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EAN : 9791032905364
202 pages
Humensis (09/01/2019)
4.24/5   287 notes
Résumé :
Dans le pays où est né Oumar, il n'existe pas de mot pour dire ce qu'il est, seulement des périphrases : stigal basakh vol stag, un « homme couleur de ciel ».

Réfugié à La Haye, le jeune Tchétchène se fait appeler Adam, passe son baccalauréat, boit des vodka-orange et ose embrasser des garçons dans l'obscurité des clubs. Mais il ne vit sa liberté que prudemment et dissimule sa nouvelle vie à son jeune frère Kirem, à la colère muette.

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Critiques, Analyses et Avis (102) Voir plus Ajouter une critique
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L'identité à travers l'exil et l'actualité

Il n'existe pas de mot dans la langue tchétchène pour désigner l'amour entre deux personnes du même sexe. Oumar, émigré aux Pays-Bas, découvrira que son désir pour les hommes connaît une réalité et peut même être désigner : il est homosexuel. Mais il est aussi tchétchène. Comment vivre sa vie entre le poids de ses origines et son nouveau droit à la liberté, surtout quand celle-ci est dynamitée par l'islamisme qui gangrène sa famille ?

Nous sommes à La Haye en 2017. Une bombe explose dans un lycée : « vingt enfants tués. Un homme qui pose une bombe à l'heure du déjeuner, pour tuer des écoliers dans un pays en paix ». L'effroi envahit les hollandais. La terreur a encore frappé.

Très vite, un élève est soupçonné. Il s'agit de Kirem Akhmaïev. D'origine tchétchène, ce jeune garçon a rejoint, accompagné de sa mère Taïssa et son cousin Makhmoud, son frère aîné, Oumar, qui avait pu s'exiler quelques mois plus tôt aux Pays-Bas pour y suivre des études et fuir son pays ravagé par la guerre qui le brûle depuis tant d'années.

Oumar le solaire, sociable et intégré, et Kirem, éteint et renfermé, englué dans une idéologie qui petit à petit le détruit, appâté par Makhmoud le fanatique.
La professeure de russe de Kirem est tchétchène elle aussi. Mais contrairement au jeune garçon, celle-ci cache ses origines de peur de l'amalgame avec les exactions terroristes dont s'est si souvent rendu célèbre son pays. Son passé la rattrape. Pourquoi n'a-t-elle rien vu venir ?

Alissa Zoubaïeva, c'est son nom, a pu elle aussi se réfugier à La Haye, ville internationale et cosmopolite, promesse de tous les possibles, fuyant la violence de son pays. Écrasé par l'ogre russe, la « kkheram », cette idée de la peur plus forte encore que notre mot « terreur » semble inscrite dans la culture tchétchène. Villes détruites, maisons dévastées, peuple brisé. On vit souvent entre deux murs en ruine dans ce pays du Caucase, où les habitants ne sont pas de type caucasien comme l'entend l'Occident. Leur religion étouffée, opprimés pour ne pas être assez russe, les Tchétchènes s'enlisent dans une révolte sans fin face au puissant maître colonisateur, qui ne laissera jamais de liberté à ce territoire grand comme un confetti de son empire. Intérêt stratégique, géopolitique, arrogance des puissants.

La terreur sera son arme de résistance. Métro, aéroport, immeuble, prise d'otage du théâtre de la Doubrovka en 2002, ou celle de l'école de Beslan en 2004 et ses 334 morts dont 186 enfants. Les Tchétchènes deviennent célèbres de par leurs attentats. La montée des islamismes achèvera le portrait de ce petit territoire musulman.

C'est pour toutes ces raisons qu'Alissa cache ses origines et se jette dans une intégration effrénée, quitte à renier sa culture, marquée encore au corps par son passé de frayeur.
La Tchétchénie la rattrape. Elle se sent coupable de n'avoir pas repéré l'isolement de Kirem et son endoctrinement extrémiste. La police a besoin d'elle. Elle se fera traductrice., quitte à passer dans les yeux de sa conscience, pour une « Iamartkho », une traître, bafouant le code d'honneur de sa culture : la loi du silence

Oumar, La Haye fut son refuge, s'échapper de la guerre, mais s'échapper aussi des conventions. Il se fera appeler Adam, pour s'intégrer plus facilement, mais aussi et surtout pour se dédouaner aux yeux « des règles ancestrales ». C'est plus facile pour porter un pantalon moulant ou illuminer sa peau de poudre claire.

