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René Patris d'Uckermann (Traducteur)Benoît Virot (Auteur de la postface, du colophon, etc.) Rémi (Illustrateur)
EAN : 9782917084007
352 pages
Attila (01/03/2007)
3.9/5   36 notes
Résumé :

GOG est le défilé des artistes, des inventeurs et des ingénieurs les plus originaux de leur temps, qu'un milliardaire excentrique et cosmopolite fou "collectionne" pour tromper son ennui.

La "musique du silence", la "sculpture invisible", la "chirurgie morale", la vente aux enchères de la république, une collection de coeurs d'animaux vivants.

Tout, dans cette civilisation régie par le nombre et par le progrès, finissant p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Illustrations de Rémi.

La quatrième de couverture nous met en garde : « N'achetez pas ce livre, vous le regretteriez. » Et si nous ne le regrettons pas, nous pouvons sans aucun doute douter de la bonté humaine.
Gog est un milliardaire excentrique convaincu de la médiocrité des hommes dans tous les domaines. Art, pensée, sentiment, idée, artisanat, tout lui est sujet de dégoût. Gogo voyage beaucoup et rencontre tout ce que le monde compte d'hommes illustres : Gandhi, Henry Ford, Lénine, H. G. Wells, Freud, Einstein et bien d'autres, en dépit de leurs mérites et de leur talent, aucun d'eux ne trouve grâce aux yeux du richissime misanthrope qui se pique de mécénat, mais à qui rien ne convient. « Je ne veux vraiment pas jeter mes dollars par la fenêtre. » (p. 25)

Gog est un atrabilaire amoureux de sa personne exclusive. le reste du monde l'ennuie et l'agace. Gog honnit tout ce qui n'est pas lui et son égo le pousse à haïr l'humanité tout entière. « Pour moi qui déteste les hommes en général, le simple aspect d'un anthropophage est réconfortant. » (p. 60) Cynique, sadique, machiavélique et mégalomaniaque, le milliardaire est également puissamment convaincu de ses droits et de sa supériorité. « Il y a trois semaines, avec ma Packard, j'ai embouti une vieille femme, et comme sa famille réclamait une indemnité effrontément disproportionnée à la perte – on sait bien quel est le prix moyen des femmes –, j'ai dû faire appel à un bon avocat pour me défendre contre ces exploiteurs de cadavres. » (p. 77) Charmant personnage, n'est-ce pas ? Bien qu'il rencontre des hommes aussi excentriques, aussi marginaux et aussi fous que lui, Gog ne reconnaît en aucun d'eux un égal et se mûre dans une solitude farouche et haineuse. « L'instinct de l'assassinat m'a toujours hanté puissamment depuis ma prime adolescence. » (p. 266)

Mais Gog n'est pas heureux. « Il est incroyable qu'un homme comme moi, pourvu de milliards et dépourvu de scrupules, puisse s'ennuyer. » (p. 103) Blaise Pascal disait qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Et Gog mesure l'atroce limite de sa richesse puisque celle-ci ne peut lui offrir d'amusement suffisant pour le sortir de sa torpeur, de son ennui et de son dégoût de la vie. Par certains aspects, cet insupportable héros m'a rappelé Des Esseintes, le personnage de Huysmans dans À rebours. Il accumule les collections les plus grotesques et tente les expériences les plus loufoques, mais rien ne le distrait jamais.

Les chapitres sont très courts, illustrés d'une miniature liminaire. Les pages sont encadrées d'un liseré noir qui leur donne un air de chronique. le lieu et la date de chaque chapitre sont clairs, mais le journal n'est pas chronologique. Ce labyrinthe de récits est assez déconcertant et impossible à situer. Je conseille ce texte à ceux que le monde navre sans cesse et qui ne croient pas en l'existence des qualités humaines. Les utopistes et les bienveillants feraient bien de se tenir loin de cet ouvrage à l'humour ravageur. Pour ma part, si j'ai apprécié le cynisme, j'ai fini par être lassée par l'accumulation. Et la dernière page m'a vraiment déçue. Envie de dire « Tout ça pour ça ? » Mais j'en connais à qui ce roman plairait !
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Mon très cher Giovanni !

