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Florence Weber (Préfacier, etc.)
EAN : 9782130554998
248 pages
Presses Universitaires de France (05/10/2007)
3.97/5   100 notes
Résumé :
« Quelle est la règle de droit et d’intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donateur la rend ? ». En réalité, à partir de cette étude menée sur la nature des transactions humaines de la Mélanésie à l’Alaska et dans les sociétés indo-européennes anciennes, Marcel Mauss constate que « la morale et l’économie qui agissent dans ces tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Je tiens à préciser qu'il s'agit du don dans le sens de cadeau d'échange traditionnel dans les sociétés archaïques.
Marcel Mauss est le créateur de l'anthropologie française, et ce livre de 1925 est le plus connu. C'est donc une référence dans la recherche. Je dois préciser que je n'ai pas tout compris, car c'est pointu, les termes mélanésiens utilisés ne s'adressent pas à des béotiens. Une étude sémantique lui a été nécessaire. Bref, si c'est une synthèse de plusieurs analyses ethnographique, cela reste cependant une recherche, donc une analyse. J'avoue que je préfère les synthèses, mais bon...
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De quoi s'agit-il ?
L'auteur analyse les dons rituels, c'est-à-dire le « système des prestations totales », les « cadeaux contractuels », le « potlatch », le « kula » dans les mondes mélanésiens, polynésiens et indiens du nord ouest des États-Unis.
Le don est varié :
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« Ce qu'ils échangent n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des foires, dont le marché n'est qu'un des moments, et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes du contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. « 
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Il précise que le don n'est jamais gratuit : celui qui refuse le don ou ne le rend pas peut être injurié. Cela peut même signifier une déclaration de guerre. le don et le contre-don sont donc des obligations, et peuvent entraîner la surenchère.
Cependant, le don a un but moral de coopération, d'amitié, de renforcement des liens entre populations souvent éparpillées géographiquement.
Le don évite aussi la malédiction.
Puis l'auteur, dans une partie pointue où il analyse des textes anciens mêlant termes juridiques et poésie, évoque les conditions juridiques afférant au don. Il compare ainsi le « droit » des îles du pacifique avec le droit romain et germain. Ceux-ci ont trouvé ridicules les fastes dépensés pour les fêtes traditionnelles, et ont privilégié le commerce ( peut-être est-ce le début de la société capitaliste ? )
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Mais revenons à l'objet de la recherche. Personnellement, j'ai toujours préféré le troc au capitalisme, et dans ces sociétés archaïques, suivant la spécialité des individus, on pouvait échanger, troquer de l'ocre contre des poissons ou des ignames et des produits de la forêt. Quand c'était inévitable, les insulaires ou les Indiens avaient une monnaie : dents, haches, tambua porte-bonheur, bracelets, cuivre...
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Toujours est-il que les dons pratiqués correspondaient à des choses d'une grande richesse dans les critères occidentaux, surtout sur la côte nord-ouest des États-Unis, qu'il s'agisse de fourrures ou de cuivre.
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Voilà ! Un livre relativement ardu, mais très intéressant !
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D'Épinal, dans les Vosges, nous gardons tous, comme enfants, de très bons souvenirs de ses images légendaires et peut-être également de ses fameuses "devinettes d'Épinal", où il fallait trouver un objet caché justement sur une image fort coloriée d'Épinal. Qu'il y ait eu une Fabrique de Broderie Mauss-Durkheim est déjà moins généralement su, pourtant ces noms se réfèrent à 2 savants géants français : Marcel Mauss (1872-1950), considéré comme le père de l'anthropologie française et son oncle, Émile Durkheim (1858-1917), père de la sociologie française. Un autre beau record "familial" pour le Livre Guinness des records ! Rosine, la mère de Marcel, était effectivement la soeur aînée d'Émile. Un record familial, en somme, qui fait penser à celui du Nobel Isaac Bashevis Singer, son frère Israel Joshua Singer et sa soeur Esther Kreitman, tous les 3 des écrivains réputés.

