Ah ! ce « Je vous ai compris » a provoqué beaucoup de malentendus et,finalement, il a singulièrement compliqué la suite. Pour donner à cette exclamation,sa juste place, il convient de lire le discours tout entier. Il y a écrit : « Je sais ce qui s'est passé ici et j'en comprends les raisons, l'incertitude, l'angoisse, les deuils... » Puis il affirme la nécessité de la rénovation. Il aurait pu dire révolution dès lors qu'il annonce sans ménagement que le double collège séparant les Européens des Algériens et qui maintenait ces derniers en position mineure était supprimé. Qu'est-ce que cela signifiait ? Que les Algériens, largement majoritaires – neuf contre un, on l'a vu –, se trouvaient en position de prendre les décisions jusqu'alors réservées aux Européens. C'était annoncer que, dans les instances locales, la prédominance européenne prenait fin, et que les musulmans siégeraient un jour en nombre au Parlement.
Pompidou n'aimait pas les ennuis. Qui les aime ? Les hommes de caractère,s'ils les créent parfois, savent y faire face. Lui, cherchait toujours les solutions qui permettent de tourner la difficulté, même si elles doivent parfois égratigner les principes. Personnage d'intelligence et de culture, il estimait que la conduite d'un pays consiste à éviter les à-coups et les chocs. Il préférait sacrifier les grandes aspirations au calme du parcours. Rien de ce qui pouvait secouer la société ne lui paraissait bon. Son idéal : une évolution lente et sans heurts. Appartenant à la première génération de la réussite, étant celui qui avait effectué la percée, il n'avait pas encore dominé sa satisfaction du succès. Selon lui, son propre exemple démontrait que le progrès social était possible dans cette République où il suffisait de se donner du mal.
La considération que le Général portait au miracle de l'écriture rejaillissait naturellement sur les auteurs. Tel est la source de l'intérêt particulier qu'il a porté à André Malraux. De surcroît, le passé politique de l'auteur de L'Espoir en faisait un homme de progrès, militant contre tous les totalitarismes et cet engagement
représentait une garantie. Avec lui, les libertés ne subiraient aucune atteinte.
Quant à vouloir l'encadrer et l'insérer dans des règles administratives, c'était une tout autre histoire ! De Gaulle l'avait fait entrer dans son gouvernement en 1945, et l'écrivain, venu se mettre à sa disposition, présent lors du lancement du RPF à Strasbourg le 7 avril 1947, s'était vu confier le secteur de la propagande du mouvement. Malgré son activité littéraire, il n'avait jamais laissé ce lien se
distendre.
On ne peut demander à tous d'être des héros,
mais subir l'effondrement national sans réaction aucune, voilà qui est vraiment,grave lorsqu'on prétend, par la suite, atteindre les plus hautes fonctions. Bien que,membre du RPF, il en était resté à l'écart, puis s'était installé dans le privé. Il ne croyait pas au retour du Général et trouvait vains nos efforts. Revenu aux affaires dans la proximité immédiate de De Gaulle, très influencé par sa relation avec le milieu de la finance, il s'était montré hostile à toute avancée sociale, notamment à l'égard de la participation. Enfin, en 1968, devant la « chienlit », il n'avait pas soutenu la politique de rigueur du Général.
Les secousses de l'Histoire, les bonheurs et les malheurs vécus en commun bâtissent une nation. Pourquoi nier ces sentiments ? Ils existent. Et si naissent des conflits entre les familles, les tribus et les nations, c'est bien pour la défense de ce que chacun considère comme un patrimoine personnel.