Cessons de nous voiler la face. Je veux que les choses soient claires entre nous. Vous êtes Gog, et lorsque vous vous dédommagiez de vos propos, en prétextant rapporter le récit d'un milliardaire fou enfermé au coeur d'un asile, en réalité, vous exposiez vos théories les plus provocantes aux oreilles de ceux qui avaient le bon goût de ne pas en penser un mot.

Maintenant que vous n'avez plus de secret à me dissimuler, parlons-nous en toute franchise. Quelle chance, pour vous, que vous soyez mort en 1956 ! Si vous aviez été contraint de vivre jusqu'à présent, auriez-vous résisté à tous les nouveaux déchaînements de misanthropie que vous aurait inspirée la déchéance de nos années modernes ? Mais quel malheur, pour nous, que vous n'ayez pas survécu jusqu'à présent ! Combien de nouveaux Gog auriez-vous dû inventer pour vous justifier de toute la haine légitime que vous auriez ressentie à l'égard de ces six dernières décennies ?

Mais je dois vous confier un secret…
Usant de tous les progrès techniques qui ont précipité peu à peu notre monde dans sa déchéance actuelle, j'ai trouvé le moyen de vous ressusciter. J'ai mûrement réfléchi à cet acte, et j'ai compris qu'il était nécessaire de vous faire revenir à la vie. Je vous l'avoue, j'ai été contraint d'utiliser l'arme que vous avez la plus violement condamnée –la science- pour que vous reveniez enfin parmi nous, et que vous parveniez, grâce à ma protection et à mon influence, à l'éradiquer totalement de notre planète.

Vous ne le saviez sans doute pas, mais les prochaines élections présidentielles se tiendront l'an prochain. Nous avons peu de temps, mais si nous travaillons de manière efficace, nous réussirons à nous imposer sur la scène politique, à faire valoir vos paroles, à dérouler vos promesses et à accéder au palais présidentiel. Vous pourrez enfin réaliser tous les projets que vous aviez esquissés dans votre livre, le bien-nommé Gog.

Sous votre règne, la culture deviendra enfin un espace privilégié pour la découverte d'artistes que la décence avait tus jusqu'à présent. Nous lirons des poèmes dont chaque mot appartient à une langue différente, nous nous pâmerons d'extase aux sons des concerts silencieux, les sculptures n'envahiront plus le paysage et disparaîtront sitôt achevées, et, surtout, nous brûlerons tous ces vieux ouvrages réputés de littérature, tout juste bons à rendre fous leurs lecteurs décérébrés !

Au feu les anciennes moeurs héritées de nos aïeux consanguins ! Nous cesserons d'irriter le regard des autres en leur imposant nos figures, et nous cacherons nos visages sous une panoplie de masques adaptés à notre humeur. Une envie de chair humaine ? Pourquoi s'en priver ? Sous prétexte que les autres méritent de vivre autant que nous, devrions-nous nous priver du plaisir de les achever à la hache pour nous repaître de leur chair ? Tout ceci appartenait aux bonnes manières du passé ! Heureusement, grâce à vous, ces préjugés d'un autre siècle s'effaceront d'un coup de fouet ! Les cannibales ne craindront plus de se laisser aller à leurs envies, et les procès aux innocents, que vous organiserez chaque semaine, condamneront au contraire ceux qui n'auront pas su se laisser aller à leurs instincts les plus fondamentaux.

Et puisque plus rien, sur Terre, des distractions que nous avons connues, ne semblait encore vous réjouir, nous détruirons toutes ces villes qui ont abrité les plus infâmes depuis que l'homme a eu cette ridicule idée de se terrer dans des trous à rats, espérant par le moyen de l'enfermement physique s'enrichir spirituellement. Nous avons bien compris, depuis le temps, que tel n'était pas le cas. Nous détruirons tout ! Et, fidèles à vos idées, nous reconstruirons des villes bâties comme des oeuvres d'art, nous érigerons des monuments gigantesques qui iront jusqu'à percer ce ciel que vous détestez, nous irons faire vaciller les anciens Dieux pour laisser place au culte de l'Egôlatrie, et nous reformerons les montagnes, construirons de nouvelles terres et de nouvelles mers que nous teindrons de toutes les couleurs !

