AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782367934976
636 pages
L’Atalante (21/02/2019)
4.33/5   43 notes
Résumé :
Ils sont quatre, et font route vers Dubrava et Asharias, comme jadis on faisait « voile vers Sarance »…
Péro Villani, jeune peintre de Séressa, a accepté de réaliser le portrait du Grand Calife. Il devra donc se rendre au cœur de l’empire ennemi et pénétrer dans les appartements de Gurçu le Ravageur. Il sait pourtant que personne n’y est admis et que le seul fait d’y ouvrir la bouche pourrait lui valoir la mort. Léonora Valéri a reçu elle aussi une propositio... >Voir plus
Que lire après Enfants de la Terre et du CielVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Après avoir consacré deux volumes à la Chine médiévale, Guy Gavriel Kay continue à explorer les périodes de l'histoire par le biais de la fantasy et s'attaque cette fois aux Balkans de la fin du XVe siècle. Vingt-trois ans après la chute de Sarrance (Constantinople) devenue Asharias, les adorateurs de Jad (comprenez les chrétiens) ont toujours du mal à se remettre du choc et les tensions dans cette région du monde ne cessent de s'exacerber entre les différentes forces en présence. Les Osmanli (les Ottomans) ne cessent de repousser les frontières de leur empire et lorgnent désormais sur des terres encore plus au nord et à l'ouest, à commencer par celles du Saint-Empire de Jad (le Saint-Empire romain germanique). L'auteur s'intéresse également au sort de trois cités qui ont chacune, pour des raisons bien différentes, des intérêts dans la région : la première est la République de Séresse (Venise) qui entend bien conserver sa domination sur l'Adriatique en matière d'échanges commerciaux ; la seconde est la ville de Dubrava (Dubrovnik) qui se bat pour garder son indépendance et ne s'attirer les foudres d'aucun de ses puissants voisins ; et enfin la troisième est la petite ville de Senjan (Senji), une place-forte dans laquelle se sont réfugiés ceux ayant fui l'avancée ottomane et qui se livrent depuis à la piraterie (non seulement sur les navires marchands venus d'Asharias mais aussi de Séresse). Bien qu'occupant une zone géographique fort restreinte, ces Senjaniens posent un véritable problème à toutes les grandes puissances alentour : l'empereur d'Obravic les a placé sous sa protection mais doit subir les foudres de Séresse qui n'accepte pas que ses navires soient pillés ; Séresse commence à perdre patience à force de voir ses marchandises disparaître et sa réputation écorner ; quand aux Osmali, ils ne peuvent évidemment tolérer qu'une minuscule cité à leur frontière se permette de leur nuire de manière aussi affichée.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'auteur n'entend pas se focaliser ici sur les principaux acteurs du pouvoir dans chacun de ses empires ou cités. Si un ambassadeur, un duc, ou même un empereur, ont bien le droit à quelques scènes, la plupart des protagonistes du drame qui se joue ici sont en réalité des personnes parfaitement ordinaires. Une guerrière avide de venger la mort de sa famille, un jeune peintre à qui on confie une commande risquée mais à même de le couvrir de gloire, un marchand, une noble déchue devenue espionne, un soldat d'élite de l'armée d'Asharias : voilà, pour faire court, le type de profils sur lesquels Guy Gavriel Kay a ici choisi de se pencher. Il s'agit en effet moins d'aborder ici les bouleversements opérés par la guerre et les conquêtes à l'échelle des empires qu'à celle des individus. La variation constante des frontières et les conséquences sur les « gens du commun » : voilà le coeur du nouveau roman du maître de la fantasy-historique. Un sujet au combien d'actualité que l'auteur traite avec sa délicatesse et sa subtilité habituelle en faisant partager à ses lecteurs la colère, la souffrance, l'impuissance ou le refus de se résigner de tous ces gens ordinaires qui ont vu leur vie totalement transformée en même temps que se remodelaient les frontières autour d'eux, que ce soit après le passage d'une force armée, ou simplement parce que la région dans laquelle ils vivent est devenue un objet de litige entre deux puissances. Guy Gavriel Kay aborde également avec cette sensibilité qui lui est propre et qui a fait le succès de ses précédentes oeuvres la question du temps qui passe et des traces qu'un individus peut laisser dans l'histoire. Il ne se prive notamment pas de multiplier les références à certains de ses anciens romans, à commencer évidemment par « La mosaïque de Sarrance » dans laquelle il mettait en scène la même région du monde mais plusieurs siècles plus tôt.

