Le misérabilisme régnant dans les cercles révolutionnaires est une vraie plaie. Non seulement l’attitude qui consiste à attendre tel ou tel moment conduit souvent à l’abandon et à la dépression, mais elle nous bouffe aussi peu à peu la vie. En attendant des temps meilleurs, on se contente de nourriture insipide, de logements insalubres, on se perd en petits compromis avec des propriétaires, des fonctionnaires, des patrons.
Et au fur et à mesure, ces petits compromis en deviennent des grands, une espèce d’attitude face à la vie. On s’efforce de se convaincre que les «années folles de notre jeunesse » étaient une rébellion sans contenu ; on s’adapte ; la pression du milieu est trop grande et la révolte paraît trop exigeante. Les désirs indomptables, la joie de la révolte font place à la logique de gains et de pertes, de résultats et de rapports de force réalistes, de calculs. On oublie que la joie est dans l’agir même.
Libertad était de ces anarchistes qui n’économisaient pas leurs flèches. Il ne visait pas seulement les maîtres, mais pointait aussi la résignation des esclaves, la soumission du prolétariat, et les faux critiques qui prêchent la Révolution de demain en échange de l’attente et de l’acceptation de la misère d’aujourd’hui. Il était un caillou dans les chaussures des juges et des riches, contre lesquels il fulminait sans merci, mais aussi des foules qui ont une fâcheuse tendance à toujours suivre. Tirer sur les bergers ne l’empêchait pas de jeter à la face du troupeau la responsabilité de l’existence moutonnière. (Introduction)
Libertad ne s’est jamais efforcé de séduire ou de charmer les masses. Au contraire, il maniait le fouet pour fustiger leur résignation, leur collaboration avec la domination. (Introduction)