Le petit Louis rêve de bateaux et d'héroïsme, et pour cause : il a assisté au départ de l'Atlas V, le bateau qui a défié le blocus allemand sur la Meuse pendant la première guerre à Liège et qui a réussi à faire échapper des soldats belges qui ne voulaient pas être envoyés en Allemagne. Mais voilà, Louis fait partie d'une famille pauvre, d'autant plus fragile en ce temps de guerre que l'occupation pèse durement sur les Belges et que le père de l'enfant se fait tuer sur le front de l'Yzer. La mère n'a bientôt plus d'autre choix que d'envoyer sa fille aînée travailler et de placer Louis et sa petite soeur Rose en orphelinat tandis qu'elle garde le plus jeune fils, Paul, avec elle. Louis découvre ainsi cette implacable institution qu'est l'orphelinat du Vertbois, où les privations, les vexations et les punitions corporelles sont le quotidien des enfants qu'on lui « confie ». Il réussit à ne pas sombrer dans la folie ou dans la délinquance grâce à ses rêves de bateaux, entretenus par un soldat canadien réfugié qui lui parle de l'expédition de
Shackleton en Antarctique, grâce aux quelques lettres qu'il parvient à échanger avec Rose et grâce à ce qu'il entrevoit du monde extérieur quand il peut regarder à travers les fenêtres. Pendant ce temps, sa mère finit par céder à la folie et est internée tandis que Paul est envoyé dans une maison de redressement pour ce que l'on jugerait aujourd'hui des broutilles.
La guerre se termine et Louis est renvoyé bien plus tard dans ce qui lui reste de famille. Sa soeur se laisse absorber par son propre orphelinat et rentre dans le moule religieux, une façon sans doute d'accepter son sort d'enfant abandonnée et les violences subies. Louis cherche sa place dans la famille et le monde. Incapable de réaliser ses rêves d'évasion en bateau, il trouve le « salut » dans l'écriture et devient journaliste. Il fondera une famille malgré ses fragilités et sa peur de devenir père et deviendra le témoin de la marche inexorable vers la deuxième guerre. Il n'aura de cesse de retrouver son petit frère Paul.
L'histoire de Louis, c'est l'histoire d'une enfance abîmée, maltraitée dans les conditions atroces de l'orphelinat et aussi des bagnes pour enfants de l'époque que
Luc Baba décrit avec lucidité, sans fioritures mais sans omission. C'est aussi l'histoire d'une résilience, une résilience qui ne dit pas son nom car elle marche sur le fil de l'abîme, entre courage et désespoir, entre désolation et goût de la liberté. L'auteur raconte cette histoire sur fond d'histoire de la Belgique, de 1917 à 1953, en évoquant notamment la mutinerie de l'Atlas V, les charbonnages et les industries mosanes, la résistance pendant la seconde guerre mondiale, l'expo universelle à Liège. Son réalisme est éclairé par les rêves de Louis et la poésie qui se dégage de son écriture, envers et contre tout. Une très belle lecture qui me permet, après Chronique d'une échappée belle, de découvrir la plume romanesque de
Luc Baba.
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