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EAN : 9782865890644
347 pages
Macula (03/05/2000)
4.75/5   4 notes
Résumé :
Voici la somme la plus considérable jamais publiée en français sur le père de la poésie italienne. Erich Auerbach avait fait de Dante son auteur de prédilection. Entre 1921 et sa mort, il lui a consacré une quinzaine d'essais dont le plus vaste, «Dante poète du monde terrestre», a exercé une influence profonde sur la recherche dantesque, en particulier en Italie.

Le livre s'organise autour de quatre pôles :
- une analyse formelle de l'œuvre d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le volume intitulé "Ecrits sur Dante" regroupe quinze essais rédigés par Erich Auerbach tout au long de sa vie universitaire, traduits de l'allemand ou de l'anglais par Diane Meur et publiés en 1998 aux éditions Macula. Dans ces essais d'inégale longueur, se trouve un véritable livre dans le livre, que l'auteur fit paraître en Allemagne en 1929, "Dante poète du monde terrestre", ou "Dante als Dichter der irdischen Welt" (pp. 33 à 189 de l'édition Macula). C'est de cet essai, de cette synthèse savante, dense et profonde, sur l'oeuvre de Dante, que je parlerai ici.

Chacun sait que l'oeuvre la plus connue de Dante, "La (divine) comédie", relate le voyage fait par le poète dans les trois régions de l'Au-Delà que sont l'enfer, le purgatoire et le paradis, sous la protection de Virgile, puis de Béatrice elle-même. Donc le titre de l'essai synthétique d'Erich Auerbach, "poète du monde terrestre", est fortement paradoxal : il semblerait que ce soit l'éditeur de Gruyter qui l'ait imposé à l'auteur, qui prévoyait d'intituler son ouvrage "Le monde terrestre de la Divine Comédie". Au moins une chose est sûre : l'Au-Delà dantesque n'est pas le lieu d'une fuite hors du monde, mais l'image supraterrestre de la vie et des actes humains tels que Dieu les a jugés et récompensés, ou punis. Autrement dit, pour reprendre les termes de l'auteur, les damnés, les pénitents, les bienheureux que croise Dante dans son voyage, sont des êtres humains dont l'essentiel de la vie, de l'existence terrestre, est manifesté par le jugement de Dieu, mis en évidence et rendu visible et concevable par leur sort outre-tombe. Ainsi le sort final de chacun est conforme à son essence terrestre, chacun désormais connaît le sens de sa vie et ne peut que l'exprimer quand il rencontre un humain vivant à qui il parle. La Comédie de Dante est tout entière placée dans la lumière crue de la vérité, qui est la lumière de Dieu.

Tel est le point central de l'analyse d'Auerbach. Il nous y conduit par une remise en perspective de l'oeuvre de jeunesse de Dante, par ses fréquentations et par l'héritage littéraire, antique et médiéval, qu'il assume à travers la Vita Nuova, le Banquet et d'autres écrits théoriques. On rencontre ainsi l'école poétique du Dolce Stil Nuovo à laquelle il appartint, et Auerbach par un choix judicieux de citations et d'analyses, nous fait bien voir ce qui unit et ce qui distingue Dante de ses collègues, les qualités éminentes d'expression qu'il manifeste dans sa poésie amoureuse. Auerbach fait exactement le contraire du livre d'Alessandro Barbero, puisqu'il fait servir l'entreprise biographique à la compréhension de l'oeuvre, et raconte l'histoire d'un poète italien dans sa langue et sa culture, sans jamais escamoter les questions littéraires et linguistiques qui se sont posées à lui au tournant du XIII°s.

Enfin, Auerbach étudie soigneusement le bagage théologique et philosophique de Dante en tant que penseur chrétien. Il utilise pour cela la pensée de St Thomas d'Aquin (dont je découvre que l'influence sur Dante fait l'objet d'un débat parmi les spécialistes) qui informe et éclaire toute la doctrine de la Comédie. La marque de cette grande construction théologique (la Somme Théologique) fait du poème une sorte de cathédrale cohérente qui est plus que de la poésie ou de la théologie, mais presque un énoncé prophétique qui les dépasse toutes deux, puisque le texte traite de vérités de foi. Cette architecture céleste annonce un renouvellement de l'ordre politique terrestre, où le Pape assumera l'intégralité du pouvoir spirituel en renonçant au politique et au temporel qui appartiennent à l'Empereur, dans une symphonie dont tout le Moyen-Age latin rêvait. Ce projet politique gibelin serait la manifestation sur terre de l'ordre céleste.