L'auteur mentionne ainsi l'air de rien une certaine fibule représentant un oiseau, les victoires d'un aurige exceptionnel ou encore la mosaïque sublime représentant deux impératrices, et chaque de ces références manquent de faire venir les larmes aux yeux du lecteur tant elles évoquent de souvenirs. le roman est ainsi plein d'émotion et la mélancolie qui ne tarde pas à s'installer tient autant à ces fameux souvenirs des temps anciens qu'aux personnages en eux-mêmes. Comme toujours dans les oeuvres de l'auteur, chacun des protagonistes se retrouve à un moment ou un autre confronté à un choix difficile à même de totalement bouleverser sa vie, voire, pour certains d'entre eux, l'ordre du monde. Outre ses personnages, le roman est aussi porté par la documentation impeccable de l'auteur qui tente de nous donner la vision la plus précise et la plus nuancée possible d'une époque donnée. le contexte géopolitique est rigoureusement respecté, et il est particulièrement intéressant de voir l'auteur se focaliser sur le cas méconnu de Senji et des Uscoques (ces réfugiés ayant fui la Bosnie sous la pression des Ottomans et auxquels Georges Sand a d'ailleurs consacré un roman). le roman fourmille également de détails qui nous permettent de nous faire une idée précise du contexte économique de la Renaissance, ainsi que de la manière dont on commerçait. Comme toujours, l'auteur cherche également à renforcer l'immersion de son lecteur en nous donnant un aperçu de la production artistique en cette fin de XVe siècle. Après la mosaïque sous Justinien, la poésie chinoise sous les Tangs, ou la musique à l'époque de la Reconquista, Guy Gavriel Kay met l'accent sur la peinture et l'essor de nouvelles techniques picturales qui donneront naissance aux chefs d'oeuvre de la Renaissance que l'on connaît tous. Pigments utilisés, supports, liants, traités de peinture… : tout est là, et c'est absolument passionnant.

« Enfants de la Terre et du ciel » témoigne une fois encore du talent incontestable de Guy Gavriel Kay en matière de fantasy historique et permet aux lecteurs d'arpenter une nouvelle région du monde et une nouvelle époque. Les thématiques très actuelles évoquées, ainsi que la mélancolie qui se dégage du texte, renforcent l'émotion suscitée par les personnages qui, une fois encore, marqueront le lecteur pour longtemps une fois la dernière page refermée.
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
Commenter  J’apprécie          250
« Histoire avec un quart de tour du côté fantastique », c'est ainsi que l'auteur lui-même qualifie son oeuvre.

Un roman qui nous transporte à Séresse (Venise), Dubrava (Dubrovnik) et qui parle de l'empire des Osmanlis (Ottomans) qui a conquis Sarance (Constantinople).

Une épopée de guerres et de luttes de pouvoir, avec des braves héroïques, mais aussi avec des armées qui dévastent les campagnes et des populations qui meurent de faim. À moins qu'elles ne soient réduites en cendres par des « raiders » et leurs enfants emportés pour en faire des esclaves.

Une histoire de commerce, avec une cité-État qui veut la paix pour favoriser la prospérité de son négoce, mais qui est prête à tout pour préserver la paix : espionnage et meurtres ciblés.

Une affaire de religion, où chacun veut imposer son vrai dieu, Dieu du soleil ou Dieu des étoiles, avec leurs sanctuaires et leurs hiérarchies, avides aussi de pouvoir et prêtes à accepter des réparations financières pour pardonner les péchés.

Un récit où on rencontre des femmes fortes, l'impératrice déchue de Sarance, la belle Léonara répudiée par son père et surtout Danica, archère émérite qui ira se battre pour venger sa famille.

