« Ta gueule
Bukowski ! »
Si
Charles Bukowski avait écouté ce cri du coeur lancé par
François Cavanna en 1978, la moitié ou presque de sa bibliographie n'aurait jamais vu le jour. Mais on se doute bien que les insultes et autres preuves de dégoûts n'ont pas valeur performative –auquel cas le monde bruisserait seulement de cris éperdus suivis d'un silence long et constant.
L'épaisseur de l'ouvrage consacré aux insultes littéraires nous porte nous-mêmes à nous exclamer : tant de langues de vipères ! Finalement, on se rendra compte que
Pierre Chalmin a certainement dû effectuer une sélection coriace car le nombre d'insultés n'est pas si important qu'on ne pourrait le croire, et pour chacun d'entre eux, le nombre d'insultes se fait parfois peau de chagrin –sauf pour les plus célèbres, ce qui nous permet de vérifier l'adage selon lequel grandeur de l'oeuvre et nombre de détracteurs sont proportionnels …
Comme il serait dommage que l'on se mette à notre tour à vilipender
Pierre Chalmin, on imagine que celui-ci a fait de son mieux pour sélectionner les injures les plus réussies et les plus drôles, destinées aux personnalités les plus universellement connues.
Pourquoi l'idée de ce
Dictionnaire des injures littéraires est-elle réjouissante ? Parmi la liste infinie des raisons que l'on pourrait trouver –car tout est infini lorsqu'il s'agit de l'esprit humain, comme nous le prouve
Pierre Chalmin-, citons les principales :
• Parce qu'à force de ne lire que louanges et éloges sur les Grands Hommes de ce monde, on aurait presque fini par se sentir bourbeux. Voici enfin des preuves que le talent voire le génie sont des critères essentiellement relatifs.
• Parce qu'imaginer ces figures de renommée en piètre position constitue tout l'attrait qui nous pousse à nous vautrer corps et âmes dans les plus crasses comédies (« Je me souviens surtout qu'il me vomissait dessus quand il était saoul » -souvenir d'
Apollinaire).
• Parce que même les lanceurs d'insultes finissent par perdre leur aura lorsqu'ils se déchaînent à vouloir briser celle de leurs concurrents (« Maître Abailard, espère de bourru et d'imbécile qui n'a gagné à tous ses amours que d'avoir un testicule de moins », dixit
Flaubert).
• Parce qu'au jeu de l'insulte, la force intellectuelle se déploie au détriment de la force physique et qu'il faut rivaliser de ruse et d'aisance verbale, donnant souvent lieu à des ingéniosités qui font se croiser l'ironie, la métaphore, le calembour et l'éclat de la chute (« Jacques Ségéla est-il un con ? de deux choses l'une : ou bien Jacques Ségéla est un con, et ça m'étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Ségéla n'est pas un con, et ça m'étonnerait quand même beaucoup ! », dixit
Pierre Desproges).
Mais le plus intéressant dans ce Dictionnaire de l'injure littéraire constitue en ce que, bien que littéraires, toutes ces invectives peuvent être judicieusement détournées et adaptées à bon escient à chaque emmerdeur ou prétentieux de votre entourage. Certaines, comble de la perfection, pourront même être servies telles quelles par la magie de leur pertinence universelle…
« Edern va se faire arranger les dents. Elles sont aussi pourries que ses pieds, sauf que celles-ci, au moins, se déchaussent ! »
En espérant, bien sûr, que votre adversaire possède encore dents et membres inférieurs…
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