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EAN : 9782072753800
144 pages
Gallimard (03/10/2019)
3.68/5   571 notes
Résumé :
«Et parmi toutes ces pages blanches et vides, je ne pouvais détacher les yeux de la phrase qui chaque fois me surprenait quand je feuilletais l’agenda : "Si j’avais su…" On aurait dit une voix qui rompait le silence, quelqu’un qui aurait voulu vous faire une confidence, mais y avait renoncé ou n’en avait pas eu le temps.»
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Critiques, Analyses et Avis (133) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 571 notes
Il y a trente ans, le narrateur s'était vu confié une enquête par l'agence de détectives qui l'employait : il s'agissait de retrouver une jeune femme disparue. Ses recherches avaient alors tourné court, et voilà que soudain, si longtemps après, cette affaire resurgit à sa mémoire et l'incite à la reprendre là où il l'avait laissée.


Construit comme une esquisse qui s'éclaircit à mesure des touches de lumière apposées peu à peu par l'auteur, le texte nous fait errer dans les limbes des souvenirs et non-souvenirs du narrateur, en quête des détails du passé qui lui permettront enfin d'élucider cette affaire de disparition. Toutes les explications sont à portée de sa conscience mais se dérobent dans le kaléidoscope de sa mémoire. Jusqu'à ce que…


Tout le roman repose sur l'idée que le présent est le résultat de notre passé et influencera lui aussi notre futur. Cette trame qui modèle notre vie à notre insu, en un invisible filigrane, est comme écrite à l'encre sympathique : les fils en sont cachés par une foule d'éléments parasites, déformés par notre mémoire, mais il suffit d'un rien pour qu'ils resurgissent soudain à notre esprit, révélant soudain à quel point ils nous ont construits et menés à notre vie d'aujourd'hui. Mais a-t-on vraiment intérêt à toujours tout comprendre ? Ne risque-t-on pas, en la perçant à jour, de rester prisonnier de cette forme de prédestination ?


Mélancolique et subtile, cette jolie réflexion sur la mémoire et le temps qui passe sans jamais disparaître tout à fait, est un petit bijou littéraire, où l'esquisse et le non-dit donnent tout son relief au texte.
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Voici le commentaire d'un livre que je n'ai pas lu. En effet, pour la première fois, je me suis adonné à l'essai du livre audio ; et le faire - confinement obligeait - hors du temps, au coucher, vous emporte inexorablement dans une autre dimension.

L'écriture de Modiano et le thème du roman ne sont pas, j'imagine, tout à fait étrangers à cette expérience sensorielle dans laquelle on se retrouve embarqué en une espèce d'entre-deux dans une perambulation onirique, par-delà l'espace et le temps, en compagnie de personnages dont on ne sait plus très bien s'ils appartiennent à votre réalité ou s'ils procèdent du rêve, tout cela imbriqué en une sorte de fantasmagorique mise en abyme.

D'un Nobel l'autre, comment dans ces réflexions sur le temps, l'absence, la répétition, l'intériorité, l'errance, ne pas établir un parallélisme avec Claude Simon, principalement sa Route des Flandres, mêmes traces mnésiques d'un passé vécu, reconsidéré, à l'aune des fragments mémoriels de l'inconscient.

Bref, si comme votre serviteur, habités par les peurs, les culpabilités, les remords, et surtout les regrets, vous éprouvez quelques difficultés d'endormissement, nul besoin de faire appel aux soins hypnotiques d'un Benjamin Lubszynski, la voix impeccablement monocorde de Denis Podalydès (même si je préférais celle de ma grand-mère) et son régulier phrasé sauront apaiser vos angoisses nocturnes de grands nourrissons et vous mener, de l'autre côté du miroir, à la recherche de Noëlle Lefebvre perdue.
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Encre sympathique, ce court roman de Patrick Modiano commence comme une enquête policière.
Le très jeune narrateur, Jean Eyben, est embauché à l'essai dans un cabinet de détective privé, la première mission qui lui est confiée est de retrouver les traces d'une certaine Noëlle Lefebvre.