Oumar est homosexuel mais il ne le sait pas, car aucun mot dans sa langue ne désigne ces personnes qui l'attirent et lui ressemblent : il les a vu un jour à la télévision tchétchène, nommées par le présentateur « stigal basakh vol stag », Des hommes couleur de ciel.
Sont-ce les couleurs du « rainbow flag » fièrement arboré sur le fronton de la mairie hollandaise ? Symbole de la liberté pour tous les homosexuels, ce drapeau sera l'étendard de son émancipation.

Contre les traditions qui l'écrasent, la honte qui le menace et le silence qui le condamne, Oumar deviendra Adam.
« Un Tchétchène homosexuel doit vivre caché ou mourir ». Une fois son secret révélé, sa « fragilité incandescente » suffira-t-elle à le sauver des griffes de son passé. Entre un code d'honneur mortifère, un frère assassin, un cousin fanatique, Oumar pourra-t-il être libre et « vivre une vie vierge de tout déterminismes » avec pour ambition la liberté d'exister.

À la fois pudique et sociologique, le récit d'Anaïs Llobet fascine et séduit. de sa plume sensible elle arrive à relier les questions d'identité, les mutations que vous imposent l'exil et la tragédie de l'homosexualité dans une culture qui ne la reconnaît pas, le tout dans un contexte de terrorisme fictif mais parfaitement vraisemblable. Journaliste pour l'AFP à Moscou pendant cinq ans, elle connaît son sujet et sait nous le raconter. Sensible et juste !

Vous pouvez retrouver ma chronique sur mon blog le conseil des libraires Fnac :
Lien : https://www.fnac.com/Des-hom..
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Émigré aux Pays-Bas, Oumar Akhmaïev y cache tout de même son attirance pour les hommes car dans son pays d'origine les « hommes couleur de ciel » sont synonymes de honte et même condamnés à mort par leur propre famille. Alissa Zoubaïeva, sa professeure de russe dissimule également ses origines tchétchènes afin d'éviter les amalgames avec les terroristes responsables des tristement célèbres prises d'otages du théâtre de la Doubrovka en octobre 2002 et de l'école de Beslan en septembre 2004. Lorsqu'une bonne explose dans leur lycée à La Haye et que le principal suspect du massacre s'avère être d'origine tchétchène, leurs racines et leurs secrets sont très vite passés au peigne fin…

Ce deuxième roman d'Anaïs Llobet invite à suivre trois exilés tchétchènes vivant à La Haye, dans un endroit prônant donc certes des valeurs de liberté, mais qui s'avère cependant incapable d'effacer les fractures identitaires liées à l'exil. Au fil des pages, le lecteur saisit très vite les difficultés de cette intégration qui ne permet pas d'oublier les drames vécus dans leur propre pays, d'échapper aux valeurs de leur culture d'origine ou d'éviter les amalgames liés à leur nationalité, voire même de ne pas tomber dans le piège de l'islamisme qui gangrène une partie de leur communauté…

Outre une enquête qui invite à découvrir les responsables de cet attentat qui plonge les hollandais dans la terreur, Anaïs Llobet aborde surtout de nombreux thèmes délicats avec beaucoup de vraisemblance, allant de l'homosexualité au terrorisme, en passant par l'exil, la tolérance, la différence, l'intégration, l'islamisme, l'amour, les racines et la quête identitaire. Des sujets importants et parfaitement abordés !
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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La Haye. Pays-Bas.

Un attentat dans un lycée.

Un élève d'origine tchétchène serait à l'origine du massacre.

Un livre fort, très fort. Un livre témoin de notre époque. Un livre témoin d'une humanité toute entière. de notre inhumanité.

Un livre qui fait beaucoup réfléchir.

Il parle de l'intégration, de la différence, de l'intolérance, du déracinement. de la différence. de la suspicion.

Ce livre m'a énormément parlé. Qui m'a ébranlé. Il traite également de l'homosexualité, de la possibilité d'être soi-même ou pas lorsque notre culture, notre société, notre famille ne le tolère pas. Il parle de s'autoriser ou pas à vivre lorsque notre culture nous dicte que nous sommes une sorte d'erreur.

Aujourd'hui et maintenant, et ici, oui nous avons des droits. Mais ailleurs ? Mais demain ? Notre humanité ne tient qu'à un filet et Anaïs Llobet nous le rappelle douloureusement dans un ouvrage plein de finesse, d'émotion et de vérités difficiles à entendre.

