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EAN : 9782955237342
Du Poignon Production (13/04/2023)
4.5/5   5 notes
Résumé :
Alice, jeune prostituée, est retrouvée morte dans son appartement. L'enquête de police qui en découle sert alors de prétexte pour retracer in extenso la vie de cette héroïne placée sous les signes du refus, de l'excentricité, la grâce, la résilience, la passion, l'agentivité ou l'empowerment.

Récit initiatique inclassable qui s'ouvre sur un polar léger, bascule rapidement vers un genre de feuilleton social aussi noir qu'un puits de mine des Combraille... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Godzilla contre Darwin

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Voici le livre:

Du Champagne, un cadavre et des putes, troisième volume, est le noyau thématique du roman dans son ensemble, la discussion idéologique qui en justifie le scénario et se base sur lui comme élément de preuve et de démonstration. C'est un long essai sur la prostitution et la marginalité, presque complètement dépourvu d'intrigue — ce qui n'est pas une condamnation ; c'est à remettre dans son contexte, puisque qu'il ne s'agit que d'une portion d'un immense roman.

Ce tome 3 est beaucoup plus difficile d'approche que les précédents, alors prenons du recul ("reculer", étymologiquement : repartir dans la direction de son cul) et parlons un peu philo — j'ai déjà fait le coup pour le tome 2, mais ça s'impose encore davantage ici, et on va essayer une approche un peu différente, un peu moins rédaction structurée et un peu plus stream-of-consciousness.

***

Parlons de théorie. Je veux dire, parlons du *concept* de théorie ; c'est quoi, une théorie ?

Une théorie, c'est le produit d'une induction : à partir d'objets spécifiques du monde réel, on construit des catégories, des abstractions, et à partir d'un fait réel observé, on construit une règle qui décrit le comportement de ces catégories. On met la réalité en équation, ce qui nous permet de décrire, et même de prédire comment elle se comporte.

Observation : je tiens une pomme dans ma main, je la lâche, elle tombe.
Théorie : les objets qui ne sont pas supportés sont irrésistiblement attirés vers le sol.

C'est par l'induction que notre cerveau appréhende la réalité. Nous faisons, inconsciemment, depuis notre naissance, des inductions, tout le temps.

Une induction, ce n'est pas une déduction. Dans une déduction il y a un élément de vérité incontestable :

A : Quand il pleut, le sol est humide.
B : Il pleut.
Conclusion : le sol est humide.

Si A et B sont vrais, alors la conclusion est aussi forcément vraie.

Dans une induction, au contraire, il n'y a pas de preuve. On *généralise* une observation pour essayer de créer une règle qui prédira les observations futures, mais on a aucune garantie que ça marchera toujours. Même si la pomme tombe 1 million de fois de suite quand je la lâche, il suffit qu'une seule fois elle ne tombe pas, et mon induction est réfutée.

Mais on n'a pas le choix : on *doit* s'appuyer sur l'induction pour décrire la réalité — c'est si impératif qu'on le fait instinctivement, on est génétiquement programmés pour ça — car on a *que* des observations de cas particuliers à notre disposition : on ne peut pas ouvrir le capot de l'univers pour regarder directement ses algorithmes à la loupe, on ne peut que tester son comportement encore et encore, pour avoir des théories de plus en plus affinées, mais toujours des théories. Même notre exemple de déduction plus haut contient une induction en A.

L'objectivité, la certitude à 100% sont donc impossibles. On part du principe que la réalité à laquelle nous accédons par nos sens existe, *pas* parce qu'on en a la preuve, mais parce que c'est tout ce que nous avons. La première des inductions, c'est d'accepter que l'image du monde construite par notre cerveau correspond bien à quelque chose de réel — et si je rejette cette hypothèse, je n'ai rien à lui substituer ; la réalité fournie par mes sens est la seule réalité à laquelle j'ai accès.

Même les expériences mystiques, qui se veulent au-delà du monde physique, ne nous sont accessibles que par nos sens. Peut-être que Dieu parle directement à notre âme, mais si notre âme ne fait pas partie du monde matériel, alors elle nous est invisible, et il est impossible d'entendre la voix de Dieu.