Un décor qui rappelle la fragilité de l'existence humaine et les hasards des choix qui guident le destin.

Un roman historique fabuleux, qui fait suite à « La mosaïque de Sarance » du même auteur.

(Comme dans ce genre de saga, il faut prendre le temps de se familiariser avec les nombreux personnages et les noms de lieux inconnus et le retour au lexique et à la carte sommaire en début de volume sont utiles.)
Commenter  J’apprécie          260
Hélas, hélas ! Depuis plus de deux décennies, Sarance, capitale rayonnante et ancestrale de la vraie foi, est tombée entre les mains des infidèles et celles du Grand Calife, Gurçu le Ravageur ! Malgré les prières ardentes des dirigeants spirituels, les monarques jadites répugnent à se lancer dans des croisades coûteuses et sanglantes pour délivrer la ville sacrée. Pire encore, certaines nations, comme la fourbe République de Séresse, commercent ouvertement avec le califat, allant jusqu'à pourchasser les dévots pirates senjans qui s'opposent à ces marchandages impis.

L'heure n'est plus aux guerres saintes : elle est à l'espionnage, à la manipulation, aux assassinats commandités, au chantage et à toutes les formes feutrées que peut revêtir la diplomatie. Dans ce monde en proie à une crise religieuse et politique larvée, une poignée de personnages luttent pour conserver le contrôle de leur destinée. Aucun puissant parmi eux. Au contraire, sans toujours être d'humble milieu, ils appartiennent à cette frange de la population qui, depuis toujours, subit impuissante les caprices de ses meneurs et les manoeuvres vicieuses de leur gouvernement. Ils sont corsaires, artistes, commerçants, soldats, médecins, putains, marins... de la fougueuse pirate Danika Gradek au jeune peintre Pero Villani, en passant par le marchand Marin Djivo et le guerrier asharite Damaz, ils ont tous en commun une soif de liberté et de bonheur - un désir légitime mais périlleux quand les frontières des pays se brouillent et que des certitudes séculaires commencent à vaciller.

Après deux romans de fantasy uchronique consacrés exclusivement à l'Histoire de la Chine - un peu décevants, en ce qui me concerne - Guy Gavriel Kay renoue avec l'univers de “La mosaïque de Sarance” et des “Lions d'al Rassan”. Rendez-vous cette fois à la fin du XVe siècle dans des Balkans dominés à la fois par l'Empire ottoman et le Saint Empire Germanique. le contexte historique est passionnant et Gavriel Kay le restitue magnifiquement. Avec un refus assumé de l'épique et du spectaculaire, il trace un portrait précis et nuancé d'un monde en pleine mutation où fanatisme et pragmatisme s'affrontent violemment. Il nous offre un récit à taille humaine, prenant un soin particulier à retranscrire les points de vue de chaque personnage et leurs aspirations, plus touchantes et compréhensibles que ne le sont généralement celles des héros de grandes sagas historiques. Eléments fantastiques, coups de théâtre et affrontements armés, sans être complètement absents, sont réduits à leur minimum, donnant un rythme presque méditatif au récit qui décevra certains lecteurs et en charmera d'autres. Je fais indubitablement partie de la seconde catégorie.

Paradoxalement, Kay retrouve en même temps une efficacité stylistique qu'il semblait avoir perdu dans ses derniers romans (“Le fleuve céleste” m'avait paru particulièrement verbeux, malgré d'évidentes qualités narratives). Moins de longues descriptions, davantage de vivacité dans les dialogues ainsi qu'une alternance des points de vue très bien gérée rendent la lecture des “Enfants de la terre et du ciel” beaucoup plus fluide et accessible que celle des derniers ouvrages du romancier - à mon sens, du moins. Pour moi, ce livre est un retour aux sources bienvenu qui, s'il ne se classent pas parmi ses meilleurs romans, a tout à fait satisfaite la vieille fan exigeante que je suis. Ma confiance dans le talent de Guy Gavriel Kay est donc renouvelée et j'attend avec impatience sa nouvelle production !
Commenter  J’apprécie          191
J'avais lu il y a bien des années la saga de la tapisserie de Fionavar de Guy Gavriel Kay. J'avoue que même à l'époque je n'avais pas accroché à cette trilogie très classique. Depuis, l'auteur canadien a développé toute une série de romans d'inspiration historique dont j'entendais beaucoup de bien. Après avoir remporté Enfants de la terre et du ciel (regardez ce beau travail réalisé par les éditions l'Atalante !), je me lance dans sa lecture car le livre entre tout à fait dans le challenge SFFF du mois !

