Comment ces Grecs d’une époque plus ancienne nous apparaissent-ils ? Avant tout, comme les dépositaires d’un certain savoir tantôt purement pragmatique et magique, tantôt en rapport avec les formes d’une sagesse supra-rationnelle, qui leur vaudrait bien ce nom de logioï qu’Hérodote accordait aux sages d’Asie. Mais si les degrés de maturité spirituelle sont entre eux fort variables, oscillant de l’enstase la plus transcendante, peut-être comparable à celle des anciens Ariyas, jusqu’au dyonysisme élémentaire du type Aïssaoua ou Msamba des Aurès, tous ces hommes ont pour première préoccupation la séparation expérimentale de l’âme et du corps-tombeau, et l’acquisition des moyens de salut. Partout se retrouve chez eux la notion d’une catharsis opérée selon certains rites, – « sorts », musique et incantations, offrandes, prières, fumigation(1), – qu’accompagnent de sévères prescriptions telles que jeûnes, végétarisme, restrictions sexuelles.
Cet ensemble de purifications a pour effet de libérer l’homme des miasmes contagieux, des esprits invisibles qui le menacent en permanence, rôdent autour de lui et en lui(2). Mais il ne trouve point là sa raison suffisante. Il se justifie davantage en ce qu’il permet à l’être contingent de sortir de la multiplicité et de l’illusion auxquelles condamne le douloureux cycle des « renaissances », – ou de la « nécessité », – pour atteindre au centre immuable de la roue cosmique, pour se réintégrer au Principe.
Ainsi pouvons-nous dire que nous n’avons point affaire seulement là à un système de cérémonies lustrales, opérations magiques, et autres choses d’un genre semblablement extérieur, mais encore au vaste essai d’une élaboration consciente de certaines puissances psychiques et d’une mise en pratiques d’exercices appropriés, en vue de réaliser les conditions d’une existence supérieure.
(1) Les parfums, qui influencent les voies respiratoires et les centres nerveux, avaient chez les anciens un emploi rituel qu’on oublie trop. En Égypte, l’encens s’appelait : « celui qui rend divin ».
(2) Sur l’origine commune à la cathartique grecque et au culte purificateur et expiatoire des Hindous, voir E. Rohde (op. cit., p. 323, n° 3). – Ajoutons que la cathartique se doublait peut-être chez les Grecs d’exercices physiques assimilables au hâtha-yoga, et dont la gymnastique n’aurait été, à l’époque classique, qu’une forme dégénérée oublieuse de son origine rituelle ; Pythagore aurait en effet appris entre autres choses chez des Brahmanes l’ « art d’exercer les corps » ; c’est du moins ce que rapporte Apulée dans ses Florides (II, 15), auteur tardif, il est vrai. (pp. 36-37)