***

Il est important de comprendre qu'une théorie, ce n'est pas la réalité — c'est une abstraction de la réalité. C'est une *carte* qui n'est pas le *territoire* qu'elle représente.

La confusion entre carte et territoire conduit au purisme — refuser de mettre à jour une théorie qui a été réfutée par de nouveaux éléments, parce qu'on a investi de la valeur dans la théorie en tant que finalité et non plus en tant qu'outil, qu'on voit la théorie comme un objet du monde réel, et non plus comme un reflet de ce monde — et au prescriptivisme — qui va encore plus loin et traite la théorie comme ayant priorité et cherche à plier la réalité pour qu'elle se conforme à la théorie.

C'est en partie de l'instinct de survie : les théories constituent l'intégralité de notre modèle du monde, et sans elles nous sommes aveugles — nous avons donc une profonde motivation à développer un modèle du monde qui soit le plus fiable possible — pas le plus *vrai*, mais le plus apte à favoriser notre survie — et nous avons donc aussi une grande motivation à *croire* notre propre modèle, à avoir foi en lui — douter du modèle, c'est douter de la réalité, ce qui n'est pas bon pour la survie. On veut non seulement croire ce qui est "vrai", mais on veut *croire que ce qu'on croit est vrai*.

On est donc mal disposés à croire *autre chose* et à accepter des informations qui remettent en question notre modèle du monde. Si mon modèle du monde me dit que Dieu n'existe pas, non seulement je le crois, mais je veux croire que j'ai raison de le croire, et non seulement je suis incapable de croire que Dieu existe (puisque, selon mon modèle, ça serait croire consciemment quelque chose de faux — absurde : croire quelque chose, c'est croire que cette chose est vraie, par définition), je suis même incapable de *vouloir croire* que Dieu existe, car ce serait vouloir croire quelque chose de faux, ce qui va contre mon instinct.

(Une tel fonctionnement du cerveau, une telle difficulté pour assimiler de nouveaux éléments qui contredisent l'expérience passée, une telle inefficacité à construire un modèle du monde qui s'approche de la réalité, ça peut sembler mauvais pour la survie, mais "brains are survival engines, not truth detectors. If self-deception promotes fitness, the brain lies" — Blindsight ("Vision aveugle", en français) de Peter Watts, excellent bouquin de SF qui fait beaucoup pour déconstruire, sur un mode assez sombre et dérangeant, l'idée qu'on a de la façon dont l'esprit humain fonctionne — oui, je vous fais la critique d'un autre livre *au milieu* de la critique principale).

Et donc le puriste refuse de moderniser l'orthographe — créée pour représenter la langue parlée d'une certaine façon dans le passé — alors que la phonétique a beaucoup changé depuis et rendu l'orthographe de plus en plus inadaptée à la représenter — car pour le puriste, l'orthographe n'est pas un outil de représentation de la langue, c'est la langue elle-même, et en s'opposant à ce que l'orthographe change, il s'oppose à ce qu'on change sa vision de la langue — et c'est un cercle vicieux, car en l'absence d'enregistrements vocaux très anciens, l'orthographe qui reste la même pendant plusieurs siècles conforte le puriste dans l'illusion que la langue ne change pas. Bien sûr, l'absence de changement de l'orthographe est elle-même une illusion — Molière n'écrivait pas dans notre orthographe, mais ses pièces sont réimprimées "transcrites" dans la graphie moderne pour en faciliter la lecture, ce qui donne l'illusion d'une orthographe — et donc d'une langue — qui ne change pas.

(L'illusion se dissout si on essaye, par exemple, d'écrire le français en alphabet arabe : la graphie a radicalement changé, mais c'est toujours du français ; il suffit à un locuteur français d'apprendre la nouvelle graphie et il peut alors lire ces textes aussi facilement que ceux écrits en alphabet latin, sans avoir à apprendre un seul nouveau mot de vocabulaire, une seule nouvelle règle de grammaire, un seul nouveau phonème, car c'est bien la même langue qui est transcrite. La carte a changé, mais pas le territoire.)

