On n'en finissait plus de rappeler le compositeur. Les applaudissements durèrent plus d'une demi-heure. Le public resta dans la salle, exprimant ainsi sa solidarité avec l'artiste que la presse continuait de traîner dans la boue et qui n'avait pas encore été officiellement réhabilité, depuis l'attaque en règle de la Pravda. Mais cet enthousiasme dissimulait autre chose encore : pour les Russes, dont la perception musicale est très liée à l'idée de programme et qui ont tendance à chercher dans toute œuvre son contenu extramusical, la force dramatique de la Cinquième Symphonie incarnait en quelque sorte leur propre histoire - l'histoire de leur vie et de la tragédie des dernières années.
A la charnière des années vingt et trente, la vie musicale fut soumise à des tensions accrues. Tandis que la RAPP, l'Association des écrivains prolétariens, répandait la crainte et la terreur parmi les auteurs soviétiques, l'agressive RAPM devint ouvertement l'instrument de la politique culturelle du Parti. Cette association, qui comptait dans ses rangs de parfaits dilettantes, exerça une influence décisive sur l'ensemble de la vie musicale. Elle faisait preuve d'un tel excès de zèle dans ses attaques contre les novateurs qu'elle dépassait largement les limites de la propagande officielle. On risquait d'en arriver à une situation où la seule musique autorisée serait des chants de louanges politico-propagandistes. En compagnie de quelques autres musiciens, Chostakovitch chercha à réagir contre cette invasion du kitsch et de l'amateurisme issus de la RAPM.
Je me rappelle que ce soir là (21 novembre 1937), Mravinski monta au pupitre d'un pas rapide et sûr, le visage impénétrable. Son attitude calme, mais impérieuse, ne pouvait qu'inspirer confiance aux musiciens et au public face à cette nouvelle œuvre. Dès les premières mesures, on sut que les espoirs ne seraient pas déçus. L'atmosphère changea du tout au tout : on cessa d'être à l'affut du sensationnel, car tout le monde comprit qu'on était en train d'assister à la naissance d'une grande œuvre philosophique, d'une œuvre profonde, empreinte d'une grande souffrance et d'une force immense. (Création de la cinquième symphonie à Leningrad)
Krzystof Meyer Piano Sonata n°1 op.5