Le dossier se rapportant à cette personne est mince, les éléments imprécis, il n'est pas aidé dans cette mission. Il va donc y aller par tâtonnement, s'engouffrer dans cette enquête avec si peu d'indices... C'est comme une déambulation dans les rues de Paris, notamment le 15e arrondissement.
Il va tenter de démêler l'écheveau, il va rencontrer des personnages qui ont connu cette fameuse femme disparue, découvrir un appartement vide, un agenda avec quelques annotations mystérieuses, des bribes de mots, de phrases. Mais voilà ! Au moins, les informations qu'il glane sur son chemin permettent d'enrichir le bien maigre dossier de base qu'on lui avait fourni au démarrage de cette enquête...
La déambulation devient un dédale, un labyrinthe. Comment ne pas voir dans ce jeune détective en herbe l'alter ego de Modiano... ?
À la page 91, le narrateur nous éclaire sur la définition de l'encre sympathique. : « Encre qui, incolore quand on l'emploie, noircit à l'action d'une substance déterminée. »
Le récit se déploie sur une trentaine d'années. Nous voyageons de Paris, à Rome, en faisant une petite halte à Annecy... Quelques années plus tard, par hasard Jean Eyben renoue avec cette vieille affaire qu'il avait abandonnée lorsqu'il était jeune et qui n'a jamais été résolue depuis lors...
En trente ans, tandis que les rues de Rome restent immuables, les quartiers de Paris bougent, des grues se dressent au milieu des décombres d'un ancien quartier qu'on s'apprête à réhabiliter. Sous le fatras des murs démolis, des fantômes du passé gisent et semblent vouloir tendre des gestes désespérés pour éclairer les pas de ceux qui les recherchent... Pas facile de retrouver son chemin lorsque les quartiers d'avant n'existent plus, les repères sont effondrés, il faut avancer, revenir sur ses pas en évitant de tomber dans un trou de mémoire...
Et puis brusquement, contre toute attente, on croit que le ciel s'éclaire, que les pièces du puzzle finissent par s'emboîter d'eux-mêmes, mais est-ce vraiment là que l'auteur veut nous amener ?
Les thèmes chers à Patrick Modiano sont bien au rendez-vous : la disparition, la recherche d'identité, l'amnésie, le retour vers un passé énigmatique, les secrets, la mémoire...
À ceux qui trouvent que Patrick Modiano se répète de livres en livres, l'auteur aime citer Faulkner qui disait qu'écrire c'est épuiser un rêve.
Vous m'aurez compris, cette encre sympathique est une belle métaphore, poétique aussi, presque métaphysique à certains endroits, hors du temps. Je me suis plu à rêver de cette mystérieuse Noëlle Lefebvre, j'ai craint pour elle car je n'aime pas beaucoup certaines de ses fréquentations, j'ai espéré retrouver sa trace, c'est une petite musique qui m'a envoûté dans cette variation du temps qui passe.
Menée comme une enquête policière, j'ai aimé cette déambulation mélancolique au-dedans de nous-même, qui est une promenade bien plus que sympathique, elle est furieusement jubilatoire.
Peut-être que dans trente ans, en relisant cette chronique, d'autres mots vous apparaîtront dans les non-dits que l'encre sympathique aura révélés par-delà les stigmates du temps....
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Modiano me fait toujours l'effet d'un auteur qui serait resté enfermé quelques décennies dans une boîte très hermétique que l'on aurait enfin ouverte. Rien de ce qui fait le XXIe siècle ne concerne ses romans: pas de traces de téléphones portables, d'ordinateurs ou de réseaux sociaux… Non, chez Modiano, on cherche un nom dans le Bottin, on écrit des lettres avec de l'encre bleu Floride, on parle de dancing et de bureau des PTT, de magnétophone et de télégramme…
Les gens sont aimables ou méfiants, habitent ou ont habité Paris (ils peuvent aussi être absents momentanément de Paris, ce qui est toujours vaguement inquiétant ou risqué) et s'appellent comme on ne s'appelle plus : Gérard Mourade, Noëlle Lefebvre ou George Brainos...