Et donc le prescriptiviste décrète que le sens moderne d'un mot est "faux", que le "vrai" sens est le sens plus ancien, le sens enregistré dans le dictionnaire — comme si ce dernier avait été décidé arbitrairement par des sages, ou même avait miraculeusement surgi du néant comme une conception immaculée, toute innovation ne pouvant alors être perçue que comme une corruption. le prescriptiviste insiste pour qu'on dise "une boisson alcoolique" et non "une boisson alcoolisée" — sous prétexte qu'étymologiquement, "alcooliser" signifie qu'on *ajoute* de l'alcool — ça ne le gène pourtant pas qu'étymologiquement, "alcool" est un mot très ancien qui signifie "poudre d'antimoine", et on ne le voit pas non plus insister pour que le mot "septembre" soit employé pour le septième (et non le neuvième) mois de l'année.

***

Si la théorie est une carte, on peut donc avoir plus d'une théorie (carte) pour la même observation (territoire). Comme une théorie n'est pas la réalité, on pense moins aux théories en termes de "vrai" ou "faux", mais plutôt en termes de précision et d'utilité relatives par rapport à différent buts.

Si on doit, par exemple, calculer la vitesse résultante d'une balle de tennis qui roule à 10 km/h sur le sol d'un wagon de TGV qui se déplace à 320 km/h, l'équation d'Einstein — u=(v+u')/(1+(vu'/c^2)) — nous donne un résultat plus précis, plus juste (329,999999999999094... km/h) que l'équation de Galilée — u=v+u' (330km/h).

Mais pour une différence de moins d'un nanomètre par heure, il est beaucoup plus simple, rapide, intuitif et efficace d'utiliser la seconde équation — un tel niveau de précision n'a aucun intérêt pour des observations ordinaires ; la première équation n'est utile que si on observe des objets extrêmement rapides — au minimum plusieurs kilomètres par seconde.

Une théorie non-optimale au bon moment est préférable à une théorie optimale au mauvais moment (principe bien connu des joueurs de Tetris).

***

La possibilité de théories multiples et contradictoires pour un même territoire dépend pour beaucoup de ce que ces théories décrivent. La théorie mathématique, parce qu'elle part d'un nombre extrêmement restreint d'observations et a pour principe guide la cohérence interne, — le but de la théorie mathématique est de se prédire elle-même sans créer de contradiction — est par définition unique (même si elle a des zones d'ombre, comme la valeur de zéro puissance zéro ou les théorèmes d'incomplétude de Gödel).

En contraste, une théorie musicale, ce n'est qu'une théorie de la façon dont un compositeur — ou un groupe de compositeurs sur une période et une géographie données — agence des tons et/ou des rythmes dans le temps en suivant des règles syntaxiques et une structure holographique, mais sans employer d'éléments sémantiques (ce qui distingue la musique de la langue) — et comme il y a une infinité de façons de concevoir de tels agencements, sans qu'aucun critère de vérification objectif ne permette de dire que certains sont "vrais" et d'autres "faux", il y donc a une infinité de théories musicales contradictoires possibles, sans que ça ne pose problème.

***

J'ai dit que traiter une théorie comme un modèle prescriptiviste était une erreur, un exemple de confusion entre carte et territoire, mais il y a une possible exception : les théories de la valeur.

Une théorie qui cherche à identifier ce que les individus et les groupes désirent, voire à définir objectivement des états de la réalité comme désirables en et pour eux-même, une théorie qui n'a pas un caractère strictement prédictif, et au contraire appelle à l'action de façon proactive — une théorie qui dit qu'il *faut* amener la réalité vers un certain état, au minimum pour satisfaire certains désirs humains, au maximum parce que ces états sont objectivement supérieurs et qu'il y a un impératif métaphysique à tendre vers eux — c'est un type de théorie où la prescription n'est plus une erreur d'interprétation de la théorie, mais bien son objet, ce pour quoi elle est conçue : une théorie qui construit une échelle de mesure et en définit certains points comme plus importants, plus désirables que d'autres, comme ayant plus de *valeur* — valeur qui peut être morale (bien et mal), esthétique (beau et laid), significative (raison d'être et vanité) [voir ma critique du tome 2] ou même économique (abondance et rareté).