Je ne vous laisse pas la possibilité d'accepter ou de refuser mon offre.
Il faut que vous me souteniez, et si vous ne désirez pas paraître aux yeux de notre population, aidez-moi au moins à construire mes discours, à développer mes argumentaires, à convaincre le peuple que vous aviez raison ! Pour votre dernière expérience, vous avez, en ma personne, l'incarnation matérielle de Gog. Je me soumets entièrement à vous. Insufflez-moi vos idées, dictez ma conduite et conduisez mes pas, cela m'est égal, tant que nous parvenons à faire de vos théories une réalité !

Bien à vous,

Votre futur Gog
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"Je suis honteux de dire où j'ai connu Gog : c'est dans une maison de fous."

Giovanni Papini fait bien de nous prévenir... libre à chacun ensuite de poursuivre le récit qu'il entame de cette manière. Sauf qu'après, faudra pas venir se plaindre !

Gog, la cinquantaine effrayante, pas un poil sur le corps - qu'il a gigantesque - et une déraison venue sur le tard, après la richesse accumulée rapidement et impossible à estimer, après les voyages à travers le monde, après l'usage abusif de toutes drogues imaginables. "Il faudra penser au dangereux assemblage qui était en lui : un demi-sauvage inquiet ayant à ses ordres les richesses d'un empereur, et un descendant de cannibales qui s'était emparé, sans perdre sa rudesse, du plus effroyable instrument de création et de destruction dont dispose le monde moderne."

Vous voulez plonger avec lui ? Comme Papini, je préviens, je refuse toutes responsabilités dans les desagréments de l'âme que provoquera cette lecture !

Gog, donc, est un être pervers et cynique, ayant dans ses mains suffisement de richesses pour s'acheter le monde, littéralement. Et c'est ce qu'il va s'employer à faire. Peu enclin à l'humanisme et au respect de ses valeurs, mais fortement impressioné par toutes les gesticulations de ses contemporains dès lors qu'ils parlent d'Arts, Gog tente de palier à son inculture ; en littérature d'abord, mais son jugement, après avoir consacré quelques mois à la lecture des chefs d'oeuvres fondateurs, est sans appel : "il est très probable que, d'ici un siècle, personne ne se consacrera plus à une industrie aussi arriérée et d'un aussi maigre rapport."
La musique ? même conclusion. le théâtre ? l'Architecture ? non, décidemment, rien ne trouve grâce à ses yeux... Alors, pour essayer d'y voir un peu plus clair, il va de rencontres en rencontres : Gandhi, Einstein, Henry Ford, dont la définition du travail à la chaine fait froid dans le dos, et rire à gorge déployé (en fait...), et ce moment où l'on apprend de la bouche de Freud lui-même qu'en réalité il n'est qu'un vieux frustré... qu'il n'avait que seule ambition de devenir écrivain.

Mais ces rencontres, qu'il décrit avec entrain, le laissent tout aussi démuni qu'au premier jour. C'est que fondamentalement, Gog n'a qu'un seul problème : il s'ennuie. Et rien ne le diverti de cet ennui. Et aucune de ses immenses richesses ne peuvent acheter un semblant d'âme. Voilà le problème de Gog, il n'est qu'une carcasse vide. Desoeuvré, totalement. Et conscient de ce désoeuvrement.

Alors, il tente de s'entourer ; va proposer un poste de secrétaire particulier, histoire d'avoir une compagnie divertissante. Il ira même jusqu'à louer les services d'un cannibale. Enfin, un peu de rêve et de sang ! Mais non, même pas. Il se résout à congédier ce cannibale, qui s'est repenti en vieillissant. Un cannibale molissant, quel intêret quand on recherche le frisson et le franchissement des barrières morales qui pourrait lui donner l'impression d'exister un peu ?

"Le vieux Nsoumbou, que j'ai pris pour me tenir compagnie, est trop mélancolique. Je ne croyais pas qu'un nègre pût, à ce point, se laisser vaincre par les remords. A force de repentir, il devient insupportable."
"Je crains que Nsoumbou ne soit retombé en enfance par l'effet de l'âge. Au plus grand étonnement de mon cuisinier, il ne mange désormais que des légumes et des fruits. La civilisation me l'a gâté ; elle l'a fait devenir humanitaire et végétarien. Je crois que je serai obligé de le congédier, au premier port où nous ferons escale."