Comme son oncle maternel, Marcel Mauss était un esprit brillant. Après des études de religion comparée et de Sanskrit, à 29 ans, il occupait déjà la chaire d'histoire des religions à Paris, pour être nommé plus tard professeur de sociologie au Collège de France. La production d'écrits sortant de sa plume est tout simplement prodigieuse et en même temps il était politiquement actif au Parti Socialiste, comme ami de Jean Jaurès, l'apôtre de la paix, lâchement assassiné fin juillet 1914 à Paris, juste avant la première tuerie mondiale.

Pour faire la chronique d'une oeuvre de Marcel Mauss, j'avais donc l'embarras du choix. J'ai retenu son "Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques" pour 2 raisons : d'abord pour le sujet lui-même, bien sûr, mais aussi parce que l'oeuvre est librement disponible sur internet : http://bit.ly/2yDkoRM

Le fait que cette oeuvre ait été publiée en 1923-1924 n'enlève rien à sa qualité intrinsèque. Ce que l'auteur nous raconte est tout simplement fascinant. L'ouvrage est présenté par Florence Weber, anthropologue et sociologue, directrice des sciences sociales à l'ENS (École Normale Supérieure) et auteure de "Brève histoire de l'anthropologie", parue chez Flammarion en 2015. Dans son avant-propos, la sociologue indique que Marcel Mauss est célèbre partout dans le monde comme "l'un des principaux fondateurs de l'anthropologie sociale", mais regrette - à juste titre d'ailleurs - que son oeuvre reste, en France, méconnue des étudiants et du grand public.

Rien que l'énumération des endroits où notre savant a poursuivi ses recherches, devrait cependant mettre l'eau à la bouche des amateurs de dépaysement les plus exigeants : Polynésie, Samoa, Nouvelle Calédonie etc. Michel Mauss n'était à ces antipodes géographiques évidemment pas en vacances, mais pour y étudier le phénomène du don et des échanges

. le don revêt une importance bien plus considérable que l'on croirait à première vue, car "un cadeau donné attend toujours un cadeau en retour". Ou en d'autres termes, le don constitue la base des échanges. Dans une société primitive le genre de cadeaux est relativement réduit. "Ce qu'ils échangent...ne sont pas exclusivement des biens et des richesses...des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n'est qu'un des moments... " le marché est un phénomène humain propre à toute société connue, seul son ampleur et organisation différent de société dite arriérée à société archaïque. L'introduction de la monnaie, peut être considérée comme la principale invention.

Les recherches menées par Marcel Mauss et son équipe montrent les différences considérables qui existaient - et continuent d'exister sûrement dans d'autres endroits du globe - dans les pratiques concrètes de ces échanges, mais partant tous du don, en théorie volontaire, mais en fait obligatoirement fait et rendu. Ce qui est fascinant dans cette oeuvre ce sont justement ces différences, tellement bien observées, analysées et décrites par ce grand maître.

Grâce à l'introduction d'une qualité exceptionnelle par Florence Weber, ainsi que les nombreuses notes explicatives de bas de page, il ne faut pas être soi-même ethnologue ou anthropologue pour savourer les finesses de cette oeuvre importante de Marcel Mauss.
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Tout objet transmis, tout service rendu, a une valeur qui n'est pas seulement monétaire. Accepter un don, c'est accepter une dette. Mais la dette n'est pas un nombre. Plutôt un point d'honneur, engagement moral à participer au jeu social et à faire un contre-don d'une valeur même supérieure car il ne s'agit pas de solder les comptes, mais de renforcer l'intensité des échanges. Autrement, il s'agit d'accepter avec reconnaissance l'inégalité qui découle de l'impossibilité du contre-don. Symboliquement : votre puissance peut m'écraser, au lieu de cela, je choisis de profiter de vos bienfaits. En échange, je reconnais votre autorité. Ce n'est pas une autorité violente de réduction en esclavage, mais bien davantage un lien de vassalité (protection) qui doit d'être renouvelé par de nouveaux cadeaux utiles et qui peut être rompu dans le cas contraire. C'est une autorité positive, celle de la moralité du don qui crée du lien, qui enrichit la société... C'est en donnant que vous acquérez une puissance sociale légitime.