Il y a cependant une différence fondamentale selon qu'on pense ces théories comme subjectives, comme une description de la psychologie humaine, des valeurs qui sont *dans nos têtes*, ou comme objectives, comme une description de la valeur en tant que propriété physique de l'univers aussi réelle que la masse. Cette différence influence le genre de théorie de la valeur qu'on peut construire : la théorie de la valeur travail fait sens si on pense la valeur économique comme une donnée métaphysique, liée de façon inhérente aux objets et représentative de leur identité fondamentale (leur âme) et du travail (énergie vitale) qui y est investi (insufflé), mais elle ne tient pas la route si on pense cette même valeur comme une description de la psychologie humaine, de ce à quoi les individus *attribuent subjectivement* de la valeur — dans ce cas-là, la théorie de l'offre et de la demande est bien plus cohérente ; autrement dit, il faut avoir un peu la foi pour être communiste !

Si on pense ces théories comme objectives, alors elles sont *terminalement* prescriptives — la théorie nous donne un ordre, une injonction dont dépend l'équilibre cosmique. Si on les pense comme subjectives, alors elle ne sont qu'*instrumentalement* prescriptives — elles nous indiquent une marche à suivre pour satisfaire les désirs humains, mais sans nous dire qu'il est obligatoire ou impératif de satisfaire ces désirs.

***

Dans ma critique du tome II, j'ai à peine touché aux implications de mon nihiliste — c'est très facile d'avoir un nihilisme superficiel, de confondre ça avec du simple cynisme (confusion faite autant par ceux qui dénoncent que par ceux qui se réclament du nihilisme), mais le nihilisme tissé jusqu'au bout de sa logique, ça va très loin dans la déconstruction de nos intuitions de la réalité, au point d'être difficilement intelligible — si je commence à disserter sur la négation des concepts d'identité et de passage du temps, cette critique va irréparablement s'égarer et oublier de parler du livre dont elle prétend être l'analyse.

Mais c'est pour dire que Vaquette et moi, on a des visions de la réalité, des théories qui se contredisent sur presque tous leurs fondamentaux. Et plus spécifiquement, on a des théories de la valeur qui sont de types différents ; j'adhère strictement à une vision subjective de la valeur, quand Vaquette en adopte ouvertement une vision objective — certes avec un certain degré d'ineffabilité, de transcendance, en ce que Vaquette cherche réellement à toucher à des valeurs universelles (donc nécessairement simples, en nombre réduit et ne pouvant pas être parfaitement quantifiées) plutôt que d'ériger ses propres désirs et dégoûts, nécessairement individuellement spécifiques, en un système étriqué qui est imposé à tous par narcissisme — et aussi avec une reconnaissance de la spécificité et de la variation individuelle des êtres humains, si bien que les *valeurs objectives* de Vaquette ont une toute autre dimension que celles d'un puriste racorni, d'un curé mesquin moralisateur ou d'un khmer rouge, qui se veulent universels alors que leur vision du monde ne dépasse pas la périphérie de leur propre nombril.

Amusant paradoxe : pour avoir des valeurs objectives, Vaquette doit avoir un peu (beaucoup) de foi — c'est à dire un peu d'intuition, un peu d'instinct, quelque chose de pas complètement rationnel et conscient qui lui donne une orientation pour construire un système moral objectif (ce n'est pas en soi spécifique à Vaquette, à ce jour aucun philosophe n'a réussi à ancrer l'idée de morale, à la faire dériver logiquement de la seule observation du monde physique) — alors qu'en étant dans une approche qui refuse l'irrationnel de la transcendance, je dois me contenter d'une moralité strictement subjective.