Cynique, Gog ? Même pas. Pas vraiment. Pas plus que la société qu'il traverse et décrit. Inhumain ? oui sans doute, avec un haussement d'épaule... qui s'en soucie ?

Ce roman, écrit en 1931 par Giovanni Papini, et réédité par la (magistrale) maison d'édition Attila connait un sort particulier. Est-ce dû à la vie et la réputation sulfureuses de son auteur ? Sans doute. Papini a été de tous les retournements de veste, et rarement du bon côté... Et son ode au dictateur italien n'est sans doute pas étrangère à sa mise au ban de la littérature pendant plusieurs décénies.

Encore un qui démontre avec brio que l'on peut être une personne abject et un romancier qui frôle le génie !
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En 4ème de couverture, on trouve des références à Ubu, Maldoror, Fantômas ou Maravagine. Quel est le rapport avec Gog ? Aucun. Si on veut à tout prix trouver des équivalences, il faut les chercher du côté de "La Nef des fous", Borges ou Calvino.

Dans la préface, l'auteur nous avertit. Alors qu'il rendait visite à un ami dans un asile psychiatrique, il fait la connaissance d'un patient qui lui fait lire un espèce de journal qu'il aurait écrit. C'est ce dernier qui est reproduit dans la suite du livre.

Gog serait extra-riche. Sa fortune lui permettant d'aller et rencontrer qui il veut. Alors, il ne se prive pas de voyager dans le monde entier, d'engloutir des fortunes pour des projets démesurés. Rendre visite à des célébrités (Gandhi, Einstein, Freud, HG Wells, GB Shaw, Knut Hamsum, ...), rencontrer des excentriques en mal de subventions, visiter des lieux imaginaires ou créer des collections improbables. C'est le compte-rendu de chacune de ces rencontres qui constitue ce journal.

Gog est misanthrope mais qui ne le serait pas après avoir rencontré cette foule de charlatans. Gog est déprimé, on le serait à moins, si toute son existence, on ne cherche qu'à trouver un sens à sa vie et un moyen pour dépenser sa fortune. Il lui suffirait tout simplement de vivre.

A lire et à relire
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Non, vous ne lisez pas 666 sur la couverture de ce livre mais GOG, le nom de son narrateur. Il partage avec le nombre de la Bête un côté terrifiant et ultime. Gog est un milliardaire. Il a tout vu, voyagé dans tous les pays d'un monde qui pourrait lui appartenir en entier. Malgré les diverses opportunités, il n'a hélas jamais réussi à combler son ennui, son manque d'attrait pour l'humanité en général. « La terre est une boule d'excréments desséchés et d'urine verte. Et point d'occupations convenables et dignes, pour qui se sent les appétits et les fantaisies d'un titan ». Gog, le livre, est une longue suite de textes très courts relatant des expériences et rencontres faites par Gog, le blasé absolu. Einstein, Freud, Edison, Hamsun, Ford, des scientifiques, des savants fous, des illuminés, tous le rencontrent et lui livrent leurs idées les plus profondes, mais rien ne vient à bout de son ennui et de son pessimisme. Alors Gog prend les devants! Désespéré par l'humain, il va redonner sa place à la nature : il rachète rue par rue un quartier de New York et reconstruit à sa place une forêt vierge luxuriante ! Il crée aussi des collections, par exemple : les géants. Il fait chercher à travers le monde les plus grands spécimens humains et les réunit dans une prairie de Louisiane, où ils finissent par devenir fous car ils ne sont plus admirés par personne, évoluant uniquement entre géants... Puis il collectionnera les sosies, puis des coeurs de cochons maintenus en vie par des scientifiques fous... Autant d'incongruités et de folies qui ne feront pas pour autant de lui l'homme épanoui qu'il pourrait être... Ce texte fou parut en 1932. Il est grand temps de le relire aujourd'hui, détaché de la réputation sulfureuse de son auteur qui prit parti pour Mussolini, et qui aurait mieux fait de nous donner beaucoup d'autres textes aussi jouissifs !
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
La religion nouvelle et définitive que je propose aux hommes est l’Égolâtrie. Chacun s’adorera soi-même, chacun aura son Dieu personnel : soi-même. La Réforme protestante se flattait de faire de tout homme un prêtre : plus d’intermédiaire entre la créature et le Créateur ! Moi, je fais un pas en avant : plus d’intermédiaire entre l’adorateur et l’adoré. Chacun est à soi-même son Dieu.

