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EAN : 9782072854163
32 pages
Gallimard (21/03/2019)
3.82/5   11 notes
Résumé :
"On attendait d'énergiques initiatives, des changements effectifs, de vrais événements. Ils ne se sont pas produits. Cinq décennies ont passé en vain, à vide, apparemment. Et puis ce qui aurait dû être et demeurait latent, absent fait irruption dans la durée". Pierre Bergounioux entreprend ici de saisir les origines et la signification du soulèvement social que la France a vécu ces derniers mois. Il enracine sa réflexion dans l'histoire des nations et des idées occi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le livre de Pierre Bergounioux, cette figure littéraire que je place au statut d'intellectuel complet et authentique plus que d'écrivain, m'a fait penser à une phrase : « Depuis que la France rayonne, je me demande comment le monde entier n'est pas mort d'insolation ». Cette formule de Jean-François Revel, dont je n'apprécie que momentanément l'humour, sonne assez bien avec ce petit livre d'une vingtaine de pages.


Il part d'une citation du sociologue Max Weber tiré de son essai sur « L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme » paru en 1903: « à quels enchaînements de circonstances on doit imputer l'apparition, dans la civilisation occidentale et uniquement dans celle-ci, de phénomènes qui ont revêtu une signification universelle. »
Pierre Bergounioux, à partir d'une démarche proche du sociologue de Weimar, mais sous la contrainte des 28 pages, tente de chercher dans l'histoire des civilisations et dans les moments fondateurs de l'histoire de France, ce qui a provoqué l'émergence du mouvement des gilets jaunes. Cette partie importante du peuple français qui croit et se bat, toujours et encore, pour l'égalité.


La révolte des gilets jaunes est-il un symptôme d'une société rongée par les inégalités (depuis au moins cent ans avec en arrière fond un capitalisme florissant) ou les conséquences des « enchaînements de circonstances », cycle d'évènements qui se répète ? Pierre Bergounioux ne répond pas vraiment à cette question. Mais il est légitimite de la poser. En revanche, pour lui, l'histoire du XXIème siècle tarde à commencer.


Les gilets jaunes n'ont pas encore pris la forme d'une « Conjuration des Egaux » dont le manifeste rédigé par Sylvain Maréchal (en 1796) est d'une criante actualité. Peut-être que l'éditeur aurait-il dû laisser une place, en annexe de l'ouvrage de Pierre Bergounioux, pour rendre hommage à ce manifeste. Je me permets donc de finir ce propos sur quelques extraits …



« PEUPLE DE FRANCE !
Pendant quinze siècles tu as vécu esclave, et par conséquent malheureux. Depuis six années tu respires à peine, dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité.
L'Egalité ! Premier voeu de la nature, premier besoin de l'Homme, et principal noeud de toute association légitime ! Peuple de France ! Tu n'as pas été plus favorisé que les autres nations qui végètent sur ce globe infortuné !... Toujours et partout la pauvre espèce humaine livrée à des anthropophages plus ou moins adroits, servit de jouet à toutes les ambitions, de pâture à toutes les tyrannies. Toujours et partout, on berça les hommes de belles paroles : jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le mot. de temps immémorial on nous répète avec hypocrisie, les hommes sont égaux, et de temps immémorial la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est sans contradiction reconnu, mais n'a pu encore se réaliser une seule fois : l'égalité ne fut autre chose qu'une belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est réclamée d'une voix plus forte, on nous répond : Taisez-vous misérables ! L'égalité de fait n'est qu'une chimère ; contentez-vous de l'égalité conditionnelle ; vous êtes tous égaux devant la loi. Canaille que te faut-il de plus ? Ce qu'il nous faut de plus? Législateurs, gouvernants, riches propriétaires, écoutez à votre tour.
Nous sommes tous égaux, n'est-ce pas ? Ce principe demeure incontesté, parce qu'à moins d'être atteint de folie on ne saurait dire sérieusement qu'il fait nuit quand il fait jour.
Eh bien ! Nous prétendons désormais vivre et mourir égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l'égalité réelle ou la mort ; voilà ce qu'il nous faut.
Et nous l'aurons cette égalité réelle, à n'importe quel prix. Malheur à qui ferait résistance à un voeu aussi prononcé !
La révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière.
Le peuple a marché sur le corps aux rois et aux prêtres coalisés contre lui : il en fera de même aux nouveaux tyrans, aux nouveaux tartuffes politiques assis à la place des anciens.
Ce qu'il nous faut de plus que l'égalité des droits ?
Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le faut, tous les arts pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle !
Législateurs et gouvernants qui n'avez pas plus de génie que de bonne foi, propriétaires riches et sans entrailles, en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise en disant : Ils ne font que reproduire cette loi agraire demandée plus d'une fois déjà avant eux.
Calomniateurs, taisez-vous à votre tour, et, dans le silence de la confusion, écoutez nos prétentions dictées par la nature et basées sur la justice. (…)
Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir de l'extrême minorité.
Assez et trop longtemps moins d'un million d'individus dispose de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leur égaux.
Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvre, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés.
Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que celles de l'âge et du sexe. Puisque tous ont les mêmes besoins et les mêmes facultés, qu'il n'y ait donc plus pour eux qu'une seule éducation, une seule nourriture. Ils se contentent d'un seul soleil et d'un même air pour tous : pourquoi la même portion et la même qualité d'aliments ne suffiraient-elles pas à chacun d'eux ?
Mais déjà les ennemis d'un ordre des choses le plus naturel qu'on puisse imaginer, déclament contre nous.
Désorganisateurs et factieux, nous disent-ils, vous ne voulez que des massacres et du butin.
PEUPLE DE FRANCE !
Nous ne perdrons pas notre temps à leur répondre, mais nous te dirons : la sainte entreprise que nous organisons n'a d'autre but que de mettre un terme aux dissensions civiles et à la misère publique.
Jamais plus vaste dessein n'a été conçu et mis à exécution. de loin en loin quelques hommes de génie, quelques sages, en ont parlé d'une voix basse et tremblante. Aucun d'eux n'a eu le courage de dire la vérité tout entière.
Le moment des grandes mesures est arrivé. le mal est à son comble ; il couvre la face de la terre. le chaos, sous le nom de politique, y règne depuis trop de siècles. Que tout rentre dans l'ordre et reprenne sa place. (…)
PEUPLE DE FRANCE !
La plus pure de toutes les gloires t'était donc réservée ! Oui, c'est toi qui le premier dois offrir au monde ce touchant spectacle.
D'anciennes habitudes, d'antiques préventions voudront de nouveau faire obstacle à l'établissement de la République des Egaux. L'organisation de l'égalité réelle, la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être point d'abord à tout le monde.
L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. Ceux qui possèdent injustement crieront à l'injustice. Les jouissances exclusives, les plaisirs solitaires, les aisances personnelles causeront de vifs regrets à quelques individus blasés sur les peines d'autrui. Les amants du pouvoir absolu, les vils suppôts de l'autorité arbitraire ploieront avec peine leurs chefs superbes sous le niveau de l'égalité réelle. Leur vue courte pénétrera difficilement dans le prochain avenir du bonheur commun ; mais que peuvent quelques milliers de mécontents contre une masse d'hommes tous heureux et surpris d'avoir cherché si longtemps une félicité qu'ils avaient sous la main ? (…)
PEUPLE DE FRANCE !
A quel signe dois-tu donc reconnaître désormais l'excellence d'une constitution ? ...Celle qui tout entière repose sur l'égalité de fait est la seule qui puisse te convenir et satisfaire à tous tes voeux.
Les chartes aristocratiques de 1791 et de 1795 rivaient tes fers au lieu de les briser. Celle de 1793 était un grand pas de fait vers l'égalité réelle ; on n'en avait pas encore approché de si près ; mais elle ne touchait pas encore le but et n'abordait point le bonheur commun, dont pourtant elle consacrait solennellement le grand principe. »