C'est le très ancien conflit qui a lieu dans notre cerveau entre raison et intuition, empirisme et foi, conscient et inconscient ; l'efficacité et la vitesse des réflexes contre la minutie et la planification des actes conscients, la lenteur et la paralysie de l'intentionnel contre les erreurs internalisées et la suggestivité de l'inconscient. Est-ce que le meilleur musicien est celui qui joue une pièce en état de transe, qui en a totalement assimilé la structure et n'a plus besoin d'y penser, ou celui qui joue cette même pièce avec sa pleine attention, qui l'a apprise consciemment par coeur et sait toujours exactement ce qu'il joue et où il en est dans la performance ? Quand est-ce qu'un machiniste a le plus de chance de se blesser : lors d'une opération inhabituelle et difficile qui lui demande toute son attention et toute sa concentration, ou lors d'une opération de routine qu'il peut accomplir en pensant à autre chose, mais au risque de ne pas voir venir une erreur mineure mais fatale ?

Bien sûr, personne ne peut se passer totalement de l'un ou de l'autre mode de pensée ; mais selon le degré d'équilibre qu'on privilégie entre eux, on arrive à des façons de voir le monde radicalement différentes.

***

Ce qui différencie le modèle de Vaquette de la plupart des autres modèles qui admettent un degré élevé de foi dans leurs fondamentaux, c'est que son modèle à lui n'est pas *aveugle* : Vaquette désire certes amener la réalité vers un certain état, mais il le fait en gardant à l'esprit la réalité telle qu'elle est dans le présent. En contraste, la plupart des modèles prescriptivistes ne voient *que* la réalité désirée, et ne peuvent donc ni construire un chemin rationnel entre l'Être et le Devoir Être, ni faire évoluer ce Devoir Être quand de nouvelles informations devraient modifier, ou du moins ajuster leur modèle de la réalité, de ce qu'elle est et donc de ce qu'elle devrait être.

De fait, la plupart des prescriptivistes sont *philosophiquement* aveugles. Lorsqu'une personne devient subitement aveugle, il peut se passer plusieurs mois avant qu'elle ne *réalise* qu'elle est aveugle, parce que le cerveau ne regarde pas le monde directement : il regarde *le modèle du monde* qu'il construit seulement en partie avec les informations données par les sens — la plus grande part de ce que nous croyons nous souvenir est *prédite* plutôt que *perçue* par le cerveau, si bien que quand nous cessons de percevoir, on peut encore aller très loin par prédiction ; notre modèle du monde est intacte, quand bien même il n'est plus mis à jour par des stimuli extérieurs, et le cerveau peut mettre très longtemps à réaliser que ces stimuli ont disparu.

C'est le piège où tombe presque toujours un modèle de valeurs prescriptiviste : celui d'un modèle aveugle qui ignore la réalité et n'est informé que par lui-même, qui est plongé dans un état de rêve et d'hallucination, où ce qu'il croit percevoir n'est en réalité que ce qu'il imagine, qui s'éloigne de la réalité jusqu'à ne plus rien avoir en commun avec elle ; une psychose philosophique, en somme.

C'est le piège que Vaquette a su éviter — son prescriptivisme part toujours de la réali
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vaquette, le rudéral