Généralement, l'un d'entre eux a disparu et un narrateur le recherche. Pourquoi ? On ne sait pas vraiment et lui non plus dans le fond. S'ensuit une espèce d'errance essentiellement parisienne, dans un périmètre assez limité et une chronologie relativement vague. On a toujours l'impression que le narrateur souffre d'une myopie prononcée qui l'empêche de voir au-delà d'une certaine distance (autrement, ce qu'il voit est flou) et qu'une forme d'amnésie l'a frappé peu de temps après sa naissance. le personnage principal est donc quelqu'un qui ne se souvient pas et les gens qu'il interroge ne se souviennent pas eux non plus. Bref, tout le monde a tout oublié et l'on cherche des gens que personne n'a jamais rencontrés, et qui sont certainement morts depuis longtemps (mais là, c'est pas sûr!)
(Seules les traces font rêver, disait René Char… )
Bref, on tourne pas mal en rond, on rencontre une poignée de personnages (très peu) mais on finit quand même par les confondre (moi en tout cas), on se perd dans des détails (des histoires de lettres, de dossiers égarés ou incomplets…), les années passent, on vieillit (mais on ne change pas vraiment), on ne renonce pas à chercher (en s'autorisant quelques pauses assez longues tout de même) comme si le sens de la vie dépendait de ce qu'on allait trouver (ou pas) et puis, on finit toujours par mettre la main sur une personne : est-ce vraiment celle que l'on cherchait au début ou bien quelqu'un qui lui ressemble vaguement ? Peu importe, elle fera l'affaire.
Dans cette atmosphère hors du temps et hors de tout, des paroles d'une très grande banalité prennent soudain l'allure de questionnements philosophiques très profonds : exemple page 26 : « Et vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie ? » Eh oui, qu'est-ce qu'on fout là, dis-le moi…
Bref, on aime Modiano ou pas. Si vous aimez, vous adorerez ce roman ; si vous n'aimez pas, passez votre chemin.
Quant à moi, je fais partie des fans absolus : j'aime l'écrivain qui à chaque question qu'on lui pose répond par « C'est compliqué » avant de plonger son regard inquiet dans le vide et de répéter une autre fois comme quelqu'un qui prend douloureusement conscience de la difficulté de traduire l'existence en mots, « oui, c'est compliqué »… J'aime ses textes parce qu'ils expriment une vision du monde très personnelle, et c'est bien là la caractéristique d'un grand écrivain, isn't it ?
L'errance modianesque dit le temps qui passe, s'effiloche, la mémoire qui vacille et l'oubli qui prend le relais. Les lieux, seuls, forment de vagues repères… et encore… Rien ne résiste au temps, ni les gens, ni les choses…
L'homme n'est qu'un passant… Un passant de passage… Qui a presque tout perdu et tout oublié.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Modiano, comme le dit avec humour Clara Dupont-Monod, "est notre écrivain GPS".
Dans ce très joli roman ( son 29ème ), comme dans tous ceux qui constituent l'oeuvre de notre Prix Nobel ( le 15ème français ), celui-ci nous entraîne dans une visite guidée nostalgique, quelquefois mélancolique mais toujours envoûtante du XVème arrondissement de Paris mais également d'Annecy et de ses environs, sans oublier l'incursion finale à Rome.
Comme dans l'essentiel de sa bibliographie, le narrateur, très jeune apprenti dans une agence de détectives privés, enquête sur une jeune femme, Noëlle Lefèbvre, à propos de laquelle il ne bénéficie que de très peu d'informations, d'une photo si floue que s'il la croisait dans une de ces rues qu'il nous fait emprunter ou s'il était assis à côté d'elle dans un de ces cafés, bistrots, que Modiano affectionne, il ne pourrait pas la reconnaître.
Il tente donc, thème modianesque, de retrouver sa trace.
"À mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l'encre sympathique. Quelle est dans le dictionnaire sa définition ? "Encre qui, incolore quand on l'emploie, noircit à l'action d'une substance déterminée."