C'est le roman de notre drôle d'époque où la liberté ne s'exerce pas de la même manière selon les êtres. Ou l'amour ne sauve pas de tout. Lecture oh combien douloureuse. Oh combien primordiale.

Ce livre va me rester dans la tête longtemps. Il m'a blessé. Il m'a douloureusement ouvert les yeux. Il frappe le coeur et l'esprit. Il fait mal. Il est ce que la littérature a de meilleur à offrir, véritable.

Un roman salutaire. Important. Un livre qui marquera 2019.

Un cri silencieux.

Ce sont les plus déchirants.

Les plus marquants.


Lien : https://labibliothequedejuju..
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Des Hommes couleur de ciel, et des femmes couleur de l'ombre. Quelle que soit différence, l'écart à ce qui est considéré comme la norme, parce que la nationalité d'origine pèse de tout le poids de l'amalgame, ou que les choix amoureux n'aillent pas dans le sens de ce qui est dicté par la religion, la souffrance est là, omniprésente, lourde de mise en scène et de dissimulations, encombrée de non-dits et de malentendus, lestée du prix du silence.

Lorsque les bombes explosent à l'heure du repas dans la cantine du lycée, Oumar s'abrite derrière l'alibi d'un rendez-vous amoureux avec Alex, dans un café où tous apprennent la nouvelle de l'attentat. Et cependant il se retrouve au poste de police avec son cousin, prêt à le tuer pour avoir trahi les textes sacrés. Quant à Kirem, le frère d'Omar, il a disparu, mais ne fait pas partie des victimes.

C'est ainsi qu'Alissa est mêlée à l'affaire, pour ses talents de traductrice tchétchène, elle qui a caché ses origines en laissant croire qu'elle était russe.

La terre d'accueil peut se révéler bien cruelle, car elle n'efface jamais le passé. le renier expose à des conflits de loyautés inextricables et le révéler ne peut qu'aboutir à l'isolement.

Les événements fictifs qui font le coeur du récit sont hautement vraisemblables, et l'analyse psychologique des conséquences de la fuite quand elle est devenu inévitable pour rester en vie et finement décrite. On souffre avec ces personnages malmenés et condamnés à se cacher.