Erich Auerbach souligne que quarante ans après Dante, son admirateur Pétrarque est déjà un homme de la Renaissance. "La Comédie représentait l'unité physique, éthique et politique du cosmos chrétien et scolastique au moment où celle-ci commençait à perdre son intégrité idéologique : la position intellectuelle de Dante est celle d'un conservateur, et son combat a pour but le recouvrement d'une chose déjà disparue ; ce combat, il l'a perdu, et ses espérances et prophéties ne se sont jamais réalisées" (p. 186) Ce qui demeure, c'est la splendeur du poème et ce que j'aime appeler ses "effets de vérité", comparables à ceux de la Bible qu'on peut lire sans croire, ni être capable de comprendre réellement ce qu'on lit, puisque nous venons après la destruction humaniste de l'ordre médiéval.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
[Les rencontres]
La rencontre n'a pas lieu dans cette vie-ci, où les hommes sont toujours vus dans un état accidentel, sous un seul aspect de leur être, et où l'intensité même de l'existence, aux moments les plus cruciaux, rend difficile la prise de conscience de soi, et presque impossible la rencontre. Elle n'a pas lieu non plus dans un au-delà où la part la plus intime du personnage serait effacée par les ombres de la mort, et où ne subsisterait qu'une mémoire terne, voilée ou indifférente de la vie. L'au-delà dantesque n'est nullement le domaine de la mort, mais de la véritable vie ; les âmes puisent les données concrètes de leur histoire et de leur atmosphère caractéristique dans leur existence terrestre d'autrefois, mais montrent ces données dans une intégralité, un synchronisme, une présence et une actualité qu'elles ont rarement atteints pendant leur séjour terrestre, et qu'elles n'ont certainement jamais révélés à aucun observateur. C'est ainsi que Dante les rencontre ; la surprise, l'étonnement, la joie ou l'horreur s'emparent d'elles - car l'habitant de l'au-delà, tel qu'il est représenté ici, ressent lui aussi comme bouleversante la rencontre d'un être vivant ; le simple fait de se voir et de se reconnaître remue les couches les plus profondes du sentiment humain et fait naître des images d'une force et d'une richesse poétique inouïes.

Dante poète du monde terrestre, p. 151
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On ne s'étonnera pas non plus que nous célébrions une oeuvre italienne médiévale [Il Convivio] en tant que voix européenne. Dante dit expressément qu'il n'écrit pas pour les érudits, lesquels n'aspirent qu'au gain et à une position sociale et prostituent la littérature ; c'est en italien qu'il écrit, voulant servir non pas les érudits italiens ou étrangers qui entendent le latin, mais les profanes italiens, capables d'un noble élan et ayant le besoin immédiat d'un noble enseignement [I-9]. Il est ici fait appel, pour la première fois, au public qui allait devenir le support de la nouvelle culture européenne ; car les monuments qui l'ont fondée et édifiée, ont depuis cette date été écrits dans les diverses langues vulgaires et pour le public auquel songeait Dante ; la force de leur expression vivante, ils la tirent du terrain linguistique dont sont issus ceux qui parlent et qui écrivent, mais ils se rejoignent tous dans la conception du "volgare illustre". Il s'agit d'une langue littéraire qui reste toujours en rapport avec la langue quotidienne, s'enrichissant par elle et l'enrichissant tout à la fois ; ce que la pensée et la tradition ont de vivant, ce qui mérite vraiment d'être connu, devient grâce à elle accessible à quiconque désire y ouvrir son coeur. Cette conception commune, qui remonte à Dante, est une communauté dans la multiplicité, la véritable "koinê" européenne moderne ; et, quoiqu'on puisse difficilement prétendre fixer par des mots ce qui en fait la substance, il est du moins permis d'en suggérer l'orientation : elle tend vers un savoir émancipateur comme action et destinée communes à tous les hommes.

"Dante poète du monde terrestre", pp. 100-101
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"Dante poète du monde terrestre" : avant Dante, le Dolce Stil Nuovo.