Ce n'est pas pour le seul plaisir de citer que je fais référence à ce passage du livre.
En fait, ces lignes disent tout sur cet ouvrage, mais d'une manière générale éclairent le parcours, le cheminement littéraire de Modiano.
L'obsession de Modiano, c'est tenter de "faire réapparaître un passé oublié, le temps perdu, les souvenirs effacés, des êtres, des objets, des lieux disparus."
Noëlle Lefèbvre, la belle inconnue qui s'est mystérieusement évanouie dans l'espace et le temps se dérobe aux recherches, au temps, aux témoins, aux traces... jusqu'à faire douter le narrateur de sa réalité.
Cependant cette mystérieuse jeune femme a pris en quelque sorte possession de lui... au point de le convaincre qu'il la connaît, qu'il l'a déjà vue, déjà rencontrée...
Le tout se déroule dans un paysage bien connu des lecteurs de l'écrivain.
Le Paris des années 50, avec ses rues, ses cafés, un dancing au bord de la Seine, un garage et son propriétaire vendeur de Chrysler.
Il y a une poste restante, une lettre énigmatique et un agenda qui l'est tout autant.
Le roman s'articule autour de cette géographie, de ces éléments et de cette quête-enquête.
Ce livre sur la mémoire part de l'idée que ladite mémoire n'est faite que de bribes qui surnagent de l'immense oubli au sein duquel nous vivons.
D'où la métaphore de l'encre sympathique avec laquelle a été écrit tout ce qu'on a oublié et dont certaines substances, certaines circonstances permettent de faire émerger quelques souvenirs, quelques fragments lisibles de ce passé, de cet oubli écrit à l'encre invisible.
Cela étant, il faut être prudent avec ces souvenirs réapparus à l'occasion de tel ou tel évènement.
Il en faut très peu pour être mystifié par ces souvenirs.
Une mystification née de plusieurs causes, volontaires ou involontaires.
Noëlle Lefèbvre est-elle morte ?
Si oui, dans quelles circonstances ?
Est-ce une fugue ? Et pourquoi ?
Ou bien autre chose dont on saura ou pas en expliquer les raisons.
Suivez Modiano dans cette enquête.
Vous serez happé par son déroulement et sensible à sa chute.
J'ai lu quelques romans de Modiano.
J'ai été bouleversé à la lecture de - Dora Bruder -.
J'ai beaucoup apprécié - Rue des boutiques obscures -.
Celui-ci a un charme singulier, une mélancolie tout en grâce.
C'est un livre qui a été qualifié, le mot n'est pas de moi, de "Modianissime", et je suis d'accord avec cette appréciation.
Je le recommande à ceux qui sont un peu réticents à l'égard de l'auteur, et je le conseille à ceux qui veulent faire connaissance avec l'oeuvre de grand écrivain.
C'est l'introduction idéale à l'univers singulier de Patrick Modiano.
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critiques presse (8)
LeJournaldeQuebec
09 décembre 2019
Le prix Nobel de littérature 2014 signe ici une belle histoire qui ne s’effacera pas de notre esprit de sitôt. [...] Avec ce livre coup de cœur, Patrick Modiano finit par nous faire douter de tout. Même du nom de celui qui aurait rédigé cette Encre sympathique.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaPresse
19 novembre 2019
Encre sympathique est avant tout une réflexion sur la mémoire, sur les « blancs » de notre existence. Un rappel qu’il n’est peut-être pas nécessaire de se souvenir de tout. C’est aussi un bel exercice de style dans lequel Modiano nous rappelle qu’il demeurera toujours fidèle à lui-même.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Chatelaine
04 novembre 2019
La « petite musique », si particulière à Modiano, reconnaissable entre toutes, mélancolique, lancinante, où l’on retrouve les thèmes qui lui sont chers : disparition mystérieuse, entourage douteux, Paris et ses rues, ruelles, impasses, cafés, quais de métro, appartements désertés où une lampe est allumée pour rien… Bref, un climat qui s’installe dès la première page et nous accompagne longtemps une fois le livre refermé.