Roman riche d'une actualité que l'on aimerait désuète, ce qui est loin d'être le cas, l'écriture est juste et sensible.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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C'est le second roman d' Anaïs LLOBET. » Des hommes couleur de ciel « est le récit de la douleur de l'exil, publié aux éditions de l'Observatoire en ce début d'année 2019.
Anaïs Llobet est journaliste. En poste à Moscou pendant cinq ans, elle a suivi l'actualité russe et effectué plusieurs séjours en Tchétchénie, où elle a couvert notamment la persécution d'homosexuels par le pouvoir local.
La Haye – Pays-Bas – 2017
L'innommable vient de se produire. le pays est sous le choc. Un attentat vient d'avoir lieu au sein d'un lycée.
p. 11 : » Pendant un instant, Hendrik ne put détacher son regard du téléphone. Les notifications s'enchaînent. Un attentat. À La Haye, sa ville. Il se prit la tête entre les mains. Une bombe. Dans le lycée où travaillait Alissa. «
Mais ce que Hendrik ne sait pas, c'est que Alissa, sa fiancée, a pris le nom d'Alice à son arrivée en France. Elle n'est pas d'origine russe, comme elle le prétend. Elle est tchétchène. Elle est Alissa Zoubaïeva.
p. 86 : » Mais Hendrik ne savait pas qu'Alice s'appelait Alissa, qu'elle venait d'une petite enclave saignée à blanc par deux guerres. Avec lui, elle était hollandaise, d'origine russe. «
Vingt-deux enfants tués et deux professeurs. La ville s'est arrêtée. Ses habitants anéantis par la douleur.
p. 17 : » Les Pays-Bas avaient fermé leurs portes, ils avaient barricadé leurs fenêtres. le coeur des gens s'était glacé malgré la chaleur. On avait tué leurs enfants. «
L'auteur de cet acte est un lycéen, scolarisé dans ce même lycée. En apprenant qu'il est d'origine tchétchène, Alissa fait immédiatement le rapprochement : Kirem Akhmaïev. Ils partageaient la même origine, même si Alissa le cachait. Malgré ses airs de tolérance et d'ouverture, les Pays-Bas était comme tous les pays européens depuis les attentats terroristes perpétrés par des islamistes radicaux : méfiants et suspicieux envers toute la communauté musulmane.
p. 25 : » C'était un enfant étrange, la copie inversée de son frère, Oumar, qu'elle avait eu en cours deux ans auparavant. Ils avaient beau se ressembler comme deux gouttes d'eau, leurs personnalités étaient diamétralement opposées. Autant son frère était solaire, affectueux, toujours prêt à participer et à distribuer les copies, autant Kirem se faisait très vite oublier, et détester. «
Professeure de russe, Alissa est rapidement interrogée par les autorités, comme traductrice d'une part, puis suspectée de ne pas avoir décelé les projets de son élève Kirem en ne signalant pas son comportement étrange.
Oumar est arrêté devant les yeux de son nouveau petit ami, Alex, alors qu'ils partagent innocemment un café en terrasse. Alex est impuissant devant cette arrestation musclée. Il ne comprend pas pourquoi les forces de l'ordre l'appellent Oumar. Il s'est présenté à lui sous le nom d'Adam, d'origine jordanienne.
En salle d'interrogatoire il reconnait son ancienne professeure de russe : Madame Zoubaïeva. Elle leur sert d'interprète. Mais comment leur expliquer qu'il est innocent ? Que ce n'est pas lui qui est à l'origine de cet acte atroce ?
p. 56 : » Il pourrait leur dire qu'il a un alibi : cette main sous la table. Mais s'il parle de l'homme avec qui il a bu un café, il risque plus que des années perdues dans une cellule étouffante. La honte pour toujours, la mort à coup sûr. «
Lorsque l'on est un « homme couleur de ciel » en Tchétchénie, on risque sa vie. C'est pourquoi leur mère, Taïssa, a préféré s'exiler en Europe, pour protéger son fils. Maltraité depuis son plus jeune âge par son cousin Makhmoud, Oumar devait quitter le pays, pour vivre. Mais son jeune frère est resté des années sous l'influence de ce cousin violent.
p. 141 : » Kirem disait souvent à son frère :
-Oumar, tu ne peux pas comprendre Makhmoud. Tu n'as pas vécu la même chose que nous. Tu n'as pas connu l'injustice de l'occupation russe, la brutalité des milices du nouveau président tchétchène. Tu n'as pas vu nos mosquées pilonnées, tu ne vois pas les bombes qui continuent à tomber sur nos frères syriens, tu n'entends pas leurs hurlements. Non, tu ne sais rien. Alors tais-toi et écoute Makhmoud. «
Le lecteur est immédiatement plongé dans l'horreur, dès les premières lignes. Anaïs Llobet fait évoluer ses personnages de telle sorte qu'une ambiguïté s'installe. La responsabilité de cet acte est multiple, et c'est qui donne toute la puissance au récit. L'écriture journalistique est efficace et crée une tension permanente. L'expérience du terrain de l'auteure apporte une vision très concrète du conflit opposant la Tchétchénie et la Russie, et les conséquences d'un exil douloureux. C'est également l'histoire d'une famille musulmane aux multiples cicatrices et gangrenée par l'islamisme. Une lecture très forte et marquante, et un témoignage assez rare pour être souligné, des conséquences de ce conflit, vite oublié par les pays occidentaux.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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critiques presse (1)
LeMonde
18 janvier 2019
Des hommes couleur de ciel est un livre à tiroirs qui raconte l’immigration de deux frères tchétchènes vers l’Europe : l’un traqué par sa famille parce qu’homosexuel, l’autre glissant vers le terrorisme [...] Un deuxième roman poignant.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
II percevait confusément qu'il se tenait à la lisière d'un choix, sans retour possible. Il était monté dans un avion, il avait changé de pays, appris une langue, mais son départ de Tchétchénie et son arrivée aux Pays-Bas n'auraient lieu que ce dimanche soir-là.
Il acheta un tee-shirt noir, plaqua ses cheveux en arrière avec un peu de gel. Hector l'attendait devant un club, au croisement de deux rues. La musique était forte, les basses grésillaient. Des hommes, adossés au mur, partageaient une cigarette. Hector lui prit la main et l'entraîna à l'intérieur.
— Le dimanche soir, c'est notre nuit, cria-t-il pour couvrir la techno. Je sais pas où tu vas, toi, mais ici, c'est forcément mieux !
Adam sourit. Oui, c'était mieux que le bar et la plonge. Il remarqua deux jeunes hommes en train de s'embrasser, l'un brun de peau et torse nu, l'autre en chemise blanche trempée de sueur. Ils dansaient, enlacés. Un brusque frisson électrique parcourut son échine.
La musique s'engouffra en lui et il sentit sa tête balancer d'un côté puis de l'autre, sa main accepter un cocktail offert par Hector, l'autre glisser dans ses cheveux. Le rythme binaire, épuré, envahissait son corps sur une fréquence inconnue, il vibrait, s'abandonnait aux regards, les acceptait, les renvoyait.
Il aurait dû prendre peur, se souvenir de sa mère, son père, son frère, son cousin, son peuple, les mots « N’oublie pas qui tu es ». Mais il n'avait jamais été jusqu'à cette nuit. Il avait fait semblant et il apprenait ce dimanche soir-là que la vie est puissante et insatiable.

