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EAN : 9791090062405
272 pages
Editions iXe (28/11/2017)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Philosophe et polyglotte, Eleni Varikas explore la dimension politique de la domination - la sujétion des femmes et des esclaves, leur exclusion de la démocratie, la naturalisation des inégalités et des oppressions. Faisant du genre un « concept voyageur », elle travaille sur la modernité avec Locke et Adorno, Virginia Woolf et Hannah Arendt, Donna Haraway et Angela Davis.
Ce recueil invite à repenser le concept d'universalisme à la lumière de l'infériorisat... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Un effort constant pour saisir le politique dans ses multiples et différents points d'irruption

« l'étranger porte au coeur du monde autochtone le type d'hétérogénéité et de diversité qu'on n'attend et qu'on ne tolère normalement qu'à distance »

Dans leur introduction générale « La République vue par une étrangère »,Isabelle Clair et Elsa Dorlin présentent le parcours de l'autrice et abordent, entre autres, la recherche historique, l'enfouissement de « l'histoire des vaincus », la mise à jour de « traditions cachées », du Journal des dames (au XIXe siècle en Grèce), ce qui relève déjà du « politique » dans les expériences singulières, les graines de révolte, « le personnel est politique », Olympe de Gouges, ce qui « se trame à l'ombre des Lumières », le féminisme, ce qui empêche la fête de se tenir, la philosophie politique, la critique de la naturalisation, le privé et ce qui légitime pour certain·e·s « un territoire d'exception aux pensées de l'émancipation », la notion de « genre », les catégories d'analyse et leurs situations historiques et sociales, la parité versus l'égalité, le travail d'historicisation, le « risque de fâcher », la multiplicité, les « parias ».

Le titre de cette note est emprunté à l'introduction dont je reproduis le dernier paragraphe :

« Tous les textes qui composent cet ouvrage nous ont paru les plus pertinents pour éclairer l'itinéraire intellectuel d'Eleni Varikas. Ces textes ont structuré nos réflexions, ils les ont enrichies, et ils nourrissent nos engagements. Ils ont été choisis, en dialogue avec leur auteure, pour leur représentativité thématique et leur exhaustivité chronologique. Ils permettent de former un ensemble qui restitue sa pensée politique et ils témoignent de l'originalité et de la centralité de sa contribution théorique aux études féministes et aux études de genre, comme à l'histoire et à la science politique. Cet ouvrage tente de donner corps aux compagnonnages intellectuels et affectifs tissés par et autour d'Eleni Varikas : le choix des articles et des interventions, qui étaient pour une part devenues introuvables, celui des personnes qui ont eu la générosité d'introduire les textes, comme l'agencement général du livre incarnent le dialogue continué qu'elle a toujours su rendre possible entre les disciplines, les générations, les traditions critiques et les luttes sociales. »

Devant la richesse des propos, la force des analyses, la diversité des sujets traités (et certaines miennes incompétences), je choisis subjectivement de n'aborder que certaines idées développées dans les textes d'introduction et les textes d'Eleni Varikas.


Michèle Perrot parle, entre autres, de la genèse d'une conscience féministe dans la Grèce du XIXe siècle, de lecture, d'ouverture à l'exploration de soi, de la revendication du « mariage d'amour », de l'imaginaire et de ses potentialité de subversion, « le désir est une révolution en puissance », de sentiment de différence, de la commune « condition », du « nous » distinct des « ils » du pouvoir, de l'accès « au statut d'individu universel, sans limite liée au sexe »…

Eleni Varikas rend compte d'un « processus par lequel ces femmes furent amenées à réélaborer les données objectives de leur existence, à contester la signification sociale qui était accordée à celle-ci, et à construire dans ce processus une identité collective leur permettant d'agir en tant que groupe pour transformer leur position ». Elle aborde l'univers de l'éducation féminine au XIXe siècle, l'accès à la lecture, « un moyen d'explorer leur subjectivité à travers l'univers de la fiction », l'essor et la féminisation des services domestiques, le « je » féminin, « le je suis ou je veux féminins ne pouvaient être proférés à haute voix », le dogme de l'égalité dans la différence, la solidarité et l'action commune des femmes comme « seule alternative à l'antagonisme destructeur qui caractérise la course aux faveurs masculines »…