On combine de cette façon les avantages du polythéisme et ceux du monothéisme. Chaque homme aura un seul Dieu, mails y aura autant de Dieux que d’hommes. Et les scissions ne seront pas à craindre parce que les égolâtres, tout en étant d’accord sur le principe fondamental de la nouvelle religion, ne tomberont jamais, et pour des raisons évidentes, dans la folie d’adorer un Dieu étranger, c’est-à-dire un autre être, leur semblable.

Cette religion est à la fois l’aboutissement suprême de l’idéalisme allemand et celui de la civilisation la plus moderne. Quand Fichte, montant un jour dans sa chaire, annonça à ses auditeurs : « Aujourd’hui, nous allons créer Dieu », l’Égolâtrie était virtuellement fondée. Si Dieu est une création de notre activité matérielle ou morale, c’est-à-dire si c’est l’esprit humain qui le fabrique, pourquoi adorer Dieu comme s’il existait vraiment en dehors de nous et ne pas adorer plutôt son créateur, c’est-à-dire l’homme ? Si l’homme est le père de Dieu, si Dieu n’existe pas, sauf dans l’esprit humain, en adorant l’homme, nous adorons le vrai Dieu, un Dieu absolu, un Dieu qui n’est plus l’inconnu. Pourtant, on ne peut pas adorer l’homme en général. La Menschheit est une abstraction, un flatus vocis : l’homme authentique se réalise dans l’individu concret, c’est-à-dire en chacun de nous.

La civilisation moderne, qui a détruit peu à peu les restes de la fantasmagorie transcendantale, a commencé, sans s’en rendre compte, à pratiquer l’Égolâtrie. Le Sport est l’adoration du corps ; le culte de la Science, une façon de s’arroger l’omniscience attribuée à Dieu, et le culte de la machine, de suppléer à l’omnipotence de Dieu. Ce qui semblait réservé à l’Être Parfait devient peu à peu une prérogative commune à tous les mortels.

Je vous dirais en confidence que l’Égolâtrie est déjà pratiquée, inconsciemment, par la majeure partie de l’humanité. Il ne s’agit plus que de lui donner un nom, un credo, et une conscience. (pp. 82-83)
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Il fut un temps, à ce qu’on raconte, où les vieux commandaient. Monopole du culte et du pouvoir, gérontocratie. Aujourd’hui, nous sommes en pleine pédocratie. En tout, dominent les blancs-becs. Ce sont eux qui donnent à la civilisation sa couleur et sa direction. Nous sommes entre les mains de mineurs.

Il suffit de regarder autour de soi : les goûts de l’enfance sont devenus ceux de la plupart des gens. Voyez, pour commencer, le domaine littéraire : le livre le plus en vogue de ces derniers temps, en France, est Le Diable au corps de Radiguet, écrit par un adolescent, et, en Angleterre, The Young Visiters de Daisy Ashford, composé par une fillette de neuf ans.

Comment expliquer que le genre littéraire aujourd’hui le plus abondant et le plus productif soit le roman, dont, pendant tant de siècles, le monde s’est fort bien passé ? C’est que les hommes sont redevenus enfants et qu’ils veulent entendre raconter des histoires. Entre les contes de nos grand-mères et les romans de Branch Cabell ou de Garnett, par exemple, il n’existe, au fond, qu’une différence de nom. Le surréalisme et le dadaïsme n’ont-ils pas remis en honneur l’incohérent bégaiement de la prime jeunesse ?

En peinture, les plus modernes dessinent comme des enfants ; ils en sont revenus au synthétisme ingénu et bouffon d’une figuration que l’on ne trouvait auparavant que sur des cahiers d’écoliers ou sur les murs des latrines. Le douanier Rousseau, si prisé maintenant, est un homme qui imagine et colorie à la manière d’un gosse de dix ou douze ans.