Pages 177-178, L’Observatoire, 2019.
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Tu voudrais que je te raconte quoi, avec tes consignes pour enfants sages « racontez au passé un souvenir qui vous est cher » je n'ai aucun souvenir que je ne voudrais effacer et toi tu veux que je te l'écrive en russe, mais je vais te le dire en tchétchène puisqu'il n'y a que nous pour comprendre ce que nous avons
vécu
les gens ils disent « il a connu la guerre c'est pour ça qu'il est étrange » et j'ai envie de les frapper parce qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils pensent que la guerre c'est comme à la télévision avec des immenses fumées dans le ciel, des gens qui pleurent et qui sortent des enfants couverts de poussière blanche des décombres de leur immeuble
ils ne savent pas que la guerre c'est la cave l'attente la faim les gens qui s'éteignent l'impuissance les mots qui ne servent à rien face aux soldats l'humiliation les souvenirs qu'on veut jeter et qui restent comme tatoués sur le blanc de l'oeil : tu clignes des yeux et la guerre revient, tu regardes ailleurs, elle est toujours là, tu dors, elle t'attend tapie dans le noir.

Page 51, L’Observatoire, 2019.
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bien sûr que je les connais tes verbes de mouvement en russe mais ils servent à rien ici
ici pas besoin de bondir sauter courir jusqu'à plus pouvoir respirer
y a rien à fuir les gens sont tranquilles les avions passent sans bruit la terre tremble mais c'est juste un tramway
et quand ils disent on descend à la cave, c'est pour rapporter de l'alcool haram ou des livres déjà lus
ils ont pas besoin de brûler les portes ici car les radiateurs marchent l'hiver
je te le dis, ils sont faciles à apprendre les verbes de mouvement en temps de paix
moi je voudrais leur apprendre à aller sans se promener
à marcher sans savoir où aller
à s'immobiliser sans respirer
à entendre un bruit, une explosion, fuir et ne plus jamais revenir

Page 15, L’Observatoire, 2019.
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Il regarde ses mains pour ne pas penser à sa mère, allongée sur son lit après une nouvelle crise. Ses grands yeux écarquillés qui fixent les ombres sur le plafond... Qui l'a aidée à se lever, à s’habiller, qui lui a expliqué les questions des policiers ? Peut-être n'a-t-elle pas eu besoin de traduction. Le mot terrorisme est international. La terreur est universelle. Le mot latin, terror, a traversé les siècles pour devenir terreur en néerlandais, terror en russe. Au fil des guerres, il a fini par pénétrer la langue tchétchène. Pourtant, il ne remplacera jamais le kkheram, la peur dont est saisie l'âme lorsqu'une bombe siffle dans le ciel, un couteau s'approche dans la nuit, un regard devient fou près de soi, quand un acte irréparable s'apprête à être commis...

Page 55, L’Observatoire, 2019.
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Depuis dix ans, son intégration n'avait souffert d'aucun angle mort. Elle était néerlandaise, de passeport et de volonté. « Vous qui êtes russe », avait dit le professeur, n'accordant aucun crédit aux dix dernières années qu'elle avait vécues ici, aux Pays-Bas, chez lui. Ces années ne valaient rien : elles étaient balayées par son accent, ses origines. Elle était prisonnière de son déguisement à double étage, ni Russe ni Néerlandaise, à jamais Tchétchène et incapable de défendre son peuple lorsqu'il était attaqué par une chronologie simpliste et à charge.

Page 79, L’Observatoire, 2019
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