Antonio Negri revient sur 1793, la vertu républicaine et la vertu féminine, l'exclusion des femmes enracinée dans une inclusion révolutionnaire, la contradiction entre l'exclusion politique des femmes et l'universalité de la Déclaration des droits, le rôle de la « nature » pour articuler suppression des privilèges et maintien des différences, l'universalisme comme mécanisme différentiel…

Eleni Varikas analyse les rapports sociaux de sexe dans nos sociétés « démocratiques », la division sexuelle des espaces et des valeurs, la scission entre « vertu féminine et vertu républicaine », les continuités et les ruptures dans l'universalisme républicain, la visibilité de quelques femmes et son caractère « contre nature et menaçant l'ordre », la portée des déclarations d'Olympe de Gouges, les premières revendications d'égalité, les contradictions entre logique universalité et droits des femmes, les sujets faisant loi, l'appartenance au genre humain comme « suffisante pour l'égal droit au bonheur », l'instabilité nouvelle de la législation de la domination, ce qui fait rupture et « le manque de rupture », la facilité de l'extension de droits préexistants et la difficulté d'en instaurer des nouveaux, les antinomies de l'émancipation et l'instauration de « l'égalité sous forme de privilèges », la coexistence « à coté d'un système universaliste fondant les droits des individus sur l'unité du genre humain, d'un autre système, tacite et informel, qui fonde les droits (et les devoirs) de groupes humains sur l'évaluation hiérarchique de « leurs » différences », les argumentaires visant à nier la pertinence de « tout critère commun de citoyenneté entre hommes et femmes »…

Si les fondements théologiques sont écartés, les nouvelles hiérarchies se justifient « au nom de la Nature ». Il devient possible de concilier l'abolition des privilèges de naissance et la persistance de privilèges « de genre, de « race » (et plus tard de classe) », de construire ensemble le similaire et le différent, « La naturalisation des inégalités offrait une solution privilégiée à la nouvelle fragilité de la légitimité de la domination », de justifier les exclusions qui n'aillaient pas de soi…

Il ne s'agit donc pas d'un à-coté du principe républicain, mais bien d'un paradoxe au coeur de la république. L'autrice parle aussi des « passions », de la place du « contrat », du noeud inextricable « du rapport antinomique égalité-différence » », d'une tension interne au concept même d'égalité… « Ce paradoxe est celui de la dynamique contradictoire de la conception abstraite (homme, citoyen, peuple) qui était à la fois la condition préalable pour faire accéder toutes les particularités à l'universalité du droit naturel, et le moyen redoutable de les occulter ». Ce qui est cause n'est donc pas l'impossible intégration des femmes dans le corps politique mais bien « le corps politique lui-même »…

Catherine Achin revient sur les débats autour de la parité versus l'universel multiple, les dangers d'une certaine démocratie paritaire, les liens entre genre et démocratie, les individu·e·s non considéré·e·s comme « à part entière » mais comme « groupe homogène », l'unification coercitive de la « diversité », les normes uniques et exclusives, la place des « minoritaires », ce qui est nommée société humaine, « La société humaine n'est pas « naturelle », elle est construite politiquement, elle est arbitraire, injuste, mais, de ce fait, transformable », comment le genre constitue le politique et est constitué par lui…