Nous suivons plusieurs personnages pris dans les houles de la politique et de la guerre, mais qui auront chacun un rôle spécifique à jouer. Chaque personnage a son propre passé et ses propres motivations pour réaliser leur mission. J'ai une tendresse particulière pour Léonora, victime d'une société et d'une famille qui l'ont condamné pour son statut de fille-mère. Son évolution est bien menée, car elle parvient à saisir l'opportunité qui fera d'elle une personnalité centrale sur l'échiquier politique. Danica est également un personnage au caractère rude mais déterminé. Femme guerrière dans un monde d'hommes, elle dépasse les préjugés grâce à son talent à l'arc. Pero, jeune peintre, est doté d'une mission à haut risque qui prend toute son importance à la fin du récit.

A travers chacun de leur chemin, se pose la question de la place de l'histoire personnelle face à la Grande, celle des rois et des empereurs. Jusqu'à quel point faut-il sacrifier son bonheur personnel pour réaliser son ambition politique ? On a ainsi très souvent des amours contrariées qui rythment le récit. Car à ce moment, Léonora souhaite gagner son indépendance et trouver sa place dans un monde duquel elle a été brutalement privée. Car la mission de Pero se trouve à Asharias. Car Danica est animée par la volonté farouche de retrouver son frère. La grande Histoire et l'histoire personnelle s'entremêlent pour donner un canevas sophistiqué et complexe que l'auteur maîtrise très bien.

Guy Gavriel Kay a réalisé un travail important pour peindre une fresque à la fois historique et intime. Ses inspirations sont multiples : la Renaissance avec l'importance de l'art et les cités marchandes italiennes, l'Empire Ottoman nouvellement installé dans l'ancienne Constantinople... On suit avec intérêt les subtilités politiques des puissants qui broient les vies des communs dans un jeu complexe et sophistiqué, face à des personnages qui tentent de trouver leur place et, de par leurs choix, bouleversent de temps à autre la mécanique de l'histoire. L'auteur choisit également de se pencher sur les intérêts de trois cités aux intérêts divergents : Séresse, qui cherche à asseoir sa domination économique, Dubravna, qui tente de conserver son indépendance quand elle risque d'attirer les foudres des empires qui la cernent, Senjan, ville de pirates rebelles ayant survécu aux raids des Osmanlis.

Mais on pourrait s'attendre à ce que ces détails historiques privent e récit d'émotions. Au contraire, comme l'auteur choisit de centrer son histoire sur quelques personnages sans grande importance politique à première vue, le roman regorge de scènes déchirantes. Danica entend par exemple la voie de son grand-père (seule touche de fantastique du roman), ce qui permet de souligner son attachement à sa famille et donne naissance à beaucoup d'émotions dans certaines scènes. Idem, les échanges entre Péro et l'Empereur sont étrangement teintés de bon sens et d'humanité. le roman se nourrit d'une forme de mélancolie face au temps qui passe, aux êtres chers qui disparaissent.

Je ne suis pas déçue de ma plongée dans les affres politiques d'Enfants de la terre et du ciel ! En se concentrant sur le destin de quelques figures qui n'ont pas de pouvoir, Guy Gavriel Kay nous livre un roman émouvant et délicat qui nous conte la fin des empires du point de vue des gens du commun. Ainsi, nous suivons un groupe de personnages qui poursuivent des objectifs personnels, mais qui essuient des revers ou au contraire encouragés par les bouleversements politiques et culturels de l'époque. Ce point de vue permet de donner au récit une teinte profondément humaniste, notamment dans les échanges entre les puissants et ces derniers. le seul bémol à signaler vient d'un rythme que j'ai trouvé parfois haché.