le troisième tome du grand polar social "du champagne, un cadavre et des putes", met en suspens son intrigue policière pour mieux rentrer dans le journal intime de feu son personnage principal, alice. 
ce qui peut se concevoir comme un essai à part entière dans le corps même du roman, sera l'occasion de décortiquer la prostitution sous toutes ses facettes, afin d'en faire saillir le concept de stigmate, et ainsi renverser la place de la putain dans la société.
cette partie impressionnera alors par le monumental travail de l'auteur qui, à force de rigueur, parviendra à condenser la somme de ses approches dans une démonstration dont la limpidité tiendra du tour de force.
ce troisième tome pourrait de ce fait et sans lacune se suffire à lui-même, au point de soulever une question éditoriale inattendue: à une époque où l'émancipation des femmes a pris le relais de leur cul pour faire du beurre, la moindre librairie met aujourd'hui en avant son rayon féministe, au sein duquel il n'est pas aberrant d'imaginer que le journal d'alice, s'il avait été authentique (ou pas), aurait tenu une place de choix entre les publications de mona cholet ou d'elsa dorlin (en dépit d'un sujet et d'une approche plus marginale, certes, qui l'aurait plutôt rapproché de grisélidis réal).
cette perspective aussi paradoxale qu'injuste, et pour hypothétique qu'elle soit, nous renvoie vers la seconde thématique qui traverse à la fois ce tome-ci, le roman entier et pour ainsi dire tout le travail de vaquette: la marginalité, qui elle-même, décidément, est une affaire de stigmate.
à l'instar du rapport entre flaubert et madame bovary, il est évident qu'alice porte en elle une part conséquente de son auteur, au point d'être pour lui une sorte de masque, ou de costume. nous y sentons ainsi, plus qu'avec n'importe quel autre personnage, l'implication intellectuelle et sensible de l'écrivain, au risque parfois de fragiliser l'assise de la jeune femme dans une dépossession aux limites de la schizophrénie. 
dans son écriture même, alice est une force qui danse sur un fil, dont le déploiement semble une marge reliant l'histoire dans laquelle elle se trouve prise (le polar dont elle est la victime) et l'existence dans laquelle elle tente de se réaliser (le journal intime dont elle se veut être la maîtresse).
mais le roman de vaquette sera aussi le témoignage d'une destinée brisée. si la prostitution aura été un moyen d'émancipation pour alice, elle aura également été pour cette autodidacte un premier territoire où éprouver sa vocation littéraire.
emporté par le personnage d'alice, le lecteur de son journal n'aura dès lors de cesse de se poser la question de savoir ce qu'elle aurait pu écrire si une mort prématurée n'avait pas interrompu ses ambitions. aurait-elle creusé sa voie vers des essais tels qu'elle aurait pu en tirer un de son journal, ou bien aurait-elle exploré des chemins plus débordants, et peut-être retrouvé une marginalité cette fois littéraire, celle que partagent les artistes par trop singuliers à qui les librairies sus-nommées ne réservent aucune place sur leurs étals?
vaquette aura travaillé des années à faire vivre "son" alice, nourrie au plus profond du réel, nourrie de vies et d'idées éprouvées, ni entièrement réaliste, ni entièrement hors-du-monde; rappelant la phrase de stevenson: "le roman est une oeuvre d'art non pas tellement par ses ressemblances avec la vie que par les différences incommensurables qui la séparent d'elle".
à lire ce nouveau tome du "champagne, un cadavre et des putes", on mesurera ces différences incommensurables qui nous ramènent de plein fouet à la vie par les chemins détournés de l'expérience littéraire.
les aventures d'alice se poursuivront au tome suivant, enrichissant ce paradoxe, rarement poussé aussi loin, consistant à rendre son âme à un cadavre. que la grâce et la gloire y soient rendues.
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S'il s'inscrit dans la continuité des deux précédents, ce tome marque également une rupture forte dans la perception que j'en ai eu : fini de contextualiser, il est temps de rentrer dans le dur !

Dans ce tome, nous alternons entre les passages du journal d'Alice dans lesquels elle parle de sa condition d'escort, et même plus généralement de la condition des prostituées (Super-Alice contre les sales putes, avouez que ça se pose là !), avec ceux des auditions formelles ou informelles de Lawrence, dialogues tournant au monologue et cristallisés autour de la même idée : quelles sont les causes et les conséquences de la stigmatisation active subie par les prostitués.

Comment ça, plus de 400 pages de thèses pro-putes ? Exactement ! Et c'est tout simplement brillant !