Eleni Varikas souligne l'incapacité de la démocratie historique d'inclure une catégorie majoritaire de citoyens – en l'occurence les citoyennes. Elle propose de « distinguer entre la démocratie « réellement existante » ou historique et l'u-topie démocratique ». La représentation/réduction de l'universalisme à l'« UN » rend irreprésentables toutes celles et tous ceux « qui ne correspondent pas à cette norme unique ». Les aspirations de la « multitude à plusieurs têtes » a cependant existé comme désir et horizon de la liberté. « L'utopie démocratique de la citoyenneté ne saurait donc se réduire au droit de participer à la vie en commun telle qu'elle est ; elle exige préalablement le droit de tous et toutes de participer à la définition de ce qui est commun et de ce qui est propre aux êtres multiples et mouvants que sont les humains ». Ces éléments font sens dans la discussion sur la parité d'autant que certain·e·s confondent allégrement « pair » et « paire », que certain·e·s ne tirent pas les conséquences de la sexuation de la citoyenneté, du principe de représentation par groupe occultant la « multiplicité constitutive ». Autre chose est à mes yeux, la mise en place de « correctifs » historiquement situés, de mesure d'« action positive ».

Comment résoudre les problèmes que pose la vie en commun ? Qu'en est-il de la juxtaposition de vues fragmentées ? Les un·e·s et les autres ne sont jamais réductibles à être membre d'un seul groupe – ce qui pose, à mes yeux, à la fois le problème de chambres de représentation spécifiques, d'éventuels droit de veto sur certains domaines, la prédominance en cas de désaccord (de conflit de compétence) sur des sujets communs au : un être humain une voix, « les chances d'une véritable transformation sont nulles si celle-ci ne se projette pas dans une vision globale et équitable du vivre en commun ».

Les groupes sociaux ne sont ni fixes ni homogènes, la communauté politique ne peut se réduire à reconnaître la multiplicité des groupes mais bien aussi « la multiplicité de singularités individuelles ».

L'autrice poursuit par une belle critique des « groupes organiques » et des visions associées de la société, « La reformulation de la différence naturelle des sexes a pour effet de neutraliser la dynamique subversive de l'universalisme qui avait déclaré que ce sont les individus, et non les groupes organiques, qui sont les sujets de droit ». Elle aborde les idées que des siècles de légitimation du pouvoir ont « transformé en évidences », les hommes « une des traductions possibles du mâle dans le social », le sexe ou la couleur de peau « sans autre signification politique que celle que nous lui attribuons », la différence entre fonction et droit. Je souligne aussi les critiques sur les « paires sociales » la famille comme soit-disant « unité naturelle d'intérêt naturelle ».

Aux définitions normatives et aux considérations sur l'hétéronomie des femmes, il convient d'opposer d'autres règles, prenant en compte les besoins et les aspirations multiples, « Intégrer les exclu·es dans les assemblées ne fera pas de celles-ci des assemblées plurielles tant qu'ils et elles ne pourront parler de leurs « différences » que dans les termes établis dans leur dos », la contribution mouvante et donc imprévisible de chacun·e, une véritable « dynamique de mixité » se substituant aux inclusions ou exclusions « spécifique » et « identitaire », la perspective d'un « universel multiple »…

Elsa Dorlin aborde la modernité, les apories des pensées critiques, le « postmodernisme », les pensées migrantes, l'historicisation et la re-politisation des concepts, ce qui fait histoire, « les noeuds d'une histoire qui ne passe pas, celle des vaincu·es, des oublié·es », l'histoire des « vies endommagées », ce qui peut « attiser la rage transformatrice »…

Je me retrouve très largement dans la critique qu'Eleni Varikas porte aux « forme de pensée postmoderniste », aux faibles ‘échanges entre des pensées géographiquement séparées, à l'ancrage trop local des réflexions, aux différentes myopies, aux marques déposées de groupe. L'autrice souligne « les enjeux d'un dialogue intercontinental sur les options théoriques qui traversent la réflexion féministe actuelle, sur leur compatibilité et leur potentiel critique ».