Un exemple : un enfant qui reçoit ses cadeaux à Noël a une dette envers ses parents. Tant qu'il bénéficie de ces cadeaux - symboliquement, l'aide qui lui permet de vivre - sans pouvoir contre-donner, il est prié d'accepter l'autorité de ses parents... Tout refus ou manquement au respect de cette autorité conférée par le don, est déclaration de guerre... Un remboursement financier est insuffisant pour redéfinir cette autorité, d'une part en raison des valeurs supplémentaires non chiffrables du don (l'aide est venue quand on en avait besoin, le remboursement est donc de moindre valeur), d'autre part parce que c'est maintenant leur tour de faire des dons d'importance supérieure pour redéfinir l'ordre social...

Tout se passe dans nos économies de marché comme si l'échange voulait se limiter à effleurer l'enveloppe humaine, à l'exciter sans jamais la satisfaire. Je te prends un objet, je te donne en échange et... nous sommes quittes. le paiement chiffré immédiat permet de s'affranchir de la relation humaine (le cadeau quant à lui se pare du costume du désintéressement : contextuellement normal, il ne configure la relation humaine que lorsqu'il n'est pas fait...). le système du don devrait être au contraire un ciment pour les sociétés, entre les individus, entre les familles, entre notables et marginaux, entre minorités, entre régions... Si je t'ai acheté quelque chose, nous avons désormais un lien, honnêteté, fidélité, confiance... Il y a un rapport humain établi, affectif, identitaire parce qu'un peu de toi avec moi, non substituable (les marques tentant vainement de le remplacer). Au lieu de cela, les nombres du salaire et du tiquet de caisse nous rendent propriétaires d'une multitude d'objets, mais pauvres en humanité. "Money in my pocket but i couldn't get no love...", chantait Dennis Brown. Objets de consommation sans vie, sans origine humaine. Les objets acquis par le système marchand, n'ont désespérément qu'une valeur humaine médiocre...

Marcel Mauss met en évidence l'épaisseur humaine des échanges économiques, dons et contre-dons, tels qu'ils s'effectuent dans les sociétés primitives, en comparaison de notre civilisation de l'achat-vente ou du cadeau. le potlatch (orgie compétitive de cadeaux) des Indiens Kwakiutl pourrait être comparé à la fête de Noël (d'autant qu'elle se fait en période d'hiver). Sauf que les Indiens convient à leur fête non seulement leurs proches, mais toute la tribu, riches et pauvres, invitant même une ou des tribus voisines ; qu'ils dilapident littéralement leurs richesses en donnant ; accomplissent danses et chants pour les dieux ; profitent des témoins pour passer des accords ; planifient des mariages ; promettent des services ; cèdent des biens utiles aux nécessiteux... Ils déterminent ainsi les relations sociales à venir (car les bénéficiaires des cadeaux vont à leur tour offrir un potlatch au moins aussi important s'ils ne veulent pas être au service de). Une complexité et une intensité sociale qu'avait sans doute la fête de Noël à l'origine (et autres célébrations comme la Pacques, le Carnaval, le Ramadan...).

La kula (circulation d'objets symboliques) chez les Trobriands peut être saisie comme un rituel d'adhésion à un réseau d'entraide, d'amitié et de commerce... À l'occasion de cet échange, autour de celui-ci, ont lieu fêtes, transactions, mariages... Non directement utilitaires, les bracelets et colliers de la kula sont preuves de participation au réseau et preuves d'importance et de fiabilité, de position dans le réseau (la taille ou le perfectionnement des objets semble augmenter avec la participation et l'ancienneté). Ces objets qui ne doivent pas être conservées mais circuler lors de nouvelles rencontres, marquent le renouvellement du contrat d'adhésion, et la participation active au réseau. Faire circuler ces objets, c'est aller vers une extension du réseau (les plus petits objets allant vers de nouveaux partenariats, les gros vers les anciens), et c'est aussi signifier symboliquement qu'on n'est pas une impasse, un puits d'avidité, qu'on ne conserve pas égoïstement les richesses en en privant les autres... mais qu'on participe activement au réseau et donc à l'enrichissement de tous.

Mauss cite Franz Boas expliquant comment paradoxalement, la création de dettes par multiplication des dons est un processus créateur de richesse, car il fait exister un système de crédit où chacun peut bénéficier à la fois de ce qu'il possède, ce qu'on lui doit et ce qu'il peut espérer emprunter. Donner, c'est donc créer de la richesse. La valeur d'une personne, en amitié, en réputation, en générosité, en politesse, peut se mesurer à sa propension à donner. La moralité du don est de faire de celui qui donne un être humain plus étendu, plus épais, plus riche, plus humain : "ce que tu gardes pour toi, tu le perds à jamais, ce que tu donnes tu l'auras pour toujours", disait Gandhi.