Brillant dans le propos : on est loin du débat bas de plafond, on est loin de l'endoctrinement ou du prosélytisme. On est dans le juste rappel historique et sociétal, on est dans le don généreux de l'ensemble des clés nécessaires pour se forger sa propre opinion. le discours est richement développé, les pensées solidement étayées. Aucun détail n'est laissé au hasard, aucun biais, aucun préjugé, mais sans cesse sera questionné ce qui est de l'ordre des faits, et ce qui est de l'ordre de l'opinion.
Brillant dans la forme, également. Ce tome est, je pense, celui qui m'a le plus impressionné par la maîtrise de sa structure narrative, de son ton et de son rythme. Les passages racontant une histoire étant peu présents (mais formant tout de même d'indispensables respirations), il faut toute la maîtrise de l'auteur pour rendre vivant des chapitres entiers d'explications. Il va sans dire que c'est parfaitement exécuté. Qu'on ait l'impression de se faire engueuler (non, c'est pas moi, Alice, juré, craché !), qu'on finisse un chapitre en se disant : "Non mais, sérieusement ", qu'on ait envie de hurler, de répondre, de s'indigner avec ou contre les personnages, qu'on se demande où l'auteur veut en venir, on vit cette lecture avec l'intensité d'une épopée. le propos s'arrête toujours au moment où il le doit, les respirations ponctuent parfaitement le récit, l'alternance surtout, entre les écrits d'Alice et les paroles de Lawrence, différentes mais intriquées, se répondant parfaitement avec pourtant une rupture de ton abyssale, est en elle-même un prodige.

Ne croyez pas, cependant, que l'auteur en a profité pour délaisser ses personnages au profit de ses thèses. Ce tome est également celui où les deux protagonistes principaux se montrent le plus impudique. En effet, si connaître l'histoire de quelqu'un permet de le cerner, entendre la vision qu'il porte sur les choses, découvrir la façon dont il présente ses arguments, observer, surtout, de quelle façon il évoque ceux à qui il s'oppose est infiniment plus éclairant.
La luminosité d'Alice éclate, irradie, déborde quand elle enfile ses gants de boxe. Même quand elle tire à boulets rouges, même quand elle me semble injuste, même quand je ne la comprends pas, je ne peux qu'admirer sa fougue, et me laisser emporter par sa passion. Par contraste, Lawrence apparaît de plus en plus sombre, en figure cynique détachée que plus rien ne peut atteindre, quand la tristesse semble s'échapper de chacune de ses phrases.

Plus de 400 pages, donc, lues avec autant de fougue qu'elles semblent avoir été écrites, qui m'ont émue, attristée, offensée, enthousiasmée, fait rire... confortée, aussi, sans trop de surprise...
Une lecture qui, encore, demande de l'implication et de la confiance en un auteur qui sait toujours où il veut aller, même si parfois le chemin est chaotique.

Une dernière chose : ce tome peut sans trop de soucis se lire indépendamment des deux premiers. Il est (pour le moment du moins, qui sait ce que nous réserve l'avenir ?) le point d'orgue du récit, la concrétisation de ce qui a été construit durant les 2 premiers tomes. Si vous souhaitez prendre le train en route, montez à cet arrêt. Pour ma part, j'attends la suite du voyage.

Lien : https://unspicilege.org/inde..
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Avant d'écrire cette critique j'ai relu celles que j'avais écrit pour les deux premiers tomes. Voilà un rapide résumé de ce que j'avais dit : tout ce qui touche à la prostitution ne m'a jamais excité ou rebuté. Idem pour les polars. Mais là où c'est chouette, c'est que ce polar est un prétexte utilisé par l'auteur pour décrire différents univers, ceux où évoluent Alice (l'héroïne escorte assassinée) au fil de sa vie, que l'on découvre via son journal intime, et les mêmes univers/lieux, mais revisités au présent quelques années plus tard par le commandant Lespalettes (chargé de l'enquête). Au fil des pages on se rend compte qu'on est en fait en train de lire un roman social, bien plus profond qu'un simple «Qui a tué Alice ?» Fin du résumé de ma critique des deux premiers tomes. Ce troisième tome est, à mon humble avis, le plus intéressant, mais aussi le plus difficile.

