Elles disent...l'Odyssée

C'est la deuxième fois en peu de temps que je découvre une pièce de théâtre qui revisite un mythe antique à travers une vision féminine des évènements…
Avec Elles disent… L'Odyssée, Jean-Luc Lagarce transpose les vingt-quatre chants d'Homère en dix-huit scènes investies et incarnées par les personnages féminins de l'oeuvre.

Je connais bien le sujet et la structure de L'Odyssée ; mon horizon d'attente était donc à la fois très curieux à l'idée de découvrir l'approche de Jean-Luc Lagarce et plutôt exigeant quant au respect de l'oeuvre originale.
L'auteur a gardé l'idée des deux départs différents, celui de Télémaque parti à la recherche de son père et celui d'Ulysse, libéré par Calypso qui reprend une errance qui l'amènera chez les Phéaciens où il fera le récit de son périple.
Je me souviens d'Ulysse comme d'un personnage rusé et inventif, dont l'identité varie en permanence. Dans la pièce, Ulysse évite de trop en dire quand il échoue sur la plage et rencontre Nausicaa, la princesse phéacienne et, lors de son retour à Ithaque, il se présente à son fils déguisé en vieux mendiant…
Le poème homérique, bien que centré sur la seule action du long retour d'Ulysse à Ithaque, est foisonnant avec des péripéties multiples et surtout des retours en arrière et des anticipations. La pièce aussi joue avec la chronologie des évènements et les deux théâtres d'actions, Ithaque et les pérégrinations d'Ulysse.
On peut lire L'Odyssée comme un complément ou une prolongation de L'Iliade car on y apprend le destin des héros après la guerre de Troie. La pièce donne à entendre des réflexions sur la guerre, notamment à travers les questions faussement naïves de Nausicaa et les réponses désabusées d'Ulysse.

L'originalité de la pièce vient de sa polyphonie. Là où Homère n'avait que deux narrateurs, l'aède qui raconte, au début, l'histoire d'Ulysse depuis le départ de chez Calypso jusqu'à l'arrivée en Phéacie et Ulysse lui-même, prenant le relais à la cour des Phéaciens, Jean-Luc Lagarce propose un choeur de personnages féminins, Pénélope, Calypso‚ Circé‚ Nausicaa et la mère d'Ulysse…
Malgré la solitude de son errance, toutes ces femmes le relient à elles et au monde : les souvenirs de Calypso et de Circé, combinés à ceux de Pénélope et à son attente patiente et persévérante servent de fil conducteur au récit et donnent vie et présence à l'absent, parti mais non encore arrivé à destination. Sans ces femmes qui lui donnent des ancrages, il serait perdu dans une errance abstraite et sans fin.
Ce qui est frappant, c'est l'harmonie entre les paroles féminines. Ainsi, Calypso accepte le départ d'Ulysse, qui refuse l'immortalité auprès d'elle et choisit Pénélope, appelée à vieillir. Pénélope, vieillissante, insiste beaucoup dans la pièce sur les marques que le temps et l'attente ont imprimé en elle.

Dans L'Odyssée d'Homère, les femmes, déesses, sirènes, simples mortelles, sont omniprésentes. Dans cette version moderne, j'ai pris plaisir à retrouver les thèmes majeurs de l'attente, du départ et du retour, dans un grand respect du texte d'origine et des situations initiales.
Les personnages, très travaillés psychologiquement, ont gagné en humanité. Télémaque et Ulysse, ne sont plus des grands héros, mais simplement un fils qui a grandi sans son père et un père et un époux, habité seulement par le désir de rentrer chez lui. Calypso et Circé donnent d'Ulysse l'image d'un amant auprès de qui le bonheur aurait pu être possible. Nausicaa va garder un souvenir douloureux, remplacer Pénélope dans une attente sans fin.

Cette pièce, écrite en 1978, publiée seulement en 2019, est une réussite !
Je l'ai découverte grâce à un podcast France Culture.


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Une excellente réécriture de l'Odyssée.
Nous connaissons tous la célèbre Odyssée d'Homère, de loin où de près, nous avons sur le bout de la langue les noms des plus célèbres héros et dieux de l'Antiquité grecque : Ulysse, Télémaque, Poséidon, etc.
Mais qu'en est-il des femmes, nombreuses dans la plus célèbre des épopées ?
Circé, Hélène, Pénélope, Calypso, Nausicaa, leur importance n'est pourtant pas à sous-estimer dans l'intrigue. L'une d'elle est la sorcière la plus puissante de l'Antiquité avec Médée, une autre la plus belle des femmes, une reine attendant désespérément, une nymphe, une princesse.
Dans cette très courte pièce d'une soixantaine de pages, ce sont les femmes qui sont mises à l'honneur. Elles ont la parole, sont libres de s'exprimer sur leurs sentiments.
Nous voyons le revers de l'histoire, du point de vue féminin, car oui, il n'y a pas que les hommes qui souffrent de leurs dix années de déroute. Les femmes qui les attendent souffrent autant.
Pour ceux qui connaissent déjà l'écriture un peu déliée de Jean-Luc Lagarce, comme dans Juste la fin du monde, et qui seraient effrayés ou perdus n'ayez crainte. Cette pièce pourrait bien vous réconcilier avec l'auteur : l'écriture est plus classique et linéaire, beaucoup moins décousue, peut-être l'explication réside-t-elle dans la linéarité de l'action, plus construite par Homère et répondant donc à un schéma narratif auquel l'auteur est soumis. Quoiqu'il en soit, ce point qui m'avait dérangé dans les pièces précédentes était atténué ici, ce qui participe à élever cette pièce à l'une de mes préférées de la bibliographie de Lagarce !