Je souligne aussi les paragraphes sur la connaissance, « le caractère (historiquement, socialement et culturellement) situé, et donc limité et partiel de notre compréhension/reconstruction de la réalité sociale », la longue tradition d'hétérodoxie dans la modernité, la critique des catégories et de leur « homogénéité présumée », le statut de l'autre abordé d'un point de vue « premier », les unicités construites artificiellement, l'ailleurs conçu comme « absolu », la distance critique et les options politiques, les pensées affirmatives, « Ce retour à la pensée affirmative, cette répudiation du principe espérance au nom du principe réalité, voilà ce que je trouve le plus problématique pour une pensée et une praxis féministes qui se veulent critiques », ce qui n'est pas tolérable… « Dissocier ce qui existe de ce qui devrait exister ne fut pas seulement le point de départ des combats du passé contre la domination ; c'est aussi la démarche qui nous pousse aujourd'hui à sauver ce qui, dans la mémoire de ces combats perdus, recèle une autre vérité que les faits vainqueurs appelés logique de l'histoire »…

Martine Leibovichi discute de l'art du déplacement, du particulier et de la généralité, de la retranscription du « personnel » en « subjectivité », du caractère politique du « personnel », de déviances et d'espaces à soi, de singularités, d'examen socio-politique de soi, « d'une part, on y énonçait son expérience propre sans avoir à se faire la porte-parole de l'oppression des autres, mais à écouter, d'autre part, les récits des autres, on y reconnaissait les traits commun d'une situation d'oppression ».

Une promesse subversive « le personnel est politique », l'échafaud et la demande de liberté, la séparation sexuée et topographique entre privé et public, la naturalisation de la famille, le privé comme espace de « tyrannie » et espace de « privation de droits », la famille comme convention, communauté préétablie et division sociale, l'universel si particulier, la et le politique, une chambre à soi, « un revenu minimum et un espace de subjectivité propre », un espace où l'on peut dire je sans permission… Eleni Varikas indique : « La liberté des femmes dépendra de leur capacité à se tenir à la fois dedans et dehors, à garder une distance critique, une méfiance toujours éveillée face au pouvoir et à ses capacités de « cooptation ». »

Je souligne les belles pages sur Virginia Woolf, la dérision, « une femme sans homme est comme un poisson sans bicyclette ».

L'autrice insiste, entre autres, sur le caractère structurel de la domination, cette domination « à la fois occultée et assurée par le biais de puissantes institutions », les combats sur le terrain du droit, les risques de la rationalisation plutôt que de la subversion, l'échelle des valeurs attachées traditionnellement au privé et au public, les définitions « jamais volontaires », le caractère illusoire « des visions contractuelles comme principe de l'égalité conçue comme égalité devant la loi », la différentiation hiérarchique des sexes et non la différence, les activités domestiques, « cette activité n'est pas moins assujettie à la discipline du temps de l'horloge et à l'instrumentalité de ses impératifs quantitatifs », le corps comme marchandise et « une conception problématique qui fait dépendre les droits de la capacité du travail reproductif », les fausses loyautés, le nous comme sujet collectif – non donné d'avance par une quelconque expérience commune – mais bien par un travail « spécifiquement politique ». Eleni Varikas conclut sur l'intentionnel, le renouvelé, le conflictuel, « le sujet politique apporte sa contribution unique, imprévisible et mouvante à la définition de ce qui est commun »…

Michael Löwy présente huit des « péchés capitaux » des sciences sociales modernes : le positivisme de la « neutralité scientifique », l'enfermement disciplinaire des travaux, la détermination de l'histoire des « mentalités », le gender-blind des sciences, la naturalisation des hiérarchies sociales, l'invention de facteurs « irrationnels » comme explication de phénomènes, les études formelles et purement « logiques » d'oeuvres, les visions linéaires de l'histoire comme progrès…