Ce que Mauss cherche à expliquer et qui fut parfois mal compris, c'est cette propriété "magique" que confère l'action de donner à un objet qui passe d'une âme humaine à une autre. Il ne s'agit pas de magie dans le sens du merveilleux des mythologies anciennes, mais dans le sens alchimique d'une transfiguration de la matière. L'objet acquiert une valeur ajoutée d'humanité par l'opération du don. Un quelque chose de l'ancien propriétaire demeure dans l'objet et l'enrichit. L'objet donné est comme enroulé d'un fil invisible, immatériel qui se tend jusqu'au donateur. Double magie donc, du don qui enrichit et l'objet et son donateur. Cette propriété "humaine" ne serait-ce pas justement ce lien transcendental créé par le don, don d'un objet, d'une connaissance, d'une aide, d'un regard ? Don qui appelle l'autre à donner à son tour ?

Ce n'est pas qu'il n'y ait pas dans ces échanges traditionnels questions de monnaie ou d'intéressement, ni contrat, ni arnaque, ni marchandage, ni jalousie, ni fierté de propriétaire... il y a. Non, la différence tient au fait que les échanges font explicitement et volontairement intervenir différentes sphères de l'action humaine, ce que Mauss appelle phénomène social total. À l'opposé, dans nos sociétés marchandes, les échanges supposés enrichir toute la population par la circulation des biens, par l'extension de soi dans la relation d'interdépendance à l'autre, échouent lamentablement... C'est que, en réduisant les échanges don/contre-don à des transactions objet/paiement, l'économie marchande fait l'impasse sur une part majeure de l'expérience humaine. Karl Polanyi, dans la continuité de Mauss, dit bien comme la pensée économique telle qu'elle s'est définie dans notre civilisation a isolé le champ économique des autres sphères de la vie humaine, réduisant l'Homme à un animal défini par des besoins matériels (bien loin de l'animal politique d'Aristote)... Ce faisant, elle se fourvoie totalement sur ce qu'est la vie humaine et aboutit à une impasse civilisationnelle (cf. La mentalité de marché est obsolète).
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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« Quelle est la règle de droit et d'intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rend ? » Considéré comme le fondateur de l'anthropologie française, Marcel Mauss (1872-1950) étudie, dans les aires polynésienne, mélanésienne et du Nord-Ouest américain, ce qu'il nomme un « système de prestations totales » : des collectivités, personnes morales, clans, tribus familles, s'obligent mutuellement, échangent des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, mais aussi des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes et des enfants, des danses, des fêtes et des foires, et contractent. « Ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu'elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique. »
(...)
Recenser des « nouveautés » ne doit pas nous empêcher de (re)lire des « classiques ». Cette élégante réédition fut un excellent prétexte. Marcel Mauss donne à comprendre l'origine de nos sociétés marchandes, montre ce qui subsiste et qu'il faut défendre : des échanges qui créent du lien et structurent la société plutôt que de l'atomiser.