Même bouleversement dans la façon de se distraire. Les Grecs de l’Antiquité cherchaient leur plaisir dans l’art tragique, qui exigeait, pour être goûté, de la réflexion et de la culture. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les gamins, mais aussi les hommes et les femmes de tous âges qui se précipitent au cinéma – lequel, en somme, n’est autre chose qu’un perfectionnement de la vieille lanterne magique, délice des bambins de jadis.

Aucun effort intellectuel n’est exigé des amateurs de films et, ce qui est le propre de l’adulte, l’intelligence, se trouve mise de côté. Tous les amusements aujourd’hui populaires sont plus visuels que spirituels ; c’est dire qu’ils sont enfantins. (pp. 184-185)
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J’ai essayé l’opium : il me rend idiot ; tous les alcools : ils me transforment en un fou répugnant ; la cocaïne : elle abrutit et abrège la vie. Le haschisch et l’éther sont bons pour les petits décadents attardés. La danse est un abêtissement qui fait suer. Le jeu, dès que j’ai perdu deux ou trois millions, me dégoûte : une émotion trop commune et trop coûteuse. Dans les music-halls, on ne voit que les habituels pelotons de girls toutes peintes, toutes déshabillées, toutes odieuses, toutes pareilles. Le cinéma est un opprobre réservé aux classes populaires.
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[…] Le christianisme, d’après le peu que j’en connais, m’épouvante. Je suis prêt à reconnaître que c’est le plus parfait et le plus sublime des cultes, mais, par malheur, il contrarie et condamne tous mes instincts les plus enracinés. Je déteste les hommes, et le Christianisme m’impose de les aimer ; je supporte difficilement mes amis, et le Christianisme m’oblige d’embrasser mes ennemis ; je suis l’un des hommes les plus riches de la terre, et le Christianisme enseigne le mépris des richesses et le renoncement ; je suis enclin à trouver une jouissance dans la cruauté, et le Christianisme m’impose la douceur et m’invite à pleurer sur le martyre de son Crucifié.
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« Il est incroyable qu’un homme comme moi, pourvu de milliards et dépourvu de scrupules, puisse s’ennuyer. » (p. 103)
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Vidéo de Giovanni Papini
« […] Jour après jour, Saba - de son vrai nom Umberto Poli (1883-1957) - compose le “livre d'heures“ d'un poète en situation de frontière, il scrute cette âme et ce coeurs singuliers qui, par leur tendresse autant que leur perversité, par la profondeur de leur angoisse, estiment pouvoir parler une langue exemplaire. […] […] Au secret du coeur, dans une nuit pétrie d'angoisse mais consolée par la valeur que le poète attribue à son tourment, cette poésie est une étreinte : à fleur de peau, de voix, une fois encore sentir la présence de l'autre, porteur d'une joie qu'on n'espérait plus. […] Jamais Saba n'avait été aussi proche de son modèle de toujours, Leopardi (1798-1837) ; jamais poèmes n'avaient avoué semblable dette à l'égard de l'Infini. le Triestin rejoint l'auteur des Canti dans une sorte d'intime immensité. […] […] Comme le souligne Elsa Morante (1912-1985), Saba est plutôt l'un des rares poètes qui, au prix d'une tension infinie, ait élevé la complexité du destin moderne à hauteur d'un chant limpide. Mais limpidité n'est pas édulcoration, et permet au lecteur de percevoir deux immensités : le dédale poétique, l'infinie compassion. » (Bernard Simeone, L'étreinte.)
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Référence bibliographique : Umberto Saba, du Canzoniere, choix traduit par Philippe et Bernard Simeone, Paris, Orphée/La Différence, 1992.
Image d'illustration : https://itinerari.comune.trieste.it/en/the-trieste-of-umberto-saba/
Bande sonore originale : Maarten Schellekens - Hesitation Hesitation by Maarten Schellekens is licensed under a Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License.
Site : https://freemusicarchive.org/music/maarten-schellekens/soft-piano-and-guitar/hesitation/
#UmbertoSaba #Canzoniere #PoésieItalienne
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