Lien : https://lageekosophe.com/202..
Commenter  J’apprécie          90

Nous sommes vingt-cinq ans après la conquête de Sarance (Constantinople). Et le clash des civilisations continue entre les Osmanlis (Turcs) et les royaumes jaddites (Chrétiens). On va s'intéresser particulièrement à Séressa (Venise), Dubrova (Dubrovnik) et Senjan (Senj). Seressa et Dubrova sont des états marchands qui n'hésitent pas à faire commerce avec les Osmanlis. Senjan, ennemi de toujours des Omanlis, n'a que mépris pour eux et n'hésite pas à pirater leurs navires.

On est dans les grands bouleversements historiques, la montée et la chute de villes et d'empires, la collision des religions et des cultures. Mais si Kay sait nous montrer le panorama historique et les grands de ce monde (on rencontre un doge, une ancienne impératrice et un sultan), il sait aussi nous montrer les "petits" pris dans les machinations des puissants.

Il y a Danica, une jeune femme senja mais aussi une guerrière accomplie qui rêve de se venger des Osmanlis ; son frère, Damaz, capturé tout jeune par les Osmanlis et entraîné pour devenir un de leurs soldats d'élite; Pero, un artiste qui doit peindre le khalife lui-même ; Léonora, jeune fille "perdue" de la noblesse qui trouve une nouvelle vie et Marin, le fils cadet d'un marchand de Dubrova, un peu à l'étroit dans son rôle.
Tous ces personnages sont plein de vie et de caractéristiques propres qui les différencient. Ils partent en voyage, changent de vie, souvent de façon imprévue, bref, ils sont en mouvement.

Ce va-et-vient entre la macro et la micro-histoire se traduit par des ruptures dans la narration pour zoomer dans le temps et l'espace et nous donner à la fois l'ensemble du tableau et le détail signifiant.
Un vrai régal…
Commenter  J’apprécie          123


critiques presse (1)
Elbakin.net
27 août 2018
L’auteur semble avoir non plus vraiment cherché à construire un récit sous tension mais un roman plus méditatif sur la condition humaine, s’éloignant ainsi d’un petit pas du récit d’aventure épique pour se rapprocher du conte philosophique.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
LE NOUVEL AMBASSADEUR de Séresse sentit son cœur se serrer quand il comprit que l’empereur Rodolfo, connu  pour son excentricité, ne le dispenserait pas d’une innovation apportée au protocole de la cour à titre d’expérience.
L’empereur aimait les expériences. Tout le monde le savait.
Apparemment, l’ambassadeur serait tenu d’exécuter une triple révérence – à deux reprises! – quand on l’inviterait enfin à s’approcher du trône impérial. Ces civilités, lui expliqua le dignitaire de très haute stature qui l’escortait, seraient semblables à celles que l’on rendait au grand calife Gurçu en Asharias.
Ainsi se présentait-on jadis devant les grands empereurs d’Orient, ajouta le courtisan d’un air pensif. Rodolfo semblait s’intéresser depuis peu aux effets d’une déférence aussi solennelle, effets que l’on observait et qu’on lui rapportait. Puisqu’il descendait de ces augustes figures du passé, cela ne tombait-il pas sous le sens?
Pas du tout, considérait l’ambassadeur en son for intérieur.
Il n’avait aucune idée de l’effet attendu chez lui.
Il sourit poliment, hocha la tête, ajusta sa robe de velours. En patientant dans l’antichambre, il regarda un deuxième dignitaire de la cour – jeune, blond – faire avec enthousiasme la démonstration des hommages exigés. L’ambassadeur en éprouva d’avance une vive douleur aux genoux. Et au dos. Il en avait bien conscience, les signes extérieurs de prospérité manifestes sur le périmètre de sa ceinture risquaient de le couvrir de ridicule chaque fois qu’il se prosternerait et se relèverait.
Rodolfo, saint empereur de Jad, occupait ce trône depuis trente ans. Nul n’aurait osé le taxer de sottise – il avait réuni autour de lui bon nombre des meilleurs artistes, philosophes et alchimistes du monde (en vue d’expériences) –, mais il fallait bien prendre en compte son imprévisibilité et, peut-être, son irresponsabilité.
Il n’en était que plus dangereux, bien entendu. Orso Faleri, ambassadeur de la république de Séresse, se l’était fait confirmer par le Conseil des Douze avant de prendre la route.
Il voyait en sa nouvelle affectation une épreuve terrible.