Article complet sur le blog :
Lien : http://bibliothequefahrenhei..
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Nous connaissons sans toujours les accepter les obligations morales, religieuses, juridiques ou politiques qui participent au lien social. Mauss postule que le don crée aussi un réseau d'obligations et que ce réseau a tissé des relations de dépendance dans de nombreuses, sinon toutes, les sociétés archaïques. L'homme qui a une surface sociale et spirituelle, une puissance, un honneur, une mana, s'oblige à faire des dons ; ces dons doivent être obligatoirement acceptés par le donataire ; ce dernier s'oblige à une contre-don : On n'a pas le droit de refuser un don, de refuser le potlatch. Agir ainsi c'est manifester qu'on craint d'avoir à rendre, c'est craindre d'être « aplati » tant qu'on n'a pas rendu. En réalité, c'est être « aplati » déjà. C'est « perdre le poids » de son nom (p 53). L'obligation de rendre dignement est impérative. On perd la « face » à jamais si on ne rend pas, ou si on ne détruit pas les valeurs équivalentes (p 53). Don et contre-don engagent la collectivité, ce que Mauss appelle une prestation totale : Il y a prestation totale en ce sens que c'est bien tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu'il possède et pour tout ce qu'il fait, par l'intermédiaire de son chef (p 10). Cette prestation totale peut être une destruction sacrificielle : L'un des premiers groupes d'êtres avec lesquels les hommes ont dû contracter et qui par définition étaient là pour contracter avec eux, c'étaient avant tout les esprits des morts et les dieux. En effet, ce sont eux qui sont les véritables propriétaires des choses et des biens du monde. C'est avec eux qu'il était le plus nécessaire d'échanger et le plus dangereux de ne pas échanger […]. La destruction sacrificielle a précisément pour but d'être une donation qui soit nécessairement rendue (p 22). Quand ce réseau d'obligations s'établit entre les hommes, don et contre-don ne relèvent pas du troc, car ils ne sont pas contemporains, ni du prêt, car ils sont dénués de valeur marchande ou parce qu'ils dotés d'une valeur/d'un prestige disproportionnés avec tout échange utilitaire. Ce réseau archaïque est général, retrouvé dans la plupart des études ethnographiques : Les hommes ont su engager leur honneur et leur nom bien avant de savoir signer (p 49). Il survit dans le droit romain. Il persiste au présent dans la politesse, la charité, la solidarité corporative, et dans les milieux de la recherche.
Mauss conclut son essai avec un lyrisme visionnaire : Ce sont nos sociétés d'Occident qui ont, très récemment, fait de l'homme un « animal économique ». Mais nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre. Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure et irrationnelle est de pratique courante ; elle est encore caractéristique des quelques fossiles de notre noblesse. L'homo oeconomicus n'est pas derrière nous, il est devant nous ; comme l'homme de la morale et du devoir ; comme l'homme de la science et de la raison. L'homme a été très longtemps autre chose ; et il n'y a pas bien longtemps qu'il est une machine, compliquée d'une machine à calculer (p 100). Peut-être, en étudiant ces côtés obscurs de la vie sociale, arrivera-t-on à éclairer un peu la route que doivent prendre nos nations, leur morale en même temps que leur économie (p 101).
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Voilà donc ce que l'on trouverait au bout de ces recherches. Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leur rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre. Pour commencer, il fallut d'abord savoir poser les lances. C'est alors qu'on a réussi à échanger les biens et les personnes, non plus seulement de clans à clans, mais de tribus à tribus et de nations à nations et - surtout - d'individus à individus. C'est seulement ensuite que les gens ont su se créer, se satisfaire mutuellement des intérêts, et enfin, les défendre sans avoir à recourir aux armes. C'est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su - et c'est ainsi que demain, dans notre monde dit civilisé, les classes et les nations et aussi les individus, doivent savoir - s'opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres. C'est là un des secrets permanents de leur sagesse et de leur solidarité.
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Une partie considérable de notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère du don, de l’obligation et de la liberté mêlés. Heureusement, tout n’est pas encore classés exclusivement en termes d’achat et de vente. Les choses ont encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale, si tant est qu’il y ait des valeurs qui soient seulement de ce genre. Nous n’avons pas qu’une morale de marchands. Il nous reste des gens et des classes qui ont encore les moeurs d’autrefois et nous nous y plions presque tous, au moins à certaines époques de l’année ou à certaines occasions.
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Ce qu'ils échangent n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des foires, dont le marché n'est qu'un des moments, et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes du contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent.
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L'effort conceptuel de Mauss tend à présenter les politiques sociales alors en cours de construction non pas comme des dons faits aux pauvres, mais comme des contre-dons rendus aux travailleurs en échange du don initial qu'ils ont fait de leur travail et dont le salaire ne représente pas un contre-don suffisant. Ni les patrons ni la société, dit Mauss, ne sont "quittes" envers eux après le versement du salaire. On parlerait aujourd'hui d'incomplétude du contrat de travail.
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Ce sont justement les Romains et les Grecs qui, peut-être à la suite des Sémites du Nord et de l'Ouest, ont inventé la distinction des droits personnels et des droits réels, séparé la vente du don et de l'échange, isolé l'obligation morale, et surtout conçu la différence qu'il y a entre des rites, des droits et des intérêts.
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