5 étoiles donc puisque quoi que l'on fasse, cela finit toujours de la même façon : par une estimation chiffrée, une note forcément arbitraire qui vient pourtant sanctionner le cheminement d'une pensée, celui d'une vie de neurologue, en autre.
J'ai découvert
Antoine Senanque au travers de "
Blouse" il y a quelques années alors que mon frère tentait "médecine" (il finit aujourd'hui des études de philosophie finalement), un ouvrage que j'avais lu et vécu passionnément.
Il paraît, si l'on en croît les critiques, qu'il s'agit d'un brulot "contre" la médecine. Pour moi, c'est surtout un livre plein de douleurs, une douleur qui s'exprime et heureusement comme à chaque fois que l'on tente, dans un corps de métier ou un autre, de donner plus que l'ordinaire.
Quand on aime plus que l'ordinaire, qu'il s'agisse de la médecine ou des maths dans mon cas, la colère ou la révolte ne sont jamais loin.
On rêve parfois de cette indifférence qui protège et lisse tout mais on ne refait pas si facilement.
" Pas d'équilibre mais elle fait de son mieux, elle penche." (M. F.)
"Guérir quand c'est impossible" est quant à lui un ouvrage apaisé je pense, un ouvrage polymorphe.
J'ai été touchée par les "extrémités du livre" (le retour d'abord sur cette profession de médecin, un métier qui semble évoluer au rythme de la personne qui l'exerce et ensuite sur ce que la médecine est appelée à devenir ou pas).
En fin d'ouvrage notamment l'auteur revient sur cette médecine que l'on imagine d'ici quelques années robotisée, contaminée pour le meilleur et pour le pire par l'intelligence artificielle qui sera probablement en mesure d'établir un diagnostic radiologique très fiable et donc un soin qui va perdre en humanité ce qu'il va gagner en technicité et en rapidité. Même si ma formation est en maths pures (donc par essence même " en maths inutiles" et dieu sait qu'étant jeune, je l'ai revendiqué. C'était même ma fierté !), avec l'âge je suis j'espère moins égoïste, moins réfractaire aux maths dites appliquées et par conséquent il faut reconnaître que l'incursion des maths en imagerie médicale notamment permet sans doute des clichés plus fiables mais surtout obtenus grâce à des temps d'exposition aux rayonnements réduits donc comme toujours, tout n'est pas à jeter. Il y a bien une finalité de confort du patient.
En revanche, ce temps de gagné, c'est un temps à consacrer au dialogue, à l'échange.La finalité, ce ne sont pas des consultations à la chaîne ! Ensuite, une médecine systématique à grand coup d'algorithmes aussi efficaces soient-ils et de protocoles standards va laisser sur le bord de la route les quelques malades qui n'entrent pas dans cette base de données pré-établies. Pour ces personnes, il faudra bien des hommes et des femmes, pas seulement aptes à paramétrer une machine, mais bien capables de réfléchir, de s'adapter, de douter, bref de respecter ces corps qui souffrent et réagissent différemment. Pour l'ensemble des patients, rien ne remplacera jamais un regard de soutien un peu appuyé, une main quelques secondes sur une épaule. Quelquefois, ce sont ces secondes qui peuvent tout changer, qui réparent au moins autant que l'ordonnance en donnant la force et l'envie de lutter.
Antoine Senanque revient sur la formation médicale et ce mode de sélection (à grand coup de QCM ie de cases à noircir plus vite que son ombre) qui est décrié depuis des années sans que rien ne semble réellement évoluer. Je reconnais que chaque année près de 60% de mes terminales S envisagent de faire "médecine" comme ils disent et que c'est pour moi une source perpétuelle d'étonnement puisque finalement très rares sont ceux qui peuvent, même de manière très artificielle, justifier cet engouement si jeune. Médecin, c'est être confronté chaque jour a des gens malades, c'est donc être le réceptacle consentent ou pas de la souffrance, de la détresse de l'Autre. Bien souvent ces jeunes que j'adore pourtant sont, il faut le reconnaître, "de petits monstres ordinaires", souvent indifférents, consommateurs en fin de chaîne et qui sans pudeur, revendiquent l'égoïsme. de manière terrifiante, ils sont même convaincus qu'il s'agit du chemin le plus sûr pour réussir ces études hautement humaines. Malheureusement, ils ont probablement raison.
Je les encourage bien sûr mais en pensant intérieurement : 10 ans pour apprendre les bases du fonctionnement d'un corps, c'est sûrement suffisant mais seulement 10 ans pour apprendre à devenir un être humain, un être capable d'empathie, capable de dire : "merci", "pardon", "courage" ou simplement "je ne sais pas", je crois que ce sera trop court. On part de beaucoup trop loin.
Alors oui, que l'on accepte enfin dans ces études des élèves aux horizons variés. Puisqu'il n'y a pas qu'une médecine, puisqu'il n'y a pas de patient-type, il ne doit pas y avoir qu'un prototype de médecin. Cette richesse, elle manque et peut-être qu'elle aussi pourrait contribuer à sauver des vies.
Quant au coeur de l'ouvrage, il s'agit de présenter non pas des alternatives à la médecine traditionnelle mais à évoquer des pistes qui sont autant de chemins possibles même si ce sont des chemins de traverse et que l'on est parfois bien loin de l'autoroute ! de mon côté, n'étant pas croyante, je n'éprouverais pas de soulagement à évoquer/invoquer la religion notamment pour m'apaiser ou me stimuler en cas de maladie grave mais comme
Antoine Senanque, je suis légitimement "pour ce qui marche", que ce soit d'inspiration rationnelle ou pas.
Est omniprésente aussi, et c'est plus rare, l'aspect quantique non pas du corps (puisque cette théorie ne s'applique pas à l'échelle macroscopique au sens où elle n'a pas pour objectif de la décrire) mais de la cellule. L'auteur nous rappelle que l'on retrouve au niveau cellulaire cette dualité "onde/corpuscule" si bien que l'Homme semble se confondre avec le Chat de la célèbre expérience de pensée de
Schrödinger, condamner à errer dans une superposition d'états mort/vivant. On est finalement toujours au bord de la Vie comme on est toujours au bord de la mort.
Bref, c'est un livre à lire, apaisant, plein de sagesse, d'espoir aussi qui ne cherche ni à détourner ni à convaincre. Ce n'est pas un manifeste "pour ou contre quelque chose" mais 250 pages d'humanité, de doute et de tolérance.
" Derrière les fenêtres
Des vies, longtemps, se perdent
Derrière les fenêtres
J'envie des mondes
Qui ressemblent aux songes
Derrière les carreaux
Tombent en lambeaux des êtres
Derrières les pâleurs, on sait qu'un
Coeur va naître ou disparaître"
extrait de "Derrière les fenêtres"
Mylène Farmer