(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          70
Cela se produit à l’occasion : on découvre des vérités sur soi-même en un instant, parfois au milieu d’événements dramatiques, parfois dans le plus grand calme. Sous un vent de crépuscule soufflant de la mer, seul dans son lit par une nuit d’hiver, en pleurs sur une tombe parmi les feuilles mortes. Ivre dans une taverne, en proie à d’atroces douleurs, sur le point d’affronter des ennemis sur le champ de bataille. En ces heures où on attend un enfant, tombe amoureux, lit à la lueur d’une bougie, regarde le soleil se lever ou une étoile se coucher, où l’on meurt. 
Commenter  J’apprécie          160
Le monde est un plateau de jeu, avait déclaré un poète d’Espéragne dans des vers encore admirés des siècles plus tard. Les joueurs déplacent les pièces, qui n’ont aucune maîtrise de leurs mouvements. Alignées face à face ou côte à côte, elles sont alliées ou ennemies, de rang inférieur ou supérieur. Elles meurent ou survivent. Un joueur l’emporte, puis on prépare le plateau pour une nouvelle partie.
Quoi qu’il en soit, l’essor et la chute des empires, des royaumes, des républiques, des religions belligérantes, des hommes et des femmes – leurs chagrins, leurs deuils, leurs amours, leur fureur éternelle, leur plaisir et leur émerveillement, leur souffrance, leur naissance et leur mort –, tout cela est intensément réel à leurs yeux, bien plus que de simples images poétiques, si talentueux pût être leur auteur.
Les morts (à de très rares exceptions près) sont séparés de nous. Ils sont enterrés avec les honneurs, incinérés, jetés en mer, abandonnés sur des gibets ou dans les champs à la merci des charognards à poils et à plumes. Il faudrait les observer de très loin ou d’un œil bien froid pour ne voir dans ces tourbillons, ces malheurs, cette agitation, que les mouvements de pièces sur un plateau de jeu.
Commenter  J’apprécie          40
Les nobles avaient le droit de se faire décapiter puis enterrer. Les vulgaires voleurs – ou les pirates senjaniens –, on les pendait et on les laissait pourrir sur place. Ainsi procédait-on dans le monde entier pour marquer les esprits. Il n’y avait aucune raison qu’il en allât autrement à Dubrava.
Il apparut à Leonora que la mort pouvait suivre quelqu’un de très près, même quelqu’un de très jeune, qui avançait sous le soleil ou les lunes, sur une mer bleu-vert, le long des rues d’une ville ou de chemins en pleine nature sauvage, au travers de forêts dont les feuillages obscurs occultaient le soleil du dieu ou entre des colonnes de marbre rouge sous de hautes fenêtres.
Commenter  J’apprécie          70
Ce serait une erreur de croire une tragédie régulière, continue, même en des temps tumultueux. Le plus souvent, des périodes d’accalmie et de répit parsemèrent la vie d’un personnage ou d’un état. On observe un semblant de stabilité, d’ordre, une illusion de calme…et puis les circonstances changent en un tournemain. 
Commenter  J’apprécie          120

Videos de Guy Gavriel Kay (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Guy Gavriel Kay
Payot - Marque Page - Guy Gavriel Kay - Les derniers feux du soleil
autres livres classés : guerres de religionVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus


Lecteurs (114) Voir plus



Quiz Voir plus

Jésus qui est-il ?

Jésus était-il vraiment Juif ?

Oui
Non
Plutôt Zen
Catholique

10 questions
1828 lecteurs ont répondu
Thèmes : christianisme , religion , bibleCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..