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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Un dernier trait distingue le mouvement actuel de tous les autres, y compris celui de l'automne 1995 : ce sont les moyens de communication.
[...]
La pensée semblait condamnée à la roue des réincarnations. Lorsqu'elle quittait l'esprit, le corps indissolublement lié d'un homme auquel, peut-être, elle survivrait, il lui fallait entamer une nouvelle carrière sous l'un des trois règnes, minéral, végétal, animal.
La révolution numérique a brisé le karma. La "substance du signifiant", pour reprendre la terminologie du linguiste danois Louis Hjelmslev, s'est volatilisée.
La pensée a dépouillé ses enveloppes matérielles pour chevaucher les électrons.

(page 28)
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Dans son rapport sur la situation politique de la République prononcé le 27 brumaire an II devant les Citoyens Représentants du Peuple, Robespierre déplore la faiblesse des moyens de communication qui a déjà troublé, on l'a dit, la vie domestique à Königsberg :
"Ce n'est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l'univers, pour les hommes qui vivent aujourd'hui, mais pour tout ceux qui existeront...
Plût au ciel que ces vérités salutaires, au lieu d'être enfermées dans cette étroite enceinte, pussent retentir en même temps à l'oreille de tous les peuples !
Au même instant, les flambeaux de la guerre seraient étouffé, les prestiges de l'imposture disparaîtraient, les chaînes de l'univers seraient brisées, mes sources des calamités publiques taries, tous les peuples ne formeraient plus qu'un peuple de frères, et vous auriez autant d'amis qu'il existe d'hommes sur la terre."

(page 24)
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La population française ne représente plus aujourd’hui qu’un pour cent de l’humanité. Ce centième, s’il diffère un peu du restant, c’est peut-être pour avoir contribué à donner corps, en son temps, au rêve égalitaire qui avait germé dans les latomies d’Athènes et les casernes d’esclaves de Rome.
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Quel rapport entre ces commotions énormes, ces désastres successifs, deux guerres mondiales, fratricides, suicidaires, l’autodestruction du socialisme réel, le déclin de l’Europe et puis la floraison de gilets de détresse sur les ronds-points de notre pays ?
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On réclame le maintien des services publics, des hôpitaux, des écoles, des bureaux de poste et des tribunaux, des 90 km/h. sur les routes secondaires, du prix de l’essence. Un mot revient souvent, qu’on n’avait guère entendu, jusqu’ici, celui de dignité.
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Vidéo de Pierre Bergounioux
Cette semaine, Augustin Trapenard est allé à la rencontre de Pierre Bergounioux à l'occasion de la sortie en poche de son livre "Le Matin des origines" aux éditions Verdier. Ce merveilleux ouvrage célèbre l'ancrage profond dans ses racines, dans les terres du Quercy entre Lot et Corrèze, où l'auteur a grandi, dans la chaleur de la maison rose et au sein des paysages qui ont façonné son être. Ces souvenirs, imprégnés dans sa mémoire, représentent une part essentielle de son identité qui demeure là-bas. À travers ces pages, Pierre Bergounioux évoque avec justesse le lien puissant que la terre tisse avec nos souvenirs et nos émotions, révélant ainsi le pouvoir des lieux familiers pour donner du sens à notre passé et à nos moments les plus heureux. Il était donc évident qu'Augustin Trapenard se déplace au coeur de cette histoire, sur les contreforts du plateau des Millevaches, dans sa maison de Corrèze pour un retour aux origines de la vie et de l'écriture.
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