« les modernes ont réinventé le naturel comme limite de cette liberté humaine que la religion n'était plus en mesure de contenir ». Eleni Varikas aborde le processus de sécularisation, « c'est dans la mesure où la sécularisation minait depuis plus d'un siècle le caractère sacré de l'obéissance – en théorie et dans les pratiques sociales – que la nature, dissociée de plus en plus de ses connotations religieuses, a pu émerger en terrain de resacralisation du pouvoir », l'être humain comme oeuvre de elle/lui-même « comme promesse et comme menace », la pluralité de l'action humaine et son imprévisibilité « en ce qu'elle est l'action, non de l'homme, mais de la multitude des êtres humains », l'artifice d'un pouvoir « un et indivisible », ce qui est source de désordre politique et symbolique, les implications du polythéisme cognitif, « il ne peut y avoir une connaissance indiscutable de la nature des choses sur laquelle asseoir des principes politiques », les messages réformateurs (à caractère religieux ou non) et leurs horizons d'égalité et de justice sociale « ici et maintenant », les hérétiques et les réfractaires, le droit d'autodéfense de la multitude…

L'autrice discute de la domination, du contrat, de la puissance conjugale, du droit de propriété, des traditions hérétiques…

Keith McClelland parle des nouvelles formes hiérarchiques, des esclavagisé·es, de la catégorie des êtres « non libres », des rapports entre liberté et esclavage, « l'antinomie entre esclavage et liberté a laissé une marque indélébile sur la façon dont nous pensons ce que nous sommes et avons été ».

Le titre de l'article d'Eleni Varikas en dit bien le centre : « Silence de l'esclavage dans la genèse de la liberté moderne ». L'esclavage est bien une « situation embarrassante » pour la pensée (elle s'intéressera plus loin au « statut de cet embarras », la spécificité proprement moderne du rapport entre liberté et esclavage), les études de l'esclavage et non celles de la liberté, comme le souligne l'autrice, en donnent une bonne indication.

L'autrice parle de banalité de l'esclavage,
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Merci à Babelio et aux Éditions iXe pour l'envoi de ce livre en échange d'une chronique honnête.

J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer sur ce blog que je cherche à « nourrir » mon féminisme des paroles de féministes importantes, d'horizons, d'origines, d'époques et de communautés variées, afin tout simplement de mieux comprendre mon propre féminisme et d'éviter les travers d'autres personnes qui se disent féministes (notamment, en tant que femme blanche, éviter le « féminisme blanc » à tout prix). À l'occasion d'une précédente Masse critique de Babelio, j'avais découvert les Éditions iXe avec le livre Femmes et esclaves : L'expérience brésilienne 1850-1888 de Sonia Maria Giacomini. Avec leur parti d'utiliser l'écriture inclusive, dont l'accord de proximité, je ne pouvais qu'adorer la démarche, et j'ai donc tenté l'aventure en sélectionnant ce nouveau livre.

Je ne connaissais pas du tout Eleni Varikas (quand je vous dit qu'il a besoin d'être alimenté, mon féminisme…) et pourtant, elle a énormément contribué aux recherches et réflexions sur le genre et le féminisme, en France et à l'international. C'est l'un des aspects qui m'a le plus intéressé : avec la connaissance qu'elle a des études de genre en France, ailleurs en Europe ou encore Outre-Atlantique, elle peut se permettre de comparer son traitement et de dénoncer les travers et les manques dans la « théorie française ».

Ce livre rassemble des essais écrits entre 1991 et 2004, avec certaines positions de l'autrice qui paraissent bien en avance sur le reste des théories et réflexions françaises de l'époque. Elle évoque ainsi les expériences des femmes non-blanches, qu'elles soient noires, tsiganes, chicanas ou asiatiques, mais aborde également le théories queer : j'étais très surprise qu'une chercheuse francophone aborde le genre et le féminisme de façon aussi ouverte déjà dans ces années-là (encore une fois, oui, mon féminisme est plein de trou, je me soigne).

L'édition en elle-même est très bien faite, puisque les lecteur·rice·s ne reçoivent pas les essais de plein fouet. Il faut le dire, ces essais ne sont probablement pas accessibles à tout le monde ou à tou·te·s les féministes en herbe : il faut s'accrocher un peu quand même si, comme moi, vous n'avez pas l'habitude de lire des ouvrages de science politique ou d'historiographie. À titre de comparaison (un peu absurde, certes), Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks est bien plus facile à lire. Quoi qu'il en soit, pour mieux comprendre le contexte de ces essais, le livre commence sur une « Introduction générale » d'Isabelle Clair et Elsa Dorlin (consultable par ailleurs, sur le site des éditions en PDF, si vous souhaitez vous faire une idée). Puis, chaque essai est présenté, contextualisé, explicité, ce qui était tout de même une aide infinie pour moi.

