méchants et plus humains -, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siégerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur. »

… ce sont aussi ses propres racines que l'autrice interroge, son passé, ses origines.

« Cette nuit mes bras ne servent plus qu'à étreindre mes regrets.
Et pourtant je sais que si je suis là aujourd'hui, orpheline prosternée devant l'Acropole, je le dois entièrement à mon père. »

Un texte d'une grande beauté qui nous rappelle ce que l'on doit à la culture classique, mais aussi l'histoire bouleversante de la barbarie infligée au Parthénon « Elgin avait arraché les oeuvres les plus importantes de l'Antiquité à un peuple affaibli mais fier, en les détachant à grand renfort d'outils d'un monument qui se dressait, intact, depuis plus de deux mille ans sur l'Acropole. », ce désastre pour l'humanité et la Grèce, toujours privée aujourd'hui des marbres injustement volés!

Se souviendra-t-on que « les valeurs du monde classique qui, à la différence du Parthénon, ne sont pas de pierre, mais demeurent invisibles, impalpables. Grandioses et pourtant fragiles. » demeurent essentielles dans notre monde contemporain car « la culture nous libère », nous enrichit, révèle la part de divin que nous avons en chacun de nous?

Se souviendra-t-on que « D'après Homère, l'aurore est rhododaktyle
[…], « aux doigts de rose », mais ce matin les caresses de l'aube dans le ciel d'Athènes étaient d'or. Surgissant derrière la Macédoine et la Thessalie, vers 6 heures, le char du Soleil a baigné l'Attique d'une lumière dorée pour ranimer chacun de ses habitants, comme le souffle d'une Pentecôte antique. »?

Ce souffle, cette lumière d'or sont à l'image de la culture antique qui ranime notre âme au souvenir de nos racines… et nous rappelle chaque jour ce qu'est un être humain, de chair et d'esprit!
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"Cette nuit, plus que les corps disparus, ce sont les âmes de ceux qui ont hissé à tout jamais l'Acropole sur la cime du monde qui me tourmentent".

Pour sa contribution à cette collection décidément très inspirée, Andrea Marcolongo, helléniste et autrice de plusieurs essais a choisi de passer une nuit dans le musée de l'Acropole, au pied de la colline d'où le temple majestueux dédié à Athéna surplombe la ville. Dans ses bagages, la biographie de lord Elgin, grand ordonnateur du dépouillement du Parthénon dont les frises arrachées sont depuis éparpillées dans différents musées du monde, voire englouties au fond des mers par les nombreux naufrages de l'époque. Autour d'elle, beaucoup de vide, la résonance de l'absence des oeuvres que les musées refusent toujours de restituer. C'est de ces ombres que se nourrit la réflexion de l'autrice, tourmentée par le remord - elle qui a bâti sa vie et sa réputation professionnelle sur la culture grecque - et désireuse de comprendre ce lien si fort qui l'attache à l'héritage grec. Cela passe par un retour sur l'histoire et la succession de micro-événements qui ont conduit au découpage sauvage d'une oeuvre exceptionnelle, mais pas seulement.

Et c'est tout l'intérêt de ce récit qui explore à sa manière la question de l'identité et l'importance de la culture dans le sentiment d'appartenance. "A croire qu'ils veulent déplacer la lune de son orbite" c'est ce que se seraient exclamés les grecs face aux agissements des anglais, tant l'incompréhension était grande face à la mutilation non pas d'une simple oeuvre d'art mais d'une partie d'eux-mêmes. D'autres peuples, d'autres cultures ont subi de semblables viols. Si celui-ci nous interpelle, nous européens c'est pour tout ce que notre culture doit à la Grèce antique d'où nous avons tout importé. le récit d'Andrea Marcolongo rejoint ainsi celui d'Irène Vallejo, L'infini dans un roseau sans s'y attarder mais en soulignant l'évidence de ce lien que beaucoup méprisent, éternel complexe de supériorité des pays du nord envers ceux du sud. Au milieu de ce musée rempli d'ombres et de fantômes, l'introspection de l'autrice la pousse à explorer des sentiments plus personnels qui ont aussi trait à l'identité, à la langue, elle qui a quitté volontairement l'Italie pour la France, s'exprime en français mais ne peut écrire qu'en italien et qui a fait du grec une patrie alternative. L'émotion affleure et se joint à celle de découvrir que c'est un poète anglais, Lord Byron qui, honteux de ce que sa patrie avait infligé à la Grèce offrit sa voix et ses vers au Parthénon et contribua à retourner l'opinion publique. Toujours est-il que les marbres sont encore au British Museum (et ailleurs).

J'ai adoré ce récit qui trouve le juste équilibre pour mêler histoire et réflexion sans se complaire dans ce qui serait un jugement facile mais en remettant les faits à leur place et en leur redonnant du sens (ou du non sens). C'est autant un éloge amoureux qu'une entreprise de réhabilitation d'un pays dont on a délibérément oublié puis nié la grandeur. Et c'est superbement écrit (et traduit).

"Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka ! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle - ou qui se sont simplement sentis compris, moins méchants et plus humains -, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siègerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Le dernier opus de la collection "Une nuit au musée" est excellent ! Andrea Marcolongo parvient à harmoniser l'histoire du musée qu'elle a choisi, les réflexions plus générales que cette dernière lui inspire et sa vie personnelle.
*
L'autrice de "La langue géniale" a choisi le musée de l'Acropole. Elle retrace l'histoire des oeuvres qui ne s'y trouvent pas mais qui y ont leur place et cette histoire est à la fois passionnante et révoltante. J'ai appris comment la Grèce sous la domination ottomane a été dépouillée des marbres réalisés par Phidias au Ve siècle AJC pour le Parthénon ou l'Érechthéion par un ambassadeur anglais, Lord Elgin, à la toute fin du XVIIIe et au tout début du XIXe siècles. Ces oeuvres conservées au British Museum sont réclamées par la Grèce depuis son indépendance. Andrea Marcolongo revient sur La vengeance de Minerve qui a poursuivi Elgin jusqu'à la tombe et sur la compensation apportée à la Grèce par Lord Byron.
*
Elle élargit sa réflexion sur les notions de spoliation et de domination culturelles à d'autres oeuvres. Elle interroge aussi sur l'étonnante dévaluation du patrimoine artistique et philosophique dans nos sociétés. On se demande effectivement comment on peut considérer la Grèce comme un boulet ou un mauvais élève dans la construction européenne actuelle au regard de tout ce que nous lui sommes redevables. La dette devrait être inversée. Quand changera-t-on enfin de système de valeurs ?
*
Le livre d'Andrea Marcolongo m'a d'autant plus plu qu'il a cette dimension politique. C'est un bijou d'intelligence et de pertinence. Lisez-le, vous apprendrez beaucoup et vous ne vous ennuierez pas une seule fois.
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critiques presse (4)
Marianne_
19 juin 2023
Avec « Déplacer la lune de son orbite » (Stock), l’écrivaine Andrea Marcolongo se met en scène dans le musée de l’Acropole qui attend le retour de ses chefs-d’œuvre. Un livre sur la transmission, dont il ne faudrait pas couper le fil.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeFigaro
22 mai 2023
Une écrivaine italienne passe une nuit à rêver devant l’Acropole. Un récit charmant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LesEchos
15 mai 2023
Auteure à succès d'un essai remarqué sur les vertus du grec ancien, « La langue géniale », traduit dans 28 langues, Andrea Marcolongo s'attaque à l'incroyable saga du rapt des marbres du Parthénon par Lord Elgin. « Déplacer la lune de son orbite » est le fruit d'une nuit passée au musée de l'Acropole. Fascinant et implacable.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LeMonde
17 avril 2023
Ce qui rend attachant ce livre sensible est un mélange subtil d’évocations historiques et de confessions intimes. Dans une prose tendue, Andrea Marcolongo évoque notamment la figure de son père disparu, et sa dette envers lui comme envers les Anciens, impossibles à effacer l’une comme l’autre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
La dernière semaine de mai, dans un magasin parisien spécialisé dans Ies randonnées en montagne, j'ai acheté un lit de camp, un sac de couchage et une lampe torche.

Le lendemain, j'ai chargé mon bagage, plus lourd que je ne le pensais, dans la soute d'un avion partant bien avant l'aube. Quelques heures plus tard, j'ai installé mon équipement d'alpiniste sur le sol froid du musée de l'Acropole à Athènes où j'ai passé une nuit de lune décroissante, entièrement seule.

Une première, du jamais vu, m'ont répété des dizaines de fois les gardiens alors que je tâchais péniblement de monter les pieds en aluminium de ma couchette : personne au monde n'a jamais passé la nuit dans le musée de l'Acropole.
Ils ne se doutent pas, ces Grecs ébahis, que j'ai encore plus de mal à y croire qu'eux

(INCIPIT)
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mais je ne suis pas certaine que la plus grande menace contre l'Antiquité vienne un jour de la terre qui l'a produite ; je crains plutôt que l'incurie des hommes qui en ont hérité produise l'ultime tremblement de terre transformant les vestiges de la Grèce antique en décombres.

À force de détruire, nous serons nous-mêmes devenus des ruines.
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Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka ! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle - ou qui se sont simplement sentis compris, moins méchants et plus humains -, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siègerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur.
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Juger quelqu'un sur l'intention que l'on attribue à ses actes, et non sur ses actes réels : la justice des tribunaux ne s'accorde pas le luxe de faire le procès de l'intention, et moins encore la mémoire de tout un peuple. Mais c'est un luxe que s'attribue parfois le tribunal de la conscience humaine.
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Je pensais que le spectacle le plus inoubliable que l’Acropole puisse offrir depuis vingt-cinq siècles à ses fidèles était le coucher de soleil. Je me trompais. Le véritable prodige est l’aube qui chaque matin illumine de ses reflets le Parthénon, la lune diurne de cette cité orientale.

D’après Homère, l’aurore est rhododaktyle (ῥοδοδάκτυλος), « aux doigts de rose », mais ce matin les caresses de l’aube dans le ciel d’Athènes étaient d’or. Surgissant derrière la Macédoine et la Thessalie, vers 6 heures, le char du Soleil a baigné l’Attique d’une lumière dorée pour ranimer chacun de ses habitants, comme le souffle d’une Pentecôte antique.
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Vidéo de Andrea Marcolongo
Silvio Berlusconi, homme d'affaires italien, entrepreneur des médias, politicien et ancien propriétaire du club de football Milan AC Silvio Berlusconi est mort ce lundi 12 juin à l'âge de 86 ans.
Surnommé "Il Cavaliere", Silvio Berlusconi a été au coeur de nombreux scandales sexuels et de nombreux déboires judiciaires. Son empreinte est et sera durable tant il incarne les succès et les outrances de l'Italie paillettes.
Pour en parler Guillaume Erner reçoit : Marc Lazar, professeur émérite à Science Po. Andréa Marcolongo, journaliste et écrivaine italienne. Enrico Letta, président de l'Institut Jacques Delors et ancien Président du Conseil des ministres italiens.
#berlusconi #italie #politique ____________ Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
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