Essais sur Heidegger et autres écrits

Il faut lire, absolument, de la philosophie analytique, ne serait-ce que pour se rendre compte de l'extraordinaire démission des éditeurs (en l'occurrence, ici, universitaires) et des directeurs de collection pour diffuser ce genre d'ouvrages sans préface, sans présentation, sans commentaires, pire, accompagné d'une promesse d'agrément...

Vous serez émerveillés des contradictions systématiques qu'ils contiennent et dont l'introduction à ce texte est un modèle. L'intention de ces auteurs est toujours la même : enterrer Descartes, faire l'apologie de l'empirisme, c'est-à-dire de la destruction de la pensée (plus exactement, poser l'inexistence de la pensée), ce qui mène au naturalisme (l'homme est un animal, et sans doute pas le plus fin), et se justifie par le même recours : la logique. La logique est cet outil formidable qui vous permet d'asséner ce qui est vrai et ce qui est faux, sans avoir besoin de le justifier ; et donc, de décréter qu'en prônant des thèses arbitraires (car jamais justifiées) et subjectives (car non mises en contradiction ni en perspectives), donc par le seul exercice de la volonté (puisque la nécessité est toujours absente de ces travaux), on s'inscrit dans des théories naturelles de l'évolution. Penser pour nier la pensée, se poser des questions pour ruiner la philosophie, défendre avec intention des théories naturalistes, discréditer la pensée théorique pour poser des téléologies : c'est le programme de la philosophie analytique. A la fin, c'est toujours pareil : dormez tranquilles braves gens, l'univers tourne parfaitement rond, vaquez à vos occupations et ne vous occupez de rien, des forces plus puissantes en lesquelles vous pouvez avoir toute confiance prennent déjà tout en charge.

Ici, dans l'introduction, la trouvaille est de "naturaliser" Nietzsche, Derrida et Heidegger américains car héritiers (pour Nietzsche) et proches (pour les deux autres) de la pensée pragmatique américaine (qui cumule logique et naturalisme). Ce postulat de départ permet ensuite de suggérer un peu de modernité pour "dépoussiérer" le "vase à mouches" dans lequel nous sommes (c'est écrit textuellement) et, devinez qui l'on convoque pour moderniser la philosophie contemporaine américaine ? Darwin bien sûr, le biologiste britannique du XIXème siècle. Ainsi, tout en refusant la validité des philosophies de l'histoire, en insistant sur la nécessité de contextualiser les pensée et de différencier les domaines de connaissances, Rorty pose, sans en douter, la validité sempiternelle des théories darwiniennes pour y greffer la philosophie. La visée est simple, elle suit la vérité, l'unique, la vraie, logique : "forger les outils que réclame la survie de l'espèce, sa multiplication et sa transformation" (p.5). Nous sommes, on le constate, en plein dans l'empirisme.

La quatrième de couverture annonce : "Rorty aborde avec une liberté peu commune les principaux sujets de discussion, voire de division, qui caractérisent la philosophie des dernières décennies. Il le fait avec la distance et la faculté de discernement de ceux qui ont résolu de ne pas épouser les clivages rigides qui guettent aujourd'hui le philosophe". L'euphémisme est subtile...