J'ai donc appris beaucoup mais je ne doute pas que je bénéficierai d'une deuxième lecture, dans quelques années, quand j'aurai un peu plus de « bagage » dans le domaine. Déjà, c'est avec grand plaisir que j'ai lu les analyses d'Eleni Varikas des écrits d'Olympe de Gouges, que j'avais découverte l'année dernière.
Lien : https://deslivresetlesmots.w..
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J'avoue prendre mon temps pour ce livre. Ce recueil de texte de Eleni Varikas, professeure de science politique, est très dense. Elle s'appuie sur de nombreux faits historiques, de références culturelles pour mettre en avant le féminisme à travers les siècles. Elle met en lumière celles qui ne pouvaient donner leurs avis politiques, celles qui sont longtemps restées dans l'ombre des hommes.
Ce recueil est tres intéressant pour celles et ceux qui veulent enrichir leur reflexion sur le féminisme. Il n'est pas forcément très accessible mais en prenant son temps, tout lecteur peut s'y retrouver. Par contre, je le déconseille aux lecteurs qui ne sont pas un minimum sensibilisés à la cause des femmes. Il risque d'être vite indigeste.
J'essayerai d'enrichir ma critique une fois le livre terminé
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Tous les textes qui composent cet ouvrage nous ont paru les plus pertinents pour éclairer l’itinéraire intellectuel d’Eleni Varikas. Ces textes ont structuré nos réflexions, ils les ont enrichies, et ils nourrissent nos engagements. Ils ont été choisis, en dialogue avec leur auteure, pour leur représentativité thématique et leur exhaustivité chronologique. Ils permettent de former un ensemble qui restitue sa pensée politique et ils témoignent de l’originalité et de la centralité de sa contribution théorique aux études féministes et aux études de genre, comme à l’histoire et à la science politique. Cet ouvrage tente de donner corps aux compagnonnages intellectuels et affectifs tissés par et autour d’Eleni Varikas : le choix des articles et des interventions, qui étaient pour une part devenues introuvables, celui des personnes qui ont eu la générosité d’introduire les textes, comme l’agencement général du livre incarnent le dialogue continué qu’elle a toujours su rendre possible entre les disciplines, les générations, les traditions critiques et les luttes sociales.
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Comment expliquer, par exemple, que des auteures qui en France évitent systématiquement de s’autodéfinir comme féministes (quand elles ne définissent pas le féminisme comme une expression du « phallo-logo-centrisme occidental ») acceptent tacitement de se définir comme telles de l’autre côté de l’Océan ? Qu’est ce qui fait que les titres d’un même article effacent ou au contraire affirment la référence au féminisme selon qu’ils sont publiés en France ou aux États-Unis ? Et à l’inverse : pourquoi ce qui en France ne se définit pas (et souvent n’est pas perçu) comme féministe n’acquiert un droit de cité dans la communauté académique américaine qu’après avoir été rebaptisé dans la légitimité féministe ? Par quelles sélections et interprétations cette transformation devient-elle possible ? Enfin, pourquoi certaines approches théoriques américaines ont-elles besoin, pour s’affirmer, de souligner leur appartenance à la « théorie française » ?
Eleni Varikas dans « Féminisme, modernité, postmodernisme : pour un dialogue des deux côtés de l’Océan », p. 114.
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Parce qu’il traîne immanquablement avec lui des morceaux d’autres vies, des bribes d’expérience et des réflexes d’ailleurs, de cet ailleurs où en théorie il peut retourner à tout moment, l’étranger porte au cœur du monde autochtone le type d’hétérogénéité et de diversité qu’on n’attend et qu’on ne tolère normalement qu’à distance. Même à son insu, son regard a un effet corrosif qui problématise ce que la proximité ou l’appartenance rendent évident, donc inaccessible à la pensée, et relativise les certitudes qui peuplent le monde où il s’installe et souvent, par un effet de retour, de celui qu’il a quitté.