Il est bien évident qu'ici, comme tout au long du Moyen-Age, le littéraire n'est pas autonome au sens où nous l'entendons, et que l'élément primordial, la source de la poésie, Amour, est de nature religieuse. Le Style Nouveau a ceci de particulier, que son inspiration religieuse n'est pas seulement mystique, mais dans une large mesure subjectiviste : elle se caractérise par la puissance attribuée à Amour comme médiateur de la sagesse divine, par la relation directe de la Dame avec le royaume de Dieu, par le pouvoir qu'elle a d'apporter à l'amant foi, connaissance et renouvellement intérieur, ces dons étant du reste explicitement réservés aux amants - avec pour corollaire une méprisante polémique contre tous les autres, les grossiers et les vils, qui ne comprennent rien et qu'il faut éviter. Cette tendance intellectuelle, qui rappelle certains courants mystiques, néo-platoniciens et averroïstes, est pour le moins une sublimation très poussée des doctrines religieuses ; c'est une pensée autonome, qui peut encore à la rigueur trouver sa place au sein de l'Eglise, mais frise de très près l'hétérodoxie. Et de fait, certains membres de ce cercle [Guinizelli, Guido Cavalcanti, Dante Alighieri, Cino da Pistoia] ont été considérés comme libres penseurs.
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L'approche qui ne verrait ici qu'une alternative - soit Béatrice a existé et Dante l'a vraiment aimée, donc la Vita Nuova est une oeuvre autobiographique ; soit tout cela n'est qu'une allégorie, donc une mystification, une vulgaire construction, et l'un de nos plus beaux idéaux s'effondre -, cette approche est aussi naïve qu'ignorante de ce qu'est la poésie. Tous les poètes du Style nouveau ont une bien-aimée mystique, tous vivent à peu près les mêmes aventures amoureuses extraordinaires, à tous Amour accorde ou refuse des dons qui ressemblent plus à une illumination qu'à une satisfaction sensuelle, tous sont membres d'une sorte de ligue secrète qui détermine leur vie intérieure, voire peut-être leur vie sociale - et seul l'un d'entre eux, Dante, a su représenter ces épisodes ésotériques de telle manière qu'ils doivent être reçus comme une réalité authentique, même lorsque leurs thèmes et allusions sont tout à fait mystérieux. Voilà ce qui importe dans la nature poétique de leur auteur ; et nous ne comprenons pas pourquoi on attribuerait plus de force d'inspiration à une expérience érotique accessible à tout homme qu'à une illumination mystique capable de préserver l'évidence des apparences ; comme si la mimésis poétique devait être la copie de certaines apparences, et n'avait pas, au contraire, le droit de forger à loisir son matériau réel à partir de la profusion infinie des apparences conservées par la mémoire.

"Dante poète du monde terrestre", p. 86.
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Béatrice.
C'est le cheminement de l'homme chrétien en général, qui part des sens et reçoit, en même temps que la raison, le principe dialectique qui, dans le drame de l'existence terrestre, doit lui permettre d'opter pour une participation toujours croissante ou pour l'éternel reniement. Mais le mystère qui se dévoile au bout du chemin, le signe secret qui toujours exige d'être suivi, le Daïmôn Béatrice, ne cesse jamais d'être ce qu'il était au début : un être humain particulier, une expérience contingente, tout à fait personnelle ; ce sont les forces de l'enchantement sensible qui sont mises au service du salut, c'est Amour lui-même qui élève l'homme jusqu'à la contemplation de Dieu ; dans le sort final, l'apparence n'est plus séparée de l'Idée mais contenue en elle et transfigurée. Cela, seule la poésie est apte à le représenter, contrairement à la philosophie didactique qui ne peut pas outrepasser les bornes de la raison ; elle seule est à la mesure de la révélation et capable de l'exprimer ; et elle quitte la sphère du beau paraître, cesse d'être une imitation, éloignée au troisième degré de la vérité (Platon, République, X, 602). La vérité révélée et sa forme poétique ne font plus qu'un.

Dante poète du monde terrestre, p. 121
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Video de Erich Auerbach (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Erich Auerbach
Une vidéo, diffusée le 27 mars 2022 pendant la guerre en Ukraine, et que la cellule d'enquête vidéo du « Monde » a pu authentifier et recouper avec d'autres images, documente une probable exaction commise par des volontaires ukrainiens contre des prisonniers de guerre russes.
#EnquêteVidéo
De tels agissements sont strictement prohibés par la convention de Genève, qui fixe les règles à respecter envers des soldats ennemis faits prisonniers : les protéger comme ses propres soldats, ne pas les violenter, les soigner si nécessaire.
Les images repérées par l'analyste indépendant Erich Auerbach, et croisées par « le Monde » à d'autres documents disponibles en ligne, prouvent que des volontaires du bataillon ukrainien Slobozhanshchyna se trouvaient sur les lieux quand les prisonniers russes ont été torturés. S'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que l'individu auteur du tir est directement issu de leurs rangs, le leader du groupe, Andri Ianholenko, apparaît clairement aux côtés des trois victimes, avant les coups de feu. Sollicité par « le Monde », Andri Ianholenko n'a pas répondu.
Retrouvez toutes nos enquêtes vidéo ici https://www.youtube.com/playlist?list=¤££¤13Andri Ianholenko14Le Monde16¤££¤1mTFeGvisVBWdGLelc
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