Lire la critique sur le site : Chatelaine
LesEchos
07 octobre 2019
Le prix Nobel de littérature 2014 crée l'événement avec « Encre sympathique », son nouveau roman. Une histoire de disparition pour mieux se retrouver. Et son public aussi.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Liberation
04 octobre 2019
Poursuivant sa quête du passé dans son nouveau roman, le Prix Nobel de littérature arpente à nouveau les dédales de la mémoire, interrogeant l’idée que, peut-être, tous les détails de la vie «sont écrits quelque part à l’encre sympathique».
Lire la critique sur le site : Liberation
LaCroix
04 octobre 2019
Un narrateur erre dans le Paris du passé, à la recherche d’une femme évaporée… Le Nobel de littérature garde son imaginaire, et son style envoûtant.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Bibliobs
04 octobre 2019
Même si le roman est bref, Modiano prend son temps, on croirait qu’il le berce. Il est devenu le maître des horloges de la littérature française. Lentement, il laisse ses souvenirs remonter à la surface des jours.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Culturebox
30 septembre 2019
Comme dans un jeu de piste se dilatant dans toute son œuvre, on pourra s'amuser à repérer des éléments, personnages, lieux, déjà présents dans les autres romans de Patrick Modiano. On retrouve aussi dans Encre sympathique l'univers si particulier de l'écrivain, imprégné de la quête infinie d'un passé qui ne cesse de se dérober.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (98) Voir plus Ajouter une citation
D’ailleurs, pour parler franc, je n’ai jamais eu d’agendas et je n’ai jamais écrit de journal. Cela m’aurait facilité les choses. Mais je ne voulais pas comptabiliser ma vie, je la laissais s’écouler comme l’argent fou qui file entre les doigts. Je ne me méfiais pas. Quand je pensais à l'avenir, je me disais que rien ne serait perdu de tout ce que j'avais vécu. Rien. J'étais trop jeune pour savoir qu'à partir d'un certain moment vous butez sur des trous de la mémoire.
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Il ne faut jamais se fier aux témoins. Leurs prétendus témoignages sur des personnes qu’ils auraient connues sont inexacts, la plupart du temps, et ils ne font que brouiller les pistes. La ligne d’une vie disparaît derrière tout ce brouillage. Comment démêler le vrai du faux si l’on songe aux traces contradictoires qu’une personne laisse derrière elle ? Et sur soi-même en sait-on plus long, si j’en juge par mes propres mensonges et omissions, ou mes oublis volontaires ?
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Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu’on appelle un refrain. Pendant des périodes plus ou moins longues, vous ne l’entendez pas et l’on croirait que vous avez oublié ce refrain. Et puis, un jour, il revient à l’improviste quand vous êtes seul et que rien autour de vous ne peut vous distraire. Il revient, comme les paroles d’une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme.
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INCIPIT
« Il y a des blancs dans cette vie, des blancs que l’on devine si l’on ouvre le «dossier»: une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps. Presque blanc, lui aussi, cet ancien bleu ciel.
Et le mot «dossier» est écrit au milieu de la chemise.
À l’encre noire.
C’est le seul vestige qui me reste de l’agence de Hutte, la seule trace de mon passage dans ces trois pièces d’un ancien appartement dont les fenêtres donnaient sur une cour. Je n’avais guère plus de vingt ans. Le bureau de Hutte occupait la pièce du fond, avec l’armoire aux archives. Pourquoi ce « dossier » plutôt qu’un autre? À cause des blancs, sans doute. Et puis il ne se trouvait pas dans l’armoire aux archives, mais il demeurait là, abandonné sur le bureau de Hutte. Une
«affaire», comme il disait, qui n’avait pas encore été résolue – le serait-elle
jamais? –, la première dont il m’avait parlé le soir où il m’avait engagé « à l’essai »,
selon son expression. Et quelques mois plus tard, un autre soir à la même heure, quand j’avais renoncé à ce travail et quitté définitivement l’agence, j’avais glissé dans ma serviette, à l’insu de Hutte et après lui avoir fait mes adieux, la fiche dans sa chemise bleu ciel qui traînait sur son bureau. En souvenir.