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Il suffit de voir, à ce propos, combien l’irruption sur la scène politique et universitaire des femmes noires (mais aussi chicanas ou asiatiques) a marqué la méfiance des théories féministes américaines envers les abstractions universalistes. Il est significatif qu’en France (mais aussi dans d’autres pays européens comme l’Italie ou la Grèce), le point autour duquel se sont concentrées, dès le début, les polémiques sur la conceptualisation politique de la catégorie femmes (à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement féministe), fut immédiatement les rapports de classe. À suivre les débats américains, on a l’impression que le facteur de classe, comme élément déstabilisateur d’une homogénéité présumée des femmes, n’acquiert une visibilité qu’à partir des débats sur le racisme, comme le suggère ce terme de classism qui déroute parfois le lecteur ou la lectrice européenne. Indépendamment de ce qu’on peut penser de cet écart1, ce qui nous intéresse ici c’est que les formes de la mise en cause de la conceptualisation homogénéisante sont chaque fois liées à la configuration précise de différents types de rapports sociaux, et aux rapports de force politiques et intellectuels auxquels ceux-ci donnent lieu.
1. On peut regretter la faible prise en considération, dans la théorie féministe en France, des expériences du sexisme par les femmes immigrées, comme on peut être sceptique face à certaines tendances du féminisme américain qui construisent des rapports sociaux d’ordre différent sur un même modèle (par exemple celui du racisme).
Eleni Varikas dans « Féminisme, modernité, postmodernisme : pour un dialogue des deux côtés de l’Océan », p. 125.
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Sommaire
Introduction générale : Isabelle Clair et Elsa Dorlin : La République vue par une étrangère
Michelle Perrot : Révolte des dames et conscience de genre. Eleni Varikas, pionnière du genre
Eleni Varikas : Subjectivité et identité de genre. L’univers de l’éducation féminine dans la Grèce du XIXe siècle »
Antonio Negri : L’échafaud et la tribune
Eleni Varikas : « Pour avoir oublié les vertus de son sexe ». Olympe de Gouges et la critique de l’universalisme abstrait
Catherine Achin : Contre la parité, pour un universel multiple
Eleni Varikas : Une citoyenneté « en tant que femme » ? Éléments du débat européen : parité vs. égalité
Elsa Dorlin : Le pari d’Eleni. Les luttes aux marges de la modernité : une autre philosophie de l’histoire
Eleni Varikas : Féminisme, modernité, postmodernisme. Pour un dialogue des deux côtés de l’Océan
Martine Leibovici : L’art du déplacement et la singularité des expériences
Eleni Varikas, : « Le personnel est politique » : avatars d’une promesse subversive
Michaël Löwy : L’empire monstrueux des femmes
Eleni Varikas : Naturalisation de la domination et pouvoir légitime de la théorie politique classique
Keith McClelland, : Liberté et esclavage dans la pensée occidentale moderne
Eleni Varikas : « L’institution embarrassante ». Silence de l’esclavage dans la genèse de la liberté moderne
Sonia Dayan-Herzbrun : Pensée féministe et théorie critique
Eleni Varikas, « Choses importantes et accessoires ». Expérience singulière et historicité du genre
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Vidéo de Isabelle Clair
La première semaine d'avril 2024 a été entachée par trois actualités mettant en scène des violences extrêmes entre collégiens, et qui ont pour point commun le jeune âge des agresseurs et des victimes. Comment comprendre cette extrême violence chez les jeunes collégiens ?
Pour en parler et analyser la situation, Quentin Lafay reçoit : Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS. Margot Déage, maîtresse de conférence en sociologie à l'université Grenoble Alpes et membre du LaRAC (Laboratoire de Recherche sur les Apprentissages en Contexte).
Visuel de la vignette : stray_cat / Getty
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