La première chose que je retiens de ce troisième tome, c'est que c'est une thèse. Une magnifique thèse, grande et belle, en béton armé, au sens propre comme au sens figuré. Et comme souvent avec les thèses, c'est long, et de nombreuses fois je me suis arrêté au bout de vingt pages pour reprendre le lendemain. Ce n'est pas tant la longueur ni le style (toujours percutant et efficace) qui m'a rebuté. On pourra très bien trouver ce troisième tome généreux, fouillé, documenté, philosophique, sociologique, mais dans le cas d'une personne qui a beaucoup apprécié la variété des situations des deux précédents tomes (l'adolescence, les petits boulots, les questionnements d'Alice, les différents personnages, les différents lieux etc) ce troisième tome aura un peu plus de mal à passer. Alice est comme qui dirait «installée», et ce côté statique m'a moins emballé. Mais peut-être faut-il passer par là ! Je dis d'ailleurs «installée» mais tout ce que dit Alice démontre aussi que cette «installation» n'est pas si sereine que ça.

La deuxième chose que je retiens, c'est que ce troisième tome est un magnifique plaidoyer pour la liberté. Pas pour rien que le mot est aussi visible sur la quatrième de couverture. Liberté d'un côté avec d'Alice qui s'épanouit en tant qu'escorte au lieu de se faire chier dans un boulot aliénant comme la très grande majorité d'entre nous, mais également liberté de Lawrence à qui ça ne pose pas du tout de problème que son amoureuse ai choisi cette voie-là. Car l'amour c'est (entre autres) encourager son ou sa partenaire dans une voie où il/elle s'épanouit, surtout si c'est une voie choisie. Laisser à l'autre sa liberté, son libre arbitre, sa conscience... On apprendra par ailleurs que d'un point de vue légal, apporter le moindre petit soutien à une personne qui se prostitue (volontairement ou non) fait de vous un(e) proxénète, comme si l'on mettait dans le même sac un homme qui prostitue sa fille de 8 ans et un coiffeur qui, voyant que des voyous emmerdent les prostituées bossant en face de son salon, décide de les héberger quelques heures le temps que les emmerdeurs s'en aillent. Les longs monologues de Lawrence face à Lespalettes pour faire comprendre que ça ne lui pose aucun problème qu'Alice se prostitue sont vraiment intéressants. C'est singulier de lire un tel point de vue. On pourrait dire sans problème que tout ce qui est dit par Lawrence dans ce troisième tome déborde de l'amour qu'il porte à Alice. Ca n'est pas rien. Une très belle continuité du deuxième tome.

Les très longs posts d'Alice où elle défend sa condition de prostituée sont également parfaits. Elle nous parle de son indépendance, des gens qui veulent interdire la prostitution, de ces gens qui veulent l'abolir - il y a d'ailleurs un passage très intéressant sur la différence entre ces deux notions. C'est vraiment une plongée intéressante dans un univers que je ne connaissais pas. C'est si bien décrit qu'on se demande si Vaquette n'a pas vécu tout ça lui-même !

Si le thème de la prostitution (et exclusivement ce thème) vous intéresse, ce troisième tome sera une lecture bien plus intéressante que les deux premiers. D'ailleurs il pourrait se suffire à lui-même. Il pourrait être le texte d'un monologue théâtral, oui, franchement ça aurait de la gueule. Les «stigmates» (je vous laisse découvrir par vous-même) sont admirablement décrits, avec tout ce qu'ils impliquent. Je me répète, mais c'est une thèse : c'est très intéressant, mais malheureusement parfois long. Ceci dit les nombreux livres ou documentaires cités par Vaquette m'ont donné envie de creuser le sujet histoire d'être un peu moins bête. Après un troisième tome si bien fourni, sans concessions, documenté et intelligent, est-ce que j'ai hâte de lire le quatrième ? Mille fois oui.

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Dans la continuité des deux premiers tomes, une vraie démarche respectueuse envers le lecteur pour lui demander de creuser, s'il ne l'a pas encore fait, une réalité sociale avec les bons mots, et donc les bonnes pensées, en interrogeant ses préjugés afin bien sûr de les dynamiter pour faire augmenter l'intelligence collective.
À une époque qui mène une guerre à mort contre l'intelligence, l'intransigeance, l'effort et l'objectivité anti - narcissique des vraies catégories de pensée, c'est un véritable travail de santé publique que continue de nous offrir Vaquette.
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