Oui, la première mission que m’avait confiée Hutte était en rapport avec cette fiche. Je devais demander à la concierge d’un immeuble du 15e arrondissement si elle n’avait pas de nouvelles d’une certaine Noëlle Lefebvre, une personne qui posait à Hutte un double problème: non seulement elle avait disparu d’un jour à l’autre,
mais on n’était même pas sûr de sa véritable identité.
Après la loge de la concierge, Hutte m’avait chargé de passer dans un bureau des PTT muni d’une carte qu’il m’avait donnée. Sur celle-ci figurait le nom de Noëlle Lefebvre, son adresse et sa photo, et elle servait à retirer du courrier au guichet de la poste restante. La dénommée Noëlle Lefebvre l’avait oubliée à son domicile. Et puis, je devais me rendre dans un café pour savoir si on y avait vu Noëlle Lefebvre ces temps derniers, m’asseoir à une table et y demeurer jusqu’à la fin de l’après-midi au cas où Noëlle Lefebvre ferait son apparition. Tout cela dans le même quartier et la même journée. La concierge de l’immeuble a mis longtemps à me répondre. J’avais frappé de plus en plus fort à la vitre de la loge. La porte s’est entrouverte sur un visage ensommeillé. J’ai d’abord eu l’impression que le nom «Noëlle Lefebvre» n’évoquait rien pour elle. «Vous l’avez vue récemment?»
Elle a fini par me dire d’une voix sèche: « ... Non, monsieur... je ne l’ai pas revue depuis plus d’un mois.»
Je n’ai pas osé lui poser d’autres questions. Je n’en aurais pas eu le temps, car elle avait aussitôt refermé la porte.
Au bureau de la poste restante, l’homme a examiné la carte que je lui tendais.
«Mais vous n’êtes pas Noëlle Lefebvre, monsieur.
— Elle est absente de Paris, lui ai-je dit. Elle m’a chargé de prendre son courrier.»
Alors, il s’est levé et a marché jusqu’à une rangée de casiers. Il a examiné le peu de lettres qu’ils contenaient. Il est revenu vers moi et m’a fait un signe négatif de la tête.
«Rien au nom de Noëlle Lefebvre.»
Il ne me restait plus qu’à me rendre au café que m’avait indiqué Hutte.
Un début d’après-midi.
Personne dans la petite salle, sauf un homme, derrière le zinc, qui lisait un journal.
Il ne m’a pas vu entrer et il poursuivait sa lecture. Je ne savais plus en quels termes formuler ma question. Lui tendre tout simplement la carte de la poste restante au nom de Noëlle Lefebvre? J’étais gêné de ce rôle que Hutte me faisait jouer et qui s’accordait mal avec ma timidité. Il a levé la tête vers moi.
«Vous n’avez pas vu Noëlle Lefebvre ces jours derniers?»
Il me semblait que je parlais trop vite, si vite que j’avalais les mots.
«Noëlle? Non.»
Il m’avait répondu de manière si brève que j’étais tenté de lui poser d’autres questions concernant cette personne. Mais je craignais d’éveiller sa méfiance. Je me suis assis à l’une des tables de la petite terrasse qui débordait sur le trottoir. Il est venu prendre la commande. C’était le moment de lui parler pour en savoir plus long. Des phrases anodines se bousculaient dans ma tête, qui auraient pu entraîner de sa part des réponses précises.
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Pour la première fois, ces souvenirs venaient la visiter, à la manière d’un maître chanteur dont vous êtes certain qu’il a perdu votre trace depuis longtemps et qui, un soir, frappe doucement à votre porte.
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Géraldine Mosna-Savpye et Nicolas Herbeaux en parlent avec nos critiques, Elise Lépine, journaliste littéraire au Point, et Virginie Bloch-Lainé, productrice à France Culture.
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