C'est bien de lire des westerns, de chevaucher dans le grand Ouest sauvage, de tirer sur tout ce qui bouge. C'est chouette d'arpenter les grands espaces et de partir à l'aventure avant d'écumer les saloons en quête d'une bonne bagarre. Mais de temps en temps c'est bien aussi de se documenter pour savoir démêler le vrai du faux, le mythe de la réalité.
Le problème étant que l'homme blanc s'est tellement attelé à éradiquer les indiens de la surface de la terre qu'il reste aujourd'hui bien peu de représentants des premiers habitants d'Amérique. le drame ne s'arrête pas là car après avoir volé leurs terres, les avoir massacrés, affamés, parqués dans les réserves (oui le même terme que pour les animaux en voie de disparition) l'homme blanc n'a rien trouvé de mieux que de tenter de « civiliser » et « d'éduquer » les sauvages qui avaient survécus au génocide. Ce qui fait qu'en plus d'avoir éradiqué les membres des différentes tribus, ils se sont aussi appliqués à faire disparaître leur mode de vie et, évidemment, à les transformer en « bons chrétiens ». Mode opératoire sans surprise.
Les indiens ayant toujours gardé secrètes leurs traditions il y a donc là une perte énorme. Heureusement certains d'entre eux soucieux de faire vivre d'une manière ou d'une autre leur peuple et son essence ont transmis leur mémoire. C'est le cas de
Hehaka Sapa (Wapiti noir, initialement traduit de manière erronée par Elan noir), un Sioux de la bande des Oglalas qui fut en son temps guérisseur, devin, sage, et comme tous les Sioux, quand cela devenait nécessaire, guerrier émérite. Ses propos ont été recueilli par John NEIHARDT avec l'aide d'un interprète, on ressent dans l'écriture la volonté de rester au plus près du récit du vieil homme car les mots sont simples, clairs mais leur sens profond.
Tous les blancs connaissent le calumet de la paix : on se représente un vieil indien sous un tipi en train de fumer une pipe un peu étrange. Wapiti Noir nous raconte la légende de la pipe sacrée et comment elle est apparue aux indiens. Quel est son rôle dans leur culture et pourquoi elle est ainsi faite et toute la symbolique que porte cet objet. Croyez moi c'est complexe et fascinant!
Il nous parle de la Danse du Soleil, où contrairement à ce qu'on pourrait penser, les Sioux ne se scarifient pas pour le plaisir. Ils montrent leur endurance ou remercient les esprits pour les avoir protégé en telle ou telle occasion. le rituel ne se limite pas à ça et ne concerne pas que les guerriers, c'est un moment fort et sacré qui a lieu à la lune de l'engraissement (au mois de juin). Il nous raconte la chasse aux bisons, ou encore comment Haut Cheval a fait la cour à cette belle jeune fille dont il était éperdument amoureux mais dont le père ne voulait pas qu'il l'épouse. Passage d'ailleurs très drôle. Messieurs croyez-moi niveau technique de drague, les Sioux sont un cran au-dessus !!!
Il nous raconte les cérémonies de guérison, la loge de sudation, pourquoi les tipis sont ronds, l'importance des danses et leur diversité : « Quand l'agent a dit aux gens d'arrêter de danser, leur coeur leur a fait mal. »
Il nous raconte les attaques et comment les guerriers Sioux encerclaient l'ennemi en tournant dans un sens puis constituaient un autre cercle qui tournait dans le sens inverse du premier (comme dans Lucky Luke !) Les Sioux, cavaliers émérites montaient à cru, et à la seule force des jambes tenaient sur le dos de leur poney tandis qu'ils se penchaient à la perpendiculaire pour décocher leurs flèches. Passage qui personnellement m'a subjugué !
Il nous raconte la bataille de Little Bighorn et la mort de Pahuska (longue chevelure : Custer). Ce que cette victoire des indiens présageait de mauvais, car ils savaient bien que les hommes blancs n'arrêteraient jamais de les poursuivre.
Il nous raconte l'absurdité des traités et la fourberie des colons : « Les gens étaient affamés et au désespoir, et beaucoup croyaient en un monde meilleur qui devait venir. Les wasichous (les blancs) ne nous ont donné que moins de la moitié du bétail bovin qu'ils nous avaient promis dans le traité, et c'était du pauvre bétail. Au début nos gens n'ont pas voulu accepter ce bétail, car il y en avait peu et il était trop maigre. Mais par la suite, ils n'ont plus eu le choix que de le prendre ou de mourir de faim. Nous avons donc reçu plus de mensonges que de bétail, et nous ne pouvions pas manger des mensonges. »
Mais le fil conducteur de ce récit c'est la vision de Wapiti Noir qu'il a eu étant enfant et qui conditionnera toute sa vie. A chaque instant il cherchera à la comprendre et à s'acquitter de sa tâche pour le bien de son peuple. Persuadé de n'avoir pas été digne de sa vision et donc d'avoir échoué à sauver les Sioux il s'en voudra toute sa vie et tentera de soulager au mieux les peines de son peuple. « Je ne me suis pas confié à ma grande vision comme j'aurais dû. » « Il est difficile de suivre une grande vision dans ce monde de ténèbres et d'ombres changeantes. Parmi ces ombres l'homme se perd ».
C'est le coeur blessé qu'il nous raconte Wounded Knee le massacre des femmes et des enfants, les vieillards lâchement assassinés et le bébé abandonné qu'il a réussi à sauver. La colère quil ‘a traversé et rendu fou de rage et de désir de vengeance. La prairie recouverte de corps et le charnier à ciel ouvert.
Et puis il y a eu le après Wounded Knee. L'enfermement dans les réserves où on meurt de faim, l'interdiction de pratiquer les rites, d'être au contact de la nature, de vivre dans un tipi, d'être un indien.
Les enfermer c'était leur enlever leur essence même.
Quelque que soit sa tribu, et son clan un indien est toujours épris de liberté. Chaque individu est à la fois une composante du groupe, un élément essentiel, parfaitement intégré quel que soit sa personnalité et une personne à part entière qui vit sa vie comme il l'entend. Il n'y a pas de marginaux chez les indiens. Les seuls qui sont soigneusement évités sont les « traine-près-du-fort » car ils n'ont plus rien d'un indien.
Wapiti Noir participera même à la tournée du Wild West Show et en ressortira avec une bien piètre opinion de l'homme blanc : « Je pouvais voir que les Wasichous ne prenaient pas soin les uns des autres comme notre peuple le faisait avant que le cercle de la nation soit brisé. Ils se dévalisaient entre eux s'ils le pouvaient et certains possédaient plus qu'ils n'en pouvaient user, tandis qu'une foule d'autres gens n'avait rien et était peut être affamée. Ils avaient oublié que la Terre était leur mère. Cela ne pouvait pas être mieux que l'ancienne façon de vivre de mon peuple. » « Les Wasichous avaient même parqués l'herbe ».
Les indiens n'ont jamais rien pris de plus que ce dont ils avaient besoin pour vivre. La façon de vivre des blancs ne pouvait leur apparaître que comme une aberration. On voit où cela nous a mené et nous mène encore.
Ce récit passionnant (mais quasi introuvable à un prix raisonnable) n'est hélas qu'une goutte d'eau dans l'océan car chaque tribu avait ses propres pratiques. Qu'en est-il des Cheyennes, des shoshones, des Arapahoes, des Crees, des Commanches, des Cheerokees, des Iroquois, des Apaches… D'autres livres à découvrir ? Peut être mais il n'en demeure pas moins que la perte est incommensurable.